— « Euh… dites, Tenancier…
— Quoi encore ?
— Quelle est votre
opinion sur…
— Ah non, ça ne va pas
recommencer ? L’autre fois, vous me demandez mon avis sur une connerie
ministérielle et paf deux jours après, qu’est-ce qui déboule ? Christine
Angot qui cite Duras dans Libération sur le même sujet ! Pour le coup, je
me sens mal, moi, j’ai l’air d’adhérer par anticipation. Partant du même
principe, comme je vais répondre à vos questions à la noix, on risque de se
retrouver à faire de la table tournante en compagnie de Maurice Druon, Michel
Droit et Jean Dutourd ! Du gore en direct. Bientôt quand je vais vous voir
arriver, faudra que je fasse provision de pattes de lapin ! Merdalors,
Christine Angot ! Duras ! Libération ! La scoumoune, quoi.
— Je ne peux pas dire le
contraire, Tenancier, mais qu’est-ce que vous êtes ronchon, vous alors !
— Quand on m’importune,
toujours.
— Je peux vous poser la
question, oui ou non ?
— Vous pouvez toujours
essayer, pas sûr que je réponde.
— Alors, c’est Jean-Luc
Mélenchon qui…
— Je vois. Laissez
tomber.
— Eh bien quoi ?
— Vous alliez me dire que
Mélenchon n’aime pas
Assassin Creed
parce que ça dit du mal de Robespierre, c’est ça ? Alors ne vous fatiguez
pas parce qu’encore une fois vous me posez des questions sur les conneries proférées
par mes contemporains et que je m’en bats un peu les choses, voyez-vous.
— Tout de même…
— Pfff… Qu’est-ce que
vous voulez que je dise ?... En plus ça va me mettre mal avec des gens que
j’aime bien, même s’ils aiment un peu trop les Jean-Luc. En gros, le stalinien
au petit pied, là, il est dans son rôle : ça bat de l’estrade, ça vitupère
à bon compte, et puis quoi ? On va retirer le jeu de la vente ?
— Oui, mais les valeurs
de la République…
— Ouais, les
anachronismes relevés par les historiens, les portrait caricaturaux… si vous
voulez une analyse sérieuse allez donc voir du côté des historiens. Tenez, il y
a un blog consacré à la Révolution, jetez un oeil
là, on en parle et c’est
intéressant. Cela dit, c’est aussi à côté de la plaque, selon moi, au sujet de
ce jeu. Et puis, votre République, hein, demandez donc à la Ligue des Droits de
l’Homme, vous en aurez des nouvelles.
— Pourquoi « à côté
de la plaque ».
— Parce que tout le monde
feint de penser que ce jeu qui consiste à dessouder ses — presque —
contemporains serait une œuvre de l’esprit. Or ce machin est un produit
ludique, distribué certes par une boîte française mais dont la zone de
chalandise est le monde entier.
— Et alors ?
— Faut tout vous dire, à
vous ? Vous avez souvent l’intention de venir me faire votre numéro ?
Bon, j’explique : ces jeux empruntent des marqueurs qui n’appartiennent ni
à l’histoire ni à la culture réelle. Les archétypes utilisés —
guillotines, drapeau tricolore, Bastille — sont utilisés pour baliser le
jeu, ce sont simplement quelques briques disposées pour le repère du joueur,
pour lui vendre de « l’exotisme ». Ces éléments font partie d’un
fonds qui doit plus aux lieux communs que la complexité du réel. Ce n’est pas une thèse pour faire réfléchir
Kevin sur le côté LOL de la période
thermidorienne. Tiens, c’est comme
Notre
Dame de Paris.
— Ah, Hugo…
— Non ! Disney.
— Une de vos comparaison,
encore ?
— Oui : vous vous
souvenez de la cathédrale, dans le truc honteux qu’ils osent appeler
« dessin animé » ?
— Vaguement.
— Le beau parvis, devant,
qui a été dégagé sous… Viollet Le Duc, par exemple ?
— Anachronisme, voilà.
— Oui, mais voulu !
Aussi volontaire que les archétypes utilisés pour
Assassin Creed ! Kevin se tape comme de sa première cartouche
Sega de l’histoire de la Révolution française. Mathiez ? Inconnu au
bataillon. Fume c’est du conventionnel. En revanche on y retrouve toute
l’imagerie idiote qui traîne dans le monde entier et c’est normal, c’est un
produit avec des vrais morceaux d’artefacts virtuels dedans, c’est du reconstitué
après lyophilisation mondialisante, sachant que la première clientèle pour ces
machins est anglo-saxonne et qu’
Assassin
Creed doit plus aux histoires du Mouron Rouge de la Baronne Orczy qu’à un
livre d’Histoire de l’école primaire. C’est de l’imagerie à touriste, rien
d’autre. Bref, de la connerie en barre, mon cher. Même pas de quoi s’insurger,
c’est un produit calibré issu de l’économie libérale, fabriqué pour aliéner un
chouïa et certainement pas pour conscientiser l’éventuel utilisateur. Ils ne vont
tout de même pas se tirer une balle dans le pied… Du reste le peuple y semble
considéré comme une bande de salauds. Tiens ! Comme dans
Métronome de Lorant Deutsch.
— Sauf que ce dernier
fait de l’histoire…
— … comme je suis meneuse
de revue à l’Alcazar. Et à mon avis, j’ai plus mes chances. Au fait, à propos
de trucs intelligents, vous vous souvenez de la loi sur les publications
destinées à la jeunesse ?
— Oui, enfin, je crois.
Vous voulez faire allusion au fait que le moindre journal devait contenir
quelques pages à vocation pédagogiques, quelque chose comme ça ?
— Vous vous souvenez des
rubriques « Le Saviez-vous ? » dans
Météor,
dans
Battler Britton, etc. ? Eh
bien, vous savez quoi ?
— Non, mais je ne vais
pas tarder…
— Tout juste. Eh bien on
dirait qu’il n’y a pas de rubrique pédagogique dans
Assassin Creed.
Étonnant,
non ? Mais il est vrai que c'est un produit classé « 18 ans et
plus ». Je me résume : aucun alibi pédagogique, produit industriel
calibré, marchandise spectaculaire, une bonne daube contemporaine, quoi.
— Donc, Mélenchon…
— Merci de me remettre
sur les rails, mon vieux. En définitive, je lui donne raison de ne pas
être content. Étant donné qu’on nage dans le bonheur, que le stade ultime de la
lutte des classes a abouti à l’utopie socialiste, les seuls moments
d’exaltations militantes se situent bien au niveau de la critique d’un jeu vidéo.
— Vous persiflez.
— Moi ?
Jamais ! Je ne me permettrais pas, voyons. N’empêche que je me ferais bien
une partie. J’ai vu des mômes jouer sur des versions antérieures, c’était assez
bluffant.
— Vous jouez,
Tenancier ? J’aurais jamais cru.
— De temps en temps sur
des jeux de stratégie, mais attention, hein, y’aurait de quoi redire sur les
manœuvres des hastatis dans la légion romaine, c’est pas du tout crédible, je
trouve !
— Ah ?
— D’ailleurs, je vais
faire un communiqué ! Faut pas déconner avec la légion romaine… »
(Post scriptum quelques heures après : au même moment, le blog Le Moine Bleu fait un billet sur le Jean-Luc. On adore).