jeudi 29 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 30


Jean-Pierre Brisset

Le latin est artificiel

Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1998 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques latinistes
Extrait de La Grammaire logique Résolvant toutes les difficultés Et faisant connaître Par l'analyse de la parole La formation des langues et Celle du genre humain, par Pierre Brisset, Ancien Professeur de Langues vivantes. Extrait de l'édition originale parue chez Ernest Leroux, Paris 1883



Le Tenancier : Revoici Brisset, déjà évoqué dans le volume 20, avec un nouvel extrait de sa Grammaire logique. Dans Les Fous littéraires d’André Blavier, on compte treize entrées le concernant, plus ou moins importantes…Pour Brisset, « le latin, c’est l’italien renversé », une sorte d’argot pour classe dirigeante, en poussant un peu. On renoue ici avec un système de pensée que ne renieraient pas certains complotistes. Tu avais prévu de nous en dire plus au sujet de l’auteur...
 
Pierre Laurendeau : Ah oui… Euh… À relire la notice du numéro 20, je trouve qu’il y a peu à ajouter à mes relations brissettiennes. Quant à analyser l’œuvre… il faudrait y consacrer une encyclopédie !
Peut-être attaquer un angle mort de l’histoire littéraire, alors. Quand les surréalistes découvrent Brisset, ils sont « fréquentés » par le jeune Lacan. Dans les années 80, quand je disais : « Lacan a tout piqué à Brisset », c’était inaudible – notamment par l’intelligentsia de gauche, qui vouait un culte à la piscanalyse (étude des poissons morts) lacanienne. J’ai toujours pensé que Lacan était un escroc – outre que sa méthode de décortication du langage, comme je continue de l’affirmer, est entièrement pompée sur Brisset –, il a dévasté bien des familles, dont la sienne.
Il y a quelques années, Michel Onfray a publié un ouvrage contre Freud, Crépuscule d’une idole. Mal lui en prit ! Il fut cloué au pilori par la gauche bien-pensante, ce qui accéléra je pense sa dérive vers la droite plus que droite. C’était pourtant un livre nécessaire, qui posait les bonnes questions, mais noyées dans un fatras d’approximations biographiques et d’erreurs de méthodologie : Onfray écrivait trop vite (et publiait trop).
Cinq points, cependant, auraient mérité d’être relevés :
-      Freud n’était pas le seul à travailler sur l’« inconscient » (quelque nom que l’on donne à cette zone floue où sont enfouis les souvenirs).
-      La psychanalyse n’a jamais guéri qui que ce soit, même si l’écoute thérapeutique, héritée entre autres de la confession auriculaire (je connais plusieurs curés en rupture de Vatican qui se sont reconvertis dans la psychanalyse), apporte un soulagement au mal-être.
-      Le fonctionnement sectaire. Le processus d’adoption relève des mêmes techniques que les autres sectes : le futur ou la future adepte doit se faire psychanalyser afin de parvenir au Graal de membre à part entière – je pense notamment aux pythagoriciens, et à la séparation entre acousmaticiens, qui écoutaient l’enseignement du maître derrière un rideau pendant 5 ans !, et adeptes à part entière.
-      Le parcours analytique du « patient » (mot qui porte ici pleinement sa signification, la « cure » pouvant se dérouler sur de nombreuses années, voire décennies !) obéit un rituel qui n’a rien à envier à ceux des religions à mystère – transfert, contre-transfert, etc.
-      Comme pour toute religion (ou secte), les écoles de psychanalyse sont aussi nombreuses que se détestant cordialement. À ce sujet, le film de Raoul Ruiz, Généalogies d’un Crime (1996), est une réjouissante satire de ce petit monde.
Ce qui est grave, à mon sens, c’est que cette secte est figée dans ses rituels archaïques sans tenir compte des avancées considérables dans la compréhension du fonctionnement du cerveau, notamment ce que l’on appelle la plasticité mémorielle : les souvenirs ne se constituent pas en strates figées ; quand on les convoque, la mémoire reconstitue les événements en piochant dans différents clusters, ce qui produit souvent des erreurs de restitution – et favorise les manipulations par des gourous (psychanalystes, hypnothérapeutes et autres « bioquanticiens »). Aux États-Unis se multiplient les procès de jeunes adultes persuadées d’avoir été violées ou maltraitées par leur père – ce qui peut arriver, certes – à la suite d’une cure psychanalytique orientée.
Brisset, lui, se livrait sans retenue aux associations d’idées que son cerveau produisait à jet continu ! Sa créativité linguistique était sans frein. « Le latin ne vient pas plus du Latium que l’argot de l’Argovie, le javanais, de Java. » C’est dit !

mardi 27 février 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

 
 
J’avais rencontré Christian Oster à l’occasion d’une interview à mon émission à Radio Libertaire dans les années 1980. À l’époque, il avait publié quelques nouvelles de SF dans Libération et des romans dans la collection Engrenage au Fleuve Noir (La pause du tueur). Sa conversion vers les éditions de Minuit est assez exemplaire de cette génération happée par la vénérable maison, comme Antoine Volodine, qui démontre que les littératures dites de « l’imaginaire » possédaient une porosité avec la notabilité littéraire. J’avais suivi l’auteur avec une certaine assiduité à l’époque où je travaillais encore en librairie de neuf (sept bouquins de chez Minuit et l’Engrenage cité plus haut résident encore chez moi) et cette trouvaille dans cette solderie, un SP, en plus, était devenu une tentation. Avec le temps écoulé, l’auteur et son lecteur s’étant perdus de vue, qu’en sortira-t-il ? Je verrai bien…

 

Diable, Tenancier, vous n’avez donc pas lu le bouquin d’Orwell ? Mais pour qui me prenez-vous, bande de lecteurs ? Bien sûr que si et à plusieurs reprises ! Seulement, jusqu’à maintenant, je ne possédais que l’édition en Idées/Gallimard. La présente est propre et agréable. Je garderai l’autre qui sera transférée vers la bibliothèque historique. Je n’étais pas passé depuis un bail chez le bouquiniste local. Vertu de l’absence : au retour dans ces murs-là, l’on a envie de tout.


Gary : même motif que précédemment. On améliore sa bibliothèque et l’on se demande soudainement depuis combien de temps on n’a pas ouvert un bouquin de Gary : 10, 20, 30 ans ? Ouh la la ! Il était temps.

 

Si l’on aime la littérature, on ne peut passer à côté de Stevenson. Bon… si on peut, mais c’est bien dommage pour vous si vous êtes dans ce cas. Comme c’est un 10/18, vous retrouverez le volume un de ces jours dans la rubrique ad hoc. En attendant, je recherchais — mollement, certes — ce titre-là dans cette collection à cause du dernier article du recueil : Les romans d’aventures de Jules Verne. Votre Tenancier est un amateur de Verne depuis son enfance, relançant à chaque phase de son existence son intérêt sans toutefois en retrouver les saveurs juvéniles. Tant pis. En revanche, L’île au Trésor reste pour moi une jouvence. Quoi de plus tentant que de confronter deux admirations ? Vous faites erreur Tenancier, me répliquera-ton. Il existe d’autres romanciers sur ce genre avant Stevenson, tout de même ! Et de me citer Dumas, par exemple. Qu’à cela ne tienne, on trouvera également dans le recueil À propos du vicomte de Bragelonne. Et avec ceci, on aura un temps bâillonné les fâcheux et les ratiocineurs, quoique rien n’est sûr avec cette engeance. Le reste du sommaire, nous ne le connaissons pas (on a eu connaissance du texte sur Verne ailleurs, entretemps) et on éprouve un plaisir anticipé à le découvrir, d’autant que le résumé de 4e évoque ceci comme un complément au Voyage avec un âne dans les Cévennes
(L’ouvrage est correct, mais le pelliculage est un peu dégueu, surtout sur le dos et le second plat. Si vous êtes dans le cas — et si c’est bien un pelliculage — vous pouvez utiliser un chiffon imbibé de liquide pour les vitres. Faites gaffe tout de même, parce que le carton ou le papier peuvent être imbibés et changer de couleurs dans les petites scarifications qui manquent rarement dans les anciens volumes, surtout dans les angles.)

 

Et voici que les reproches vont continuer bon train, je le sens, en constant que mes acquisitions n’apportent pas vraiment leur lot de nouveautés. C’est vrai, je me suis montré frileux dans ces choix volontaires, voire très conservateur. C’est que la littérature actuelle m’ennuie un peu, voyez-vous ? De plus, je me suis déshabitué dès la fin de ma carrière de salarié en librairie de neuf de me tenir au courant de ce qui paraît. Cela peut paraître bizarre, mais cette désaccoutumance se révèle comme un sevrage au tabac. On respire bien mieux, l’esprit se dégage et l’on n’a pas à supporter des effets secondaires comme d’autres addictions. Cependant, l’encouragement, l’amitié et, tout de même, la curiosité m’amènent parfois à acquérir un livre neuf. Que le contenu soit un recueil de nouvelles érotico-gourmandes — avec un joli titre en sus ne peut qu’éveiller en moi de la concupiscence. Nous lirons à petites bouchées.
Un livre neuf dans les acquisitions récentes ? Ce n’est pas souvent.

 

On se trouve parfois au passage d’une circulation de livres propulsés par l’amitié, ainsi on a offert au Tenancier ce livre de Tom Kromer, inconnu de lui et qui évoque les hobos, cette fois-ci au cœur de la Grande dépression aux États-Unis. Comment ne pas songer aux Vagabonds du rail, de London, à L’empereur du Nord, d’Aldrich, etc. ? La curiosité l’emporte !

 

Cette même circulation amicale me met devant ce qui ressemble à un thriller politique. On tentera de le lire pour montrer de la bonne volonté. Encore un livre neuf, mais qui compte pour du beurre, en quelque sorte. Ce type de récit ne m’emballe jamais. S’il me déplaît au bout du compte, je le rendrai afin qu’il trouve des bras plus accueillants.

 

Retombons dans nos ornières avec un vieux machin : le numéro 202 (octobre 1970) de la revue Fiction. Au sommaire : Robert Bloch, Harlan Ellison, Philippe Curval et des seconds couteaux (le terme n’est pas si péjoratif chez moi, puisque j’en suis un ! — j’adore faire dans le chleuasme !) comme Edgard Pangborn ou Otis Kidwell Burger — celui-ci complètement inconnu pour moi. Un titre de nouvelle retient mon attention : Comment mater un chômeur, de Barry N. Malzberg, intention prometteuse, ou pas… Il reste un auteur intéressant, sans doute méconnu à l’heure actuelle, comme pas mal de confrères de sa génération, en particulier à cause de son éclectisme. Le problème du « genre » touche aussi la littérature, si je puis dire. En conclusion de ce numéro et de cette chronique on trouve un article de Jean-Pierre Andrevon : Un Marabout bien planté qui fait le point sur cette maison qui publia tant de titres fantastiques ou de SF repris ici et là à l’heure actuelle. Je lis très rarement des ces littératures, désormais et lorsque je m’y retrouve, je picore au-delà de la limite de péremption. Comme il faut toujours être à la pointe dans la littérature de genre, je préfère à l’avant-garde éclairé, demeurer un traînard à lumignon. On brille moins, mais l’on dure.
On a essayé de ne pas trop se montrer bavard, et puis vous savez ce que c’est…
 
Christian Oster : Sur la dune — Éditions de Minuit, 2007
George Orwell : Hommage à la Catalogne, traduction par Yvonne Davet — Éditions Champ Libre, 1982
Roman Gary : Les cerfs-volants — Éditions Gallimard, 1981
Robert-Louis Stevenson : La France que j’aime, ou le voyage sans âne, Textes réunis avec une préface et une bibliographie par Francis Lacassin, traduction de Léon Bocquet et Jacques Parsons — UGE, coll. 10/18 , série « l’Aventure insensée », 1978
Silène Edgar : Les moelleuses au chocolat et leurs recettes, Gephyre édition, 2023
Tome Kromer : Les vagabonds de la faim, traduction de Raoul de Roussy de Sales, préface de Philippe Garnier, Christian Bourgois, 2022
Thomas Bronnec : Collapsus — Folio policier, 2023
Revue Fiction, n°202, octobre 1970.

lundi 26 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 29


François Fasula

Cendres

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 199è sur les presses de Deleatur pour le compte des amis de la Loire et du Train réunis
Requiem in pace



Le Tenancier : Pourquoi beaucoup de textes publiés dans cette collection s’attachent à une sorte de sentiment géographique, comme ceux de Jacques-Élisée Veuillet déjà abordés ici ? Pourtant, Cendres se révèle si court ! En peu de mot beaucoup de sensations passent. Très beau texte, très touchant… « La terre brune avait une épaisseur de graisse »… diable, on aimerait être l’auteur de ça !
 
Pierre Laurendeau : Texte très très bref, en vérité ! J’ai dû utiliser au moins un corps 16 pour l’étendre sur le nombre de pages fixe de la collection…
J’ai rencontré François Fasula, qui habitait Angers, lors de manifestations littéraires – à la fois confidentielles et sympathiques – organisées par les « Traumfabrik », un couple très investi dans l’édition de poésie (ils furent les organisateurs du salon de Rochefort-sur-Loire). En 1997, François venait de publier son premier roman, La vallée nuageuse ou De l'influence du whiskey sur le comportement des anges, chez Alfil – après un recueil de nouvelles, Le Voleur de temps, paru chez le même éditeur. J’avais été séduit par la tonalité et l’étrangeté de ses textes.
François appréciait les minilivres et me proposa un jour ce très très court texte, dont tu as si bien parlé.
Pour l’anecdote, François Fasula avait adressé à Fayard deux manuscrits (de mémoire, un recueil de nouvelles et un roman), qui furent acceptés par Claude Durand, un des derniers « géants » de l’édition : Claude Durand regardait tout ce qui était adressé à Fayard. Lors de l’entretien que François eut avec lui, Claude Durand fit une remarque qui m’a obligé à changer de chaussettes : « J’ai vu dans votre bibliographie un ouvrage publié par Deleatur… Excellent éditeur ! »
J’ai perdu contact avec François Fasula, et je le regrette… Il semble poursuivre ses publications chez un éditeur angevin, le Petit Pavé.

samedi 24 février 2024

Dystopie

La fiction dystopique, c'est lorsqu'on prend les choses qui arrivent dans la vie réelle à des populations marginalisées et qu'on les applique à des privilégiés.
(Piqué sur le ouèbe)

vendredi 23 février 2024

Une historiette de Béatrice

— Bonjour, vous avez du d'Ormesson?
— Non, désolée
— Ah, et alors qu'est-ce que vous avez d'un peu culturel, en général ?

jeudi 22 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 28


Robert Vigneau

Contribution 63
au Congrès de psychanalystes

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques freudo-ébénistes



Le Tenancier : On s’amuse bien à la lecture de l’intervention d’un ébéniste à ce congrès. Le télescopage reste une technique efficace pour les récits sarcastiques et humoristiques et cela fonctionne très bien ici, y compris dans la petite touche autobiographique. Mais qui est Robert Vigneau ? Il a semblé discret jusqu’à sa disparition en 2022 et pourtant, il possède une bibliographie importante…
Qui a dessiné la vignette de couverture et le cul-de-lampe ?
 
Pierre Laurendeau. Ah zut ! Tu m’apprends le décès de Robert Vigneau, que j’ignorais… Je ne sais plus comment il avait pris contact, peut-être à la suite de l’achat d’un minilivre chez un libraire (au milieu des années 90, il y en avait qui présentaient la prestigieuse collection !). Je l’ai peu connu, mais sa critique subtile de la psychanalyse par le mobilier m’a tout de suite séduit ! J’ai eu l’occasion de parler de lui avec un de ses éditeurs, Xavier Dandoy de Casabianca (les éditions Éoliennes, installées à Bastia), lors d’un marché de la poésie (2021 ?). Il ne semblait pas avoir de nouvelles, lui non plus. Jusqu’au milieu des années 2000, on recevait chaque année une carte de vœux qu’il confectionnait sur le modèle des minilivres – toujours charmantes et souvent impertinentes.
Les vignettes ont été dessinées par Alain Le Corre, un graphiste angevin avec qui nous collaborions pour Le Polygraphe et qui aimait la collection. Je crois que ce sera sa seule contribution à Deleatur.

mercredi 21 février 2024

10/18 — Alexandre Soljénitsyne : Une journée d'Ivan Denissovitch




Alexandre Soljénitsyne
Une journée d'Ivan Denissovitch

Traduit du russe par Léon et André Robel
et Maurice Decaillot
Préface de Pierre Daix

n° 488


Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
191 pages (192 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 5 avril 1974


(Contribution du Tenancier)
Index
a


mardi 20 février 2024

Un refus

L’autre jour, on a proposé à votre serviteur de participer à un mini-festival — l’équivalent d’une fête de quartier ou en tout cas dans une sorte d’entre-soi — où l’on me conviait à travailler en public sur un mot choisi dans une sélection de trois, production qui serait lue ensuite devant tout le monde. L’invitation aurait pu me flatter si j’avais appartenu à ce genre de personne qui aime s’exhiber, me comparant à un Simenon dans sa cage en verre, par exemple. Cependant, un surcroît de prudence — entre autres — m’a poussé à refuser cette proposition, trop conscient que ma production ne concerne pas ce genre d’exercice spectaculaire. Non que je me prenne pour un « Grandécrivain », mais que l’on pense de moi que je sois un débiteur de texte à la demande et que je ferais fi également de la sorte d’intimité régissant toutes mes rédactions lorsque je me retrouve à ma table de travail, m’a quelque peu défrisé, si c’était encore possible de côté-là. Cette requête ne me paraît pas inconvenante, mais pose la question de ce que l’on entend par le labeur d’écriture, la confinant à une sorte d’exercice technique où ne rentrerait en jeu qu’une certaine aisance à manipuler des concepts, compétence qui se recrute d’ailleurs chez les premiers de la classe. Je ne fais pas partie de cet univers.
Je m’imagine à me débattre deux heures durant, puisqu’il semble qu’on m’allouait ce temps, avec un de ces mots, devant tout le monde. La lutte avec l’ange tomberait alors dans la catégorie poids mouche… ou à une piteuse débâcle. Cette proposition n’est pas exceptionnelle. J’ai déjà assisté à ce genre d’exercice, sous une forme ou une autre, où les auteurs sollicités s’en sortaient haut la main et où ils en tiraient même un surcroît de prestige auprès d’un public. Pour ma part, je m’attends toujours à ce que l’on fasse passer le chapeau pour remercier l’artiste. En tout cas, que l’on ne compte pas sur moi pour me prêter à ce genre d’attraction. Je ne me prends pas non plus pour un « créateur solitaire » ; je sais à quel point je demeure redevable à beaucoup de personnes, mais je refuse de devenir une bête à exhibitions. Cela ne signifie pas pour autant que je répugne à rencontrer des lecteurs et à converser, autant que possible. Du moins y a-t-on le choix du sujet sans l’injonction de la contrainte et de l’efficacité.
J’ai donc refusé.