mardi 28 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

L’autre fois, j’ai effectué une promenade un peu triste dans ma ville natale, livrée à une spéculation immobilière qui détruit des quartiers entiers, abolissant à jamais une certaine urbanité au profit d’une classe moyenne motorisée, qui relègue ses pauvres importés à coup de Ouigo dans des périphéries merdiques et bétonnées. Bien que j’y habite à une soixantaine de kilomètres, je m’y déplace peu, désenchanté par une cité que je ne reconnais plus. L’occasion se présentait tout de même pour une opération de reconnaissance, car un bouquiniste chez lequel je trouvais quelques affaires (dont le facsimilé d’Alcools d’Apollinaire illustré par Marcoussis pour une bouchée de pain) avait fermé définitivement, y compris les autres boutiques à son enseigne dans la ville. J’arpentai donc, je déambulai, guère convaincu de trouver l’équivalent. Je remarquai toutefois un libraire que je me promis de visiter ultérieurement, lorsque j’aurai quelques sesterces à dépenser pour une édition un peu relevée. Là, ce jour, il n’en était pas question. Je me dirigeai tout de même au marché des bouquinistes qui se tient sur une place pas désagréable au cœur de la ville, malgré la méfiance que suscite ce genre de manifestation à cause des prix pratiqués. Je me gourais. Les deux Mark Twain ci-dessous m’ont coûté cinq euros pièce. Il s’agit d’éditions tardives, 1930 et 1932 mais dans la présentation de la grande époque du Mercure. Certes, je possède également les Contes humoristiques parus en 1989, dont on retrouve ici quelques nouvelles, mais je préfère l’agrément de ces formats in-12. Ils complètent l’embryon de rayon consacré à l’auteur et alimentent mon goût pour les textes courts. Cinq euros, j’en suis presque déçu : voici le tarif pour un bon auteur dans une édition pas moche qui se tient encore (à la différence des Mercure fin-de-siècle aux brunissures irrémédiables), alors que la moindre merdouille en poche vaut pratiquement le double. Le constat ajoute à la mélancolie de la visite. Allez zou, je vais faire un peu de place pour ces deux là.
Sinon, que voulez-vous que je vous dise sur Mark Twain ? Ah, si… comme Balzac, il s’est mêlé d’histoires de typo et y a perdu sa fortune. Il faudra bien le raconter ici un jour, tiens…
Le surlendemain, je passai à ce qui est devenu l’unique boîte à livres de ma ville. Je vous avais déjà causé de sa disposition, qui l’ouvre hélas aux quatre vents et surtout aux pluies transversales. On imagine le désastre d’une bourrasque bretonne sur les bouquins que des indélicats ne songent pas à remettre tout au fond. À cela, ajoutons un personnage curieux, qu’il faudra bien que je suive un jour pour satisfaire de ma curiosité et qui y opère une razzia, à remplir des sacs entiers de tout et n’importe quoi. Évidemment, cela tient de la compulsion maladive, ce qui n’étonne guère lorsqu’on le croise devant le rayon à ciel ouvert — ou presque. Ai-je eu du bol en trouvant ce Spitz en Marabout, en passant avant lui, ou bien celui-là ne lui disait rien : mouches, couverture noire, etc. ? Difficile de circonscrire les critères de choix de cet étrange personnage. Cela faisait longtemps, pour cette boîte à livres, et encore plus longtemps que je n’avais pas eu envie de rouvrir ce Spitz. Allez zou, je l’ai pris. Je découvre peu après que le volume coûtait 4,10 francs à Euromarché, grâce à une étiquette apposée sur un des contreplats.
On excusera le ton un peu désabusé, mais le Tenancier a fait face il y a peu au temps qui passe et il vous confirme que c’est bien une saloperie…
 
 

Mark Twain : Le legs de 30.000 dollars — Mercure de France, 1930
Mark Twain : Exploits de Tom Sawyer détective et autres nouvelles — Mercure de France — 1932
Jacques Spitz : La guerre des mouches — Marabout, 1970

lundi 27 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 17


Pierre Charmoz
Première
ascension
népalaise
de la tour Eiffel

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques grimpeurs



Le Tenancier : Le rire est assez grinçant, à la lecture de ce journal d’expédition népalaise, inversion de ce qui doit vraisemblablement se produire lorsque des occidentaux se déplacent sur des montagnes himalayennes. Là, l’expérience de Pierre Charmoz, écrivain alpiniste et ton alter ego, se met au service d’un humour cruel qui transforme le parisien en porteur indigène. Curieusement, tu as choisi la tour Eiffel, alors que la Butte Montmartre semblait plus évidente, ne serait-ce qu’à cause de l’expédition qui s’était déroulée, je crois dans les années 1950 ou 60, filmée par les actualités (et dont hélas, je n’ai pas réussi à retrouver la trace sur le net…) Peut-être serait-il pertinent que nos Népalais reviennent pour affronter ce massif. Enfin, l’on retrouve par la bande ton amour pour certaines lettres classiques dans le procédé d’inversion…
 
Pierre Laurendeau : Quelle analyse, ô Tenancier ! Et quelle perspicacité ! Pierre Charmoz est un de mes hétéronymes ayant une œuvre bien identifiée, depuis Cime et Châtiment, premier « porno » alpin, paru à la Brigandine en 1982. A l’époque, le livre avait été un coup de fouet (métaphorique) sur une littérature de connivence : l’homme affronte les parois vertigineuses et les gouffres insondables pour se prouver qu’il est humain, un vrai mec, quoi ! À part quelques écrivains, comme Bernard Amy, ça ronronnait grave dans les alpages. Et surtout, pas de sexe ! La Brigandine, collection de gare, sortait quatre livres par mois, qui restaient rarement plus d’un mois en kiosque. La couverture de Cime et Châtiment était assez explicite pour attirer l’œil d’un montagnard. Quelques mois après la parution, alors que je désespérais un peu, je lus dans Alpinisme et Randonnée une critique plus qu’enthousiaste sur ma petite farce coquino-alpine. Et la journaliste de s’interroger : mais qui est ce mystérieux Pierre Charmoz ? (Je sus par la suite qu’on soupçonna quelques grands noms de la littérature verticale.) Ce petit roman policier, qui mettait en scène les gloires de l’alpinisme de l’époque – dans des positions plus horizontales que verticales – eut une carrière plus longue que la plupart des ouvrages de la collection : une réédition chez Guérin (dans un coffret, avec deux autres érotiques signés Charmoz) ; une traduction chez l’éditeur espagnol Desnivel (dont je ne reçus pas un maravédis) ; une réédition récente à la Musardine…
Charmoz étant lancé, il fallait entretenir le mythe. J’ai lu pas mal de récits d’expédition, tous à vomir : on veut être les premiers au sommet de l’Everest, de l’Annapurna, pour des considérations patriotardes ; et tant pis pour les porteurs qui meurent écrasés ou ensevelis sous les avalanches ! D’où l’idée d’une inversion de situation.
Cette Première Ascension a eu, elle aussi, un destin surprenant : la première édition, que tu possèdes peut-être, était un assemblage de feuillets libres pliés en trois, sous emboîtage made in Fourneau, très rapidement épuisée. Puis je l’ai reprise dans les minilivres, car le texte était très demandé – un peu mythique, quoi !
En 2002, Ginkgo publia un recueil de mes nouvelles alpines sous le titre : Première ascension népalaise de la tour Eiffel et autres cimes improbables, avec de chouettes illustrations de Michel Guérard (qui venait d’illustrer mes trois romans parus l’année d’avant chez Guérin). Le hasard fit qu’un exemplaire atterrit dans une librairie lyonnaise ; Denis Déon, acteur et metteur en scène que je ne connaissais pas, en fit l’acquisition. Il eut l’idée d’un spectacle qui reprendrait quelques textes du recueil, dont l’emblématique Première Ascension. Projet qu’il soumit à la Comédie de Valence, scène nationale. Le projet emporta l’adhésion des représentants des lieux itinérants où il allait se produire. J’ignorais tout de cette aventure, Denis ne sachant comment me joindre. Puis, par Ginkgo, il m’informa, un peu angoissé, que son spectacle était retenu… espérant obtenir mon accord rétroactif ! Ce que je fis bien volontiers. Ce fut une belle expérience, pour lui en tant que metteur en scène, pour les trois acteurs très investis dans les différents rôles qu’ils devaient endosser, et pour moi de voir mes petites fantaisies déborder de mon théâtre psychique habituel. Pas peu fier, le Charmoz !
Depuis, Charmoz s’est investi dans le polar, avec son complice Jean-Louis Lejonc, pour des enquêtes de Sherlock Holmes dans les Alpes (trois titres parus). Avec, je l’espère, toujours la même impertinence ! Je prépare pour 2024 un polar solo qui se déroule pendant le Mondial de l’escalade, un truc complètement idiot et sportif (tautologie) : Grimpe, Crime et Nutella.

samedi 25 novembre 2023

Jeu

 On ne rencontre pas souvent de bibliothèque (vitrée, en plus) dans un western. Mais à qui appartient-elle, et dans quel film ? On s'est arrangé pour saisir une scène où les visages sont cachés. ce serait trop facile, sinon.


Mademoiselle Cocodèque

Votre serviteur s'est glissé dans le sommaire du prochain numéro de l'Ampoule avec une fable sur la solitude et l'amour des bestioles. Cliquez sur l'image pour mieux voir et commandez donc la revue dont la parution est prévue le 20 décembre.
Merci.

L'air du temps

Georges Darien : La Belle France (1898)
 

Meuh

 Puisqu'il était question de vache avec Eugène Sue il y a quelques jours...

(Merci à George WF Weaver)

vendredi 24 novembre 2023

Vous m’arrangez ça pour la prochaine séance ?


Bon, les gars, c’est plutôt sympa de vous être déplacés, mais vous auriez pu prévoir un peu plus de chips ou une coupelle de cahouettes. Pareil pour la boisson : on va tout de même pas picoler dans les verres des premiers arrivés! Tout ça pour vous dire que ces réunions littéraires, c’est bien gentil, mais qu’il faut y mettre du vôtre. Déjà que je ne vous fais pas payer cher la prestation. Ah, et puis, ch’sais pas, moi, mais la prochaine fois essayez de faire venir des filles, parce que là j’ai l’impression de me retrouver dans un concours de sosies de Daniel Herrero et pas à un séminaire sur l’écriture non genrée. Vous m’arrangez ça pour la prochaine séance?

jeudi 23 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 16


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Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques cryptographes



Le Tenancier : De ce côté-ci du clavier, l’on adore la fausse érudition, surtout lorsqu’elle touche des domaines que l’on croit connaître un peu au point de se laisser mystifier, d’où un regard amusé sur cette éditions définitive — on le croit, on le pense ! — du Lorem ipsum. Là encore qu’est ce qui est du domaine du faux ou du vrai : le zzril a-t-il un fond de vérité ? Giulio Romano s’est-il vraiment servi du Lorem ipsum ? Où se procurer le livre du Bibliophile Jacob cité dans le texte, sachant que l’érudition dudit s’est également portée sur la chaussure ? Compliments à l’auteur anonyme (ou presque, suivez notre regard) pour cette joyeuse mystification — à moins que tout soit vrai… ?
 
Pierre Laurendeau : Le Lorem ipsum permettait de créer des maquettes avec du faux texte ; il y eut d’autres versions, mais celle que j’ai « traduite » était fournie avec PageMaker, le logiciel de mise en page que j’utilisais alors (je suis depuis passé à InDesign, la Rolls de la maquette !). Il était tentant de proposer une traduction d’un texte censé n’avoir aucun sens ! J’ai apparemment réussi à titiller les papilles bibliophiliques du Tenancier… Je peux juste préciser que tout est vrai, puis que tout est faux.
Pour rappel, nous vivions alors une époque charnière avec les métiers traditionnels du Livre – je parle de la partie aval, celle de la fabrication – dont les process séparaient clairement les métiers : l’éditeur fournissait au photocompositeur une copie dactylographiée couverte par le préparateur de copie de codes censés l’aider dans sa tâche ; il en recevait des épreuves, qu’il corrigeait (ou faisait corriger par un correcteur – on dit maintenant « relecteur typographe ») en utilisant des signes conventionnels ; puis la photocomposition était montée en pages par des monteurs ; ensuite, un photograveur produisait des films, auxquels on incorporait éventuellement des images traitées par ailleurs ; enfin, à partir des films, on fabriquait des plaques qui étaient fixées sur les machines d’impression, généralement en offset. En cas d’impression en quadrichromie, il fallait autant de films – et de plaques – que de couleurs ; pour contrôle, le photograveur transmettait alors à son client un Cromalin, une épreuve en couleurs qui permettait de corriger la chromie : « Ici moins de jaune, là plus de magenta ! » Je me souviens qu’au milieu des années 90, un Cromalin 21 x 29,7 coûtait 1 500 F, soit 340 € d’aujourd’hui selon le convertisseur de l’Insee. Autant dire qu’on limitait au minimum ce genre d’opérations !
L’irruption des « chaînes graphiques » à la fin des années 80 allait bouleverser des professions qui se remettaient à peine de l’abandon du plomb – la typographie noble. En quelques années allaient disparaître : préparateurs de copie (chez l’éditeur), puisque l’auteur – qui n’écrit jamais de bêtises, c’est sûr ! photocompositeurs ; photograveurs et, dans une certaine mesure, imprimeurs offset – une grande partie des travaux d’impression se font en numérique.
Je me souviens d’une discussion avec un photograveur en 1994 ou 1995. Il était fier de sa dernière acquisition : un scanner rotatif Crossfield, la Rolls de la numérisation d’images. C’était l’époque de l’arrivée des scanners à plat. « Jamais, tu entends ! jamais cela ne pourra faire le même travail qu’un appareil qui coûte plus d’un million de francs. » L’argument, hélas pour lui, ne le sauva pas de la faillite. J’ai connu plusieurs photograveurs qui conservaient un rotatif pour rassurer leurs clients mais qui opéraient l’essentiel de leur photogravure avec un scanner à plat, en arrière-boutique.
Les logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur) furent les premiers à bousculer le monde des arts graphiques. Les premières versions firent ricaner les typographes haut de gamme, qui lorgnaient tout de même vers les prodigieuses capacités de ces monstres : déplacer à la souris un bloc de texte, le faire pivoter, incorporer une image ! Nom de Diou ! que cela était excitant… mais avec un résultat souvent pitoyable. Comme toujours pour les nouvelles technologies, elles s’affinent et les logiciels d’aujourd’hui – comme InDesign – autorisent une gestion fine de la typographie, notamment l’utilisation des polices de caractères unicodes.
Si vous ne savez pas ce qu’est une police unicode, regardez sur votre tableau de bord des polices celles qui sont précédées d’un « O » ovale, pour OpenType : elles vous offrent précisément 65 536 glyphes (caractères, logotypes, etc.) !
Je m’arrête là, car j’ai un livre à finir.
 
Ah si ! petite anecdote qui me revient de l’époque des maquettes « muettes ». Nous avions commandé à un maquettiste, certes compétent mais procrastinateur en diable, la maquette d’un ouvrage sur la retraite ; c’était le premier livre de commande du Polygraphe (en 1991), notre jeune agence d’édition. Le maquettiste, qui habitait Paris, avait fait le voyage en train et avait utilisé la fenêtre du wagon en guise de table lumineuse pour faire sa maquette, avec ce qu’il avait sous la main pour les images : une magnifique collection de photos de bloc opératoire ! Autant dire que lorsque nous avons montré la maquette à notre client, Le Courrier de l’Ouest, vénérable journal angevin, le PDG eut un hurlement d’inquiétude… « C’est ce genre d’images que vous allez mettre ? » Et de lui expliquer que le maquettiste les avait choisies pour leur ambiance colorée. On parvint à sauver la situation…


mercredi 22 novembre 2023

Une historiette de Béatrice

Hier, un monsieur très sérieux m'a fait une demande très particulière. Un ouvrage épuisé traitant d'une partie de la mythologie basque. Comme je ne connaissais ni l'auteur ni le titre, j'ai bien pris note des références et de ses coordonnées car il en avait un besoin urgent.
Verdict après quelques clics : l'unique mention de la chose se trouve dans la désencyclopédie, en bas de page, dans les « sources ». J'avais oublié combien c'était drôle, cette désencyclopédie.

mardi 21 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Votre Tenancier a été longtemps salarié dans une librairie du XVIe arrondissement de Paris. L’un des intérêts annexes de cette activité fut le spectacle d’une faune assez remarquable... La rubrique présente me donne l’occasion d’évoquer une figure discrète et amusante qui fit quelques visites dans nos murs, non pour des livres d’art ni dans le but d’acquérir des ouvrages bibliophiliques, mais afin de faire l’emplette de quelques 10/18, comme — si je crois m’en souvenir près de 25 ans plus tard — la série des « Frère Cadfaël » ou d’autres polars historiques que la collection produisait alors. C’était une marquise authentique, telle qu’on l’imaginerait dans quelque dessin gentiment moqueur dans une revue bien élevée : brushing et minceur à la limite de la maigreur, ce qui me faisait immanquablement penser que la noblesse avait quitté certaines amplitudes dignes de Botero pour acquérir une silhouette à la Giacometti, à l’inverse des gueux actuels qui tendent vers l’obésité. Avec ça, la façon de s’habiller désinvolte d’une délurée bon chic des fifties, mais avec une sobriété remarquable du côté de la joncaille. Bref, Madame la Marquise ne se montrait pas bégueule, signe éloquent d’éducation, qui ne permettait certes pas de lui taper dans le dos, mais qui rendait son commerce agréable. Je ne me rappelle plus de quelle manière je pris connaissance de son titre nobiliaire, peu importe d’ailleurs. Je m’amusais de cette présence qui s’égaya encore plus le jour où elle exhiba un superbe face-à-main pour mieux lire un résumé… J’étais conquis, irrémédiablement fan de Madame la Marquise ! La conversation était brève en sa présence, mais elle se surprit sans doute elle-même à me confier qu’il lui arrivait de regarder le Tour de France à la télévision « en compagnie de Mère, car les paysages de notre pays sont magnifiques ». Je touchais alors peut-être à cette sorte d’esprit qui attachait certaines familles au terroir idéalisé, ou bien peut-être me plais-je à romancer tout cela... Il n’empêche : chaque fois que je tombe sur la course, je pense à Madame la Marquise.
Il n’en fallait pas plus que, retombant sur la couverture des chroniques de Blondin, je me remémore cette réflexion et le plaisir du pastiche « Grand-Siècle » auquel s’était livrée l’auteur (La nouvelle s’est répandue en fin de matinée sur le ton du « madame se meurt !... Madame est morte !... » Et pendant un moment, nous fûmes dans l’expectative atroce d’une femme du monde qui a laissé ses diamants sur la toilette de lavabos. — Étape de Bayonne, 19 juillet 1954). L’immense arpentage enguirlandé de pastiches de Bernanos, de Saint-Simon, de Péguy, etc. eût été apprécié par Madame la Marquise, je crois. L’avait-elle acheté ? Je n’étais plus là pour le savoir… Avec ses façons de mémorialiste goguenard, Blondin nous remet sur les brisées d’une littérature qui n’oublie pas ses classiques, au milieu des odeurs d’embrocation et de graisse de chaîne à vélo. Quel plaisir ! Votre Tenancier en picore un peu avant de dormir, le cœur léger, avec cette saveur des noms engloutis : Koblet, Dotto, Laurédi et plus tard, peut-être, un certain Letort, Désiré — rien à voir avec le Tenancier, qui,  parfois, accorde une pensée à la Marquise.


 
Rien à voir non plus, avec ce petit bouquin de la collection Samizdat qui fait le point sur les mécanismes de diffusion de la culture et amorce quelques réflexions sur, par exemple, les « Créative Commons » et le « Copyleft » (dont on espère une traduction un jour). Ouvrage à recommander à ceux qui se font encore des illusions sur le métier d’éditeur, la vocation d’écrivain, etc. Bien entendu, votre serviteur connaît à peu près tout cela. Ajoutons que le bouquin est clairement destiné à circuler dans les boîtes à livres. Toutefois, vous pouvez faire tintin avec cet exemplaire. Je le garde, tudieu, comme tous ceux de cette collection !
Vous connaissez l'auteur pour le rencontrer en ce moment, deux fois par semaine, dans ces colonnes...


Antoine Blondin : Tours de France, chroniques de "L'Équipe", 1954-1982 — Editions de La Table Ronde, 2001

Pierre Laurendeau : Le droit d'auteur est-il soluble dans la démocratie ? — Club Samizdat, 2023