Serais-je atteint d’une pathologie
analogue au syndrome de
Noé qui veut héberger tout animal errant, mais transposé au
livre ?
D’ailleurs, quel nom porterait-il, hors la « bibliomanie » et
ses
dérivés ? L’on désirerait un patronyme tout aussi biblique,
mythologique
ou dédié à une figure antique. Outre les librairies d’occasion (et de
neuf
quand je ne peux faire autrement), je fréquente les boîtes à livres et
il m’est
arrivé de prélever quelques exemplaires inattendus, ainsi ce petit
ouvrage
fâcheusement abîmé sur son premier plat (mais très frais à
l’intérieur).
D’ailleurs, cette blessure m’a permis de déduire une partie de son
histoire :
les bords de l'injure conservaient les restes d’une étiquette orangée
facilement reconnaissable puisqu’en provenance du Nooz voisin
(cimetière de
dépôts de bilans et des excédents de production). Ces gougnafiers
utilisent un
système avec une colle qui ne pardonne pas sur des surfaces non lisses
et, en
plus, en plein sur le premier plat. Cette couverture altérée a sans
doute
décidé son ancien possesseur à s’en séparer, ou en tout cas a servi
d’alibi pour
l’abandon d’un livre qu’il a dû estimer médiocrement. Ce livre de
Gadenne
attendait donc à côté d’un Patrick Grainville de livres-club de deux ou
trois
merdouilles de Slaughter, etc. Gadenne, tout de même… je devais m’en
emparer
rien que pour le souvenir que m’a laissé L’invitation
chez les Stirl que, au rebours de pas mal de critiques, j’avais
bien aimé.
Le passage devant la boîte fut bref et ce n’est qu’au retour à domicile
que
j’appris le contenu : plus un ensemble d’annotations qu’un roman
et qui
allait servir à la rédaction des Hauts-Quartiers.
J’ai sans doute d’autres Gadenne à lire avant celui-ci, revoir quarante
ans
plus tard cette Invitation ou aborder
la Plage de Scheveningen, conservé
dans ma bibliothèque depuis la fin de mon exercice de libraire. Gadenne
fait
partie, dans mon esprit, de ces auteurs qu’on se déclare libre de
visiter, à
cause des reparutions sporadiques qui les font « découvrir »
par des
générations successives d’éditeur. C’est le cas de Calet et de Guérin,
par
exemple (il en existe d’autres), dont les résurgences se passent
souvent sous
le signe du « miracle », phénomène cyclique qui entretient la
flamme…
surtout d’une certaine réclame. Alors, le lirai-je, celui-là ?
Bien sûr,
un jour, comme le reste des livres qui m’encombrent. Ce qui importe,
c’est
d’avoir le choix, n’est-ce pas ?
Paul Gadenne :
G.R. Le Livre de la Haine — La Part Commune, 2005