mercredi 5 mars 2025

L'ami de Lorde

C’est entendu, la fréquentation abondante des dictionnaires est une manie de vieux, ce qui fait croire à votre Tenancier que sa sénescence a commencé tôt. À sa décharge, il s’agit plus souvent de dictionnaires biographiques tels que le Vapereau (on en possède trois éditions, dont on s’amuse de temps en temps à remarquer l’évolution de l’entrée Bazaine dans les volumes de 1858, 1870 & 1880, par exemple !) L’on détient également quelques éditions du Bitard et deux ou trois volumes des albums Mariani. À tout cela se greffe quelques machins épars, le tout parfois usé à cause de l’usage répété jusqu’à notre époque par les possesseurs successifs. Tout ceci a servi ses recherches bibliographiques, ce qui excuse un peu la manie de vieux, assumée par ailleurs. Quelques entrées, souvent rédigées par les concernés eux-mêmes se révèlent d’une mauvaise foi réjouissante.


On est tombé la veille de la rédaction de ce billet sur André de Lorde, comme ça en feuilletant et, même si l’entrée ne se révèle pas la plus brillante, il a paru au Tenancier amusant de reproduire l’article datant de 1934 paru dans Ceux dont on parle, aux éditions de la Vie Moderne…

lundi 3 mars 2025

Une historiette de Béatrice

Et le tout jeune homme qui débarque avec une liste, afin de lire les plus anciens prix Goncourt et « se faire une idée ». Bonne pioche. J'adore mon boulot.

vendredi 28 février 2025

La production de papier en Bretagne — II

Voici le deuxième article provenant de la même source, le Bulletin de l’Association bretonne de 1959. Ici, l’on s’intéresse à l’implantation historique des moulins à papier, qui laisse par ailleurs deviner de multiples activités le long des cours d’eau dans la région. On regrette le style guère chaleureux et la sécheresse des informations, liée à une onomastique pas très familière à beaucoup d’entre nous. Tant pis, le fond reste intéressant et donne même envie d’en savoir un peu plus. La question demeure : existe-t-il encore des moulins à papier sur les bords des fleuves côtiers et des rivières bretonnes, plus de soixante-cinq ans après la conclusion de ce papier?
Là, aussi, le texte a été repris d’après une numérisation, merci de signaler d’éventuelles coquilles.

Note sur l’histoire des papeteries comme industrie locale

Le nom de Tsal-Loun, dès l’an 210 avant l’ère chrétienne, marque le point de départ de cette histoire. Puis en 751, on retrouve le nom de Samarkano ; mais il faudra encore attendre quatre siècles avant de voir apparaître en Europe les premiers moulins à papier.
On doit tout d’abord citer les pays méditerranéens : Espagne en 1150 et, un siècle plus tard, l’Italie en 1268. À partir du milieu du quatorzième siècle, exactement en 1348, date qui marque la fondation du Moulin du Roy à Troyes, on peut suivre le développement considérable des moulins à papier dans l’extrémité occidentale de l’Europe avec Ville-sur-Saulx, puis Bar-le-Duc, Pont-Audemer, et enfin les moulins de Bretagne mentionnés pour la première fois dans des pièces datant de 1499, environ un demi-siècle avant le traité d’Union signé entre la Bretagne et la France.
On peut cependant affirmer qu’entre 1400 et 1455 plusieurs papeteries fonctionnaient déjà en Basse-Bretagne : entre autres celles de Vannes, Morlaix et Bréhant-Loudéac, petite paroisse aux confins des anciens diocèses de Saint­-Brieuc, Vannes et Saint-Malo.
Avant d’aborder l’étude des moulins de la région mor­laisienne, d’une très grande densité, il est bon de citer l’aveu présenté au Roi en 1499 par Jehan de Rohan, seigneur du Gué-de-l’Isle, qui contient la plus ancienne mention des moulins. Ce gentilhomme auquel on attribue la fondation du moulin en question, sur la rivière de « Helyer », à la limite des paroisses de Plumieux et de Bréhant, établit également en 1484, à proximité de son château, la première imprimerie de Bretagne.
Dans une pièce de la même année que l’aveu de Jehan de Rohan, il est fait mention d’une Tente, évaluée en rames de papier, payable par Jean de Kerloaguen à Yves Pinart, seigneur du Val, propriétaire du Manoir et du moulin du Val-Pinart(1).
Dès le seizième siècle, l’usage du papier était très répandu à Morlaix, et une imprimerie s’y établit en 1557 ; mais il n’est pas prouvé que le papier utilisé fut intégralement fabriqué dans la région, car de très nombreux moulins à blé ne furent transformés qu’aux environs de 1625, tels le moulin de Pont-Paul ou ceux de Pleyber-Christ.
Citons dans cette dernière paroisse Roudougoualen en 1621, Gelaslan en 1629, Rosanvern en 1632. Les familles Le Bihan de Kerallo, de Coatanscours, Le Marant du Val, Le Gualès, de Brézal, afféagèrent de nombreux terrains à des papeteries entre 1630 et 1650.
À cette époque, beaucoup de noms de maîtres et compagnons papetiers sont normands, et les registres d’état civil mentionnent « normands de nation », et l’on retrouve les mêmes noms d’un petit nombre de familles qui se vouent à cette industrie.
En 1661 et 1669, Alain de la Mare — un autre normand — achetait l’un des moulins de Glaslan et deux moulins à Loguivy-Plougras. Cette époque est celle où l’on retrouve l’origine de véritables dynasties de papetiers devenus de « bonne bourgeoisie », tels les Huet, Guesdon, Le Maître...
Jusqu’au dix-neuvième siècle subsistèrent quelques mou­lins à papier à Lannion et dans les paroisses voisines :
Buhulien, Ploubezre, Tonquédec, Loguivy-Plougras, Kerven et Plounévez-Moëdec. Les seigneurs de Tonquédec avaient fondé vers la fin du dix-septième siècle le moulin de Ker­meur, sur la rive du Leguer.
À la fin du dix-huitième siècle commencèrent les difficultés : un décret de 1771 ordonnait la suppression de toutes les papeteries situées à moins de dix kilomètres des villes maritimes, c’est-à-dire Lannion, Morlaix, Châteaulin, Quimper... En 1774, les États de Bretagne obtinrent la non-application de ce décret après de vives protestations.
D’autres difficultés surgirent : saisies de matière première, conflits entre patrons et ouvriers.
Dès 1756, il y eut une heureuse tentative pour transformer les papeteries morlaisiennes et créer une véritable usine. Joseph Gigant du Mont essaya de constituer, sous la protection des États de Bretagne, une société au capital de 40 000 livres, qui aurait établi une papeterie rénovée à Belle-Isle-­en-Terre. Son neveu Raymond aidé de Mazurié, riche marchand morlaisien, fit une tentative analogue en 1722, appuyée par le Duc de Rohan qui lui concéda un emplacement favorable sur le bord de l’Elorn, â proximité de la Roche-Maurice.
Ces louables essais échouèrent, mais le coup le plus rude porté à cette industrie bretonne fut la Révolution qui engendra un appauvrissement général, et ce fut progressivement la mort de la petite industrie rurale, aussi sensible dans le domaine des innombrables tisserands dont cette époque vit la ruine.
Quelques chiffres résumeront cette situation saisissante :
en 1776, il existait en Bretagne 67 moulins à papier dont il ne subsiste plus que 13 en 1958, dont 5 dans les Côtes-du­-Nord, 3 dans le Finistère et le Morbihan, un seul en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique.
 
(1) Le Val-Pinart était en la paroisse de Saint-Martin de Morlaix.
 
P. LEMOINE.

jeudi 27 février 2025

George Sand

George Sand est la vache bretonne de la littérature.
Jules Renard

George Sand avait la sérénité de ces animaux ruminants dont les yeux pacifiques semblent refléter l'immensité.
Maxime Du Camp

mardi 25 février 2025

Un homme heureux

Il y a une dizaine de jours, votre Tenancier chéri a convié quelques amis locaux à une causerie «gourmande» (crêpes nature, au rhum et à la cannelle) autour de la bibliophilie. Rien de très développé, on vous rassure, quelques notions exposées de façon assez brouillonne, mais le moyen de faire autrement sur un sujet aussi riche? On espère avoir intéressé, tout de même. Le même jour, le soir, on accueillait un ami de longue date, bouquiniste et également un peu antiquaire, de passage dans la région pour «faire une adresse». On eut la chance de contempler le merveilleux bordel qui encombra sa camionnette le lendemain : boîtes contenant des images qu’on trouvait dans les paquets de chocolats, vieille chaussette remplie de pièces de monnaie, pas très «fleurs de coin» pour la plupart. On identifia même une ou deux datant du XVIIe siècle, fort usées puis pas mal de monnaie du Second Empire, etc. Dans le lot récupéré, seulement quatre livres, ou plus exactement un livre et trois numéros de revue, documents concernant la Bretagne, son folklore, son économie, etc. Cet ami a bien voulu me confier ces ouvrages et c’est ainsi que vous avez pu lire ici même un article sur la production de papier en Bretagne (un autre arrive sous peu). On pourrait s’arrêter là et se déclarer satisfait de la bienveillance du destin qui vous nous fait retrouver la joie des réunions amicales et la jouissance de farfouiller dans de vieux objets. De façon surprenante, l’article en question a provoqué pas mal de réactions intéressées, preuve que l’érudition ne se dilue pas encore dans l’obscurité qui nous gagne de toute part.
Cette succession de plaisirs ne s’est pas arrêtée là, puisqu’un don amical, suscité par l’article sur le papier, me fit recevoir un livre que je convoitais depuis sa parution en 1991. Papier de Jean-Pierre Lacroux consiste en un ouvrage sur sa fabrication entre autres et dont chaque page est imprimée sur un papier différent, prouesse remarquable, tant sur le plan du brochage et du cartonnage que pour les variétés utilisées. Yearling, Rotostable, Gama, Opale de Rives, mais aussi Vélin Arches, Centaure ivoire, etc., apportent au propos une matérialité assez sensuelle à un livre à un prix plutôt élevé à l’époque (390F de 1991, cher pour un salarié en librairie) et qui s’est épuisé très rapidement. L’on a vécu sur le souvenir de cet ouvrage pendant tout ce temps sans trop d’illusions sur la possibilité de le retrouver et voici qu’il nous parvient dans notre boîte aux lettres : émotion, joie et reconnaissance envers cet ami! Cette décade s’est révélée «prodigieuse» à sa manière. Maintenant, on va se plonger de nouveau dans ce livre, longuement parcouru par votre Tenancier lorsqu’il s’activait en librairie. Il va apprendre encore, d’autant que l’on attend beaucoup de Jean-Pierre Lacroux dont on recommande également ses travaux sur l’orthotypographie
Oui, le titre de ce billet fait un peu benêt, mais il traduit bien ce qui se passe pour votre Tenancier.

Avec jaquette

Sans jaquette

samedi 22 février 2025

Le rêve de mon papa


La première nouvelle publiée cette année annonce également le printemps ! En effet, Le rêve de mon papa parle en entre autre de la course Paris-Nice qui, même si elle se déroule dans la première quinzaine de mars, reste une échappée vers le soleil. Le Tenancier cycliste ? Diable, pour un peu cela vaudrait la peine d’y aller voir de plus près.
Lard-Frit n°10 - Lien

mardi 18 février 2025

La production de papier en Bretagne — I

Hasard de la chine, votre Tenancier est tombé sur deux articles intéressants qui concernent l'histoire du livre et plus précisément sur l'histoire de la fabrication du papier. Ces deux textes ont été publiés dans le Bulletin de l'Assiociation bretonne de 1959. On a décidé de vous en infliger la teneur in-extenso, en commençant par le plus long. On a respecté autant que se peut l'orthographe en vous priant de bien vouloir excuser les quelques fautes qui ont pu se glisser ici et là en raison du recours à un logiciel de reconnaissance de texte.

Rapport sur l’industrie du papier et du carton dans la Région de Lannion
 
S’il est une question qui préoccupe les Bretons soucieux de l’avenir de leur chère Bretagne, c’est bien le manque de débouchés sur place pour la jeune génération.
La région de Lannion n’échappe pas à cette conjoncture du fait de la mécanisation de l’Agriculture qui demande moins de bras, et du peu d’industrie du Pays.
Aussi faut-il se féliciter des efforts qui ont été faits dans ce sens à Lannion même pour implanter de nouvelles activités.
Or, de plus en plus, il devient évident que le développement d’une région est intimement lié à la production d’énergie, à telle enseigne qu’un spécialiste de ces problèmes, décédé récemment à l’Arcouest, M. Schueller, proposait de remplacer tous les impôts par une taxe sur l’énergie.
Voyons donc quelle est la situation de la Bretagne à ce sujet.
Des nombreux cours d’eau, malheureusement bien courts du fait de la configuration du sol, actionnaient autrefois quantité de moulins échelonnés le long de leur cours.
Ces moulins produisaient de la farine, foulaient des tissus de laine, broyaient des écorces, fabriquaient du carton ou du papier.
Les uns et les autres ont disparu par suite de la création de grandes minoteries, de l’arrêt de tissages familiaux, des modifications des procédés de tannage, de la tendance à établir de grandes papeteries dans les ports ou à proximité des grosses sources de force motrice, hautes chutes et mines de charbon.
Sur les 67 moulins à papier qui existaient en Bretagne : en 1776, il ne reste plus qu’une douzaine d’établissements, dont deux très importants dans le Finistère, trois dans le Morbihan, un dans l’Ille-et-Vilaine, un à Nantes, et enfin cinq dans les Côtes-du-Nord, dont une papeterie et quatre cartonneries.
Ce sont particulièrement (puisque nous vous confinons dans la région de Lannion) les Établissements placés sur le Léguer ou ses affluents qui nous intéressent, et il serait trop long de passer en revue toutes les usines de Bretagne. Un rapport très étudié et très développé a été établi à ce sujet par le Directeur Général des Papeteries Vallée, rapport demandé par le C.E.L.I.B. au cours de son enquête pour le développement de l’Industrie en Bretagne.
Si les moulins établis sur le Léguer, en amont de Belle ­Isle-en-Terre, par les familles Le Loutre et Le Corju ont disparu, ainsi que ceux de la région de Ploubezre, les trois cartonneries établies sur le Guic en Plounévez-Moëdec et sur le Saint-Émilion en Loguivy-Plougras n’ont cessé de fonctionner et sont toujours gérées par la famille Alexandre, dont un ancêtre fonda en 1610 le « Milin Kreiz Izellan », qui est l’un des plus anciens de Bretagne.
Cet établissement, bien modernisé, occupe une dizaine d’ouvriers ; ainsi que les deux autres qui sont de fondation plus récente. Ils produisent des cartons fort appréciés et adaptés aux besoins modernes.
En aval de Belle-Isle-en-Terre se trouve la seule usine de Bretagne fabriquant des papiers d’écriture en même temps du reste que des papiers d’emballage fins.
Autrefois, la région la plus papetière de Bretagne était celle de Morlaix et les nombreux moulins échelonnés le long du Kéfleut donnèrent naissance aux importantes papeteries de Glazlan. C’est de là que vint la famille Vallée, il y a 103 ans, avec un groupe de papetiers qui se succèdent à l’usine de Loc-Maria de père en fils.
Cette usine emploie 200 personnes et possède trois machines. C’est avec plaisir que la Direction s’offre à la faire visiter par les personnes que la question intéresse. Se rendant parfaitement compte que l’avenir d’une papeterie est intimement lié à la question énergie, cette Direction n’a pas hésité à tirer parti de la force hydraulique du Léguer aménageant un barrage qui lui donne un millier de chevaux. Elle projetait même dès 1920, d’équiper d’autres chutes sur le cours du Léguer, dont la dernière eut été une marémotrice au Yaudet. Le projet fut même établi de monter une machine à Journal à Lannion même, à l’endroit où depuis a été construite l’usine à gaz.
Les bois et les pâtes auraient été reçus à quai par petits navires.
Depuis, la fabrication du papier journal s’est concentrée dans de très grandes usines près des mines dans le Nord et à Rouen où peuvent accoster de grands navires apportant les matières premières et les combustibles.
C’est dire que la Papeterie, comme toutes les industries, attache la plus grande importance à la question force motrice. Or, si la Bretagne ne dispose pas de houille noire, de houille blanche, ni d’or noir, ces termes désignant le charbon, la neige et le pétrole, elle a sur ces côtes une magnifique source d’énergie, la houille bleue des marées et il est inconcevable que l’on n’en ait pas encore tiré parti.
Le barrage de la Rance a déjà fait couler beaucoup d’encre, espérons qu’il verra passer dans ses groupes bulbes beaucoup d’eau et qu’il fournira à la région de l’Ouest, si déshéritée, les 800 millions de kilowatt-heure promis, en attendant les 13 milliards de la baie du Mont Saint-Michel.
Plus modestement, les estuaires de la rivière de Tréguier et du Trieux donneraient ensemble leurs 40 millions de kilo­watt-heures suivant les études déjà anciennes de MM. Pel­nard, Considéré et Caquot.
Mais il est un autre point dans la conjoncture actuelle qui fait craindre des restrictions d’importation de matières premières et qu’il convient d’examiner de très près, c’est le reboisement.
En dépit de ce qu’on aurait pu penser de la diminution de l’emploi du bois par suite de la construction en fer et en béton armé, cet emploi s’accroît dans des proportions constantes du fait de nouveaux débouchés dans le déroulage, la fabrication du papier et les multiples industries de la cellulose.
Donc, la plantation d’arbres représente une affaire de première importance, elle permet de tirer un excellent parti de terrains incultes ou incultivables par leur situation. Mais comme dans tous les domaines, il faut faire de la vitesse et il est nécessaire de choisir des essences à croissance rapide : les résineux et les peupliers. L’Administration des Eaux et Forêts est là pour donner toutes les indications utiles, et la pépinière qu’elle a créée dans la forêt de Coat-an-Noz est des plus instructive. Il est à noter que les forêts de Coat-an-Noz, Coat-an-Nay et Beffou se trouvent dans le bassin du Léguer et représentent un attrait de plus pour la région de Lannion déjà si connue par ses magnifiques plages.
De son côté, M. Pierre Lemoine à qui j’avais communiqué diverses notes sur les Papeteries de Bretagne, dont un ouvrage de M. Bourde de la Rogerie qui a été complété par M. Fanch Gourvil, a condensé ces précieux renseignements en une note succincte dont il va vous donner lecture. M. Ca­doret qui depuis 64 ans a contribué à l’essor de l’usine de Loc-Maria a, lui aussi, recueilli des indications très intéressantes sur les familles papetières qui ont exercé à Morlaix et à Belle-Isle.

O.
VALLÉE,
Directeur des Papeteries de Locmaria, en Belle-Isle-en-Terre

samedi 15 février 2025

Une déclaration d'incompétence

On ne se doutait pas il y a quelques jours que notre transcription d’un extrait de propos de Jean-Patrick Manchette trouverait un écho, en quelque sorte, dans l’actualité «littéraire». Récapitulons pour l’éventuel tardif qui lira ce billet dans quelque temps, ou bien qui débarquerait de Sirius : le prix Goncourt de l’année est accusé de s’être inspiré d’un peu trop près de la vie d’une femme algérienne, au point que le travail d’écriture ressemblerait en certains points à de la transcription pure et simple et non une œuvre d’imagination. Qui cela peut-il étonner à l’heure actuelle dans un milieu critique prompt à considérer ce genre de pratique comme normale, pourvu qu’elle ne se montrât point trop ou alors qu’elle fit preuve d’un peu d’industrie? Ainsi, deux jours avant d’écrire ce billet, on entendit sur France Culture (appellation de plus en plus oxymorique) une critique déclarer qu’un ouvrage documentaire (traitant là de la pédophilie) appartenait au genre du roman en raison du style employé par l’auteur. Nous voici donc dans la «représentation plaisante» et les «lamentations réformistes» évoquées par Manchette. Le souci avec cet auteur Goncouré réside plus dans la paresse dans son travestissement que dans le fait que son travail ait peu à voir avec l’imagination et le talent narratif. Certains autres «auteurs» échappent, on se demande pourquoi, à ce genre d’accusation : tel qui dépeint son dégoût des classes populaires dont il est issu rencontre une certaine grâce, sans doute parce qu’il illustre à son tour la fameuse lamentation réformiste citée plus haut et peut-être également parce que la représentation échappe à la matière même de l’écrit. L’on achète moins le livre que la posture de l’auteur, pulsion entretenue par des médias qui n’aime pas le contrefait, sauf s’il devient paroxystique, lui préférant le glamour et le touchant (ah, le bafouillage charmant de Modiano!). Revenons à notre Goncouré, paresseux, médiocre transcripteur, si le fait est avéré. En quoi devrions-nous en définitive nous offusquer d’une telle pratique puisqu’elle est entérinée dans les mœurs de la production dite «littéraire», et dont les employés, on l’a vu il y a peu, se permettent de mépriser La Métamorphose de Kafka, par exemple(1), le jugeant «malaisant» ?
Citons Stevenson(2) :
«Cette insistance sur les aspects ternes de la vie et la mesquinerie de l’homme est dans le fond une bruyante déclaration d’incompétence. Peindre un homme sans aucune espèce de poésie (...) révèle plutôt les insuffisances de l’auteur.» Car, dit-il, «les causes de la joie d’un homme sont souvent difficiles à cerner. Elles ont si peu de rapport avec l’extérieur (tel que l’observateur l’inscrit dans son carnet) qu’elles n’y touchent peut-être même pas — et la véritable existence de l’homme, pour laquelle il consent à vivre, serait uniquement réservée au domaine de l’imagination. Il est possible que l’homme d’Église, à ses moments perdus, gagne des batailles, que le fermier pilote des navires, que le banquier triomphe dans les arts (...). Dans pareil cas, la poésie court, souterraine, et l’observateur (pauvre âme, avec ses documents!) est toujours au mauvais endroit. Car prétendre “observer” l’homme, c’est aller au-devant de bien des déconvenues. Nous voyons le tronc d’où il tire sa subsistance, mais lui-même est bien au-delà, déployé dans le dôme du feuillage, traversé par les murmures du vent, peuplé de nids de rossignols. Et le véritable réalisme est celui des poètes, qui grimpent après lui comme un écureuil et ainsi entrevoient un coin du ciel pour lequel il vit. Oui, le véritable réalisme, toujours et partout, est celui des poètes : découvrir où réside la joie, et lui donner une voix bien au-delà du chant. Car manquer la joie, c’est tout manquer. Dans la joie des acteurs réside le sens de toute action. D’où l’irréalité obsédante et vraiment spectrale des ouvrages “réalistes”. (...) Car aucun homme ne vit dans la réalité extérieure, parmi les sels et les acides, mais dans la chaude pièce fantasmagorique de son cerveau, aux fenêtres peintes et aux murs historiés.»
Mais qui se soucie encore de Stevenson? Et qui se préoccupe de littérature ?

(1) Émission La Grande Librairie, mai 2023 — Lien
(2) Extraits de : Essais sur l’art de la fiction, cités sur le site Périphéries— Lien

mercredi 12 février 2025

Un dialogue intime

Ce n’est pas la première fois que votre Tenancier s’empare de quelques Simenon (ici, que des Maigret), dans la boîte à livres de sa ville. Il possède désormais certains de ces titres en double voire en triple, chaque fois dans une collection différente, sa préférée restant celle de l’édition Arthème Fayard, avec le regret que ces ouvrages se trouvent en général dans un état médiocre ; ainsi constate-ton une fâcheuse pliure sur le premier plat d’un des exemplaires du jour… On a pris tout de même, songeant que le hasard des trouvailles nous poussera un jour à améliorer celui-là. Le Tenancier ressent-il une passion particulière pour Simenon ? Eh bien, pas tant que cela, mais il satisfait de façon honorable l’envie de repartir avec « quelque chose » de cette boîte à livre en général garni de titres de Konsalik quand ce n’est pas du Sulitzer (on ne s’étendra pas dans ce billet sur la pauvreté organisée de cet emplacement). Mais ces livres ne répondent pas à la seule pulsion bibliomane : le Tenancier entretient ainsi le lien qui l’unit à sa mère, lectrice dudit Simenon, comme on l’a déjà signifié il y a pas mal de temps sur ce blogue. Ce morceau de dialogue se poursuit de façon ténue de trouvaille en trouvaille. La mère du Tenancier ne se contentait pas que de cela, mais vous n’en saurez guère plus, le reste de sa bibliothèque, artistique en majeure partie, dont il a hérité demeure dans l’intimité d’un dialogue chaleureux et nostalgique avec une femme éprise de beauté. 

mardi 11 février 2025

Un peu de sérotonine...

Il arrive que le Tenancier soit l’objet d’attentions sympathiques qui consiste à lui expédier des livres. C’est le cas avec ces deux petits ouvrages de Patrick Boutin. L’un — Futur intérieur — est un recueil de nouvelles express, telles que le pratiquait Sternberg, entre autres. Le récit ultra-court reste un exercice difficile et plutôt élitiste, dans le sens où une mince frange de littérateurs sait exprimer une situation ou une histoire en peu de mots. On connaît ainsi un Éric Chevillard et son extraordinaire capacité de renouvellement dans ce domaine… Patrick Boutin, lui, opère sur des distances un peu plus longues et reflète également un certain bonheur d’écrire ; sans doute secrète-t-il un taux élevé de sérotonine, production qui récompense notre assiduité vertueuse à nos claviers et à nos stylos. Ici, elle se transmet par des nouvelles à l’humeur souvent légère au travers desquelles on s’amuse à retrouver quelques influences, comme celle de Gripari dans la nouvelle Se lacer de tout.


On connaît le Club Samizdat que Pierre Laurendeau porte à bout de bras au travers de plus de cinquante volumes, publiant nombre de textes disparates et réjouissants, au point de rejoindre par certains titres la collection dont nous avons interrompu (à tort !) la chronique dans ce blog, à savoir les Minilivres (nous allons y revenir sous peu…) Si l’on compte bien, c’est le deuxième volume de Patrick Boutin dans ce Club Samizdat, que vous serez plus assurés de trouver dans des boîtes à livres, puisque c’est leur lieu d’élection, à moins que vous ne les commandiez chez l’éditeur lui-même. Pêli-mélo, sous-titré « Nano-nouvelles », tire vers le recueil d’aphorismes ou de calembours : même bonheur d’écrire avec, en sus, l’incitation à papillonner plutôt que de se livrer à une lecture linéaire. En effet, ce type de recueil s’y prête, on relève ainsi « Six baryton sybarites se relaxaient de cinq ascètes » qui dénote une appétence pour l’allitération et pour l’étymologie, puisque l’on sait que les habitants de Sybaris, abhorraient les bruits intempestifs !
On devrait l'apprendre, le Tenancier, ne s’adonne que par exception à la « critique » de livre, encore faut-il, aussi, qu’on lui en procure l’occasion. Parce que, ce n’est pas pour dire, il n’est pas si bégueule.



— Futur intérieur et autres rêveries sans queue ni tête — ‘Co éditions
— Pêli-Mêlo, nano-nouvelles — Club Samizdat

lundi 3 février 2025

Boustrophédon, apophtegme & antanaclase

Il n’a rien d’un crapoussin. Sa glabelle n’est pas villeuse, mais son vomer, couvert par un stéatome, lui donne l’aspect d’un miquelet. Bref, c’est le genre de type capable de lire couramment le boustrophédon et qui ne confondrait pas un apophtegme avec une antanaclase ; si vous voyez ce que je veux dire.
San Antonio : En avant la moujik (1969)

dimanche 2 février 2025

Un bordel ordonné, malgré tout

Il y a quelque temps, votre Tenancier avait entamé un roman et en était rendu à environ 95000 signes(*) avant de l’arrêter pour diverses raisons, mais surtout parce que la chose se complexifiait et qu’il devenait nécessaire de prendre de la distance. Une grande partie de ce travail était opérée au stylo dans un bloc de papier quadrillé, comme de coutume. Le temps passa, accaparé par l’élaboration d’autres ouvrages et, l’ennui aidant, on se décida enfin à repêcher ces débuts afin de les prolonger. Or, le problème trouve sa source dans le fait que votre Tenancier papillonne assez entre les blocs, insérant les divers chapitres entre deux nouvelles ou de parties appartenant à d’autres textes longs, ce qui aboutit à un effroyable bordel dès qu’il s’agit de collationner ces blocs. On vient à ce titre d’évoquer avec la nièce de votre serviteur, le désarroi probable qu’un étudiant éprouverait à l’appréhension de ces archives…
Pour le moment, votre Tenancier n’a rien trouvé et se dit qu’après tout il pourrait se contenter des bouts qu’ils possèdent et repartir sur des bases quasi neuves. L’on va y réfléchir. Mais il serait bon qu’il se discipline également, histoire de ne pas perdre trop de temps dans ce genre de recherche.

(*) Par signe, on entend chaque caractère figurant sur nos claviers, y compris les espaces et les ponctuations. Ainsi, avec cette notule, ce billet fait 1399 signes.

jeudi 30 janvier 2025

Désobéissance civile et résistance

Les Relay submergés de marque-pages et stickers contre Bolloré
La note d’information de Lagardère

Depuis début décembre des centaines de milliers de marque-pages et stickers se répandent à l’intérieur des librairies. Ils invitent à boycotter les livres Hachette, à lutter contre l’emprise de Bolloré et à soutenir les éditions indépendantes.
Une note interne de la « direction de la communication de Lagardère » nous a été transmise par un certain nombre d’employé-es des Relay, enseignes appartenant au groupe Bolloré et présents dans de multiples gares, stations de métro et aéroports. On y trouve la confirmation que « l’ensemble des enseignes et librairies qui vendent des livres Hachette » sont largement arrosées de petites surprises informatives qui s’immiscent malicieusement entre les pages et les rayons et que « les Relay ne font pas exception ». Malgré les consignes des « Ressources Humaines » visant à endiguer la vague, les employés des Relay qui nous ont contacté anonymement nous invitaient plutôt à poursuivre l’opération et promettaient de ne pas mettre trop d’ardeur à « procéder au retrait des marque-pages et stickers dès leur découverte », comme leur intime la circulaire.
Comme nous l’a transmis l’un•e des vendeuses dans un courrier : « Avec ses milliards, au prix où il nous paye et tant qu’ils nous oblige à mettre du Bardella dans ses rayons, on va pas se plier en quatre pour protéger l’image du grand patron. »
Alors que du 29 janvier au 2 février ont lieu des journées d’actions contre l’empire Bolloré tout un chacun.e devrait prendre cette note inquiète de nos adversaires comme un bel encouragement à reproduire ce geste simple dans le Relay le plus près de chez soi avec quelques ami.es en mode festif ou incognito en attendant le train.
D’autant que comme l’indique le site relay.com : « Avec plus de 350 magasins en France, présents dans près de 300 gares et stations de métro et près de 25 aéroports du territoire, vous trouverez toujours un RELAY à proximité. »

Source : Les soulèvements de la terre


jeudi 23 janvier 2025

Une historiette de Béatrice

Les deux enfants, frère et sœur, assis par terre près du radiateur, pendant que je bavarde avec la maman. Un après-midi tranquille à la bouquinerie, rires et commentaires sur les différents ouvrages tenus entre les mains.
— Ils aiment lire des petits romans ? (m'adressant à la maman)
Et la voix enfantine :
— C'est quoi un roman ?
— Un livre qui raconte une histoire.
— Mais tous les livres ne racontent pas d'histoire alors ?
J'adore mon boulot.

mercredi 22 janvier 2025

Un petit ambitieux, serré dans son frac

Canalis est un petit homme sec, de tournure aristocratique, brun, doué d’une figure vituline, et d’une tête un peu menue, comme celle des hommes qui ont plus de vanité que d’orgueil. Il aime le luxe, l’éclat, la grandeur. La fortune est un besoin pour lui plus que pour tout autre. Fier de sa noblesse, autant que de son talent, il a tué ses ancêtres par trop de prétentions dans le présent. Après tout, les Canalis ne sont ni les Navarreins, ni les Cadignau, ni les Grandlieu, ni les Nègrepelisse. Et cependant, la nature a bien servi ses prétentions. Il a ces yeux d’un éclat oriental qu’on demande aux poëtes, une finesse assez jolie dans les manières, une voix vibrante ; mais un charlatanisme naturel détruit presque ces avantages. Il est comédien de bonne foi. S’il avance un pied très élégant, il en a pris l’habitude. S’il a des formules déclamatoires, elles sont à lui. S’il se pose dramatiquement, il a fait de son maintien une seconde nature. Ces espèces de défauts concordent à une générosité constante, à ce qu’il faut nommer le paladinage, en contraste avec la chevalerie. Canalis n’a pas assez de foi pour être don Quichotte ; mais il a trop d’élévation pour ne pas toujours se mettre dans le beau côté des questions. Cette poésie, qui fait ses éruptions miliaires à tout propos, nuit beaucoup à ce poëte qui ne manque pas d’ailleurs d’esprit, mais que son talent empêche de déployer son esprit ; il est dominé par sa réputation, il vise à paraître plus grand qu’elle.
Ainsi, comme il arrive très souvent, l’homme est en désaccord complet avec les produits de sa pensée. Ces morceaux câlins, naïfs, pleins de tendresse, ces vers calmes, purs comme la glace des lacs ; cette caressante poésie femelle a pour auteur un petit ambitieux, serré dans son frac, à tournure de diplomate, rêvant une influence politique, aristocrate à en puer, musqué, prétentieux, ayant soif d’une fortune afin de posséder la rente nécessaire à son ambition, déjà gâté par le succès sous sa double forme : la couronne de laurier et la couronne de myrte. Une place de huit mille francs, trois mille francs de pension, les deux mille francs de l’Académie, et les mille écus du revenu patrimonial, écornés par les nécessités agronomiques de la terre de Canalis, au total quinze mille francs de fixe, plus les dix mille francs que rapportait la poésie, bon an, mal an ; en tout vingt-cinq mille livres. Pour le héros de Modeste, cette somme constituait alors une fortune d’autant plus précaire, qu’il dépensait environ cinq ou six mille francs au delà de ses revenus ; mais la cassette du roi, les fonds secrets du ministère avaient jusqu’alors comblé ces déficits. Il avait trouvé pour le Sacre un hymne qui lui valut un service d’argenterie. Il refusa toute espèce de somme en disant que les Canalis devaient leur hommage au Roi de France. Le Roi Chevalier sourit, et commanda chez Odiot une coûteuse édition des vers de Zaïre :
Ah ! Versificateur, te serais-tu flatté
D’effacer Charles dix en générosité ?
Dès cette époque, Canalis avait, selon la pittoresque expression des journalistes, vidé son sac. Il se sentait incapable d’inventer une nouvelle forme de poésie. Sa lyre ne possède pas sept cordes, elle n’en a qu’une ; et, à force d’en avoir joué, le public ne lui laissait plus que l’alternative de s’en servir à se pendre ou de se taire. De Marsay, qui n’aimait pas Canalis, se permit une plaisanterie qui laissa dans le flanc du poëte sa pointe envenimée.
— Canalis, dit-il une fois, me fait l’effet de l’homme le plus courageux, signalé par le grand Frédéric après la bataille, ce trompette qui n’avait cessé de souffler le même air dans son petit turlututu !
Canalis, aux oreilles de qui cette épigramme arriva, voulut devenir général. Combien de fois un mot n’a-t-il pas décidé de la vie d’un homme ? L’ancien président de la république Cisalpine, le plus grand avocat du Piémont, Colla s’entend dire, à quarante ans, par un ami, qu’il ne connaît rien à la botanique ; il se pique, devient un Jussieu, cultive les fleurs, en invente, et publie la Flore du Piémont, en latin, l’ouvrage de dix ans.
— Après tout, Canning et Chateaubriand sont des hommes politiques, se dit le poëte éteint, et de Marsay trouvera son maître en moi !
Canalis aurait bien voulu faire un grand ouvrage politique ; mais il craignit de se compromettre avec la prose française, dont les exigences sont cruelles à ceux qui contractent l’habitude de prendre quatre alexandrins pour exprimer une idée. De tous les poëtes de ce temps, trois seulement : Hugo, Théophile Gautier, de Vigny ont pu réunir la double gloire de poëte et de prosateur que réunirent aussi Racine et Voltaire, Molière et Rabelais, une des plus rares distinctions de la littérature française et qui doit signaler un poëte entre tous. Donc, le poëte du faubourg Saint-Germain faisait sagement en essayant de remiser son char sous le toit protecteur de l’Administration.
Honoré de Balzac : Modeste Mignon (1844)

mardi 21 janvier 2025

Veau, vache, cochon, couvée

Le marché de la culture (et de la sous-culture) a massivement offert au public, pendant cette période [des années 20 aux années 50 où triomphe la contre-révolution] la représentation de tout ce dont les gens étaient privés pratiquement (l’amour, la liberté, etc.). Justement parce qu’elle était victorieuse partout, la contre-révolution pouvait offrir impunément sur le marché cet ensemble de représentations. À présent que le gens ont recommencé de vouloir posséder réellement ce dont ils ne possédaient que le rêve, le Capital, pour se défendre, ne diffuse plus que des représentations plaisantes, mais principalement des lamentations réformistes, angoissées, sur la douleur d’être homme, femme, enfant, nègre, pédé, veau, vache, cochon, couvée, etc. Je n’aime pas ces productions en général.

Jean-Patrick Manchette
Propos recueillis par Michèle Costa Magna (À suivre) n°22, novembre 1979, repris dans Derrière les lignes ennemies, entretiens 1973-1993 (2023)

lundi 20 janvier 2025

Où le Tenancier digresse

Votre Tenancier a reçu quelques gentils messages après avoir publié le dernier billet relatant un inconfort qu’il espère passager et il en remercie les auteurs. On voudra cependant veiller à ne pas le plaindre de façon appuyée; celui-ci se porte bien, de toute façon. Il désirait surtout attirer l’attention sur une méthode de travail qui s’est révélée incommodante dans la durée. En effet, la rédaction des nouvelles ou de romans incite à un changement de position et même d’assiduité au bureau. Expliquons-nous en évoquant son déroulement (on passe sur les phases préparatoires, différentes selon les cas) :
— Un premier jet est directement tapé au clavier à partir de quelques notes. On progresse de façon rapide et l’affaire se boucle en peu d’heures (tout se révèle relatif).
— Le deuxième passage est rédigé sur un bloc A4 avec un stylo-bille de fort diamètre, en raison d’une conversion tardive dans l’enfance à l’écriture de la main droite.
— Le troisième consiste en la reprise du texte manuscrit, chaque étape devenant l’occasion d’ajustements et d’élagages, mais ceci est une autre histoire.
Il se trouve que dans le cas de la rédaction de nouvelles, la transition d’une phase à l’autre se révèle rapide et ne provoque pas vraiment de souffrance «musculo-squelettique», comme on dit. Mais voilà, ce qui a déclenché cette tendinite provient de la composition chaotique d’un roman qui a imposé une position incommodante lors de la phase manuscrite, dont votre Tenancier ne peut se passer. En effet, il abaisse son fauteuil de manière à ce que ses aisselles arrivent presque à la hauteur du plateau du bureau afin de pouvoir écrire de manière convenable. Comme il se doit, cette posture anti-ergonomique devient une calamité lorsqu’elle se prolonge. Or, même s’il se trouve déjà à la tête de deux romans (par chance, les deux qu’il a écrits ont été publiés) sans qu’il eût à en souffrir, le troisième, sans doute à cause du mécontentement qu’il a suscité, a apporté le traumatisme que nous avons évoqué, donc.
Difficile de changer de méthode de travail, surtout pour la phase cruciale de l’écriture à la main, à cause du ralentissement qu’impose le stylo et qui incite à la réflexion à chaque phrase. À ce titre, l’étape scripturaire se déroule au rythme de trois à cinq feuillets par journée de quatre heures (après, l’on s’épuise), ce qui donne une moyenne d’un feuillet de deux mille signes à l’heure, mais qu’il convient de réévaluer pour arriver à un feuillet toutes les trois heures si l’on envisage les trois phases d’écriture. Ouh la la! On compte, on mesure, on suppute et l’on en vient à négliger la littérature? Bien sûr que non, mais mieux vaut prévoir les longues traversées comme la composition d’un roman. Le reste, c’est-à-dire le résultat de tout cela est disponible à la commande dans les librairies.
Ce que l’on vous raconte ici se révèle peu intéressant, en fin de compte, et le Tenancier se déçoit lui-même. Tant pis, mais puisque tout le monde incite à déserter certains rézosocios, autant reporter les menues digressions sur ce blogue. N’empêche, lors du dernier billet, nous en savons un peu plus grâce à Jules sur Captieux (Gironde), voyez dans les commentaires...
Sinon, oui, la posture d’écriture rappelle celle de Fénéon à son bureau de la Revue Blanche, peint par Vallotton.


dimanche 19 janvier 2025

Bobo

Certes, le Tenancier ne va pas ouvrir un compte pénibilité pour ce qui lui arrive, mais le phénomène reste assez curieux pour qu’il s’interroge à ce propos : une tendinite à l’épaule droite le préoccupe depuis plus de trois mois. On passera sur l’attente de rencontrer un médecin dans une ville de province pourtant pas la plus mal lotie en la matière, on évitera d’évoquer la privatisation de services en général et jadis rendus à l’intérieur des hôpitaux comme les scanners et les radiographies (et donc une longue attente pour y accéder). On s’abaisserait à cette sorte de vulgarité qui consisterait à vitupérer un état de fait que nous avons-nous même, après tout, laissé installer. Le Tenancier vieillit, les signes abondent, comme la survenue de cette tendinite et l’indifférence grandissante envers la sottise contemporaine, surtout quand elle réside dans l’avidité, le fric et les gros pieds dans les mocassins à pampilles.
Mais revenons à cette faiblesse qui s’est installée plutôt de façon progressive, jusqu’au point où la douleur (comme si on vous arrachait le bras) s’est déclarée un matin, vive et immédiate. Bien qu’adepte d’un certain matérialisme pas vraiment historique, le cheminement de pensée de votre Tenancier l’amène à établir une corrélation entre cette douleur omniprésente et la rédaction d’un roman commencé l’été dernier. Il en vient à croire à la somatisation de son mécontentement. Oui, le roman lui sied, mais l’accouchement se révéla difficile et contrarié, comme si l’on avançait à son corps défendant dans une formulation à la fois habituelle, plus ou moins maîtrisée, et dans un sujet rebattu pour lui. On s’explique : une fois de plus, on aborde un personnage de déserteur dans un monde qu’il s’est rendu familier, celui du Fleuve. Que le roman agrée l’éditeur appartient à une autre histoire et s’il est retoqué, votre serviteur s’y remettra, voilà tout, à l’attention du même ou bien d’un autre. Au pire, il passera à autre chose. Reste l’état de cette douleur. Comment envisager son effacement ? En passant à tout autre chose ? Non, le Tenancier ne croit pas à la pensée magique. Nous verrons bien ce qu’en fera le kiné (miracle : on a obtenu en rendez-vous presque immédiat). À vrai dire, le destin de cette incommodité est remis dans les mains des spécialistes.
Reste la somme de récits que le Tenancier aimerait écrire et qui subsiste pour le moment sous forme de notes ou de synopsis. Comme on est douillet, on redoute qu’une nouvelle mise en chantier n’affecte de nouveau l’aile de poulet qui lui sert de bras. On l’envisage tout de même. Toutes ces considérations ne valent sans doute rien si l’on observe que, pendant près de cinq mois, votre Tenancier s’est mal tenu à son bureau et qu’il ferait mieux de se pencher sur ce problème-là plutôt que d’invoquer des motifs captieux, qui est aussi une commune du département de la Gironde. Tiens, à propos, que trouverait-on en débarquant à Captieux (1382 âmes) ? On pense alors à la chanson de Brassens, bien entendu. Pour l’instant cette histoire de bras est en suspens, et pas dans une attelle — c’est toujours ça.

mardi 14 janvier 2025

73%

L’affaire est entendue depuis longtemps, votre Tenancier tient le personnel politique dans son intégralité comme des jean-foutre et des scélérats. Toute action — pacifique, parce que votre serviteur hait la violence — visant à abolir cette catégorie parasite limiterait de façon importante diverses nuisances. L’une des dernières en date a été la décision de la présidente de la Région du Pays de Loire de réduire le budget de la culture, comme variable d’ajustement de l’impéritie d’un régime libéral, plus enclin à flatter l’actionnaire, voire le réactionnaire ce qui, au fond, s’équivaut. Nous en avons tous entendu parler et je ne m’adonnerai pas dans ce billet à un récapitulatif de l’affaire. Il devenait toutefois important de signaler que si la presse est retournée au silence sur ce sujet, le problème persiste. Au plus, lèvera-t-on un sourcil au contre-argument qui consiste à déclarer que la culture se révèle une source d’emploi et de richesse. On prétend de notre côté que s’il est important que les acteurs de la culture puissent s’assurer d’une certaine sécurité financière, l’enjeu se situe ailleurs que dans un relevé de bilan favorisant les entrepreneurs privés à partir de deniers publics, ou bien qui deviendrait un élément de prestige pour quelque édile. La culture, qui semble un bien commun se suffit à elle-même : nous avons besoin de ses manifestations, non parce qu’elles rapportent du pognon, mais parce que celles-ci fondent notre identité. En coupant sur ce budget, des festivals, des revues, diverses actions ou manifestations vont se volatiliser. Se pose alors la question de l’autonomie, qui rend tout ceci fragile, à la merci du plus efficace outil d’Anastasie : le tiroir-caisse. Votre Tenancier ne possède aucune solution, il témoigne de son regret de voir disparaître des revues comme 303, que La folle journée de Nantes, le Lieu unique, aussi dans cette ville, la Maison Julien Gracq (même si le Tenancier y aurait à redire !), etc., soient mis en danger par des voies de fait dues à la sottise. Il existe bien entendu une pétition (pour ce que ça servira…) Votre Tenancier l’a signée. En voici le lien. On découvrira sur cette page quelques affiches dont une que l’on reproduit ici, notre préférée, due à Pascal Rabaté.

(Autre objet de scandale, toujours en Pays de Loire, le budget du planning familial semble aussi atteint par le même zèle, jolie démonstration dans un contexte de lutte contre les violences faites aux femmes, par exemple…)

vendredi 10 janvier 2025

Anthologie des boîtes à livres


Ce billet pourrait également prendre le titre de la rubrique Paf, dans ma bibliothèque !, mais il se trouve que si un volume s’y retrouvera, en effet, il rejoindra aussi celle d’un autre. Belle idée de Pierre Laurendeau que de nous faire confectionner cette anthologie, composée d’extraits d’ouvrages prélevés dans les boîtes à livres. Guettez donc dans la celle de votre ville si vous ne trouvez pas un des 100 exemplaires lancée par Deleatur dans la collection Samizdat. En effet, la gageure consiste pour chaque collaborateur à remettre en remplacement dans le lieu même de la trouvaille cette anthologie (il garde tout de même un exemplaire en souvenir). Citons les participants : Julien Blaine, Sébastien Castelbou, Nathalie Ferrand-Stip, Joël Henry, Thibaud Godon, Marie-Gabrielle Jean, Olivier Joseph, Roger Lahu, Pierre Laurendeau, Jean-Louis Lejonc, Yves Letort, Dr Lichic, Céline Maltère, Pierre Naimi, Jean-Paul Plaintive, Pauline Rey, Gilles Rosière, Olivier Salon, Catherine Vasseur, Gilles Verdet, Alain Zalmansky. En revanche, on ne mentionnera que quelques auteurs cités comme Pierre Suragne, Georges Simenon ou Emily Brontë, parce qu’après tout cela pourrait donner lieu à un jeu des correspondances que l’éditeur fécond ne manquera pas de créer un de ces quatre.

mardi 7 janvier 2025

Erratum


En fin de compte, le Tenancier s'est trompé : ce début d'année ne se révèle pas aussi sombre, en tout cas pour aujourd'hui...

jeudi 2 janvier 2025

Une imprudence

Le Tenancier cède à des aspirations étranges qui le poussent à souhaiter, comme il l’indiquait dans un précédent billet, que l’on rassemblât en un unique volume tous ses récits du Fleuve : romans, nouvelles et textes à la longueur intermédiaire, mi-chèvre mi-chou que l’on désigne de temps en temps comme « novella ». Que l’on se rassure, cette volonté procède bien du vice et non de l’idée absurde de sa propre pérennité qui, on s’accordera au moins sur ce point avec lui, n’a pas grand intérêt quand elle s’affirme de façon posthume. En réalité, la lubie provient de ces petites manies bibliophiles dont on a du mal à s’abstraire et qui s’insinuent également dans des fantasmes qui font avouer que tout rassembler dans un volume qui aurait la dégaine d’un Penguin Clothbound, eh bien, bon sang, ça aurait de la gueule! Attention, nous ne tenons pas à enfermer nos écrits dans un objet qui ressemblerait à une bonbonnière comme on a tendance à le pratiquer à l’heure actuelle, mais l’on se dit que cette collection préserve l’esprit de ce que l’on rencontrait jadis en France lorsque le bon goût existait encore et qu’il s’exprimait dans quelques clubs de livres. Hélas, trois fois hélas, rien n’indique que les récits du Fleuve figurent un jour quelconque au rang de classiques. Tant pis. Tant mieux. Là ne réside pas l’intérêt, seul persiste le plaisir de l’imaginer, quitte à faire preuve d’imprudence en l’exprimant.

mercredi 1 janvier 2025

Vœux


Je ne vois vraiment pas de quoi se réjouir pour les temps à venir.
Restons vigilants.