jeudi 16 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 14


Pierre Laurendeau
Le Piège

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques jolies guêpes.



Le Tenancier : Joli conte cruel que ce Piège ! Dans ton dernier recueil (Le Passage clandestin, dans ta collection Samizdat) tu fais le compte de tes influences : Topor, Bettencourt et Cavazzoni — encore un auteur à ajouter sur ma liste. Faut-il également songer à Jacques Sternberg ?
 
Pierre Laurendeau : Sternberg ? Je n’y avais pas songé ! Merci de me le rappeler… Ce Piège a été écrit une fin d’été particulièrement riche en guêpes et frelons. Nous avions installé sur la terrasse un piège à guêpes très simple : on découpe une bouteille d’eau minérale aux deux tiers et on inverse la partie haute, qui devient entonnoir. Dans la partir basse, un mélange de substances à base de miel (pour les riches) ou de sucre (pour les pauvres). L’an dernier, notre petit-fils, Martin (5 ans), nous a suggéré d’ajouter au mélange du café. Les pièges ont été redoutablement productifs : guêpes et frelons se piétinaient littéralement jusqu’à former une couche compacte de quelques centimètres d’épaisseur, les vivants pataugeant dans une espèce de boue constituée du liquide initial et des morts. Plusieurs scènes de cannibalisme pour ajouter une touche d’horreur à ce spectacle peu ragoûtant… Et je pensais à mon conte, cruel certes, mais bien plus fade que la réalité !

mercredi 15 novembre 2023

Avertissement

Je frissonne à l’idée que des locdus de bas étage, des ambitieux sans scrupules, des amoindris, des refoulés, des invertébrés, des combinards, des zaprogains, des vicieux et des pommes-à-l’eau pourraient avoir la prétention de se reconnaître dans les merveilleuses pages qui suivent.
Cette histoire est fictive ainsi que tout son matériel. D’ailleurs la vie ne serait pas fichue d’inventer des trucs pareils.
Qu’on se le dise !
      S.A.
San Antonio : Le coup du Père François (1963)

mardi 14 novembre 2023

lundi 13 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux édition Deleatur — 13


Charles Perrault
Le Petit
Chaperon rouge

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques croqueurs de galettes



Le Tenancier : On oublie un peu trop souvent la cruauté des contes de Perrault et en général des littératures enfantines des siècles passés. Serait-ce par hasard le terreau d’un certain fantastique qui se développe de façon souterraine en France et dont on découvre des résurgences ici et là, comme dans cette collection ?
 
Pierre Laurendeau : Tu as raison, ô Tenancier ! Les contes pour enfants sont cruels, c’est en cela qu’ils sont formateurs de défenses psychologiques. Un enfant qui ne lirait que des histoires de parents séparés et de classes multiculturelles (je ne dis pas qu’il n’en faut pas) ne connaîtrait pas ce frisson salvateur de la peur du loup. L’hiver dernier, nous avons accueilli à la montagne une nièce de ma femme, qui est venue avec sa fille de 7-8 ans, très dégourdie et d’une curiosité de tous les instants… Je les ai emmenées se promener au-dessus de notre maison et, tout en marchant dans la neige, j’ai parlé du loup, très présent dans notre coin des Hautes-Alpes. Je sentais la jeune Manon à la fois excitée et inquiète. « Tu crois qu’on va en voir un ? » me demande-t-elle. Je lui réponds : « C’est peu probable, mais on verra peut-être ses traces dans la neige… » Juste à ce moment-là, nous débouchons sur un pré (enneigé) avec un reste de massacre de chevreuil – du sang, des poils et une mâchoire inférieure caractéristique. Je me tourne vers Manon, un peu inquiet : « Hum… là, ce n’est pas très cool… » Elle se précipite vers la mâchoire : « Génial ! » Et, se tournant vers sa mère : « Est-ce qu’on peut la rapporter chez nous ? » L’anecdote est révélatrice de l’écart entre l’idée que se font les adultes (notamment les éditrices jeunesse) de ce qu’un enfant peut « encaisser » et l’envie qu’ils ont de se mettre en inquiétude !
Les contes de Perrault, ou ceux des frères Grimm jouent de ce ressort, de même que les récits d’aventures comme L’Ile au trésor, avec l’inquiétant Long John Silver…
D’ailleurs, les éditions pour la jeunesse du Petit Chaperon rouge omettent bien souvent la moralité finale, qui contient un avertissement explicite :
On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,
De tous les loups sont les plus dangereux.

Un p'tit peu de lecture...


Le numéro ne va pas tarder à paraître et votre Tenancier chéri y figure en bonne compagnie. Rendez-vous à la fin du mois... mais il n'est pas interdit de souscrire ici.

dimanche 12 novembre 2023

Le Tenancier chez vous ? C'est possible !

Votre Tenancier, vous le savez, écrit des trucs et des machins, souvent sous forme de nouvelles et plus rarement de romans. À part la manifestation locale où il est présent régulièrement, aucune convention ni festival et encore moins de salon littéraire ne l’invite. On a décidé de remédier à cette lacune en vous proposant, cher lecteur de ce blogue, un tarif avantageux (pour en bénéficier, il suffit d’avoir commenté une fois ici, en bas d’un billet) afin d’avoir un auteur authentique dans vos murs. Les prix sont annoncés après remise amicale :

— Billet de train aller et retour du domicile du Tenancier chez le particulier, majoré de 10 % (au lieu de 30 %) pour le confort du voyage. Première classe exigée au-delà de deux heures de trajet : Indexé sur les tarifs SNCF.
— Hébergement (deux nuitées minimum) chez le particulier dans sa chambre à coucher ; en cas d’inconfort, réservation, dans le meilleur hôtel, de la suite de deux pièces minimum. Prévoir une provision (250 €) pour la manucure et le pillage des mignonnettes dans le frigo : Selon le tarif de l’hôtel.
— Argent de poche : 500 €
— Déjeuner en tête à tête : 250 €
— Supplément pour chaque convive supplémentaire : 100 €
— Considérations sur la littérature, chaque : 50 €
— Citations de l’un de ses livres, chaque : 50 €
— Critiques élogieuses d’un confrère, chaque : 150 €
— Critiques négatives d’un confrère, chaque : 45 €
— Critiques acerbes d’un confrère, chaque : 10 €
— Pour chaque épithète supplémentaire : 0,50 €
— Critique d’un éditeur : même tarif, majoré de 25 %
— Blague : 50 €
— Blague pouet : 75 €
— Blague sordide : 10 €
— Conseil d’écriture : 100 €
— Conseil inutile d’écriture : 100 €
— Conseil utile d’écriture : À débattre
— Souvenir littéraire apocryphe : 50 €
— Souvenir littéraire réel (limité à deux) : 250 €
— Supplément au-delà de minuit, l’heure : 200 €
— Signature d’une nouvelle : 50 €
— Envoi autographe signé d’une nouvelle, la ligne : 50 €
— Signature d’un de se romans : 100 €
— Envoi autographe signé d’un roman, la ligne 120 €
— Majoration pour les convives supplémentaires : 25 %
— Virée sur les berges d’un plan d’eau : 50 €
— Considérations incidentes et nocturnes pour une histoire du Fleuve : 250 €
— Présence muette dans une soirée : 250 €
— Présence souriante dans une soirée : 350 €
— Présence intéressante dans une soirée : 600 €
— Conversation, l'heure : 200 €
— Toast d’adieu : 25 €
— Signature dans le Livre d’or : 25 €
— Carte postale de remerciements : Gratuite
 
 
Certains tiqueront sur les montants exigés, mais il est important de savoir que le Tenancier déserte son bureau, lieu consacré à sa productivité et que, surtout, il a des frais.
Règlements par virement, espèces, etc.

George Auriol : Monogrammes et cachets

samedi 11 novembre 2023

Une historiette de Béatrice

« Vous avez des Pléiades? Vous savez ce que c'est ? » dit le monsieur au col de chemise relevé, tout comme sa suffisance.

vendredi 10 novembre 2023

Gloup gloup !


  À moi Pieds Nickelés, Abbott et Costello
  Et Laurel et Hardy, mes amis, mes poteaux !
  Placée entre vos mains, toute tarte à la crème
  Se mue magiquement en une arme suprême.
  Rondid’jiu ! gloire à vous et gloire à Mack Sennett
  Vous avez inventé, je l’affirme tout net,
  L’attentat culturel le plus croquignolet,
  Le plus tord-boyeautant, le plus ollé-ollé,
  L’attentat le plus gai auquel on s’est hissé :
  C’est à vous que l’on doit l’attentat pâtissier,
  Cet attentat farceur, cet attentat de rêve,
  Cet attentat dont nul, jamais, ne se relève.
  N’importe quel crétin, lorsqu’il est entarté,
  Est comme mort, occis, à jamais écarté :
  Il est atteint, de fait, au point le plus sensible,
  À savoir son honneur qui a servi de cible.

Georges Le Gloupier : Ode à l'attentat pâtissier

jeudi 9 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 12


Georges Le Gloupier
Ode à l'attentat
pâtissier

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques gourmands



Le Tenancier :
À moi Pieds Nickelés, Abbott et Costello
Et Laurel et Hardy, mes amis, mes poteaux !
Placée entre vos mains, toute tarte à la crème
Se mue magiquement en une arme suprême.
Signalons que l’Ode fut déjà publiée par Deleatur dans sa Bibliothèque gourmande dans une version plus longue, semble-t-il…
 
Pierre Laurendeau : O Tenancier ! Tu as bonne mémoire ! Effectivement, la première édition de l’Ode, en 1985, était accompagnée d’une biographie de Georges Le Gloupier par Georges de Lorzac – les deux chenapans étant des pseudos d’un certain JPB. Même si le lancer de tartes à la crème a été transféré au Belge Noël Godin[1], il faut rétablir la vérité : Godin a hérité de Le Gloupier, qui fit ses premières apparitions, si ma mémoire est bonne, dans le journal Sud-Ouest dans les années 60, où officiait alors JPB. Il s’occupait, je crois, de la chronique mondaine du Bordelais et devait rapporter les vernissages d’expositions et autres pince-fesses. Il avait pris l’habitude de glisser un Georges Le Gloupier, confrère imaginaire d’un autre journal, dans la brillante assistance, et s’amusait à voir Le Gloupier figurer dans les chroniques concurrentes.
Pour le lancement de l’édition originale de l’Ode, Le Gloupier avait vu grand : il (Noël ou JPB, ou les deux ?) entarta Godard au festival de Cannes. Exclu du festival, il dut être réintégré à la demande expresse de Godard, sans quoi le cinéaste quittait lui-même le festival, argumentant que le lancer de tarte à la crème était une tradition cinématographique dès les origines ! Actuel avait publié un magnifique article, avec photo de Godard encrémé, ainsi que des extraits de l’Ode – l’édition fut épuisée en un clin d’œil.
Lorsque je créai la collection des minilivres, JPB accepta que j’y glisse l’Ode. « Tu as les droits à vie ! Tu en fais ce que tu veux. »
Notons que l’Ode figure en bonne place dans la magnifique Anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin (L’Age d’homme).

[1] Les premiers entartages se pratiquaient en commando : JPB et Godin assumant tour à tour le lancer et la protection du lanceur. Dans ses Mémoires (Crème et Châtiment), Godin parle d’un centre d’entraînement clandestin au lancer de tartes à la crème quelque part dans les Cévennes. Je n’ai pas eu confirmation de son existence par le second !

mercredi 8 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Dernier volet des dons de cet ami qui élague sa bibliothèque, en gardant ce qui reste essentiel pour lui. Il a bien raison, cet homme, il procure du plaisir à ceux qui récupèrent les livres. On voudrait toutefois qu’il ne s’en dépouille pas trop, que descendu de sa félicité il ne se prenne pas à regretter sa dilapidation passée. L’homme heureux se doit de ne pas regarder trop en arrière, juste assez pour savoir que ceux qui l’apprécient le suivent encore, toujours… Ceux-là, s’ils sont délicats, se souviendront de la provenance de ces livres et en garderont de la reconnaissance. En retour, il semble que la générosité soit un stimuli cérébral, étudié par les neurobiologistes. Ainsi, cet ami ajoute à son bonheur encore plus de bien-être. Entre nous, j'ai bien l'impression qu'il se conduit comme un junkie, celui-là. La substance est licite, on se rassure.
Ces quatre ouvrages me faisaient envie :
J’ai vu que Pierre Michon était décrié par certains, je ne sais pourquoi exactement, tant les critiques sur lesquelles je suis tombé me semblaient décalées par rapport à ce que j’avais lu, trop peu d’ailleurs. « Mais enfin, ils font bien ce qu’ils veulent ceux-là ! », me dis-je in petto, parce que je suis bien content de récupérer ces titres, surtout après avoir ouvert au hasard le Corps du roi et être tombé sur cette page :
« Il n’y aurait peut-être qu’une preuve possible de l’excellence de l’œuvre, qu’un moyen de pulvériser une bonne fois le masque, qu’une ratification surnaturelle de la toute-puissance de l’écrit : ce serait d’en mourir de jouissance. L’artiste parfait, parfaitement justifié et ratifié existe dans Madame Bovary, dans la scène burlesque ou Emma et Léon exaspérés, fous de leur corps, sont emportés dans une visite guidée de la cathédrale de Rouen, englués dans la parole du Suisse : “Voilà, fit-il majestueusement, la circonférence de la grande cloche d’Amboise. Elle pesait quarante mille livres. Il n’y avait pas sa pareille dans toute l’Europe. L’ouvrier qui l’a fondue en est mort de joie.
Cette cloche de vingt tonnes tombée du ciel que son auteur prend sur la gueule, c’est le texte qui tue. »
Je n’ai pas envie de mourir, mais quitte à y passer, autant que ce soit par cette sorte de joie.
L’autre Michon, je me réserve de l’explorer plus tard, constatant que la couverture de ce Verdier poche rappelle les maquettes de collections universitaires ou théâtrales des années 1970. Je suis peu influençable, question couverture, mais je me félicite tout de même que ma connaissance de l’auteur devance la découverte de ce spécimen.


Voici un livre que j’étais tenté de lire depuis longtemps, sans doute parce qu’il comporte une partie inédite (la première édition chez Fata Morgana en 1982 l’avait ôtée et je comprends assez pourquoi) vers laquelle je me suis bien entendu dirigé. Mmmh, disons qu’on ne va pas être très d’accord, pour user d'un euphémisme, mais que je satisferai ma curiosité tout de même. Ensuite, cela fera peut-être le bonheur d’un autre ; le livre entamera une pérégrination vers des bibliothèques plus lointaines, il en trouvera peut-être une plus accueillante ou alors moins… sourcilleuse au sujet des délires sur la race de l’auteur.


Allons, finissons par plus heureux, plus joyeux, plus ravigotant avec le gigantesque, le délirant et le loufoque Cami. À feuilleter l’ouvrage avant de le déguster avec délice, je constate que les dessins de Nicolas de la Casinière vont bien avec le style de Cami et rappellent même un peu les « strips » de lui dans l’Illustration ! Ah quel bonheur anticipé, ce que réserve toujours l’ouverture d’un de ses livres !
Voilà, « C’est tout, les amis ! », comme dirait un lapin de notre connaissance. Maintenant, dans les dons, si vous voulez bien m’offrir un peu de temps, j’en prendrais avec reconnaissance… En attendant, cette chronique risque de devenir un peu étique, à cause de ce qui s’accumule autour de moi.

Pierre Michon : Corps du roi — Verdier, 2002
Pierre Michon : L'empereur d'Occident — Verdier poche, 2007
François Augiéras : Domme ou l'essai d'occupation — Cahiers rouges, Grasset, 1997
Cami : Les aventures de Loufock-Holmès — L'Atalante, 1997

mardi 7 novembre 2023

Engagez-vous, rengagez-vous

Peut-être a-t-on mal compris mon propos selon lequel « la SF courait après son obsolescence » dans un billet précédent. Par là, je ne signifiais pas que c’était une littérature moribonde, mais que sa nature restait en grande part dépendante de l’évolution de nos sociétés et des technologies, même si, en définitive, cela consistait à parler de notre univers contemporain et non celui d’un futur hypothétique. Cela se révèle souvent du bricolage maison, de l’extrapolation sur clavier… Ainsi, beaucoup de romans anciens du genre dévoilent une curieuse inadéquation entre la vision de l’auteur à son époque et le monde actuel (mœurs, technologie, arts, etc.) Par exemple, un auteur des années 1940 ne peut concevoir la révolution informatique parce qu’il lui manque quelques chaînons (à une exception : Murray Leinster avec Un logic nommé Joe). Il ne peut être blâmé d’une transposition qui rencontre les limites de son imagination, que ce soit dans l’illusion prédictive ou même la description d’espèces radicalement étrangères, qui presque systématiquement se révèlent des patchworks de motifs existants.
La SF aboutit ici une sorte d’aporie qui lui donnerait toutes les capacités d’anticipation, mais sans les moyens que pourtant elle décrit de temps à autre, comme la psychohistoire, illusion dont même son auteur, Isaac Asimov, s’affranchit en rappelant la nature accidentelle ou aberrante du processus historique, parfois. Il semble assez piquant de constater que certains des acteurs du genre négligent ce paradigme et se mettent au service d’une prospective « institutionnelle », endossant alors les oripeaux de la futurologie avec, parfois, un sérieux papal assez réjouissant.
La palme de la franche rigolade se trouve dans la collaboration de certains auteurs à une « team » financée par le ministère des armées et dont la mission serait de... jargonner autour d’éventuels conflits auxquels nos pioupious pourraient faire face. On en revient alors à une conception bizarre qui voudrait authentifier un diagnostic par des personnes aussi concernées que votre serviteur, ou vous-même qui me lisez, autour de technologies futuristes et d’évolutions sociétales. On se consolera en se disant que l’expertise aboutirait à un certain nombre de questions embarrassantes si la Cour des comptes était tentée d’y plonger le nez. « Baste, dira-t-on, ils en profitent et ils n’ont peut-être pas tort, après tout ! » Mmmh… prenons un ministère quelconque et employons quelques personnes à pondre des rapports qui ne servent à rien... le genre de nouvelle qui réjouit un certain Canard ! Nos militaires innovent en la matière puisqu’ils n’utilisent pas d’énarques pour s’y adonner, ce qui dénote un souci louable d’économie. Pourquoi donc alors ne pas recourir à des experts en futurologie et autres domaine au service d’un but mortifère ? Eh bien, sans doute y a-t-on pensé et qu’ils travaillent de leur côté aussi, la bêtise militaire ne se situe pas exactement là, qui voudrait s’en remettre à la seule disposition des auteurs de SF. Encore heureux, oserais-je prétendre, car la sottise doit reste un bien commun. Oui, la SF possède un fort rapport avec la stupidité, puisque comme toute littérature elle s’intéresse à l’humain et à ses interactions. Mais là, nous voici plongés dans la béatitude technologique : pas de merde, pas de sang, pas de cris, rien que la lumière froide du kriegspiel et des dossiers chiadés sur les guerres futures. Au mieux cette entreprise se révèle de la sottise, au pire elle tue. Et encore… combien de fois Murray Leinster, cité plus haut, a vu juste sur l’ensemble de ses écrits, et combien dans celles de ses confrères ? Reportée à la statistique, quelles sont les chances pour que cette team (je biche aussi le globish qui sent bon le pubard annexé au projet…) voit juste dans ces dossiers-là, disons entre le « nib » et le « que dalle » ? Cela n’empêche pas que collaborer à cela comporte un coût, celui de la conscience.
Reste l'aspect hilarant (bon, l'on rit un peu jaune) de l'histoire : les participant y croient et se prennent autant au sérieux qu'un camion de recrutement de la Légion étrangère un 14 juillet. Accessoirement, cette utilisation de la littérature rejoint assez les conceptions du monde de l'inculture qui voudrait prendre pour argent comptant l'imagination de l'auteur et qui se réserve parfois le droit de le punir au prétexte d'obscénité, par exemple, alors que la vraie obscénité reste de ne pas respecter la littérature.