dimanche 23 juin 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Tiens, ça fait longtemps que le Tenancier ne vous a pas causé de ses acquisitions de bouquins. Il a un tel retard qu’il se sent incapable de le combler, sous peine de vous emmerder. On passera donc sur les trouvailles d’occasion de la boîte à livre locale, plutôt du tout-venant destiné à rassasier sa curiosité autour d’auteurs comme Daphné Du Maurier, par exemple. Mission accomplie : Les Oiseaux valent mieux que le récit qu’on aurait pu déduire du visionnage du film qui a peu à voir en définitive sinon l'agression volatile et correspond d’ailleurs au type de nouvelle que le soussigné apprécie, parce qu’il ne comporte pas forcément de justification. Mais on cause, on cause et voici que l’on vous parle de bouquins que l’on ne devait pas évoquer selon notre déclaration liminaire. Voilà ce que c’est d’être bavard.


On achète peu par ici de livres neufs, ou alors lorsqu’ils relèvent d’un intérêt particulier pour le Tenancier. Ainsi, écoutant une énième fois le Voyage d’hiver par Dietrich Fisher Dieskau, je m’aperçus que, comme je ne pratique pas la langue allemande, je ne connaissais pas le texte excepté dans des livrets de CD microscopiques, fait fâcheux, tout de même. Surpris par le fait que je ne trouvais pas les poèmes de Wilhelm Müller dans les anthos sur le Romantisme dans ma bibliothèque, je l’ai donc commandé. Voilà, le Tenancier se cultive.


Puis, parce qu’il se trouvait à prendre sa commande, le Tenancier s’est laissé piéger par l’achat complémentaire (vous savez, la boîte de cirage qu’on tente de vous fourguer avec l’achat d’une paire de targettes) en se souvenant qu’il avait passé un peu de son enfance à Bruxelles et qu’il en garde un une saveur poétique liée à la ville, retrouvée d’une certaine manière lors d’un passage récent. Était-ce une raison pour prendre ce petit livre de Grégoire Polet : Petit éloge de la Belgique ? Ou alors eût-il mieux valu me contenter du recueil Lagune morte de Dominique Warfa, auteur belge de SF, très inspiré dans ses premiers textes par les expériences chronolytiques de Michel Jeury. Est-ce encore en rapport avec la belgitude ? Oui, mille fois oui, la frontière avec la Belgique est une porte entre les mondes et je regrette parfois de ne pas y avoir un pied ancré de chaque côté.


Tout ceci est nostalgie : celle de l’enfance à apprendre à compter avec des nonante et des septante et celui d’un univers de la SF dont je me suis séparé depuis pas mal d’années désormais. Nulle aigreur dans la distance pour l’un et vive envie de faire de nouveau un tour dans les périphéries de Bruxelles, parce qu’une ville devait selon moi se découvrir aussi par ses limes. Vous vous en moquez, naturellement, et je ne vous donne pas tort. D’ailleurs tout n’y fut pas merveilleux, parce qu’on me forçait à bouffer des chicons à la cantine et que je trouvais ça dégueulasse. Cette répugnance est devenue définitive, fort heureusement, elle ne portait que sur cela et elle est peu littéraire.


Mais alors, pourquoi, Tenancier, pourquoi cet achat du bouquin de Scholem ? Eh bien, voici le livre type d’un achat prémédité, mais dont l’intérêt de départ fut purement accidentel. Par un concours de circonstances qu’il a oublié, votre Tenancier s’était retrouvé un dimanche matin à allumer la téloche sur deux doctes rabbins en train de converser sur la signification et la force symbolique des lettres dans la tradition juive — toutes choses, excepté pour les lettres, foncièrement étrangères aux habitudes et aux intérêts du Tenancier qui n’a rien d’un mystique. La curiosité l’emporta tant qu’il garda cet épisode en mémoire. L’épisode ne s’arrête pas là, bien sûr. Il continue avec la rencontre avec une œuvre de fiction ou cette relation à la lettre se révélait sous-jacente, mais difficile à analyser lorsque l’on n’en possède pas une certaine culture. Or, l’épisode des deux rabbins restait assez vivace pour que l’on effectuât un rapprochement et que l’on désirât en savoir plus et comprendre peut-être une clef cruciale de ce récit. On travaillera peut-être sur le sujet un jour, raison pour laquelle on ne vous en dit pas plus… En attendant, on méditera sur le Golem comme préliminaire. Cela ne mènera peut-être à rien, mais il faut savoir s’amuser dans la vie, non ?


Cela nous mène au dernier livre pour ce billet. On le lui a conseillé. Il ne sait plus qui (et qu’il lui pardonne !) parce qu’il traînait depuis quelque temps dans la liste des futures acquisitions. Le Tenancier rate toujours son coup. Il aurait voulu être dans le Guide de Nulle part et d’ailleurs, mais il est arrivé trop tard avec son Fleuve. Il espère correspondre au moins à l’un de ces types décrits dans ce bouquin-là. Cela le rassurait. Être conscient de son inutilité l’exempterait du qualificatif de parasite, par exemple. Bref, plus que par une hagiographie, votre Tenancier aimerait exister dans certains livres par la bande, comme il aimerait explorer les villes par leurs périphéries. Il n’aura ni l’un ni l’autre et il vaut mieux. Et puis le fantasme se révèle bien banal...
Que de livres neufs ! Eh bien, croyez-le ou non, cela va continuer dans un futur billet de cette rubrique.
 
Daphné Du Maurier : Les Oiseaux et autres nouvelles, traduit de l’anglais par Denise Van Moppès et Florence Glass — Le Livre de poche (1964)
Wilhelm Müller : Le Voyage d’hiver, traduction de Jean-Pierre Siméon — Les Solitaires Intempestifs (2011)
Grégoire Polet : Petit éloge de la Belgique — Folio (2024)
Dominique Warfa : Lagune morte et autres nouvelles — Espace Nord (2024)
Gershom Scholem : Le nom de Dieu et la théorie kabbalistique du langage — Traduit de l’allemand par Thomas Piel — Allia (2018)
Ermanno Cavazzoni : Les écrivains inutiles, traduit de l’italien par Monique Baccelli — Éditions Attila (2010)

mardi 18 juin 2024

Une historiette de Béatrice

— Allô bonjour madame, je voudrais savoir si vous avez Les quatre accords toltèques.
— Non madame, désolée
— Ah bon? Vous ne l'avez pas? C'est pourtant un très bon livre.

lundi 17 juin 2024

Troupeaux mélancoliques bondissant dans les prés


Le Tenancier s’excuserait presque de continuer à vous avertir de la parution d’une nouvelle histoire, cette fois-ci dans la revue l’Ampoule, où il se montre assidu, à l’instar de quelques autres revues. Le Tenancier est un homme heureux, dans une période fertile... Ajoutons quelques heures plus tard que, lorsque votre Tenancier fait état d'une période fertile, elle concerne ses écrits et non le merdier dans lequel nous nous apprêtons à patauger. La précision valait la peine d'être mentionnée.
Pour le sommaire complet, allez donc ici.

vendredi 14 juin 2024

Où Le Tenancier se trompe, ça ne peut être que cela, enfin...

Nous voici donc en « temps de crise » — comme si elle ne perdurait pas depuis des décennies —, où les volontés s’affirment devant l’hydre hideuse du fascisme qui s’expose désormais au grand jour… en signant une pétition. Quelques auteurs des « l’imaginaire », désignation absurde si l’on considère que la littérature procède en général de ce postulat (relisez donc Flaubert), ont donc signé un appel dans les colonnes de l’Huma : Pour le Front populaire… On dauberait facilement le discernement qui consiste à se manifester chez les héritiers du stalinisme et ce ne serait guère charitable, nous disant que la bonne volonté ne se révèle pas un gage de culture politique ; on pourrait souligner l’humour involontaire qui vise à vouloir réveiller les vieilles lunes d’une gôche fantasmée, mais l’excellent blogue Dans l’herbe tendre le fait bien mieux que moi ; on pourrait s’interroger sur la pulsion soudaine qui pousse à cette brusque conscientisation en collant son nom dans une liste, pour signifier quoi, au fond… On se rassure en constatant que cette tribune bien sage appelle au vote. J’espère que cette audace troublera le sommeil de la bête immonde. Après tout, on a bien réussi la dernière fois en élisant Macron et en barrant la route aux fachos, non ? Alors, pourquoi pas pour un nouveau sauveur ?
Je me trompe ?



Merci à Dans l'herbe tendre pour l'illustration musicale...

jeudi 13 juin 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 37


Xavier Forneret
Le Diamant
de l'Herbe

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques passionnés



Le Tenancier : Cher Pierre, tu as en commun avec Éric Losfeld (copiste à la BN) et Guy Levis-Mano d’avoir publié ce Diamant de l’Herbe. Il y a chez Deleatur un attrait véritable pour un certain fantastique de tradition française hérité du Romantisme et un certain goût du télescopage entre anciens et moderne. On retrouve cette dilection dans la collection L’Ange du Bizarre que tu diriges chez Ginkgo…
 
Pierre Laurendeau : J’ai découvert Forneret grâce à l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton (personnage pour lequel j’ai peu d’amitié mais beaucoup d’estime pour son flair incroyable !). Breton avait publié dans son Anthologie un poème « savoureux » de Forneret racontant comment un homme réduit à la famine en venait à manger une de ses mains. Mais c’est grâce au cher Éric, et à la belle collection « Le Terrain vague », que j’ai lu pour la première fois Le Diamant de l’herbe, ce conte ultra-romantique mettant à l’honneur le ver luisant.
Deux anecdotes. L’une concerne Losfeld, à qui, dans les années soixante-dix, je rendais fréquemment visite dans sa librairie de la rue de Verneuil (Paris, France). À au moins deux reprises, je l’ai vu vendre le « dernier exemplaire » de Saroka la Géante, le superbe livre de collages de Carelman (Losfeld m’avait également raconté qu’un hiver, une superbe femme en manteau de fourrure était entrée dans la librairie pour acquérir le premier tome des œuvres complètes de Benjamin Péret ; en guise de paiement, elle avait ouvert son manteau sous lequel elle était nue – Losfeld mettait tant de conviction dans le récit de ses anecdotes qu’on finissait par le croire !).
Deuxième anecdote, concernant Forneret. Un jour, à la librairie Obliques, je tombe sur un échange (verbal) entre un client et Michel Camus, le libraire (qui n’avait pas encore fondé sa maison d’édition, Lettres vives) ; le premier tentait de lui vendre l’édition originale de Sans Titre, par un homme noir blanc de visage* de Forneret pour la coquette somme de 3 000 francs, que je n’avais malheureusement pas à l’époque…
Parmi les éditeurs du Diamant de l’herbe, tu pourrais citer également les éditions des Cendres, en 1983.
 
*
 
Tu as raison de mentionner la dilection particulière du boss de Deleatur (récemment promu animateur de la collection « L’Ange du Bizarre », chez Ginkgo) pour une certaine veine fantastique ou onirique, en tout cas inclassable, de la littérature française, qui plonge ses racines dans les « petits » romantiques (appellation méprisante des « vrais » critiques) – et peut-être même avant – et se déploie pendant les xixe et xxe siècles en marge des divers courants littéraires dominants, s’y frottant parfois mais restant toujours dans l’ombre d’une sorte de clandestinité singulière – jusqu’à ce début pitoyable de xxie siècle, où les rares conteurs (au rang desquels je relève un certain Yves Letort) se réfugient chez des éditeurs qui n’ont guère pignon sur rue, et encore moins accès aux couloirs sentant l’eau bénite de Télérama.
S’il y a encore des amateurs de littérature au xxiie siècle (on n’est même pas certain qu’il restera des humains…), il est possible que de la masse engloutie des bestselleurs d’aujourd’hui émergent pour eux les diamants bruts d’une littérature en clair-obscur.
 
* Du moins il me semble. Je possède la réédition de 1978, aux éditions Toth.

mercredi 12 juin 2024

Tout compte fait...

Je déteste Céline et je n'ai pas ses livres dans ma bibliothèque. Je possède des livres d'autres auteurs qui se sont révélés antisémites ou racistes et je me sens assez adulte et au courant pour savoir que je ne serai pas influencé par les conneries qu'ils professent. Ce n'est pas parce que je suis confronté à une chose, que je lis un livre, que je passe sous une statue, que je regarde un film, que je vais automatiquement adhérer à ses idées. Je décide tantôt de m'y confronter, tantôt de m'en foutre ou de ne pas les accueillir chez moi. Je ne suis pas un enfant et j'ai cessé d'être influençable (si tant est que lire un livre puisse effectuer ce miracle sur mon pauvre intellect) par ce qu'on me met sous les yeux. Tintin m'emmerde puissance 10 et je le trouve raciste. Ce n'est pas pour autant que je vais demander son interdiction, je me contente de ne pas abonder et d'afficher mon indifférence et de signaler que « cela m'emmerde et que je trouve ça raciste ». Généralement je passe au large parce que les tintinophiles m'ennuient tout autant. Il ne me viendrait pas à l'idée de le brûler en place publique. J'ai regardé Naissance d'une Nation et Autant en emporte le vent, je ne me suis pas coiffé d'une cagoule, je n'incendie pas des croix parce que je suis tombé un jour sur ces productions. Je ne les reverrai pas, parce que le propos est en dehors de mon éthique personnelle. Je ne fais pas de réclame pour des choses qui sont en opposition avec ce que je suis, même si je m'y confronte à l'occasion. Croire qu'une œuvre de l'esprit, une quelconque représentation risque d'influencer les individus, c'est adopter un point de vue infantilisant, c'est décider au nom des autres ce qu'ils doivent regarder parce que nous serions incapables d'une conduite ou d'une réflexion morale face à une production en contravention avec nous-mêmes. Qui sont-ils pour décider cela ? Qui peut décider à ma place ce que je peux voir ou lire ? Qui peut se réclamer d'une telle hauteur, au point de régenter mon rapport avec le monde, parfois dans ce qu'il a de pire ? Je ne vois qu'une possibilité valide : nous-mêmes, pour nous-mêmes. Et personne d'autre...
Ce texte, écrit ailleurs il y a quatre ans, semble bien naïf, soudainement, car il présumait de l’intelligence de nos contemporains. À l’heure de la sottise en voie de généralisation, le Tenancier se demande s’il réécrirait cela à l’identique.

mardi 11 juin 2024

Note à benêt

On savait que le libéralisme ouvrait volontiers les portes au fascisme, on ne pensait pas que cela se passerait si vite, « au débotté », en quelque sorte. Le Tenancier a tenu a marquer le coup (encore un mot malheureux) par un écran noir. Il va reprendre ses activités habituelles pour quelques temps. Ensuite, il avisera.

vendredi 7 juin 2024

Une historiette de Béatrice

(Suite de la précédente historiette) :
Elle a décidé d'explorer le rayon histoire, déçue que je n'aie rien sur Alexis de Rosenberg, ce « grand collectionniste ayant écrit des chefs-d’œuvre ». Elle explore. Et me demande, chaque fois qu'elle sort des rayonnages un livre, si je l'ai lu. Au bout du dixième je tente de lui expliquer que je n'ai pas lu tous les ouvrages de la boutique, en y mettant les formes.
« Oh mais que vous êtes désagréable, j'ai vraiment du mal avec les personnes impolies, j'ai longtemps vécu en Angleterre, les gens sont tellement polis là-bas et ici j'ai tellement de mal. »
Et c'est là que l'autre client présent m'a fait un clin d' œil et un grand sourire. Heureusement.

mercredi 5 juin 2024

Vues des rives


Neuf ans après avoir rassemblé les nouvelles du Fleuve dans un recueil homonyme (Le Visage Vert, 2015), cinq années écoulées depuis le roman se rattachant à ce cycle (Le Fort, L’Arbre vengeur, 2019), l’on éprouve une certaine joie à vous présenter le petit dernier de chez Letort, Vues des rives, recueil de vingt-deux nouvelles qui complète cet univers. Certains textes consistent en des reprises de publications en revues — L’ampoule, Le Novelliste et Le Visage Vert —, d’autres sont inédits. On y trouve également, outre la superbe illustration de couverture de Marc Brunier-Mestas, huit dessins de Céline Brun-Picard et un d’Élisabeth Haakman.
Mais, au-delà de l’énumération des nombreuses (on s’en doute) qualités de l’ouvrage, il devient nécessaire d’insister sur la préface de Mikaël Lugan dont on souhaite à tout auteur d’hériter d’un travail similaire ! La première lecture de Mikaël s’est révélée très émouvante, en découvrant sa perspicacité et sa compréhension intime de tout le cycle du Fleuve. Au fond, on se demande si l’on a mérité une telle attention. Quoi qu’il en soit, le livre est publié et il marque un jalon important pour la continuité du cycle, non parce qu’il y recèlerait un texte exceptionnel ou « explicatif », mais parce que l’ensemble étoffe un univers encore à la veille de s’enrichir. Du moins, en souhaitant qu’une espérance de vie clémente le permette.

Yves Letort : Vues des rives – Le Visage Vert, 2024

lundi 3 juin 2024

Sobre et élégant

Avec l’âge, votre Tenancier prend garde aux machins trop gras et ce n’est qu’au hasard d’une promenade sur les réseaux sociaux qu’il a remarqué le logo de cette charcuterie qui semble retenir l’intérêt des amateurs. Très bel effet, sobre et très élégant travail avec une police Elzévir, je crois… Hélas, je n’ai pas trouvé le créateur de ceci. Si vous avez des lueurs de votre côté…

Logo Maison Verot

samedi 1 juin 2024

Bibliographie commentées des Minilivres aux éditions Deleatur — 36


Jacques Abeille

Le peintre défait
par son modèle

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : Je connais peu d’écrivains capables d’une tension dans le style, telle que la pratiquait Jacques Abeille. L’évocation d’un peintre dans son atelier et de l’inévitable intermède érotique s’écarte de toute banalité, en peu de mots. Il faut rappeler que Jacques Abeille n’était pas tout à fait étranger avec l’univers pictural.
 
Pierre Laurendeau : Lorsque j’ai lancé la collection des Minilivres, Jacques Abeille n’était pas plus enthousiaste que cela (contrairement à la Nouvelle Postale, à laquelle il avait adhéré tout de suite, avec Le Voyageur attardé). La parution de La Lettre de Terrèbre (numéro 15), puis la reprise d’Un cas de lucidité (numéro 23) a créé une sorte de rendez-vous régulier, avec des propositions toujours calibrées pour la collection.
La relation du peintre et du modèle (qui horrifierait aujourd’hui les tenantes d’un féminisme antisexuel) est très présente dans l’œuvre de Jacques – surtout chez Léo Barthe, son double pornographe (notamment le dernier ouvrage paru à la Musardine, Princesse Johanna).
Jacques Abeille, qui enseignait les arts plastiques dans un lycée bordelais, a toujours dessiné et peint. Les enveloppes de ses courriers, en papier bulle marron, étaient souvent agrémentées de petits tableaux semi-abstraits. Il serait amusant de les exposer, car je pense ne pas avoir été le seul destinataire de ces œuvres éphémères. Entre les cours, il ramassait les « épaves » de ses élèves et se laissait aller à des rêveries graphiques en utilisant les accidents des ébauches ou des découpes du papier.
 
Pour revenir au Peintre défait par son modèle, citons l’incipit : « Dans le tableau que nous avons inspiré au peintre les personnages ne nous ressemblent pas trait pour trait. Toutefois, dans l’image on retrouve la lumière de notre histoire. En ce temps-là, je voulais être un peintre et vous étiez mon modèle préféré. Vous étiez très jeune et, d’apparence, très sage. Je vous revois dans cette robe ample qui ne laissait soupçonner qu’à peine votre corps. »
Que dire de plus ?