jeudi 16 octobre 2014

Un naufrage...

Ah le beau poème patriotard !

Une Revanche


A la pointe du môle, en plein vent, sous les grains,
Maître Hervé, le pilote, entouré de marins
Guette l’horizon noir ! — La mer est démontée !
Il vente du suroît et la vieille jetée
Comme une immense épave oscille lourdement !
Le phare, éclaboussé par le flot écumant,
Dresse son profil clair sur le ciel couleur d’encre ;
Dans les agrès vibrants des bisquines à l’ancre

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La rafale, en tournant, sonne des carillons ;
Les goëlands du large, au gré des tourbillons,
Plus loin que les toits bleus et les falaises vertes
S’en vont, le cou tendu, les ailes grand’ouvertes,
Et les rudes marins, le béret sur les yeux,
Suivent leur vol hâtif d’un regard soucieux !...
 
« Mauvais temps, dit l’ancien, et que Sainte Anne veille
Sur ceux qui sont en mer par une nuit pareille !
Grâce à Dieu, les pêcheurs sont tous rentrés au port
Et les patrons lassés peuvent quitter leur bord…
La place est sûre…, à moins que le quai ne chavire !
N’a-t-on pas signalé, tantôt un grand navire
Qui, les focs amenés et les huniers en bas,
Cherchait à fuir la côte et n’y parvenait pas ?
Nous sommes en marée et la bourrasque augmente !
S’il force le courant et si, dans la tourmente,
Les hommes tiennent bon sous les lourds paquets d’eau,
Ce sont de fameux gars et c’est un fier bateau !
Mais depuis soixante ans, je connais nos parages…
De cet endroit, j’ai vu peut être cent naufrages
Et j’aurais souhaité n’en pas voir un de plus ! »
 
L’ancien se cramponnant avec ses doigts perclus
Aux murs luisants d’embrun, fouille la nuit profonde…

Quand soudain, dominant la tempête qui gronde,
Des cris désespérés, longs comme des sanglots ,
Sortent du gouffre sombre où mugissent les flots !
« Ils sont là, devant nous !... » murmure le bonhomme.
« Ah ! les pauvres garçons ! Aussi vrai qu’on me nomme
Jacques Hervé, le pilote, ils sont perdus… perdus !
Ces cris-là, je les ai bien des fois entendus…
C’est fini ! — L’équipage est à bout d’ énergie…
Tous ont peur, maintenant, et l’homme de vigie
A reconnu d’en haut les écueils du chenal !...
Jamais semblables cris ne m’ont fait tant de mal,
Mais qui donc oserait leur prêter assistance,
D’une mer si mauvaise et d’un tel coup de vent,
Et nous n’aurions pas fait cinq brasses en avant
Que l’embarcation tournerait dans les lames !
Ah ! les pauvres garçons ! Bien sûr, ils ont des femmes
Et des petits enfants, là-bas, dans leur pays,
Et des petites sœurs comme vous, mes amis,
Et des parents âgés qui, les suivant en rêve,
Attendent pour mourir leur retour à la grève !
C’est bien fini ! — Jamais ils ne retourneront ! »
 
Parmi les matelots qui l’écoutaient en rond,
Une très faible voix lui répondit : « peut-être ?... »

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Il se fit un silence et l’on vit apparaître
un mousse de quinze ans, grêle comme un fétu.
L’ancien lui demanda : « Comment t’appelles-tu ?
Parle vite et dis-nous, en deux mots, ton idée ! »
 
« Je m’appelle Gildas ; ma mère est décédée,
Mon père est mort au Banc et je suis orphelin !...
Qu’on attache une amarre au bout d’un long filin
Et j’irai la porter au navire en détresse…
Vous pouvez vous fier, pilote, à mon adresse…
Ma barque s’est perdue, un soir, dans les brisants
Et je m’en suis tiré… Je n’avais pas onze ans !
La bateau, si j’arrive, au milieu de la passe,
Pourra, sur cette amarre, attendre la mer basse ;
C’est convenu, pilote ? »
« — Convenu ! dit le vieux.
Ton audace m’enchante et j’en suis envieux.
C’est dommage, vraiment, que mon épaule tremble ;
Si j’étais moins cassé nous partirions ensemble !...
Petit, que le bon Dieu te garde ! Embrasse-moi ! »
 
Le mousse au bord du quai, lentement, sans émoi,
Déposa ses sabots et son tricot de laine ;
Puis, les jarrets pliés et prenant son haleine,
Il se signa trois fois et lestement plongea

L’ancien parlait encor qu’il était loin déjà !
« Hardi ! lui criait-il… Résiste, petit mousse,
Au jusant qui commence, et nage sans secousse…
Comme un brin de varech, laisse-toi balancer.
Hardi ! Gildas ! Demain, pour te récompenser,
Parce que ton courage est plus grand que ta taille,
Ces messieurs de Paris t’enverront la médaille ! »
 
Le mousse s’en allait au milieu des remous,
Doucement, sans effort des bras ni des genoux ;
Les vagues, tour à tour, l’enlevaient à leurs cimes
Ou, le halant au fond d’insondables abîmes,
Le roulaient, l’aveuglaient et lui tordaient les flancs !
Le tonnerre grondait, et de longs éclairs blancs,
Parfois, illuminaient la grande mer neigeuse !
Et sous les hurlement de la nue orageuse,
Mêlés aux hurlements des mondes sous-marins
Il allait sans frayeur, la corde autour des reins.
 
Tout à coup, éclairé par la foudre, — à dix mètres,
Gildas vit le bateau ! — Son nom, en grosses lettres,
Apparut au bordage : Empereur Frédérick.
Le mousse eut un frisson dans l’eau ! — C’était un brick
Chargé de bois du Nord qui venait d’Allemagne !...

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Or l’aîné des Gildas avait fait la campagne ;
Un matin qu’il était de grand-garde, en plein champs,
Vingt Uhlans qui passaient, de leurs sabres tranchants,
L’avaient mis en morceaux ! — Ah la belle victoire !
Leur mère, très souvent, racontait cette histoire
Afin que le plus jeune, un jour vengeât l’aîné !...
Et voici qu’un navire allemand entraîné
Sur les récifs voisins, va couler sans nul doute
Si lui, Gildas, hésite et s’il s’arrête en route !......
Mais il n’hésita pas, le brave enfant breton ;
Il accosta le brick, rasé comme un ponton
Où les vingt matelots refoulés à l’arrière
Priaient ! — pour que la mort les trouvât en prière !
 
Donc Gildas a sauvé le navire allemand !
Au fond du port il est à quai, tranquillement ;
Il s’est, toute la nuit, maintenu sur l’amarre
Et dans une accalmie il a doublé le phare ;
A l’aube, les pêcheurs l’on entré dans le sas.
Debout, la tête nue, ils attendent Gildas,
Et maître Jacques Hervé, qui pourtant n’est pas tendre,
Sanglote en embrassant le mousse. — Il faut l’entendre :
« Ah que je suis content, petit, si tu savais !
C’est d’un garçon pareil, jadis, que je rêvais !



 
Sur un gars comme toi la mer n’a pas de prise,
Et tu seras patron avant la barbe grise ! »
 
A son tour, humblement et lui tendant la main,
Le commandant du brick s’approche du gamin ;
Gildas, les yeux mouillés, le regarde impassible !
« Non, j’en ai fait assez, dit-il… c’est impossible !
Mon frère étant, un jour de grand’garde, en pleins champs,
Vingt Uhlans l’ont taillé de leurs sabres tranchants,
Tandis qu’à mois tout seul, j’ai sauvé vingt des vôtres !...
 
Nous comprenons ainsi la revanche, nous autres ! »

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Ce monument de kolossale stupidité fut publié en 1889 par un éditeur habitué de ce genre de production : Alphonse Lemerre, également éditeur de François Coppée, qui n'était pas en reste dans la sottise ronflante. Mais que tout cela est frais, qu'est-ce que cela ravigote ! C'est bien avec ce genre de poésie ci-dessus que l'on constate un appauvrissement des forces réactionnaires actuelles qui n'ont même plus le sens du kitsch. Bref, nous vivons une époque assez minable, si vous voulez m'en croire !
Cerise sur le gâteau, on s'avisera que la présente plaquette fut lue in extenso à l'Assemblée générale des Sauveteurs Bretons, ce qui me fait songer que le poète en question, Eugène Le Mouël, fut assez prudent pour se garantir du naufrage que représentait cette lecture.
On trouvera ci-dessous la page de titre (qui équivaut à la couverture, plutôt sale) de cette plaquette, « fleuron » de la bibliothèque personnelle du Tenancier...




On voudra bien excuser les approximation de mise en page du poème, le html se prêtant assez peu à ce genre d'exercice...

mercredi 15 octobre 2014

Une historiette de Béatrice

« QUOI ? 13 euros pour ce petit livre ? »

Guide Joanne des Landes, 1906.

 Cette historiette a été publiée pour la première fois en septembre 2011 sur le blog Feuilles d'automne

Kaiserlick

Kaiserlick : Autrichien. — De l'allemand Kaiserlich : impérial. — « Les kaiserlicks on été étourdis du coup. » (Balzac.) — On dit, en altérant, kinzerlitz.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

mardi 14 octobre 2014

A la mémoire de H.M.B. Wharfinger


Parce que Brauquier est inextricablement lié à Marseille et parce que l'ombre de Conrad s'y profila également en des temps à peine plus reculés...


(l'édition originale)

lundi 13 octobre 2014

Jabot

Jabot : Estomac. Comparaison ornithologique. — « Enlevé la miche ! cinq minutes après nous l'avions dans le jabot. » (Comment. de Loriot)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Jabot : Estomac. Enfonce-toi ça dans le jabot.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

(Index)

dimanche 12 octobre 2014

Haw haw haw...

Icicaille, Icigo

Icicaille, Icigo : Ici — Adjonction finale. V. Dardant

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Icigo : Ici.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

(Index)

vendredi 10 octobre 2014

Morale de l'histoire

Habillé de soie

Habillé de soie : Cochon. — Mot à mot : habillé de soies. Jeu de mots.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

Une historiette de George

En ce moment je récupère progressivement dans un appartement voisin une bibliothèque de bons poches classiques, pas loin d'un millier, trois cartons à bananes sur un diable à chaque voyage. Tout ça gratuit, juste pour débarrasser.
Je devais y retourner la semaine passée pour un dernier voyage, mais le temps manque.

Enfin… le temps, c'est-à-dire surtout la place : il faut d'abord dégager de l'espace, vider les cartons fraîchement arrivés pour pouvoir en accueillir d'autres, et cela prend du temps (toujours le même problème kantien des conditions a priori de la perception…).
Or si le temps manque, c'est aussi parce que pas un jour ne se passe sans que je ne sois assailli d'appels téléphoniques commerciaux :
— « Bonjour, je suis M. Untel, j'ai d'intéressantes propositions à vous faire en matière de sécurité de vos locaux… »
— « Allô, je me présente : Mme Truc. Savez-vous que vous avez droit à des réductions d'impôts ? »
— « Bonjour Monsieur, nous vous proposons de changez vos fenêtres à des prix très attractifs… »
(alors là, la communication ne dure pas longtemps car il n'y a pas de fenêtre dans la boutique, juste une vitrine).
Je me rappelle avoir répondu un jour à quelqu'un qui me proposait de changer d'opérateur téléphonique que… je n'avais pas le téléphone !

Hier, la mesure était comble : ça n'arrêtait pas de sonner, rien que pour des dérangements intempestifs.
Au cinq ou sixième appel, j'en avais carrément marre, je répond beaucoup plus sèchement :
— « Allô, bonjour, ici Mme Jaeger…
— Hé bien, désolé, nous allons nous quitter immédiatement ! »
Et clac ! je raccroche aussi sec.

Cinq minutes plus tard, le téléphone sonne à nouveau. Grrrmbll !
« Excusez-moi, ici Mme Jaeger, vous savez, la personne chez qui vous deviez venir terminer de vider la bibliothèque… »

Gabegie

Gabegie : Fraude. Du vieux mot gaberie : tromperie — « Assurément, il y a de la gabegie là-dessous. » (Desiys.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

jeudi 9 octobre 2014

L'hiver

Votre Tenancier a passé la barrière depuis pas mal de temps. Mais, dans sa jeunesse, il contemplait également l’avenir les yeux mi-clos dans la jouissance anticipée de tout ce qui pouvait arriver. Même pas peur ! Il lisait avidement ce qui lui tombait sous la main, allant généralement au plus facile ou alors à ce qui ressortait d’une mystérieuse évidence : une fièvre secrète qui présidait aux images induite par ses lectures et ses visionnages. Images ou textes d’autant plus précieux que cela ne se livrait pas si facilement, que la parcimonie entraînait à la répétition, à la réécoute, au « revisionnage » y compris dans une rêverie entretenue par l’ennui. Cela se passait souvent au seuil de la nuit et se prolongeait jusqu’au basculement vers le sommeil. L’hiver était alors une saison propice à la prorogation de cette errance. Votre Tenancier rêvassait alors à livre refermé et se prélassait longuement dans la limite ténue qui précède le sommeil. Il en a parfois la nostalgie.
Parfois, cela revient : une image, un son. Au lieu de récriminer à cette raréfaction, votre Tenancier, les yeux légèrement clos, revoit cet avenir figé dans une stase, une sorte d’hiver qu’il voudrait voir durer. Et puis il appareille.

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