mercredi 31 janvier 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Pour 1 € on peut se procurer quatre exemplaires de la Série noire à la recyclerie de ma ville. On trouve toujours des choses intéressantes dans le lot. Ainsi, tout une quantité de Westlake m’est passée sous le nez, au profit d’un ami. Tant mieux pour lui. Comme je l’indiquais il y a peu, j’éprouve une légère lassitude à l’égard de celui-là (de Westlake, hein) et j’en possède de toute façon assez pour me contenter d’une exhumation…
Les trois ouvrages acquis dernièrement (pas réussi à trouver un quatrième qui m’intéresse, désolé) se révèlent assez disparates.

 

D’abord, Elmore Leonard reste l’un des auteurs de polars dont on connaît l’œuvre malgré tout sans pour autant l’avoir lu pour la bonne raison qu’énormément de ses romans ont été tournés au cinéma ou pour la téloche. Valdez est arrivé appartient à la série des westerns, et ne me dites pas que vous ignorez la contribution de Leonard au genre ! Il suffit de citer 3 h 10 pour Yuma (1957, Delmer Daves) pour éclairer votre lanterne. Rentré à la maison, je me suis aperçu que je possédais déjà ce volume. Je vais les comparer, garder le plus « mint », comme disent les disquaires et offrir le retoqué (mais en bon état) à quelqu’un qui aime ces petits romans nerveux.

 

Je demeure dubitatif au sujet de Vautrin, avec cette histoire de colleurs d’affiches voyous. Tout à coup, le style me semble suranné après avoir sondé les premières pages. Nous allons nous y remettre sérieusement sous peu, une fois que l’a priori se sera un peu dissipé.


Votre Tenancier éprouve une jouissance coupable à lire de temps à autre des espionnages du temps de la Guerre froide. Les aventures de Sam Durrell, agent de la CIA d’origine cajun répond à tous les clichés du genre et même plus si affinité puisque, crapahutant dans une république arabe au cours d’un de ces romans, on se croirait transplanté dans un film des années 30. Reste une phrase prémonitoire (je vous la retrouverai un jour), qui préfigurait le 11 septembre. Edward S. Aarons produisait très régulièrement ces espionnages standards qu’on lit avec une nostalgie amusée à cause de l’impérialisme occidental et son machisme. À noter que les titres originaux comportaient « assignment » à chaque volume. Assignment Tokyo et sa traduction, Virus-party, se complètent assez pour annoncer la couleur de l’histoire. Votre Tenancier possède une vingtaine de bouquins d’Aarons. Votre Tenancier assume sa perversion.

 

Ce Hillerman manquait à ma bibliothèque. Moi, j’aime, même si je trouve les enquêtes parfois inconsistantes, voire soporifiques selon mon humeur. En définitive, je pense lire les polars comme si c’était une mauvaise manie et j’ai tort, bien sûr. Se plonger dans Hillerman, c’est comme retrouver des vieux chaussons confortables ou rêver devant un catalogue de voyagiste. Je suis dur ? Dans ma bouche, c’est plutôt un compliment, concernant Jim Chee et consorts…

 

Voici un livre terrible. J’avoue avoir hésité à le prendre. Je sais d’avance ce que je vais y rencontrer et je me doute que ce sera pire que ce à quoi je m’attends. Les photos de l’encart central, habituel dans cette collection, sont malaisantes. Ai-je à en dire plus ? Je vous reproduis ci-dessous le résumé, ce qui vaut mieux que toute considération de ma part.


Elmore Leonard : Valdez est arrivé — Gallimard, Série noire (1979)

Jean Vautrin : À bulletins rouges — Gallimard, Série noire (1973)
Edward S. Aarons : Virus-party — Gallimard, Série noire espionnage (1972)
Tony Hillerman : Un homme est tombé — Rivages/noir (2000)
Patrick Declerck : Les naufragés, Avec les clochards de Paris — Plon, Terre humaine (2002)

lundi 29 janvier 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 25


A. Thevet

La cosmographie
universelle
Livre vintdeuzieme,

Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques voyageurs



Le Tenancier : Dans cette collection, on aime bien les géographies imaginaires ou ancienne, les fous littéraires et, en définitive, les aberrations de toutes sortes, mâtinées ici de considérations gastronomiques, puisqu’on voit des cannibales saler leurs victimes. Évidemment, on sent que l’éditeur a développé une sensibilité envers les textes de traverse
 
Pierre Laurendeau : Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner pour le numéro 24 (Hérodote), ces deux minilivres ont été concoctés à l’occasion d’une présentation des trésors de la Bibliothèque municipale d’Angers.
André Thevet (1516-1592) fut explorateur ; il accompagna notamment l’expédition française au Brésil de 1555, à l’occasion de laquelle fut édifiée une colonie de « la France antarctique », qui dura cinq ans et se termina par la destruction du fort Coligny par la flotte portugaise. Le récit que Thevet fit de son voyage, s’il souffre d’approximations, est considéré comme fondateur de l’ethnologie.
Je ne me souviens plus si l’exemplaire de la bibliothèque d’Angers est l’édition originale de 1557 ou la réédition par Plantin de 1558.
Toujours à propos du livre de Thevet, selon Frank Lestringant qui préface son choix de passages (éd. La Découverte, 1983), le libraire Maurice de la Porte qui publia la première édition se fit aider par un « bachelier », Mathurin Héret, pour mettre de l’ordre dans les notes de Thevet et les rédiger. Il semble que le pauvre bachelier fut un peu oublié au moment de la publication – ce dernier intenta un procès à l’auteur et à l’éditeur « pour usurpation de labeur ». Il obtint gain de cause et fut dédommagé de son travail par vingt écus d’or, mais ne put apposer son nom en tant que coauteur en tête d’ouvrage, comme il le réclamait. C’est le premier cas connu, il me semble, de revendication par un « nègre » (on dit maintenant « auteur associé ») d’apparaître au grand jour.

samedi 27 janvier 2024

Une historiette de Béatrice

Après m'avoir demandé un livre sur Alice Bailey, un dictionnaire des racines des langues indo-européennes, une biographie de François 1er de Toscane, un livre sur un peintre espagnol contemporain qui ne signe pas ses œuvres, il me lance:
« Bon j'arrête, car je sens qu'il faut que je vous demande un Tintin et Milou pour que vous me répondiez favorablement. »
Devant témoin, heureusement (on ne me croirait pas).

jeudi 25 janvier 2024

Fake news, mon cul !

Parmi les mots anglo-saxons à la mode, Fake News tient bien la rampe depuis plusieurs années dans les médias qui, l’on s’en aperçoit de plus en plus, se casse de moins en moins le tronc pour livrer une traduction du terme. Le Comité d’enrichissement de la langue française (sic !) propose le mot-valise « infox » qui fleure bon son montage technocratique à l’usage des « communicants ». Quant à nous, nous préférons encore cette vieille catin de langue française, enfin celle qui n'a nul besoin d'être « enrichie » :
CANARD : Fausse nouvelle, récit mensonger inséré dans un journal. — « Nous appelons un canard, répondit Hector, un fait qui a l’air vrai, mais qu’on invente pour relever les Faits-Paris quand ils sont pâles. » (Balzac.) — « Ces sortes de machines de guerre sont d’un emploi journalier à la Bourse, et on les a, par euphémisme, nommés canards. » (Mornand.) — Une anecdote du tome Ier du Dictionnaire de l’Industrie (Paris, Lacombe, 1776), semble nous livrer l’origine de ce mot :
 
On lit, dans la Gazette d’agriculture, un procédé singulier pour prendre les canards sauvages. On fait bouillir un gland de chêne, gros et long, dans une décoction de séné et de jalap ; on l’attache par le milieu à une ficelle mince, mais forte ; on jette le gland à l’eau. Celui qui tient le bout de la ficelle doit être caché. Le gland avalé purge le canard qui le rend aussitôt ; un autre canard survient, avale ce même gland, le rend de même ; un troisième, un quatrième, un cinquième s’enfilent de la même manière.
On rapporte à ce sujet l’histoire d’un huissier, dans le Perche, qui laissa enfiler vingt canards ; ces canards, en s’envolant, enlevèrent l’huissier. La corde se rompit, et le chasseur eut la cuisse cassée.
Ceux qui ont inventé cette histoire auraient pu la terminer par une heureuse apothéose, au lieu de la terminer par un denoûment aussi tragique.

 
La grossièreté de cette histoire, comme dit notre citation, — l’aura fait prendre comme type des contes de gazette, et canard sera resté pour qualifier le genre entier. On trouve « donner des canards : tromper » dans le dictionnaire d’Hautel (1805).
Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d’argot (1881)
 
Mais se priver de la mémoire des mots fait sans doute, également, partie d’un « projet »…

mardi 23 janvier 2024

Une époque extraordinaire

Il est entendu de ce côté-ci du clavier que je m’interdis de délivrer des anathèmes envers les littérateurs réactionnaires ou mêmes fascistes qui occupent de plus en plus le devant de la scène. Il est vrai par ailleurs que l’exposition d’un Céline, par exemple, attire moins de mouches à merde et qu’il devient nécessaire de moderniser la saloperie avec des auteurs bien élevés et si possible adoubés par des médias prompts à la gamelle. Les temps se révèlent extraordinaires, sans doute parce que je n’ai pas assez vécu, à contempler les petites lâchetés, les intérêts bien compris et les compromissions également en cours dans la « République » des lettres et de la poésie, comme il s’en produisit il n’y a pas si longtemps. Certains ont choisi l’indifférence, la réclament même, se retournant contre ceux qui réagissent, maladroitement, certes, à l’envahissement d’une pensée réactionnaire à tous les étages de la vie culturelle. On a lu également quelques contre-feux éloquents, accusant les signataires d’une tribune contre un des charlatans des lettres, de « wokisme », « d’écrivaillons » quand on n’avait pas recours à des insultes franches. À cela, l’on ne s’étonnerait pas de la provenance (Le Figaro à joué son rôle où on l’attendait) si cela ne venait pas de gens qui bâtissent une réputation d’intransigeance… lorsque cela ne leur coûte pas un rond — à moins que cela les compromette — ou bien parce qu’ils redoutent de s’être trompés, d’avoir pris un léopard pour une panthère et d’avoir méconnu Les navigations d’Ulysse de Victor Bérard, bref d’avoir cru à la copie plutôt qu’à l’original. À moins que ceux-là rêvent de participer à la « gamelle » qui paraît bien fournie, et achalandée par les faucons et les Oui-oui. On observe cela de loin, sans étonnement. On s’en doutait, puisque déjà certains rayons de librairies semblent des compilations de propos de bistrots ou de mises à jour des conneries de la Nouvelle-Droite, quand il ne s’agit pas de « recyclage » pur et simple d’idées rances et de textes « bancables ». On a vu tout cela et l’on s’en passe. Mais après tout, la culture envisagée comme une « industrie » démontre son aptitude au recyclage et par destination ne peut se mêler des opinions, excepté lorsque le vent tourne et qu’il s’agit des dernières soldes avant liquidation du prêt-à-penser précédent. Oui, les temps sont extraordinaires, mais loin d’être merveilleux…

Paf, dans ma bibliothèque !

Les fêtes sont passées par là chez votre Tenancier et il n’a pas reçu trop de cadeaux. D’ailleurs, que pourrait-on lui offrir d’autre qu’un supplément de jouissance de l’existence ? Reste le besoin impérieux de posséder des livres, qui fait partie de ce plaisir du cumul. Périrai-je un jour de la chute d’une bibliothèque sur mes pauvres endosses, de la même manière qu’un astronome serait touché par une météorite ou bien une météorologue par la foudre ? La fulguration, quelle étrangeté : cela ressemble de l’extérieur au sentiment, atténué bien sûr, de la découverte d’un nouveau texte. Imaginons-nous partir en quête de l’éclair avec une baguette de coudrier ! Fort heureusement, on en clamse peu. Une histoire amusante serait à rédiger, qui conterait l’exception, une lecture fatale à cause du ravissement ou de l’étonnement. Tu lis… et boum, tu meurs. Cela a bien dû arriver. En tout cas, cela pourrait se produire avec ce petit bouquin sur le poison, amusant et dont la lisibilité laisse à désirer, typo trop brillante sur un fond qui neutralise le contraste, mais qu’importe, le poison se mérite, l’effort est requis et nous possédons tous quelques ennemis, n’est-ce pas ? Mais ces recettes se révèlent-elles fatales ? Le Tenancier n’a pas essayé pour le moment. Constatons que sa lecture n’en deviendrait pas mortelle, mais peut-être sa mise en application…


L’art de la sieste reste un domaine encore étranger à votre serviteur, mais cela importe peu, après tout, puisque le fond de l’ouvrage de Thierry Paquot semble l’emploi de notre temps. Citons : « La sieste fonctionne ici comme une métaphore, elle acquiert un autre sens et ne désigne plus seulement l’acte de s’endormir ou de somnoler, au midi de la journée, mais la capacité à maîtriser son emploi du temps, à ne pas le brader en le soumettant aux temps imposés par “la” société. »
« Vous avez donc lu l’ouvrage, Tenancier ? » Eh bien, même pas ! Je suis tombé sur ce passage au hasard au moment précis où j’en avais besoin, signe éloquent que ce livre me parle. Mystique, le Tenancier ? Et puis quoi, encore ? Le phénomène survient de temps en temps, sans doute à cause du hasard ou d’un inconscient qui travaille pour soi et qui se dit « Voyons, la citation ad hoc doit bien se trouver à cet endroit du livre. » Parfois, ça marche, la preuve…


Vive l’Anarchie, c’est entendu… Cela reste un réconfort au milieu de la vaste maladie mentale qui règne à l’heure actuelle et qui veut nous embrigader, nous scruter, interférer sur notre vie, nous faire croire, etc. Ce volume de Jean Grave m’a été offert par un ami de passage qui s’interroge sur le fondement de la pensée anarchiste et qui s’est acheté quelques ouvrages sur le sujet. On espère qu’il accédera ensuite à quelques penseurs plus modernes que ceux qui étaient proposés dans la librairie où nous nous trouvions. En effet, l’anarchisme reste un concept contemporain et révolutionnaire, malgré les bistrotiers qui s’en réclament, je ne sais quel « comique » ou autres et qui sont autant de petites merdes fascistes, et je reste poli. L’anarchie rassure des gens comme moi qui s’enchantent de la découverte d’un étranger dans son semblable. Merci, mon cher, pour ce cadeau. Vous voyez, j’en ai reçu un, de cadeau ! Mais là, ce n’était pas en raison des circonstances religieuses, sociétales ou autres, mais au nom de l’amitié, qui est, après tout, une composante de l’anarchie. Je vous rassure : on y trouve aussi des sales cons pas amicaux. C’est normal, c’est humain. En tout cas, ce ne sont pas des fascistes, c’est déjà ça.


Nous allons lire la Paquot en premier, en nous demandant s’il fournira un remède à ce temps qui nous manque tant face à l’accumulation de lectures ici et là.

Victor Coutard : Le poison, dix façons de le préparer — Éditions de l'Épure (2023)
Thierry Paquot : L'art de la sieste — Zulma (2002)
Jean Grave : La société mourante et l'anarchie, préface d'Octave Mirbeau — Lux éditeur (2023)