Note sur l’histoire
des
papeteries comme industrie locale
Le nom de
Tsal-Loun, dès l’an 210 avant l’ère chrétienne, marque le
point de départ de cette histoire. Puis en 751, on retrouve le nom de
Samarkano ;
mais il faudra encore attendre quatre siècles avant de
voir
apparaître en Europe les premiers moulins à papier.
On doit
tout d’abord citer les pays méditerranéens : Espagne en 1150 et,
un
siècle
plus tard, l’Italie en 1268. À partir du milieu du quatorzième siècle,
exactement en 1348, date qui marque la fondation du Moulin du Roy à
Troyes, on
peut suivre le développement considérable des moulins à papier dans
l’extrémité
occidentale de l’Europe avec Ville-sur-Saulx, puis Bar-le-Duc,
Pont-Audemer, et
enfin les moulins de Bretagne mentionnés pour la première fois dans des
pièces datant
de 1499, environ un demi-siècle avant le traité d’Union signé entre la
Bretagne
et la France.
On peut
cependant affirmer qu’entre 1400 et 1455 plusieurs papeteries
fonctionnaient déjà en Basse-Bretagne : entre autres celles de
Vannes,
Morlaix et Bréhant-Loudéac, petite paroisse aux confins des anciens
diocèses de
Saint-Brieuc, Vannes et Saint-Malo.
Avant
d’aborder l’étude des moulins de la région morlaisienne, d’une
très grande densité, il est bon de citer l’aveu présenté au Roi en 1499
par
Jehan de Rohan, seigneur du Gué-de-l’Isle, qui contient la plus
ancienne
mention des moulins. Ce gentilhomme auquel on attribue la fondation du
moulin
en question, sur la rivière de « Helyer », à la limite des
paroisses de Plumieux et de Bréhant,
établit également en 1484, à proximité de son château, la première
imprimerie
de Bretagne.
Dans une
pièce de la même année que l’aveu de Jehan de Rohan, il
est fait mention d’une Tente, évaluée en rames de papier, payable par
Jean de
Kerloaguen à Yves Pinart, seigneur du Val, propriétaire
du
Manoir et du
moulin du Val-Pinart(1).
Dès le
seizième siècle, l’usage du papier était très répandu à Morlaix,
et une imprimerie s’y établit en 1557 ; mais il n’est pas prouvé
que le papier utilisé fut intégralement fabriqué dans la région, car de
très
nombreux moulins à blé ne
furent transformés qu’aux environs de 1625, tels
le moulin de Pont-Paul ou ceux de
Pleyber-Christ.
Citons dans
cette dernière paroisse Roudougoualen en 1621, Gelaslan
en 1629, Rosanvern en 1632. Les familles Le Bihan de Kerallo, de
Coatanscours, Le Marant du Val, Le Gualès, de Brézal, afféagèrent de
nombreux
terrains à des papeteries
entre 1630 et 1650.
À cette
époque, beaucoup de noms de maîtres et compagnons papetiers sont
normands, et les registres d’état civil mentionnent « normands de
nation », et l’on retrouve les
mêmes noms d’un petit nombre de familles qui se
vouent à cette industrie.
En 1661 et 1669, Alain
de la Mare — un autre normand — achetait l’un des moulins de
Glaslan
et deux moulins à Loguivy-Plougras.
Cette époque est celle où l’on retrouve l’origine de véritables
dynasties de
papetiers devenus de « bonne
bourgeoisie », tels les
Huet, Guesdon, Le
Maître...
Jusqu’au
dix-neuvième siècle subsistèrent quelques moulins à papier à
Lannion et dans les paroisses voisines :
Buhulien,
Ploubezre, Tonquédec, Loguivy-Plougras, Kerven et
Plounévez-Moëdec. Les seigneurs de Tonquédec avaient fondé vers la
fin du dix-septième siècle le moulin de Kermeur, sur la rive du
Leguer.
À la fin du
dix-huitième siècle commencèrent les difficultés : un
décret de 1771 ordonnait la suppression de toutes les papeteries
situées à moins de dix kilomètres des villes maritimes,
c’est-à-dire Lannion,
Morlaix, Châteaulin, Quimper... En 1774, les États de Bretagne
obtinrent la non-application
de ce décret après de vives protestations.
D’autres
difficultés surgirent : saisies de matière première,
conflits entre patrons et ouvriers.
Dès 1756,
il y eut une heureuse tentative pour transformer les papeteries
morlaisiennes et créer une véritable usine. Joseph Gigant du Mont
essaya de
constituer, sous la protection des États de Bretagne, une société au
capital de
40 000 livres, qui aurait établi une papeterie rénovée à
Belle-Isle-en-Terre.
Son neveu Raymond aidé de Mazurié, riche marchand
morlaisien, fit une tentative analogue en 1722, appuyée par le Duc de
Rohan qui
lui concéda un emplacement favorable sur le bord de l’Elorn, â
proximité
de la Roche-Maurice.
Ces
louables essais échouèrent, mais le coup le plus rude porté à cette
industrie bretonne fut la Révolution qui engendra un
appauvrissement général, et ce fut progressivement la mort de la petite
industrie rurale, aussi sensible dans le domaine des innombrables
tisserands
dont cette époque vit la ruine.
Quelques
chiffres résumeront cette situation saisissante :
en 1776, il
existait en Bretagne 67 moulins à papier
dont il ne subsiste plus que 13 en 1958, dont 5 dans les
Côtes-du-Nord,
3 dans le Finistère et le
Morbihan, un seul en Ille-et-Vilaine et en
Loire-Atlantique.
(1) Le
Val-Pinart était en la paroisse de
Saint-Martin de Morlaix.
P. LEMOINE.
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