dimanche 25 mai 2025

Mort d'un fabricant de posters

Le Tenancier apprend la mort de Sebastião Salgado et à cette occasion qu’il avait « donné des leçons d’humanisme » au festival photo de La Gacilly en compagnie de Sylvain Tesson. De notre côté, on déplore qu’il n’y eut point Yann Arthus-Bertrand (un habitué, pourtant) pour se joindre à ce concert de faux-derches et de faiseurs, dans ce tapinage touristique à ciel ouvert.
On incitera le lecteur de ce blogue à lire le texte de Dominique Baqué sur le magazine en ligne 9 lives au sujet du fabricant de posters.

samedi 24 mai 2025

Lecture substantielle

La typographibilité du fromage de Gruyère est une de ces questions — je m’en doutais bien — qui ne peuvent manquer de passionner tout être tant soit peu possédé de l’angoisse du demain industriel. (Si « angoisse » semble à certains un trop fort mot, mettons « curiosité » et n’en parlons plus.)
La divulgation de cette étrange aptitude du fromage de Gruyère à remplacer avantageusement la pierre lithographique m’a valu une recrudescence de communications attestant chez nos lecteurs, jointe à un courageux mépris des sentiers battus, une ingéniosité toujours en éveil.
Les grincheux, comme il fallait s’y attendre, ne manquent pas non plus, qui, devant la marche triomphale du progrès, dressent la sotte barricade de la routine et sèment sous les pas de l’idée fraîche éclose les agressifs tessons de bouteilles du plus ténébreux obscurantisme.
Haussons les épaules et passons.
Ce surtout que l’on reproche au fromage de Gruyère, comme moyen de reproductions graphiques, c’est d’abord l’inconvénient qu’il possède d’être criblé d’yeux, c’est-à-dire de trous plus ou moins volumineux, inconvénient, reconnaissons-le, bien susceptible d’arrêter un esprit moins résolu que le nôtre.
Son odeur, également, prête à mainte plaisanterie facile :
— Ce que ça fouettera, s’écrie trivialement un de nos correspondants, dans votre établissement de gruyérographie !
Des troisièmes enfin ne croient pas notre fromage capable de supporter l’énorme charge qu’entraîne l’impression sur papier :
— Des clichés métalliques eux-mêmes, objectent ces messieurs, s’écrasent rapidement à ce métier. Que sera-ce donc, avec vos pauvres quatre ronds de fromgi !...
Etc., etc., etc.
Le plus triste, c’est que toutes ces désobligeantes réflexions reposent sur un incontestable fond de vérité : oui, son odeur n’est pas de celle qu’on recherche pour le mouchoir, et oui, sa résistance aux fortes pressions est illusoire.
Au moment où, découragé de mener à bien cette intéressante entreprise, j’allais jeter le manche après la cognée, un inconnu sonnait à ma porte, un citoyen de la libre Helvétie, un grand fabricant du fromage de Gruyère.
— Bonjour, monsieur, me fit le robuste montagnard et, au nom de ma généreuse patrie, merci !
Puis le monsieur m’expliqua qu’une crise sévit sur son industrie et que, de même le Midi pâtit de la mévente des vins, de même la Suisse connaît celle non moins douloureuse du fromage de Gruyère.
— Heureusement, ajouta-t-il poliment, que vous étiez là, cher monsieur, pour empêcher la catastrophe définitive. Mais permettez-moi de vous faire remarquer que vous faites fausse route en voulant remplacer par du gruyère l’ancienne pierre lithographique. Là ne gît pas la sage solution du problème.
— Et, cher monsieur, où gît-elle, la sage solution du problème ?
— Là !
Et l’homme sortit de sa serviette une large feuille que je pris d’abord pour une feuille de papier, mais qui, je m’en aperçus tout de suite, n’était autre qu’une feuille extrêmement mince de fromage de Gruyère, d’une blancheur, d’une souplesse, d’une homogénéité parfaites ; et, de trous, pas la moindre trace.
— J’ai réalisé cette feuille en fondant du gruyère à une certaine température et en découpant le bloc ainsi obtenu par feuilles minces, grâce à un couteau mécanique qui peut débiter, à l’heure, des milliers de feuilles semblables à celle que vous avez dans les mains. Bien que d’un prix légèrement supérieur à celui du papier, ces feuilles de gruyère remplaceront facilement ce dernier, aussi bien dans la confection de livres que dans celles des journaux, car elles présenteront sur lui l’avantage une fois lues, de pouvoir servir à l’alimentation.
— Parfait ! parfait !
— Il faudra bien entendu, pour que la comestibilité en soit sans danger, qu’on emploie une encre d’imprimerie spéciale, tel, par exemple, un amalgame de truffes et de jaune d’œuf.
— Et c’est désormais que les expressions « déguster une chronique » ou « dévorer son feuilleton » pourront se prendre au pied de la lettre.
— De même qu’on pourra parler sans hyperbole de « lectures substantielles ».
Alphonse Allais

vendredi 23 mai 2025

Toutes les époques sont dégueulasses

«Dès lors, où est la solution? Elle est très simple. Vous jugez James Bond sexiste, Agatha Christie raciste et démodée? Eh bien, arrêtez de les lire, ainsi que ceux et celles qui perpétuent des stéréotypes. Passez à autre chose. Tournez-vous vers des livres contemporains, qui ne baigneront pas dans l’atmosphère des années 1930 et les relents de la xénophobie. Choisissez de lire ce qui correspond à votre temps. Mais gardez bien en tête, pour reprendre la formule d’Antonin Artaud, que “toutes les époques sont dégueulasses” et que, fatalement, le siècle prochain éprouvera un malin plaisir à débusquer nos aveuglements actuels.»

jeudi 22 mai 2025

Fable-express

La bonne de Gaston mentait si tellement
Que le pauvre aima mieux trancher sa destinée.

MORALE :

Les personnes dont la bonne ment
Expirent avant la fin de l'année.

Alphonse Allais

mardi 20 mai 2025

Imprimerie

Rien n’est plus destructeur qu’une imprimerie ; elle ébranle une maison jusque dans ses fondements. Les coups redoublés et la pesanteur d’une presse endommagent un plancher, si fort qu’il soit : ce qui fait que beaucoup de personnes ne se soucient pas, surtout à paris, de louer une maison à une imprimerie ; car il est prouvé qu’une imprimerie dans une maison neuve, la met au bout de dix ans au niveau d’une bâtie trente ans auparavant.
N’est-ce point là une image de la force morale de l’imprimerie ? Elle ébranle les préjugés ; elle démolit le vieux temple de l’erreur ; elle abat les masures des siècles, leurs lois usées et impertinentes.
On abuse sans doute de cet art utile ; mais de quoi n’abuse-t-on pas ? La boussole qui n’eût dû servir qu’à rapprocher les peuples, qu’à les lier ensemble, la boussole leur sert à promener leur fureur. La poudre à canon, au lieu de faire la guerre aux bêtes malfaisantes, sert à écraser les villes et à exterminer les hommes. Le temps du moins nous venge d’un sot livre ; et la raison reprenant tous ses droits, l’envoie du magasin chez l’épicier.
Les rois sont devenus auteurs, et auteurs volumineux. Les édits, ordonnances, déclaration, etc., de Louis XIV et de Louis XV, forment plus de quarante volumes in-folio. Une seule feuille d’impression rapporte au souverain plusieurs millions, mais il ne dépense plus rien pour mettre sous presse. Le directeur de son imprimerie rend encore 15 000 livres par au trésor royal. 
Quand les rois impriment, leur imprimerie est bien gardée ; on ne leur vole pas leur feuilles pour les contrefaire ; rien n’échappe, rien ne transpire ; ordinairement les ouvriers ne sortent pas. Mais l’imprimerie a une telle tendance à la publicité qu’il arrive quelquefois qu’on connaît la nature de l’ouvrage royal, et que, malgré les doubles sentinelles et les barrières impénétrables, une feuille se glisse au-dehors, et une fois échappée, c’est assez pour remplir l’univers. L’imprimerie est comme le feu électrique qu’on ne peut enchaîner qu’un instant, et qui revole sans cesse dans l’espace.
Béni soit l’inventeur des lettres et de l’écriture ! Mais béni soit surtout l’inventeur de l’imprimerie qui propage les grandes idées et les belles images ! Avant l’imprimerie, les livre sétaient plus rares et plus chers que les pierreries. Nos aïeux ne lisaient point ; aussi étaient-ils féroces et barbares. Aujourd’hui vous voyez une soubrette dans son entresol, et un laquais dans une antichambre, lisant une brochure. On lit dans presque toutes les classes, tant mieux ! Il faut lire encore davantage. La nation qui lit, porte en son sein une force heureuse et particulière, qui peut braver ou désoler le despotisme, parce que rien n’est si contraire, si opposé au despotisme, qu’une raison sage et éclairée. Hé ! le moyen qu’un homme instruit de sa grandeur et de ses droits, puisse jamais se résoudre à devenir un vil esclave !
Jadis les Hollandais, aujourd’hui les Suisses, vendent et impriment les disputes théologiques, politiques et littéraires de toute l’Europe, et s’embarrassent fort peu qu’elle opinion doit dominer.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre DCCLVI

dimanche 18 mai 2025

L'affaire des truffes

[…] Si François Coppée, qui était de petite santé, n’avait pas un gros appétit, Catulle Mendès affirmait qu’on doit manger pour vivre, et qu’on doit vivre pour bien manger.
Quand il m’arrive de songer à lui, c’est presque toujours à table que je le revois.
Avec ses cheveux d’ancien blond envolés sur le col de son veston en boucles légères, sa cravate blanche négligemment nouée qui mettait sous sa barbe un flottement de papillon, avec sa belle tête lourde de vieux poète ou de vieux calife, toujours un rien débraillé comme les bohèmes qui préféraient les brasseries aux salons, magnifique à voir, il était de ces hommes qui président naturellement la table où ils sont assis. Il pouvait dire comme le seigneur Don Quichotte aux rustres : « Manants, le haut bous est celui où je suis toujours placé ! » Il était non seulement un convive plein d’autorité et de goût, mais il savait lui-même, aussi bien que le plus expert des cuisiniers, confectionner une carpe au bleu, des suprêmes de bécasses, un lièvre à la royale, et quel prodigieux connaisseur de vins !
Catulle Mendès avait l’invitation facile et l’on ne peut dire de lui que ce qu’on disait de Sainte-Beuve et d’Alfred de Vigny, à savoir que personne n’avait jamais vu la couleur de leur potage.
J’ai vu autour de sa table, jeune poète ébloui, Sarah Bernhardt, et Antoine Mounet-Sully et Dujardin-Beaumetz, Georges Courteline et Léon Dierx et tant d’autres écrivains, auteurs dramatiques et artistes.
Un jour, on servit des truffes sous la serviette. Il n’y en avait pas une pour chacun, parce qu’on les avait offertes à Mendès et que nous étions trop de convives. Il fut sublime.
« Mas amis, dit-il, nous sommes neuf, il y a cinq truffes… Excusez-moi… On ne peut pas les partager, cela ne rimerait à rien, et puis… puis… je souffrirais trop de vous les voir manger !... »
Sarah Bernhardt cria de sa belle voix qui, à cette époque, ne sonnait plus d’or pur, que c’était ignoble, et Catulle Mendès en mangeant seul l’assiette de truffes, lui dit :
« Sarah, vous savez quelle admiration j’ai pour vous, mais vous n’entendez rien à la cuisine. Vous êtes capable de vous régaler avec des haricots verts de conserve, autour d’un bifsteack cuit sur un réchaud à pétrole !... »
Je n’ai jamais oublié cela.
Léo Larguier : Les écrivains à table (III) in : Grandgousier, revue de gastronomie médicale (nov.-déc. 1949) — (Le titre est du Tenancier).
SERVIETTE (À la). — On désigne sous ce nom un genre de dressage de certains articles et, notamment, celui des truffes. Ces truffes, bien que dites « à la serviette », ne sont nullement cuites dans une serviette, mais simplement dressées dans une serviette, pliée en forme de poche. Ces truffes sont cuites dans du Madère ou dans tout autre vin de liqueur, dressées dans une timbale ou dans une casserole en argent et placées dans une serviette, pliée comme il est dit ci-dessus.
On dresse aussi « en serviette » les truffes cuites sous la cendre, selon la mode ancienne. […]

Prosper Montagné : Larousse gastronomique (1938)


samedi 17 mai 2025

Une historiette de Béatrice

Bonjour, je suis en train de me réorienter culturellement, je lis des nouveaux trucs, et j'aurais une encyclopédie en très bon état à vendre, ça prend de la place mine de rien. Vous pensez que je peux en tirer combien ?

mercredi 14 mai 2025

Être poète à ses heures

Je vous mets au défi de trouver un Bourgeois qui ne soit pas poète à ses heures. Ils le sont tous, sans exception. Le Bourgeois qui ne serait pas poète à ses heures serait indigne de la confrérie et devait être renvoyé ignominieusement aux artistes, à ces espèces d’esclaves qui sont poètes aux heures des autres.
Par exemple, il est un peu difficile de comprendre et d’expliquer ce que peut bien être cette poésie aux heures du Bourgeois. Supposer un instant que cet huissier se repose des fatigues de son ministère en taquinant la muse, qu’il se console du trop petit nombre de ses exploits en exécutant des cantates ou des élégies, serait évidemment se moquer de ce qui mérite le respect. Ce serait, si j’ose dire, une idée basse.
Le Bourgeois n’est pas un imbécile, ni un voyou, et on sait que les vrais poètes, ceux qui ne sont que cela et qui le sont à toutes les heures, doivent être qualifiés ainsi. Lui est poète en la manière qui convient à un homme sérieux, c'est-à-dire quand il lui plaît, comme il lui plaît et sans y tenir le moins du monde. Il n’a même pas besoin d’y toucher. Il y a des domestiques pour ça. Inutile de lire, ni d’avoir lu, ni seulement d’être informé de quoi que ce soit. Il suffit à cet homme de s’exhaler. L’immensité de son âme fait craquer l’azur.
Mais il y a des heures pour ça, des heures qui sont les siennes, celle de la digestion, entre autres. Quand sonne l’heure des affaires, qui est l’heure grave, les couillonnades sont immédiatement congédiées.
— Être poète à ses heures, rien qu’à ses heures, voilà le secret de la grandeur  des nations, me disait dans mon enfance, un bourgeois de la grande époque.
Léon Bloy : Exégèse des lieux communs (1902)

dimanche 11 mai 2025

Tacatacatacatac...



NPR Tiny Desk Concert 2024 Submission : Selectric Funeral — Boston Typewriter Orchestra

samedi 10 mai 2025

Une historiette de Béatrice

« Bonjour, nous mettons à jour la base de données du *** (courtoisie), et dans votre cas on a un problème, car c'est marqué bouquinerie, mais sur votre enseigne c'est marqué bouquiniste. Alors c'est quoi au juste ? »

vendredi 9 mai 2025

Pénurie

(Janvier 1945)

Ce qui prouve aujourd’hui qu’un livre a du succès, c’est qu’il ne figure à aucun étalage. Par suite de tirages restreints, les libraires n’exposent en montre que les pannes et vendent les livres recherchés aux meilleurs de leurs clients, en douce, à l’intérieur.
Jean Galtier-Boissière : Mon journal depuis la Libération (1945)

mercredi 7 mai 2025

Le Tenancier est un vieux


Dans notre manie d’accumuler les sources bibliographiques, quelques unes se révèlent inutiles ou insignifiantes pour ce qui concerne la pertinence des informations, souvent à cause de leur obsolescence. Reste le plaisir de relever quelques détails amusants, comme le fait de constater que, dans ce répertoire des auteurs publié en Grande Bretagne, Charteris, n’est pas loin de Chase et que ce dernier a créché à Neuilly sur Seine dans les années 1960, date de publication de cette quatrième édition. On y croise également Arthur C. Clarke, Somerset Maugham, Aldous Huxley, etc.


L’amusement s’étend également au récipiendaire de cet exemplaire, que le Tenancier découvrit bien après acquisition dans un lot, et à vrai dire assez à son corps défendant (et pour cause !), en découvrant la facture insérée à la fin du volume. Certes, le Tenancier ne passe pas ses dimanches entre les pages de cet ouvrage un peu sec du côté suspens. Néanmoins, sentant arriver son grand âge, et comme il me mentionna il y a peu, il se livre à cette habitude de vieux qui consiste à feuilleter les dictionnaires…



Quant à Michel Droit, je l'ai vu une seul fois, en coup de vent, à la libraire dans le XVIe où je travaillais, occasion pour mon patron de s'exclamer après coup : On a eu la visite du représentant le plus plus con de l'Académie française ! Pour ma part, je l'ignore, car j'ai peu croisé d'académiciens, deux ou trois seulement dans cette même librairie d'ailleurs, mais il faut reconnaître que l'échantillonnage n'était pas en faveur de celui-là, malgré le fait que...

lundi 5 mai 2025

Jeu

Notre ami George s'ennuie quand on néglige un peu trop les intermèdes ludiques dans ce blogue. Comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, il m'a envoyé la photo ci-dessous, avec la question :
De quel film provient cette image volée à une époque plus heureuse que la nôtre, où les bouquinistes étaient tenus en plus haute estime qu'aujourd'hui ? (Le visage central est flouté pour corser un tantinet le jeu) ?


Comme le présent article a été programmé deux jours auparavant et que votre Tenancier s'absente une partie de la journée, on espère que notre bon George suppléera à nos lamentables carences en aidant nos lecteurs. Merci George.

dimanche 4 mai 2025

Loueur de livres

Usés, sales, déchirés, ces livres en cet état attestent qu’ils sont les meilleurs de tous ; et le critique hautain qui s’épuise en réflexions superflues, devrait aller chez le loueur de livres, et là voir les brochures que l’on demande, que l’on emporte et auxquelles on revient de préférence. Il s’instruirait beaucoup mieux dans cette étroite boutique que dans les poétiques inutiles dont il étaie les frêles conceptions.
Les ouvrages qui peignent les mœurs, qui sont simples, naïfs et touchants, qui n’ont ni apprêt, ni morgue, ni jargon académique, voilà ceux que l’on vient chercher de tous les quartiers de la ville, et de tous les étages des maisons. Mais dites à ce loueur de livres : Donnez-moi en lecture les œuvres de M. de La Harpe ; il se fera répéter deux fois la demande, puis vous enverra chez un marchand de musique, confondant (sous le vestibule même de l’Académie) l’auteur et l’instrument.
Grands auteurs ! allez examiner furtivement si vos ouvrages ont été bien salis par les mains avides de la multitude ; si vous ne vous trouvez pas sur les ais de la boutique du loueur de livres ; ou si vous y trouvant, vous êtes encore bien propres, bien reliés, bien intacts, faits pour figurer dans une bibliothèque vierge, dites-vous à vous-même : J’ai trop de génie, ou je n’en ai pas assez.
Il y a des ouvrages qui excitent une telle fermentation, que le bouquiniste est obligé de couper le volume en trois parts, afin de pouvoir fournir à l’empressement des nombreux lecteurs ; alors vous payez non par jour, mais par heure. À qui appartiennent de tels succès ? Ce n’est guère aux gens tenant le fauteuil académique.
Ces loueurs de livres n’en connaissent que les dos et ils ressemblent en cela à plusieurs bibliothécaires et à quelques princes, qui ont une bibliothèque ordinairement assez utile aux autres.
Une mère dit à sa fille, je ne veux point que vous lisiez. Le désir de lecture augmente en elle : son imagination dévore toutes les brochures qu’on lui dérobe ; elle sort furtivement, entre chez un libraire, lui demande la Nouvelle Héloïse, dont elle a entendu prononcer le nom : le garçon sourit ; elle paie, et va s’enfermer dans sa chambre.
Quel est le résultat de cette jouissance clandestine ? Je dois mon cœur à mon amant : quand je serai mariée je serai toute à mon époux.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre CCCLXXVII

samedi 3 mai 2025

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 38


An 2000

L'an zéro de
Jésus-Christ

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques Millénaristes


Le Tenancier :  L’on découvre ici les conséquences d’un oubli dans le comput des années qui nous séparent de la naissance du Christ. La lacune évoquée par un convive et ses conséquences trouvent un épilogue archéologique lors du réveillon de l’an 2000. On aurait aimé un plus long développement à cette histoire, qui aurait pu se transformer en un récit orgiaque amusant et de bonne humeur, comme le tenancier de Deleatur sait faire… D’ailleurs, est-ce de lui ?

Pierre Laurendeau : Hum… Tout cela est très loin et ma mémoire n’est plus aussi affûtée qu’elle le fut au tournant du « début du troisième millénaire », comme les journalistes (si je précise « incultes », cela frise la redondance ?) de l’époque en rebattaient les oreilles de leurs écoutants. Disons que ce texte est de moi, ce qui me crédite d’un énième pseudonyme !
L’idée, amusante, mais troublante : si un moine médiéval a escamoté une année par ignorance du zéro, qu’adviendra-t-il d’un monde qui confond l’an 2000 avec le début du troisième millénaire ?
Je ne sais pas si j’aurais eu l’énergie suffisante pour pousser la narration jusqu’à un volume romanesque « dystopique » comme on dit maintenant… J’avoue ne pas y avoir pensé.
Si l’idée tente le Tenancier, je lui prête volontiers Denys le Petit (le moine médiéval), Jonathan, Judith, Martha et les autres !

jeudi 1 mai 2025

Une historiette de Béatrice

Bonjour monsieur, euh pardon, madame, vous avez le code de la route? Non? oh ben, heureusement que je l'ai acheté.
La cliente fulgurante de l'après-midi.

mercredi 30 avril 2025

Gloire aux typos

(Décembre 1944)

Les poètes qui adressaient aux feuilles clandestines leur copie dactylographiée, et signée d’un pseudonyme, couraient tout de même un peu moins de danger que les typos qui la composaient. On ne glorifie pas assez le typo.
Jean Galtier-Boissière : Mon journal depuis la Libération (1945) — p.91

samedi 19 avril 2025

Les colporteurs

Les mouchards font surtout la guerre aux colporteurs, espèce d’hommes qui font trafic des seuls bons livres qu’on puisse encore lire en France, et conséquemment prohibés.
On les maltraite horriblement. Tous les limiers de la place poursuivent ces malheureux qui ignorent ce qu’ils vendent, et qui cacheraient la Bible sous leurs manteaux, si le lieutenant de police s’avisait de défendre la Bible. On les mets à la Bastille pour des futiles brochures qui seront oubliées le lendemain, quelquefois au carcan. Les gens en place se vengent ainsi des petites satires que leur élévation enfante nécessairement. On n’a point encore vu de ministres dédaigner ces traits obscurs, se rendre invulnérable d’après la franchise de leurs opérations, et songer que la louange sera muette tant que la critique ne pourra librement élever sa voix.
Qu’ils punissent donc la flatterie qui les assiège, puisqu’ils ont tant peur du libelle qui contient toujours quelques bonnes vérités. D’ailleurs, le public est là pour juger le détracteur ; et toute satire injuste n’a jamais circulé quinze jours sans être frappé de mépris.
Souvent les préposés de police, chargé d’arrêter ces pamphlets, en font le commerce en grand, les distribuant à des personnes choisies, et gagnent à eux seuls plus que trente colporteurs.
Les ministres se trompent réciproquement quand ils sont attaqués de cette manière ; l’un rit de la grêle qui vient de fondre sur l’autre, et favorise sous mains ce qu’il paraît poursuivre avec chaleur.
L’histoire de la Correspondance du chancelier Maupeou (ce livre qui, après l’avoir ridiculisé, l’a enfin débusqué) mettrait dans un jour curieux les ruses obliques et les bons tours que se jouent les ambitieux dans les chemins du pouvoir et de la fortune.
On n’imprime plus à Paris, en fait de politique et d’histoire, que des satires et des mensonges. L’étranger à pris en pitié tout ce qui émane de la capitale sur ces matières. Les autres objets commencent à s’en ressentir, parce que les entraves données à la pensée se manifestent jusque dans les livres de pur agrément. Les presses de paris ne devraient plus servir que pour les affiches, les billets de mariages et les billets d’enterrements. Les almanachs sont déjà un objet trop relevé, et l’inquisition les épluche et les examine.
Quand je vois un livre revêtu de l’autorité du gouvernement, je parie, sans l’ouvrir, que ce livre contient des mensonges politiques. Le prince peut bien dire, ce morceau de papier vaudra mille francs ; mais il ne peut pas dire que cette vérité ne soit plus qu’une erreur. Il le dira, mais il ne contraindra jamais les esprits à l’adopter.
Ce qui est admirable dans l’imprimerie, c’est que ces beaux ouvrages, qui font l’honneur de l’esprit humain, ne se commandent point, ne sepaient point. Au contraire, c’est la liberté naturelle d’un esprit généreux, qui se développe malgré les dangers, et qui fait un présent à l’humanité, en dépit des tyrans. Voilà ce qui rend l’homme de lettres si recommandable, et ce qui lui assure la recommandation des siècles futurs.
Ces pauvres colporteurs qui font circuler les plus rares productions du génie, sans savoir lire, qui servent à leur insu la liberté publique pour gagner un morceau de pain, portent toute la mauvaise humeur des hommes en place qui attaquent rarement l’auteur, dans la crainte de soulever contre eux le cri public, et de paraître odieux.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre LX

vendredi 18 avril 2025

L'ombre

Le Tenancier a renoncé il y a quelques temps à donner corps à son projet de micro édition, en raison, principalement, des frais bancaires qui courent sur l’année et qui empêchent donc toute procrastination et toute dilation afin de satisfaire le veau d’or. Ainsi donc, on continuera de fabriquer des petits machins dans son coin, toujours à tirages plus ou moins infimes à nos frais, ce qui implique encore plus de rareté. Pour ce retour à l’impression, on ne s’est tout de même pas fichu de nos contemporains en tirant à vingt cinq exemplaires, qui se décomposent comme suit :
— Cinq exemplaires de tête, couverture rose, sur vergé teinté réservés aux intimes et à la famille ;
— Cinq exemplaires, couverture framboise, sur vergé teinté réservés aux proches ;
— Quinze exemplaires, couverture framboise, vergé blanc, réservés aux amis et aux éditeurs chéris.
Le texte lorgne du côté du fantastique bibliophile…
Et puisque le Tenancier est de bonne humeur, il inaugure une page sur son site d'auteur consacrée à ses productions sur le coin du bureau : Le bac à sable

lundi 14 avril 2025

Faites une liste des libraires d'occasion, tout de suite !


Richard Fleischer : L'assassin sans visage (Follow me quietly) — 1949
On notera la présence d'Anthony Mann au scénario
Merci à George pour cette découverte !

mercredi 9 avril 2025

Une historiette de Béatrice

« Bonjour, je dois téléphoner car j'ai besoin d'un dépanneur informatique de toute urgence ». Alors moi, grosse nouille, je le laisse téléphoner.
Au bout du troisième réparateur à qui il raconte ses aventures informatiques dans un langage technique plein de rames et de cartes de la mer, le bouilli me monte. Je le vire devant le client qui entre tout sourire.

dimanche 6 avril 2025

Livres

Presque tous les livres se font à Paris, s’ils ne s’y impriment pas. Tout jaillit de ce grand foyer de lumière. Mais, dira-t-on, comment fait-on encore des livres ? Il y en a tant ! Oui, mais c’est que tous sont à refaire ; et ce n’est qu’en refondant les idées d’un siècle que l’on parvient à trouver la vérité, toujours si lente à luire sur le genre humain.
On peut imprimer beaucoup de livres, à condition qu’on ne les lise pas. Les livres sont une branche de commerce très importante. Combien d’ouvriers en tirent leur subsistance ! Sous ce point de vue de commerce, on ne fait pas trop de livres : ce petit inconvénient se rachète avec de grandes salles. D’ailleurs, il peut en résulter un grand bien ; au milieu des ces matériaux immenses, il viendra peut-être un homme à qui tout cela sera utile.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre CXLIII

samedi 5 avril 2025

Brève chronique d'un rangement de bibliothèque

1er jour
Grande résolution : en plus d’éliminer la tonne de poussière accumulée dans mon bureau, j’entreprends de ranger mes bibliothèques. Ça commence justement dans ce bureau où je remets tout par ordre alphabétique tout en virant des machins inutiles et des choses que je ne lirai plus jamais. Je me pose la question, d’ailleurs : je possède tous les volumes des œuvres d’Eugène Sue (44 tomes à vue de nez) édités par Flammarion, in-12 sous percaline rouge ornée tous en bon état (mais papier bruni, comme beaucoup de ce qui s’est publié avant et dans l’entre-deux-guerres). Je vois passer des prix assez confondants pour les 4 vols du Mystère de Paris (80 balles les quatre)... Quel prix je pourrais bien tirer de tout ça? Y’a aussi les 11 volumes de Fantômas cartonnés toile rouge, considérablement abrégés, ceux-là et disparates, puisque la numérotation est tantôt présente sur la toile et tantôt sur le rhodoïd. Ça ne doit pas pisser très loin, mais ça occupe de la place (plus que les éditions en Bouquins qui contiennent le double de romans et en texte intégral).
Bref, des piles commencent à s’accumuler au bas de la bibliothèque. Si je reste dubitatif vis-à-vis de Sue, je pense que les Fantômas vont dégager.
J’aime avoir ce genre de souci, cela dit, ça change.
 
2e jour
Dans la continuité du rangement de bibliothèque inauguré hier, j’ai reclassé à peu près 8m50  linéaires. Il faut tout de même relativiser l’importance de la manutention, sachant que pas mal de bouquins étaient rassemblés par ordre alphabétique (les Eugène Sue, que je me décide à conserver pour le moment occupent déjà 1 m). Le problème en train de poindre concerne en partie ma bibliothèque vernienne qui ne rentre pas dans les rayonnages du couloir comme je l’espérais (manquent 2 m sur 5... oui, je sais, c’est délirant). J’ai commencé une pile de livres dont je vais me débarrasser. Éric doit passer dans peu de temps en escale et choisira ce qu’il voudra dans le lot. Pour le reste, j’aviserai. Je m’attaque tout de même à un gros chantier parce que la bibliothèque du bureau accueillait quelques auteurs fétiches (dont Verne, vous vous en doutez) et j’ai l’intention de refaire une refonte totale de la bibliothèque de littérature, la principale, donc, en descendant ensuite dans le salon. Donc les anonymes, collectifs et le début de l’alphabet se trouveront en haut. Il faudra également quand j’aurai terminé dans quelques mois que je jette un coup d’œil dans la bibliothèque d’histoire qui déborde encore plus, toutes proportions gardées. L’exercice permet de reprendre contact avec des trucs complètement oubliés, parfois avec raison et aussi propres à susciter quelques conjectures : «Mais pourquoi j’ai acheté ce livre?» Je vais sans doute pouvoir résorber les piles à terre qui me narguent depuis des années, des acquisitions récentes pour la plupart. Aujourd’hui j’en ai fait beaucoup parce que, comme je n’ai pas bien dormi cette nuit, je n’étais pas apte à écrire quelque chose de comestible... Alors, zou : classement, rangement, manutention!
(Le trou a été comblé depuis, je deviens fort en Tetris!)
PS : d’ailleurs, rien n’interdit que quelques amis viennent piocher dans les laissés pour compte, certains titres ne sont pas déshonorants...
 
3e jour
Comptons en mètres, voulez-vous? Aujourd’hui, nous en sommes, à peu près, à 22 m de bibliothèque rangée, c’est-à-dire tout ce qui se trouve à l’étage, hormis quelques livres encore par terre que je vais insérer en me débarrassant d’autres ouvrages, en double ou devenus sans intérêt. Il existe déjà un mètre de libre que je vais remplir sous peu, après une pause d’un ou deux jours (des choses à faire ailleurs). Ce qui m’attend va se révéler périlleux, mais je vous en causerai... au pied de l’échelle. En attendant, j’ai constaté l’état des dos des Gustave Le Rouge en 10/18 et il m’a bien fallu me résoudre à retirer le papier cristal qui les recouvre depuis plus d’une vingtaine d’années. C’est d’ailleurs un délai trop long et je vais sans doute devoir en faire autant avec l’ensemble de la bibliothèque. Seul le papier a bruni à la place du dos, mais il y a un moment où il se dégrade lui-même et peu abimer ce qu’il y a en dessous. Or, le papier cristal semble une denrée rare. Si vous avez des pistes pour en commander à des quantités raisonnables, je suis intéressé.
 
4e jour
On se souvient que j’avais entrepris de réaménager le classement de ma bibliothèque littéraire (il y en a deux autres importantes : l’historique et l’artistique dont je m’occuperai aussi un jour). J’avais commencé par mon bureau ou débute l’ordre alphabétique, c’est-à-dire pas du tout, puisqu’on y trouve les anonymes, les revues, les livres collectifs, les anthologies, etc. Tout de même, la lettre A s’y étoffe un peu. Le reste va suivre. Le jeu consiste donc à tout répartir dans trois pièces différentes : le bureau, le couloir adjacent et le salon, le plus gros morcif.
Le problème tient à la méthode. En effet, après avoir rassemblé tous les auteurs commençant par la lettre A (beaucoup étaient déjà classés), le jeu a consisté à décaler les restes vers la droite afin de faire de la place, ce qui aboutit au fait qu’un auteur comme Tutuola (L’ivrogne dans la brousse, classique et excellent) qui se trouvait à l’étage, devra parcourir toute la bibliothèque avant de trouver son coin.
Je pourrais décider de tout descendre, de rassembler et de ranger. Malheureusement, il nous arrive de vivre dans cette maison. Par ailleurs, j’ai d’autres activités, je suis donc contraint de m’y employer de temps à autre. D’ailleurs, je préfère comme ça, parce que ça me permet de désherber tranquillement et en réfléchissant (afin d’éviter les remords) en même temps. L’autre souci provient de quelques obstacles qui procurent un aspect périlleux au déplacement des livres en haute altitude : canapé, téloche, etc.
Pour l’instant, 4m50 de rayonnage ne bougeront presque plus (sauf si j’ai oublié un livre quelque part...)
Il reste 64m de bibliothèque, environ, à ranger, opération qui, au fur et à mesure, deviendra plus courte, étant donné la méthode utilisée... Je ne pars pas de rien, chacune des bibliothèques dans les trois pièces possédaient déjà, et en grande partie, un rangement systématique, ce qui facilite l’intégration des ouvrages. Ça va demander encore un peu de temps tout de même
 
5e jour
Un des plaisirs du rangement de ma bibliothèque réside dans des retrouvailles avec ce qui tutoyait plafond et donc inaccessible à cause de l’installation d’une échelle dont le processus devient aussi complexe que celle des sapeurs-pompiers. Ce qui se trouvait là-haut, proche du Paradis appartient en vérité à l’Enfer, du moins en partie. En effet, les ouvrages anonymes regroupent pas mal de textes érotiques glanés au hasard de quelques adresses effectuées lorsque j’étais à mon compte et que je ne m’étais pas résolu à vendre (peu de rapport, en regard du plaisir que j’en tirais). Ainsi, dans la désorganisation provisoire des anonymes et des collectifs divers, je retrouve :
Le manuel de l’oreiller (traduit du japonais)
Les Mystères du confessionnal
L’Arétin françois, suivi de Les Épices de Vénus (avec quelques gravures vigoureuses!)
Il en existe d’autres, d’ailleurs aussi à leur nom d’auteur. Là cela consistait en un bref coup d’œil à portée de main. Non, vraiment, on devrait plus souvent réorganiser nos bibliothèques.

(Ces quelques lignes ont été publiées d'abord sur un réseau social, beaucoup plus éphémère que le présent blogue...)

dimanche 23 mars 2025

Réponse à George sur les super-héros

Un commentaire dans le dernier billet de la part de notre cher George revient sur le sujet du super-héros : « Tenancier, jetez donc un œil sur la série The Boys, qui au rebours de Leni Rifenstahl présente les super-héros comme des nazis (et non l’inverse). » Or, je ne vois pas ce qui distinguerait ceux-là des autres puisque le super-héros est précisément d’essence fasciste ou en tout cas qu’il recoupe assez de suspicions en ce sens. La typologie du héros que la « populace » tente de faire descendre de sa retraite pour mettre de l’ordre dans la cité, la description de ses actes qui le coupe justement de la polis, l’exacerbation de ses pouvoirs qui ne font pas du personnage un héros gréco-latin comme Jason ou Ulysse portés par les caprices de l’Olympe, mais bien plutôt l’image du guerrier solitaire, le Berseker, transcendé par l’amok, dénué d’empathie, toute cette somme de signes peuvent s’interpréter dans le sens du prototype de héros fasciste. Bien entendu, tout amateur des histoires DC Comics, Marvel, ou d’autres n'est pas un nazi en puissance, loin de là (je ne tiens pas à me faire casser la gueule par Pierre!). On se pose néanmoins la question de l’envahissement de l’image d’un certain type de sauveur à la fois sur les écrans et dans les livres ; pour ces derniers, des traces existent depuis longtemps, comme dans les romans d’Abraham Merritt dans le domaine des littératures dites de « l’imaginaire ». Or, cher George, on a tendance à trouver dans notre coin que votre remarque nous semble furieusement pléonastique puisque nous considérons que tout détenteur d’une puissance extraordinaire pourrait céder à la tentation du fascisme, que ce pouvoir se révèle métaphorique comme dans les comics ou dans la réalité…


  Javier Ruiz Caldera : Superlópez (2018)

vendredi 14 mars 2025

Super héros


Il semble que d’étranges démons rôdent autour de nous, qu’ils ont subverti une certaine vision de notre univers sensible, ce qui articulait certains aspects de notre culture, qui fondait le sens de nos relations, celles régissant le fonctionnement du groupe. Peu à peu, la ruse d’Ulysse et de ses compagnons a été remplacée par l’incarnation d’une surhumanité qui s’absoudrait de façon soudaine de la commensalité au profit d’une mission : héros Marvel, genré jusqu’à l’absurde, ou Berseker flinguant à tout va sur des « victimes innocentes », selon la prose en vogue. D’ailleurs, qu'évoquerait l'idée d'une « victime coupable » ? Serait-il plus justifié que celle-là meure, établissant une hiérarchie de la mise à mort ? L’invasion jusqu’à l’écœurement des supers héros produits de manière industrielle n’attend plus que sa reproduction industrielle également, jusqu’à ce qu’ils s’emparent du monde par leur représentants. C’est en cours.
Certains n’ont pas compris. Nous les avons déjà eus, ces héros-là, ces sales cons qui se frayent un chemin à travers l’humanité par la force et les coups de poing dans la gueule. Ils s’exaltent dans la guerre au prétexte qu’ils défendent la paix, oxymore favori des salauds : « L’Empire c’est la Paix », « Le Travail c’est la Liberté », etc. Mais la paix pour elle-même, mais la culture, mais la douceur de vivre…
Dehors, il fait beau. Combien de temps vais-je encore en profiter avant que des ordures viennent brener sur mes bégonias au nom de la Force, du Droit, de la Justice, inférant qu’elle n’est pas la même pour tout le monde ? Combien de temps encore vais-je goûter le bleu du ciel ?

(Illustration d'Andreas Englund)

vendredi 7 mars 2025

Où le Tenancier à l'occasion de jeter un coup d'oeil en arrière...




Votre Tenancier ne se trouve pas si nostalgique que cela, mais aime se souvenir parfois. Son passage à Radio Libertaire en fait partie et qui de mieux pour évoquer cette période pionnière qu’un de ses fondateurs ? Floréal s’en charge sur les antennes de cette même radio dans l’émission « Pas de quartier » il y a peu de jours. Comme on n’a pas l’âme d’un ancien combattant, on se satisfait d’en être sorti autant que d’en avoir fait partie. On en est même un peu fier. On a d’ailleurs arrêté trop tard d’y conduire des émissions, considérant avec le recul qu’y perdurer finissait par devenir du fonctionnariat ou du narcissisme (de 1982 à 2000, même s’il se produisit des interruptions). On en garde des bons souvenirs. C’est ce qui compte.
Ah oui, au fait : les propos de Floréal sont passionnants.
Vous trouverez l'entretien ici.
Son blogue à cet endroit.
Et la page de l'émission .

mercredi 5 mars 2025

L'ami de Lorde

C’est entendu, la fréquentation abondante des dictionnaires est une manie de vieux, ce qui fait croire à votre Tenancier que sa sénescence a commencé tôt. À sa décharge, il s’agit plus souvent de dictionnaires biographiques tels que le Vapereau (on en possède trois éditions, dont on s’amuse de temps en temps à remarquer l’évolution de l’entrée Bazaine dans les volumes de 1858, 1870 & 1880, par exemple !) L’on détient également quelques éditions du Bitard et deux ou trois volumes des albums Mariani. À tout cela se greffe quelques machins épars, le tout parfois usé à cause de l’usage répété jusqu’à notre époque par les possesseurs successifs. Tout ceci a servi ses recherches bibliographiques, ce qui excuse un peu la manie de vieux, assumée par ailleurs. Quelques entrées, souvent rédigées par les concernés eux-mêmes se révèlent d’une mauvaise foi réjouissante.


On est tombé la veille de la rédaction de ce billet sur André de Lorde, comme ça en feuilletant et, même si l’entrée ne se révèle pas la plus brillante, il a paru au Tenancier amusant de reproduire l’article datant de 1934 paru dans Ceux dont on parle, aux éditions de la Vie Moderne…

lundi 3 mars 2025

Une historiette de Béatrice

Et le tout jeune homme qui débarque avec une liste, afin de lire les plus anciens prix Goncourt et « se faire une idée ». Bonne pioche. J'adore mon boulot.

vendredi 28 février 2025

La production de papier en Bretagne — II

Voici le deuxième article provenant de la même source, le Bulletin de l’Association bretonne de 1959. Ici, l’on s’intéresse à l’implantation historique des moulins à papier, qui laisse par ailleurs deviner de multiples activités le long des cours d’eau dans la région. On regrette le style guère chaleureux et la sécheresse des informations, liée à une onomastique pas très familière à beaucoup d’entre nous. Tant pis, le fond reste intéressant et donne même envie d’en savoir un peu plus. La question demeure : existe-t-il encore des moulins à papier sur les bords des fleuves côtiers et des rivières bretonnes, plus de soixante-cinq ans après la conclusion de ce papier?
Là, aussi, le texte a été repris d’après une numérisation, merci de signaler d’éventuelles coquilles.

Note sur l’histoire des papeteries comme industrie locale

Le nom de Tsal-Loun, dès l’an 210 avant l’ère chrétienne, marque le point de départ de cette histoire. Puis en 751, on retrouve le nom de Samarkano ; mais il faudra encore attendre quatre siècles avant de voir apparaître en Europe les premiers moulins à papier.
On doit tout d’abord citer les pays méditerranéens : Espagne en 1150 et, un siècle plus tard, l’Italie en 1268. À partir du milieu du quatorzième siècle, exactement en 1348, date qui marque la fondation du Moulin du Roy à Troyes, on peut suivre le développement considérable des moulins à papier dans l’extrémité occidentale de l’Europe avec Ville-sur-Saulx, puis Bar-le-Duc, Pont-Audemer, et enfin les moulins de Bretagne mentionnés pour la première fois dans des pièces datant de 1499, environ un demi-siècle avant le traité d’Union signé entre la Bretagne et la France.
On peut cependant affirmer qu’entre 1400 et 1455 plusieurs papeteries fonctionnaient déjà en Basse-Bretagne : entre autres celles de Vannes, Morlaix et Bréhant-Loudéac, petite paroisse aux confins des anciens diocèses de Saint­-Brieuc, Vannes et Saint-Malo.
Avant d’aborder l’étude des moulins de la région mor­laisienne, d’une très grande densité, il est bon de citer l’aveu présenté au Roi en 1499 par Jehan de Rohan, seigneur du Gué-de-l’Isle, qui contient la plus ancienne mention des moulins. Ce gentilhomme auquel on attribue la fondation du moulin en question, sur la rivière de « Helyer », à la limite des paroisses de Plumieux et de Bréhant, établit également en 1484, à proximité de son château, la première imprimerie de Bretagne.
Dans une pièce de la même année que l’aveu de Jehan de Rohan, il est fait mention d’une Tente, évaluée en rames de papier, payable par Jean de Kerloaguen à Yves Pinart, seigneur du Val, propriétaire du Manoir et du moulin du Val-Pinart(1).
Dès le seizième siècle, l’usage du papier était très répandu à Morlaix, et une imprimerie s’y établit en 1557 ; mais il n’est pas prouvé que le papier utilisé fut intégralement fabriqué dans la région, car de très nombreux moulins à blé ne furent transformés qu’aux environs de 1625, tels le moulin de Pont-Paul ou ceux de Pleyber-Christ.
Citons dans cette dernière paroisse Roudougoualen en 1621, Gelaslan en 1629, Rosanvern en 1632. Les familles Le Bihan de Kerallo, de Coatanscours, Le Marant du Val, Le Gualès, de Brézal, afféagèrent de nombreux terrains à des papeteries entre 1630 et 1650.
À cette époque, beaucoup de noms de maîtres et compagnons papetiers sont normands, et les registres d’état civil mentionnent « normands de nation », et l’on retrouve les mêmes noms d’un petit nombre de familles qui se vouent à cette industrie.
En 1661 et 1669, Alain de la Mare — un autre normand — achetait l’un des moulins de Glaslan et deux moulins à Loguivy-Plougras. Cette époque est celle où l’on retrouve l’origine de véritables dynasties de papetiers devenus de « bonne bourgeoisie », tels les Huet, Guesdon, Le Maître...
Jusqu’au dix-neuvième siècle subsistèrent quelques mou­lins à papier à Lannion et dans les paroisses voisines :
Buhulien, Ploubezre, Tonquédec, Loguivy-Plougras, Kerven et Plounévez-Moëdec. Les seigneurs de Tonquédec avaient fondé vers la fin du dix-septième siècle le moulin de Ker­meur, sur la rive du Leguer.
À la fin du dix-huitième siècle commencèrent les difficultés : un décret de 1771 ordonnait la suppression de toutes les papeteries situées à moins de dix kilomètres des villes maritimes, c’est-à-dire Lannion, Morlaix, Châteaulin, Quimper... En 1774, les États de Bretagne obtinrent la non-application de ce décret après de vives protestations.
D’autres difficultés surgirent : saisies de matière première, conflits entre patrons et ouvriers.
Dès 1756, il y eut une heureuse tentative pour transformer les papeteries morlaisiennes et créer une véritable usine. Joseph Gigant du Mont essaya de constituer, sous la protection des États de Bretagne, une société au capital de 40 000 livres, qui aurait établi une papeterie rénovée à Belle-Isle-­en-Terre. Son neveu Raymond aidé de Mazurié, riche marchand morlaisien, fit une tentative analogue en 1722, appuyée par le Duc de Rohan qui lui concéda un emplacement favorable sur le bord de l’Elorn, â proximité de la Roche-Maurice.
Ces louables essais échouèrent, mais le coup le plus rude porté à cette industrie bretonne fut la Révolution qui engendra un appauvrissement général, et ce fut progressivement la mort de la petite industrie rurale, aussi sensible dans le domaine des innombrables tisserands dont cette époque vit la ruine.
Quelques chiffres résumeront cette situation saisissante :
en 1776, il existait en Bretagne 67 moulins à papier dont il ne subsiste plus que 13 en 1958, dont 5 dans les Côtes-du­-Nord, 3 dans le Finistère et le Morbihan, un seul en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique.
 
(1) Le Val-Pinart était en la paroisse de Saint-Martin de Morlaix.
 
P. LEMOINE.

jeudi 27 février 2025

George Sand

George Sand est la vache bretonne de la littérature.
Jules Renard

George Sand avait la sérénité de ces animaux ruminants dont les yeux pacifiques semblent refléter l'immensité.
Maxime Du Camp

mardi 25 février 2025

Un homme heureux

Il y a une dizaine de jours, votre Tenancier chéri a convié quelques amis locaux à une causerie «gourmande» (crêpes nature, au rhum et à la cannelle) autour de la bibliophilie. Rien de très développé, on vous rassure, quelques notions exposées de façon assez brouillonne, mais le moyen de faire autrement sur un sujet aussi riche? On espère avoir intéressé, tout de même. Le même jour, le soir, on accueillait un ami de longue date, bouquiniste et également un peu antiquaire, de passage dans la région pour «faire une adresse». On eut la chance de contempler le merveilleux bordel qui encombra sa camionnette le lendemain : boîtes contenant des images qu’on trouvait dans les paquets de chocolats, vieille chaussette remplie de pièces de monnaie, pas très «fleurs de coin» pour la plupart. On identifia même une ou deux datant du XVIIe siècle, fort usées puis pas mal de monnaie du Second Empire, etc. Dans le lot récupéré, seulement quatre livres, ou plus exactement un livre et trois numéros de revue, documents concernant la Bretagne, son folklore, son économie, etc. Cet ami a bien voulu me confier ces ouvrages et c’est ainsi que vous avez pu lire ici même un article sur la production de papier en Bretagne (un autre arrive sous peu). On pourrait s’arrêter là et se déclarer satisfait de la bienveillance du destin qui vous nous fait retrouver la joie des réunions amicales et la jouissance de farfouiller dans de vieux objets. De façon surprenante, l’article en question a provoqué pas mal de réactions intéressées, preuve que l’érudition ne se dilue pas encore dans l’obscurité qui nous gagne de toute part.
Cette succession de plaisirs ne s’est pas arrêtée là, puisqu’un don amical, suscité par l’article sur le papier, me fit recevoir un livre que je convoitais depuis sa parution en 1991. Papier de Jean-Pierre Lacroux consiste en un ouvrage sur sa fabrication entre autres et dont chaque page est imprimée sur un papier différent, prouesse remarquable, tant sur le plan du brochage et du cartonnage que pour les variétés utilisées. Yearling, Rotostable, Gama, Opale de Rives, mais aussi Vélin Arches, Centaure ivoire, etc., apportent au propos une matérialité assez sensuelle à un livre à un prix plutôt élevé à l’époque (390F de 1991, cher pour un salarié en librairie) et qui s’est épuisé très rapidement. L’on a vécu sur le souvenir de cet ouvrage pendant tout ce temps sans trop d’illusions sur la possibilité de le retrouver et voici qu’il nous parvient dans notre boîte aux lettres : émotion, joie et reconnaissance envers cet ami! Cette décade s’est révélée «prodigieuse» à sa manière. Maintenant, on va se plonger de nouveau dans ce livre, longuement parcouru par votre Tenancier lorsqu’il s’activait en librairie. Il va apprendre encore, d’autant que l’on attend beaucoup de Jean-Pierre Lacroux dont on recommande également ses travaux sur l’orthotypographie
Oui, le titre de ce billet fait un peu benêt, mais il traduit bien ce qui se passe pour votre Tenancier.

Avec jaquette

Sans jaquette

samedi 22 février 2025

Le rêve de mon papa


La première nouvelle publiée cette année annonce également le printemps ! En effet, Le rêve de mon papa parle en entre autre de la course Paris-Nice qui, même si elle se déroule dans la première quinzaine de mars, reste une échappée vers le soleil. Le Tenancier cycliste ? Diable, pour un peu cela vaudrait la peine d’y aller voir de plus près.
Lard-Frit n°10 - Lien

mardi 18 février 2025

La production de papier en Bretagne — I

Hasard de la chine, votre Tenancier est tombé sur deux articles intéressants qui concernent l'histoire du livre et plus précisément sur l'histoire de la fabrication du papier. Ces deux textes ont été publiés dans le Bulletin de l'Assiociation bretonne de 1959. On a décidé de vous en infliger la teneur in-extenso, en commençant par le plus long. On a respecté autant que se peut l'orthographe en vous priant de bien vouloir excuser les quelques fautes qui ont pu se glisser ici et là en raison du recours à un logiciel de reconnaissance de texte.

Rapport sur l’industrie du papier et du carton dans la Région de Lannion
 
S’il est une question qui préoccupe les Bretons soucieux de l’avenir de leur chère Bretagne, c’est bien le manque de débouchés sur place pour la jeune génération.
La région de Lannion n’échappe pas à cette conjoncture du fait de la mécanisation de l’Agriculture qui demande moins de bras, et du peu d’industrie du Pays.
Aussi faut-il se féliciter des efforts qui ont été faits dans ce sens à Lannion même pour implanter de nouvelles activités.
Or, de plus en plus, il devient évident que le développement d’une région est intimement lié à la production d’énergie, à telle enseigne qu’un spécialiste de ces problèmes, décédé récemment à l’Arcouest, M. Schueller, proposait de remplacer tous les impôts par une taxe sur l’énergie.
Voyons donc quelle est la situation de la Bretagne à ce sujet.
Des nombreux cours d’eau, malheureusement bien courts du fait de la configuration du sol, actionnaient autrefois quantité de moulins échelonnés le long de leur cours.
Ces moulins produisaient de la farine, foulaient des tissus de laine, broyaient des écorces, fabriquaient du carton ou du papier.
Les uns et les autres ont disparu par suite de la création de grandes minoteries, de l’arrêt de tissages familiaux, des modifications des procédés de tannage, de la tendance à établir de grandes papeteries dans les ports ou à proximité des grosses sources de force motrice, hautes chutes et mines de charbon.
Sur les 67 moulins à papier qui existaient en Bretagne : en 1776, il ne reste plus qu’une douzaine d’établissements, dont deux très importants dans le Finistère, trois dans le Morbihan, un dans l’Ille-et-Vilaine, un à Nantes, et enfin cinq dans les Côtes-du-Nord, dont une papeterie et quatre cartonneries.
Ce sont particulièrement (puisque nous vous confinons dans la région de Lannion) les Établissements placés sur le Léguer ou ses affluents qui nous intéressent, et il serait trop long de passer en revue toutes les usines de Bretagne. Un rapport très étudié et très développé a été établi à ce sujet par le Directeur Général des Papeteries Vallée, rapport demandé par le C.E.L.I.B. au cours de son enquête pour le développement de l’Industrie en Bretagne.
Si les moulins établis sur le Léguer, en amont de Belle ­Isle-en-Terre, par les familles Le Loutre et Le Corju ont disparu, ainsi que ceux de la région de Ploubezre, les trois cartonneries établies sur le Guic en Plounévez-Moëdec et sur le Saint-Émilion en Loguivy-Plougras n’ont cessé de fonctionner et sont toujours gérées par la famille Alexandre, dont un ancêtre fonda en 1610 le « Milin Kreiz Izellan », qui est l’un des plus anciens de Bretagne.
Cet établissement, bien modernisé, occupe une dizaine d’ouvriers ; ainsi que les deux autres qui sont de fondation plus récente. Ils produisent des cartons fort appréciés et adaptés aux besoins modernes.
En aval de Belle-Isle-en-Terre se trouve la seule usine de Bretagne fabriquant des papiers d’écriture en même temps du reste que des papiers d’emballage fins.
Autrefois, la région la plus papetière de Bretagne était celle de Morlaix et les nombreux moulins échelonnés le long du Kéfleut donnèrent naissance aux importantes papeteries de Glazlan. C’est de là que vint la famille Vallée, il y a 103 ans, avec un groupe de papetiers qui se succèdent à l’usine de Loc-Maria de père en fils.
Cette usine emploie 200 personnes et possède trois machines. C’est avec plaisir que la Direction s’offre à la faire visiter par les personnes que la question intéresse. Se rendant parfaitement compte que l’avenir d’une papeterie est intimement lié à la question énergie, cette Direction n’a pas hésité à tirer parti de la force hydraulique du Léguer aménageant un barrage qui lui donne un millier de chevaux. Elle projetait même dès 1920, d’équiper d’autres chutes sur le cours du Léguer, dont la dernière eut été une marémotrice au Yaudet. Le projet fut même établi de monter une machine à Journal à Lannion même, à l’endroit où depuis a été construite l’usine à gaz.
Les bois et les pâtes auraient été reçus à quai par petits navires.
Depuis, la fabrication du papier journal s’est concentrée dans de très grandes usines près des mines dans le Nord et à Rouen où peuvent accoster de grands navires apportant les matières premières et les combustibles.
C’est dire que la Papeterie, comme toutes les industries, attache la plus grande importance à la question force motrice. Or, si la Bretagne ne dispose pas de houille noire, de houille blanche, ni d’or noir, ces termes désignant le charbon, la neige et le pétrole, elle a sur ces côtes une magnifique source d’énergie, la houille bleue des marées et il est inconcevable que l’on n’en ait pas encore tiré parti.
Le barrage de la Rance a déjà fait couler beaucoup d’encre, espérons qu’il verra passer dans ses groupes bulbes beaucoup d’eau et qu’il fournira à la région de l’Ouest, si déshéritée, les 800 millions de kilowatt-heure promis, en attendant les 13 milliards de la baie du Mont Saint-Michel.
Plus modestement, les estuaires de la rivière de Tréguier et du Trieux donneraient ensemble leurs 40 millions de kilo­watt-heures suivant les études déjà anciennes de MM. Pel­nard, Considéré et Caquot.
Mais il est un autre point dans la conjoncture actuelle qui fait craindre des restrictions d’importation de matières premières et qu’il convient d’examiner de très près, c’est le reboisement.
En dépit de ce qu’on aurait pu penser de la diminution de l’emploi du bois par suite de la construction en fer et en béton armé, cet emploi s’accroît dans des proportions constantes du fait de nouveaux débouchés dans le déroulage, la fabrication du papier et les multiples industries de la cellulose.
Donc, la plantation d’arbres représente une affaire de première importance, elle permet de tirer un excellent parti de terrains incultes ou incultivables par leur situation. Mais comme dans tous les domaines, il faut faire de la vitesse et il est nécessaire de choisir des essences à croissance rapide : les résineux et les peupliers. L’Administration des Eaux et Forêts est là pour donner toutes les indications utiles, et la pépinière qu’elle a créée dans la forêt de Coat-an-Noz est des plus instructive. Il est à noter que les forêts de Coat-an-Noz, Coat-an-Nay et Beffou se trouvent dans le bassin du Léguer et représentent un attrait de plus pour la région de Lannion déjà si connue par ses magnifiques plages.
De son côté, M. Pierre Lemoine à qui j’avais communiqué diverses notes sur les Papeteries de Bretagne, dont un ouvrage de M. Bourde de la Rogerie qui a été complété par M. Fanch Gourvil, a condensé ces précieux renseignements en une note succincte dont il va vous donner lecture. M. Ca­doret qui depuis 64 ans a contribué à l’essor de l’usine de Loc-Maria a, lui aussi, recueilli des indications très intéressantes sur les familles papetières qui ont exercé à Morlaix et à Belle-Isle.

O.
VALLÉE,
Directeur des Papeteries de Locmaria, en Belle-Isle-en-Terre

samedi 15 février 2025

Une déclaration d'incompétence

On ne se doutait pas il y a quelques jours que notre transcription d’un extrait de propos de Jean-Patrick Manchette trouverait un écho, en quelque sorte, dans l’actualité «littéraire». Récapitulons pour l’éventuel tardif qui lira ce billet dans quelque temps, ou bien qui débarquerait de Sirius : le prix Goncourt de l’année est accusé de s’être inspiré d’un peu trop près de la vie d’une femme algérienne, au point que le travail d’écriture ressemblerait en certains points à de la transcription pure et simple et non une œuvre d’imagination. Qui cela peut-il étonner à l’heure actuelle dans un milieu critique prompt à considérer ce genre de pratique comme normale, pourvu qu’elle ne se montrât point trop ou alors qu’elle fit preuve d’un peu d’industrie? Ainsi, deux jours avant d’écrire ce billet, on entendit sur France Culture (appellation de plus en plus oxymorique) une critique déclarer qu’un ouvrage documentaire (traitant là de la pédophilie) appartenait au genre du roman en raison du style employé par l’auteur. Nous voici donc dans la «représentation plaisante» et les «lamentations réformistes» évoquées par Manchette. Le souci avec cet auteur Goncouré réside plus dans la paresse dans son travestissement que dans le fait que son travail ait peu à voir avec l’imagination et le talent narratif. Certains autres «auteurs» échappent, on se demande pourquoi, à ce genre d’accusation : tel qui dépeint son dégoût des classes populaires dont il est issu rencontre une certaine grâce, sans doute parce qu’il illustre à son tour la fameuse lamentation réformiste citée plus haut et peut-être également parce que la représentation échappe à la matière même de l’écrit. L’on achète moins le livre que la posture de l’auteur, pulsion entretenue par des médias qui n’aime pas le contrefait, sauf s’il devient paroxystique, lui préférant le glamour et le touchant (ah, le bafouillage charmant de Modiano!). Revenons à notre Goncouré, paresseux, médiocre transcripteur, si le fait est avéré. En quoi devrions-nous en définitive nous offusquer d’une telle pratique puisqu’elle est entérinée dans les mœurs de la production dite «littéraire», et dont les employés, on l’a vu il y a peu, se permettent de mépriser La Métamorphose de Kafka, par exemple(1), le jugeant «malaisant» ?
Citons Stevenson(2) :
«Cette insistance sur les aspects ternes de la vie et la mesquinerie de l’homme est dans le fond une bruyante déclaration d’incompétence. Peindre un homme sans aucune espèce de poésie (...) révèle plutôt les insuffisances de l’auteur.» Car, dit-il, «les causes de la joie d’un homme sont souvent difficiles à cerner. Elles ont si peu de rapport avec l’extérieur (tel que l’observateur l’inscrit dans son carnet) qu’elles n’y touchent peut-être même pas — et la véritable existence de l’homme, pour laquelle il consent à vivre, serait uniquement réservée au domaine de l’imagination. Il est possible que l’homme d’Église, à ses moments perdus, gagne des batailles, que le fermier pilote des navires, que le banquier triomphe dans les arts (...). Dans pareil cas, la poésie court, souterraine, et l’observateur (pauvre âme, avec ses documents!) est toujours au mauvais endroit. Car prétendre “observer” l’homme, c’est aller au-devant de bien des déconvenues. Nous voyons le tronc d’où il tire sa subsistance, mais lui-même est bien au-delà, déployé dans le dôme du feuillage, traversé par les murmures du vent, peuplé de nids de rossignols. Et le véritable réalisme est celui des poètes, qui grimpent après lui comme un écureuil et ainsi entrevoient un coin du ciel pour lequel il vit. Oui, le véritable réalisme, toujours et partout, est celui des poètes : découvrir où réside la joie, et lui donner une voix bien au-delà du chant. Car manquer la joie, c’est tout manquer. Dans la joie des acteurs réside le sens de toute action. D’où l’irréalité obsédante et vraiment spectrale des ouvrages “réalistes”. (...) Car aucun homme ne vit dans la réalité extérieure, parmi les sels et les acides, mais dans la chaude pièce fantasmagorique de son cerveau, aux fenêtres peintes et aux murs historiés.»
Mais qui se soucie encore de Stevenson? Et qui se préoccupe de littérature ?

(1) Émission La Grande Librairie, mai 2023 — Lien
(2) Extraits de : Essais sur l’art de la fiction, cités sur le site Périphéries— Lien