jeudi 28 juillet 2016

Trieste

Les coïncidences en matières littéraires abondent, elles se font parfois insistantes, à moins qu’au lieu d’évoquer le hasard on accuse un inconscient soudainement devenu réceptif à certaines stimulations. Tout à coup, des connexions s’opèrent, des substances chimiques dans le cortex sont libérées, des paramètres exotiques se font jour dans le psychisme. Autant penser à cela plutôt qu’à un message divin ou de la CIA, ce qui me porterait fâcheusement à porter une calotte confectionnées avec du papier alu sur ma calvitie désormais triomphante. J’aurais l’air fin. Généralement, les injonctions sont subtiles. On se dit « Tiens, c’est marrant, je viens à l’instant de finir son bouquin et voilà qu’il y a une émission sur Tartempion » ou bien le coup de fils d’un pote inquiet : « Ça fait la deuxième fois qu’on apprend la mort de quelqu’un après que tu ais acheté son livre ». Mais pour cette dernière remarque, on se réserve le plaisir de vérifier une troisième fois à propos d’écrivaillons. J’ai mes listes.
Parfois, aussi, l’insistance se fait lourde, au point qu’on pourrait se prendre pour le héros de Rencontre du troisième type obsédé par une montagne…
Moi, c’est Trieste.
Au départ, l’allusion débute avec une habitude plaisante mais pas tellement assidue, celle de l’écoute de l’émission Ville-mondes sur France Culture. Le hasard du butinage sur le site de la station m’avait fait aboutir à l’écoute de l’émission en deux parties avec le sentiment diffus d’être tombé dessus déjà (le passage sur le karst ne m’était pas étranger). Pour le plaisir de vos esgourdes on vous convie à l’écouter :
 
 

Jusque là nous ne sommes pas dans le domaine de la coïncidence mais de l’heureuse rencontre. Ignare des écrivains de Trieste, de la ville même, l’appât est suffisant en y entendant l’évocation de Joyce ou de Stendhal pour que j’en fasse mon profit.
Peu de jours passent et je retrouve Trieste sur un écran de télévision, une émission d’Histoire relatant la difficile scission des habitants lors du rattachement de la ville à l’Italie au sortir de la guerre mondiale. Je passe rapidement car, pris par des obligations diverses, je ne pouvais m’y arrêter. Mais j’ai commencé à me dire « Tiens, c’est marrant… »
L’affaire se corse lorsque, exhumant quelques Magazine littéraire d’une caisse je feuillette le n° 227 consacré à « La France Fin de Siècle ». Quel rapport, me rétorquerez-vous ? Aucun si ce n’est que ce numéro contient également un article de quatre pages intitulé « Trieste, dernière escale »… aussitôt lu avec un intérêt flambant neuf. Eh bien, l’on note de nouveau la présence d’Umberto Saba ou de Quarantotti-Gambini, voire de Svevo, tous écrivains italiens que je connais fort mal pour ne pas dire pour certains pas du tout ! J’y apprends l’origine triestine de Leonor Fini, le passage des ombres de Larbaud ou de Rilke, la dèche de Joyce. Je m’inquiète surtout de ces signes répétés en si peu de temps. Pourquoi donc Trieste ? Non que j’y sois rétif mais quitte à m’intéresser à une ville italienne, ce serait plutôt Naples, par exemple…
 
 
Mais, de ces maigres connaissances, je perçois à quel point le lieu est une limite, une frontière cosmopolite et indécise une rencontre intéressante. Cependant rien ne me permet de m’inquiéter encore : trois coïncidences successives peuvent arriver, le codage du simulateur de réalité dans lequel nous vivons n’est pas à l’abri d’accidentelles réitérations… J’ai bien vu, une fois, des dizaines de nuages identiques se côtoyer.
Il est des moments où on finit tout de même par jeter un coup d’œil par-dessus son épaule avec inquiétude. Ainsi, alors que j’allais chercher un ouvrage commandé chez mon nouveau libraire de neuf, je tombais sur une pile de livres de chez Allia en promotion. Si Les mémoires d’un travesti (attribuées à Erik Losfeld !) avaient attiré mon immédiate attention, la couverture d’un autre ouvrage dont le titre est — bien sûr — Trieste, par Roberto Balzen n’a pu que me saisir. Que faire sinon l’acheter et le lire ? J’avais rencontré Balzen dans l’article du Magazine littéraire, avec cette suite de notes qui emprunte le ton du tutoiement, évoquant le vent de Trieste, la Bora, qui rend fou, et puis aussi le souvenir des fonctionnaires austro-hongrois et de leur probité… On retrouve cette même nostalgie un peu désolée à propos de ces fonctionnaires dans l’émission de France Culture. Le texte est doté du charme déchu d’une miette d’empire, doté d’un humour exquis. Un livre qui reviendra de temps en temps sous mes yeux.
 
 
Est-ce que je cherche la petite bête, dites-moi ? Est-ce la soudaine fécondité de mon inconscient qui me met à l’affût de toute allusion à la ville ? Je décide de forcer le destin et commande — d’après le même article du Magazine littéraire — un ouvrage de Svevo, un de Saba et celui de Franck Venaille sur la ville. Il y a de quoi conjurer le sort.
Les livres sont arrivés depuis peu (mon bouquiniste à Redon, curieusement, n’avait rien sur le sujet) et je n’ai pas encore eu le temps de les lire. Cela va venir forcément.
Visiblement cela n’a pas suffit. Le lendemain de la réception du petit colis (ouvrages payés à prix fort modique, d’ailleurs, mais je ne recommande pas ce site qui vient de me décevoir), ma fille me téléphone et me fait part de ses projets estivaux, dont celui de venir voir son heureux géniteur. Quel plaisir ! Et puis, juste après sa visite, elle ira faire une petite balade en Italie. « Ne me dit pas que… » Et si : Trieste, encore Trieste, toujours Trieste !
La répétition est devenue inquiétante et puis aussi un petit peu rassurante. Cette insistance ne peut être de mon fait à moins d’être un grand télépathe (ce qui m’étonnerait fort, vu mes fins de mois). Il y a certes l’empathie qui règne entre ma fille et moi, mais elle réside surtout dans l’appétence pour les films bourrins.
On finirait par trouver tout banal. Alors que je cherchais pour le travail quelques informations sur la vie de Casanova dans la biographie de Rives Child, je n’ai pas sourcillé cet après-midi même en croisant le chapitre intitulé « Errances qui le conduisent à Trieste ».
Cela fait trois mois que cela dure.
Je gage que la série n’est pas encore terminée, quoique le fait d’écrire un billet ici aura peut-être le don d’éventer toutes velléités du destin.
Mais on ne sait jamais, la Bora souffle peut-être jusque dans mes contrées.

mercredi 27 juillet 2016

Tuileries

Quelques temps après un court échange — qu’il serait incongru de qualifier de « technique », surtout venant de moi — je reçus la plaquette ci-dessous, signée par Dominique Autrou et Hélène Verdier. Textes et photographies s’y répondent et s’accompagnent, moins mises en pages que mises en scène. J’ai pris un long plaisir à goûter lentement le livre, un acte paisible accompagné de divagations paresseuses qui allaient, évidemment, au-delà des Tuileries. Mais que dire de son contenu qui ne vaut que pour les images qu’elles suscitent en chacun de nous ? Combien de ces livres, alors que j’étais libraire, passés entre mes mains et dont la seule possibilité de les recommander était de les glisser en des mains de confiance ? Impossible de garder ici, sur ce blog, l’intimité de l’échange, cette même intimité qui nous relie à certains livres. Scanner et reproduire n’est pas montrer ou sentir – en l’occurrence, pour cette dernière sensation, la texture du papier.  Quel plaisir de recevoir ce galop d’essai (tiré à 10 exemplaires seulement) ! Il va falloir que je me mette en chasse de leurs livres. Le défaut du plaisir est qu’on doit parlementer avec le désir. On vous tiendra au courant dès qu’une édition accessible au public sortira. Il vous faudra chercher, ouvrir l’ouvrage et décider qu’il vous suivra. Pour la durée de la cohabitation, ce sera à l’amiable.

lundi 25 juillet 2016

Gazette du Vieux Paris, n° 10
(Numéro « Molière et Louis XIV»)

10/18 — Guy Leclerc : Le T.N.P. de Jean Vilar





Guy Leclerc

Le T.N.P. de Jean Vilar

n° 538

256 p. Couverture de Pierre Bernard, Jean Vilar sur scène, photos : Lipnitzki-Viollet
Série « S », dirigée par Bernard Lamarche-Vadel
Les six dernières pages occupées par un extrait du catalogue 10-18 (liste alphabétique par nom d'auteurs et liste numérique des ouvrages)
Volume simple
Achevé d'imprimer le 22 mars 1971 sur les presses de l'imprimerie Bussière, Saint-Amand (Cher)
N° d'édit. 404 - N° d'imp. 172 - Dépôt légal : 2e trimestre 1971

TABLE DES MATIÈRES :

Première partie : L'ILLUSION LYRIQUE

I. L'instrument scénique
II. Un théâtre d'héritier
III. La Fête et la Culture
IV. La Résistance et la Démocratie culturelle

Deuxième partie : LE MUSÉE IMAGINAIRE

I. Chefs-d'oeuvre du passé et public d'aujourd'hui
II. Public populaire et public ouvrier

Troisième partie : LA CONSCIENCE CIVIQUE

I. Les feux croisés de Suresnes
II. Sénateur contre metteur en scène
III. L'engagement politique et le théâtre de la conscience
IV. Les rôles archétypes

Quatrième partie : LA TRAGÉDIE DE NOTRE TEMPS

I. L'Homme et la Guerre
II. Le stalinisme
III. Le Pouvoir et la Tyrannie
IV. L'Argent : le Capitalisme
V. Le Pouvoir gaulliste
VI. La guerre d'Algérie ; le Fascisme
VII. La guerre atomique
VIII. L'Homme devant le Pouvoir

Cinquième partie : LA MORT DE L'IDÉALISME

I. Théâtre idéaliste et théâtre matérialiste
II. La critique de gauche : « Théâtre Populaire »
III. La critique de l'idéologie

Conclusion

Bibliographie

(Contribution de Grégory Haleux)
Index 

dimanche 24 juillet 2016

Des navions

Ces vignettes — d'un format à peine lisible et considérablement agrandies ici — ornaient un article sur le Salon de l'aéronautique dans le numéro de novembre 1922 de Lectures pour Tous.

samedi 23 juillet 2016

Si tu veux pécho des vieux, lis des livres !

Le Tenancier & Casanova

Vous connaissez le Tenancier : d’une équanimité à toute épreuve, même qu’on pourrait prendre ça pour de la catatonie si l’on ne remarquait pas la mobilité de ses yeux aux reflets intelligents. Toutefois lorsqu’on lui présente un texte d’autofiction, il ne faut pas vous le cacher, cela lui fait mal. À ce moment-là, il quitte se réserve naturelle et vitupère. Il faut bien dire que cet afflux de textes inutiles qui paraissent à la pelle — à la pelleteuse, même — a de quoi énerver lorsque l’on aime la littérature. Souvent, on apprend que ces livres sont l’aboutissement d’une séance chez l’analyste. On imagine que le spécialiste n’en pouvant plus des banalités qu’on a pu lui répandre dans la trompe d’Eustache a dû se dire que ce serait une belle revanche sur sa vie de merde en faisant partager les turpitudes de ses clients. Je confirme, cher psychanalyste, vous avez une vie de merde et je ne l’envie pas, surtout à la lueur des textes autofictifs. Ce ne doit pas être drôle tous les jours. Cela dit, les lecteurs de ces vaticinations ont un moment l’impression de jouer votre rôle, certes sans le canapé et l’argent ramassé en fin de séance. Mais on voit bien que vous ne volez pas cet argent quand on lit ce qu’on lit. Il y en a d’autres qui entreprennent d’écrire sans la sollicitation du psy. Mettons les en garde ! Quitte à écrire sur sa vie inintéressante, autant qu’elle soit écrémée d’abord par un spécialiste. À la grande époque, où c’était franchement tendance, vous pouviez même vous passer de style. Précaution superflue, d'ailleurs : beaucoup d’éditeurs se sont passés depuis longtemps de réviseurs et de correcteurs, donc cela tombait bien.
Enfin, voilà où en était — en gros — la pensée de votre Tenancier chéri. Et puis, il est tombé sur un auteur qui a justement écrit sur les conseils de son médecin. Et là, il a bien fallu se dire qu’il existe des exceptions à l’autofiction comme :
Giacomo Casanova.
 Mais quitte à avoir affaire à un escroc, autant qu’il soit brillant.

Gazette du Vieux Paris, n° 9
(Numéro « Théophraste Renaudot »)

mercredi 20 juillet 2016

Jeu promotionnel où y'a rien à gagner

http://www.souslacape.fr/livres/fiche_livre/323

On pardonnera au Tenancier d'insister lourdement sur cette publication, mais l'éditeur est un handicapé dès lors qu'il s'agit de vanter ses productions. Ils sont quelques uns comme ça. Certaines mauvaises langues pourraient prétendre que cette paralysie serait méritée étant donné la teneur du présent recueil. Ils se trompent, bien évidemment. À une époque où on ne se prive pas de toucher le fond de bien des manières, il est rassurant de découvrir que cette course vers l'abîme peut se révéler ludique pour les auteurs et amusante pour les autres.
Enfin, traditionnellement depuis deux ans, on vous présentait des jeux estivaux : charades, mots croisés, devinettes, etc. Mais voilà, vous avez dû remarquer que votre Tenancier était occupé à déménager, emménager, se soigner et d'autres choses encore, ce qui l'a empêché de solliciter votre sagacité, désespérante puisque vous êtes plutôt incollables. On ne désespère pas de recommencer, peut être avant l'été prochain. En attendant, voici un jeu promotionnel... où il n'y a rien à gagner parce que l'auteur et l'éditeur sont fauchés.
Ci-dessous, vous trouverez un large extrait du livre. Saurez-vous retrouver le pseudonyme (et donc le texte) derrière lequel se cache votre Tenancier chéri ?
On vous prévient, c'est très con. Mais rien n'arrête le Tenancier, surtout lorsqu'il s'agit de se faire plaisir...

Pour retrouver le texte,
cliquez
ici

lundi 18 juillet 2016

Le pire est toujours à craindre...

C’est pas de sa faute, c’est l’éditeur qui l’a forcé !
La seule consolation, c’est que votre Tenancier n’était pas seul dans cette histoire...

http://www.souslacape.fr/livres/fiche_livre/323


À commander chez l'éditeur au prix de 18 €

samedi 16 juillet 2016

vendredi 15 juillet 2016

Le Tenancier en province

Le Tenancier a passé l’autre côté du miroir. Oh, ne vous attendez pas à un outing tonitruant. Comme il le disait par ailleurs, votre serviteur est trop vieux pour changer certains de ses vices. Ce qu’on veut vous dire par là, c’est que n’étant plus libraire, il est devenu un client comme les autres et dans une ville de province, où les gens qui ne se connaissent pas se disent bonjour lorsqu’ils se croisent dans la rue. « Et alors, Tenancier, quel effet cela fait-il de redevenir un vulgaire pékin ? »
Rien.
Je suis le premier déçu, croyez-le. Quittant ma défroque de libraire je m’attendais un an après à subir les affres du choix, l’avidité de la moindre nouveauté. Or me voici dans les mêmes ornières avec quelque fois, le lever d’une paupière découvrant un œil torve sur un livre qui n’est ni d’occasion ni une nouveauté. Risquer quelques sesterces sur un livre neuf, voici l’audace dont je me rétribue désormais. Ravissement rare et accompagné de scepticisme. On croit l’opération aisée. Votre serviteur aurait-il eu la témérité de s’installer dans un coin où il n’y aurait nulle librairie ? On vous rassure, il y en a. Enfin, la librairie du coin est une librairie-papeterie et nous avons frôlé de peu qu’elle fût également revendeuse de presse. Nous aurions eu à la fois, les torchons, les serviettes et la wassingue… sans préjugé de cette attribution métaphorique. Cette librairie de neuf n’a rien. On s’y attendait. Outre le fait que comme quatre-vingt dix pour cent de ses confrères ses rayons sont garnis d’offices de librairie sur le quel il ne doit pas avoir un grand pouvoir de choix, ses rayonnages sont garnis d’ouvrages courants. C’est bien normal aussi. Il est surprenant déjà qu’une telle boutique survive dans une agglomération atteignant avec peine dix mille habitants et possédant des supermarchés dotés d’un rayon « culture » que l’anglomanie régnante n’a pas encore changé en « entertainment », métamorphose pourtant méritée. Heureusement, on peut commander. C’est la mission et le devoir du libraire : répondre à toute demande pourvu que le livre soit accessible. On verra bien la suite de la commande passée dernièrement (un livre sur Circé, vous saurez peut être un jour pourquoi…) Donc, c’est possible, votre Tenancier chéri peut commander un livre chez un libraire au lieu d’engraisser des évadés fiscaux.
Non loin se tient un bouquiniste. Nul ne saura égaler la défunte librairie Entropie et l’amitié de Vincent. Le bouquiniste en question est poète, joueur d’échec et nous nous sommes laissé dire que ses talents ne s’arrêtent point là. On verra. Nous sommes en train de l’amadouer mais nous veillerons à rester à notre chaste place de client. Si l’on change de vie, on change de mœurs ou du moins on s’y essaye.
Voilà, le Tenancier est installé au loin, sans fuir les pertes, les morts de proches et d’amis mais avec le sentiment de la persistance ténue mais réelle (les statistiques du blog en témoignent) d’amitiés quelque part.
C’est réconfortant.
Ici le Tenancier suspend son pas et se tourne vers son alter ego :
« — Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?
— On continue la mission…