Il y a peu, dans des circonstances que je ne me suis pas
donné vraiment la peine d’approfondir, un groupe d’étudiants a déchiré ou abîmé
un certain nombre de livres dont l’auteur était François Hollande. Le nom de ce
dernier importe peu, d’ailleurs, tant la médiocrité d’un personnage politique
se révèle interchangeable… Je ne me pencherai pas non plus sur la revendication
étudiante qui, si elle me semblait justifiée, ne s’en prenait en réalité qu’au
piètre représentant d’un système au bout de sa représentation. Bien évidemment,
votre serviteur s’est posé des questions sur cette histoire de destruction de
livres. D’abord, qu’un libraire put se plaindre que l’on s’en prenne à la
marchandise, mise à disposition par l’éditeur en prévision de la signature de
l’insignifiant pantin politique, pourrait paraître logique. Tout volume
endommagé n’est par forcément remboursé par les assurances, et il semble bien
que le libraire, en effet, fasse tintin, à ce sujet. Nous sommes quelques-uns à
estimer que la librairie est devenue un métier encore plus périlleux avec la
généralisation des sites sur internet. Pour autant, la survie impose-t-elle
qu’on s’autorise à vendre n’importe quoi sans en risquer le contrecoup ? Si le
libraire en question est en accord avec les idées exprimées par l’auteur,
espérons qu’il assumera les effets de la colère étudiante par solidarité
militante. S’il est en désaccord et qu’il a tenté de vendre ces ouvrages par
pur esprit mercenaire, on songera alors que se plaindre d’un tel incident est
certes de bonne guerre pour s’assurer de la sympathie… hors ceux qui réprouvent
la logique marchande consistant à vendre n’importe quoi. Enfin persiste la
question de l’acte de destruction du livre, procédé qui suscite l’anathème en
raison de ses réminiscences historiques. Il faudra tout de même un jour s’interroger,
savoir si ce genre de merde fait partie des livres. De ce côté du clavier, l’on
a fait son camp depuis pas mal de temps. Ce gâchis de papier est voué à l’obsolescence
rapide et les étudiants ont seulement accéléré le processus. L’on agrée
également que le métier de libraire s’arrange de quelques compromis, que l’on
soit obligé de vanter des livres avec lesquels on se trouve en désaccord. Mais
le curseur entre le compromis et la compromission réside dans l’éthique de la
profession : celui de promouvoir des œuvres, de favoriser la culture, même
si celle-ci peut se trouver en désaccord avec soi-même. Il nous est arrivé de proposer
des saloperies déplaisantes, de réprouver les livres qui figuraient dans les rayonnages.
On débitait tout de même ces écrivains puants, comme Céline, parce qu’il n’est
pas du ressort d’un vendeur de faire un choix, tout au plus d’orienter sa
clientèle. Celui-ci est devenu plus facile dès lors que l’on s’est retrouvé à
son compte, et d’en payer éventuellement les conséquences. Mais ces « livres
politiques », ces professions de foi à la con, cette duperie mise en page par
le moindre homoncule politicard, pourquoi les appelle-t-on des livres ? Cette logorrhée dégoûtante — de
quelque bord que ce soit —, parfois écrite avec les ressources lexicales d’un
clébard, se révèle des « coups » opérés par des éditeurs qui ont pris la place
des organes de presse. Rassurons-nous : la dévalorisation du livre va bon
train. Bientôt, ces sinistres personnages s’apercevront que leurs mensonges
publiés sous cette forme ne recèlent plus aucun prestige. Enfin, l’on sait bien
que cet épisode de destruction, comme on l’a dit plus haut, rappelle d’autres
faits plus inquiétants, plus fâcheux — plus fachos, aussi —, mais j’aurais
quelques scrupules personnels à comparer le sort d’une caisse de merdes
politicardes arrosées de café avec le bûcher confectionné à l’aide de livres de
Zweig, Walter Benjamin, Heinrich et Klaus Mann, etc.
Mais je suis sûrement de mauvaise foi.
Mais je suis sûrement de mauvaise foi.