mardi 2 février 2021

Le Tenancier au Jugement dernier

Vous connaissez le Tenancier : toujours à se dissiper dans des bouquins à la recherche de petites choses sans rapport avec les infimes bonheurs du quotidien, comme la sieste, par exemple. Le voici donc à fourrer son nez dans le petit bouquin que Le Goff publia jadis : Les intellectuels au Moyen Âge (1960). Il y rencontre au détour d’un paragraphe un personnage qu’il avait perdu de vue, mais qu’il fréquente pourtant presque quotidiennement. Il est vrai que celui-ci opère à notre insu !
Les moines qui les écrivent [les livres] laborieusement dans scriptoria des monastères ne s’intéressent que très secondairement à leur contenu — l’essentiel pour eux est l’application mise, le temps consommé, les fatigues subies à les écrire. C’est l’œuvre de pénitence qui leur vaudra le ciel. D’ailleurs, suivant ce goût pour l’évaluation tarifée des mérites et des peines que l’Église du Haut Moyen Âge a emprunté aux législations barbares, ils mesurent au nombre de pages, des lignes, des lettres, les années de purgatoire rachetées ou, à l’inverse, se lamentent de l’inattention qui leur a fait, en sautant telle lettre, accroître leur séjour en purgatoire. Ils légueront à leurs successeurs le nom de ce diable spécialisé à les taquiner, le démon Tittivillus des copistes, que retrouvera Anatole France.
Ajoutons que ce diablotin, à l’égal des gremlins de la Seconde Guerre mondiale, s’ingénie à troubler la belle ordonnance de nos mécaniques morales. Souvenons-nous qu’il induisit au péché les lecteurs de la Bible imprimée en 1631, surtout les adeptes du 7e article du décalogue en certifiant : « Tu commettras l’adultère » ! Cela valu à cette infortunée publication le surnom de Bible perverse. On peut le concevoir dans l’Angleterre du xviie siècle.
Tittivillus, dit-on, fait un sac de ces lettres et mots omis et les restituera au Jugement dernier. Cela pèsera, paraît-il, dans la balance de nos fautes. Le Tenancier, si on peut lui permettre cette expression a déjà les miches qui lui chauffent. On vous reparlera dans quelque temps de la maline incarnation de la coquille et de l’étourderie. Nous aurons des prétextes.

mardi 26 janvier 2021

Une historiette de Béatrice

« Vous n'auriez pas un autre exemplaire de ce livre en meilleur état, mais au même prix ? »
La valse des soldés à un euro reprend.

samedi 23 janvier 2021

Magie de la retouche


Le lecteur du blog n’aura pu éviter le billet édité dernièrement où l’on découvrait l’un de nos auteurs préférés dans les colonnes d’un journal de téloche, une institution même.  Comme dit Jules dans son commentaire « Julien Gracq dans Télé 7 jours ! Et vous voudriez qu'on ne soit pas nostalgique. » On peu évidemment analyser ce papier ainsi que la diffusion afférente d’Un beau ténébreux à l’ORTF comme une incongruité à l’aune de l’indigence de la production télévisuelle actuelle. Mais il ne rentre pas dans notre propos de vitupérer la connerie contemporaine. On réserve cela pour nos vieux jours, si nous avons la possibilité d’en jouir et de ne point faire trop souvent chabrot dans notre potage.
Un élément de la double page du journal a cependant attiré notre regard et a suscité une réminiscence : celle du visage du conférencier occidental représenté dans le chapitre Le visage écrit, dans L’Empire de signes de Roland Barthes. Si l’on ne détient pas le livre sous les yeux, on se souviendra toutefois des traits subtilement anamorphosés par le jeu de la typographie nippone qui laissait accroire à un une mutation du sujet… Par ailleurs, l’auteur s’exprime sur le visage et principalement sur le gommage des traits :
La face est seulement la chose à écrire, mais ce futur est déjà lui-même écrit part la main qui a passé le blanc des sourcils, la protubérance du nez, les méplats des joues, et donné à la page de chair la limite noire d’une chevelure compacte comme de la pierre. La blancheur du visage, nullement candide, mais lourde, dense jusqu’à l’écœurement, comme le sucre, signifie en même temps deux mouvements contradictoires : l’immobilité (que nous appellerions « moralement » impassibilité) et la fragilité (que nous appellerions de la même manière mais sans plus de succès : émotivité).

Photo Télé 7 jours
 
Photo de presse

Contemplons maintenant le visage de Julien Gracq dans les colonnes de Télé 7 jours et comparons-là avec un cliché prit le même jour, c'est-à-dire au moment où il refuse le prix Goncourt, le 3 décembre 1951. On constate immédiatement la retouche excessive pratiquée par le journal, au point de rendre l’auteur méconnaissable, jusqu’à provoquer la réminiscence dont on vous parlait plus haut. À ce stade de notre digression, nous nous trouvons en droit de poser une question essentielle : Télé 7 jours ne serait-il pas un organe prochinois en pleine révolution culturelle (1973, date du papier) qui aurait, par aveuglement idéologique, malice militante, où conformisme culturel du retoucheur infiltré, transformé un auteur français en créature sinisée ? L’opération fut-elle avalisée par l’auteur lui-même, déçu de sa fréquentation des cénacles pompidoliens et en quête de nouveaux horizons ? Nous n’osons le croire.
Mais cela suscite quelques interrogations. Il nous faudra attendre 2027 pour connaître la vérité, date à laquelle certains carnets de Julien Gracq seront enfin libres de consultation…
 
(L'auteur de ce billet ne confond évidemment pas Japon et Chine et le rapprochement de ces deux cultures reste le pur produit des déductions de votre Tenancier dans ce cas précis.)