J’avais rencontré Christian Oster à l’occasion d’une
interview à mon émission à Radio Libertaire dans les années 1980. À
l’époque,
il avait publié quelques nouvelles de SF dans Libération et des romans
dans la
collection Engrenage au Fleuve Noir (
La
pause du tueur). Sa conversion vers les éditions de Minuit est
assez
exemplaire de cette génération happée par la vénérable maison, comme
Antoine
Volodine, qui démontre que les littératures dites de
« l’imaginaire »
possédaient une porosité avec la notabilité littéraire. J’avais suivi
l’auteur avec
une certaine assiduité à l’époque où je travaillais encore en librairie
de neuf
(sept bouquins de chez Minuit et l’Engrenage cité plus haut résident
encore
chez moi) et cette trouvaille dans cette solderie, un SP, en plus,
était devenu
une tentation. Avec le temps écoulé, l’auteur et son lecteur s’étant
perdus de
vue, qu’en sortira-t-il ? Je verrai bien…
Diable, Tenancier, vous n’avez donc pas lu le bouquin d’Orwell ?
Mais pour qui me prenez-vous, bande de lecteurs ? Bien sûr que si
et à
plusieurs reprises ! Seulement, jusqu’à maintenant, je ne
possédais que l’édition
en Idées/Gallimard. La présente est propre et agréable. Je garderai
l’autre qui
sera transférée vers la bibliothèque historique. Je n’étais pas passé
depuis un
bail chez le bouquiniste local. Vertu de l’absence : au retour
dans ces
murs-là, l’on a envie de tout.
Gary : même motif que précédemment. On améliore sa
bibliothèque et l’on se demande soudainement depuis combien de temps on
n’a pas
ouvert un bouquin de Gary : 10, 20, 30 ans ? Ouh la la !
Il
était temps.
Si l’on aime la littérature, on ne peut passer à côté de
Stevenson. Bon… si on peut, mais c’est bien dommage pour vous si vous
êtes dans
ce cas. Comme c’est un 10/18, vous retrouverez le volume un de ces
jours dans
la rubrique ad hoc. En attendant, je recherchais — mollement, certes —
ce
titre-là dans cette collection à cause du dernier article du
recueil :
Les romans d’aventures de Jules Verne.
Votre Tenancier est un amateur de Verne depuis son enfance, relançant à
chaque
phase de son existence son intérêt sans toutefois en retrouver les
saveurs
juvéniles. Tant pis. En revanche,
L’île
au Trésor reste pour moi une jouvence. Quoi de plus tentant que de
confronter deux admirations ? Vous faites erreur Tenancier, me
répliquera-ton. Il existe d’autres romanciers sur ce genre avant
Stevenson,
tout de même ! Et de me citer Dumas, par exemple. Qu’à cela ne
tienne, on
trouvera également dans le recueil
À
propos du vicomte de Bragelonne. Et avec ceci, on aura un temps
bâillonné les
fâcheux et les ratiocineurs, quoique rien n’est sûr avec cette
engeance. Le
reste du sommaire, nous ne le connaissons pas (on a eu connaissance du
texte
sur Verne ailleurs, entretemps) et on éprouve un plaisir anticipé à le
découvrir, d’autant que le résumé de 4
e évoque ceci comme un
complément au
Voyage avec un âne dans les
Cévennes…
(L’ouvrage est correct, mais le pelliculage est un peu dégueu,
surtout sur le dos et le second plat. Si vous êtes dans le cas — et si
c’est
bien un pelliculage — vous pouvez utiliser un chiffon imbibé de liquide
pour
les vitres. Faites gaffe tout de même, parce que le carton ou le papier
peuvent
être imbibés et changer de couleurs dans les petites scarifications qui
manquent rarement dans les anciens volumes, surtout dans les angles.)
Et voici que les reproches vont continuer bon train, je le
sens, en constant que mes acquisitions n’apportent pas vraiment leur
lot de
nouveautés. C’est vrai, je me suis montré frileux dans ces choix
volontaires,
voire très conservateur. C’est que la littérature actuelle m’ennuie un
peu,
voyez-vous ? De plus, je me suis déshabitué dès la fin de ma
carrière de
salarié en librairie de neuf de me tenir au courant de ce qui paraît.
Cela peut
paraître bizarre, mais cette désaccoutumance se révèle comme un sevrage
au
tabac. On respire bien mieux, l’esprit se dégage et l’on n’a pas à
supporter
des effets secondaires comme d’autres addictions. Cependant,
l’encouragement, l’amitié
et, tout de même, la curiosité m’amènent parfois à acquérir un livre
neuf. Que
le contenu soit un recueil de nouvelles érotico-gourmandes — avec un
joli titre
en sus ne peut qu’éveiller en moi de la concupiscence. Nous lirons à
petites
bouchées.
Un livre neuf dans les acquisitions récentes ? Ce n’est
pas souvent.
On se trouve parfois au passage d’une circulation de livres
propulsés par l’amitié, ainsi on a offert au Tenancier ce livre de Tom
Kromer,
inconnu de lui et qui évoque les
hobos,
cette fois-ci au cœur de la Grande dépression aux États-Unis. Comment
ne pas
songer aux
Vagabonds du rail, de
London, à
L’empereur du Nord, d’Aldrich,
etc. ? La curiosité l’emporte !
Cette même circulation amicale me met devant ce qui
ressemble à un thriller politique. On tentera de le lire pour montrer
de la bonne
volonté. Encore un livre neuf, mais qui compte pour du beurre, en
quelque
sorte. Ce type de récit ne m’emballe jamais. S’il me déplaît au bout du
compte,
je le rendrai afin qu’il trouve des bras plus accueillants.
Retombons dans nos ornières avec un vieux machin : le
numéro 202 (octobre 1970) de la revue Fiction. Au sommaire :
Robert Bloch,
Harlan Ellison, Philippe Curval et des seconds couteaux (le terme n’est
pas si péjoratif
chez moi, puisque j’en suis un ! —
j’adore faire dans le
chleuasme !)
comme Edgard Pangborn ou Otis Kidwell Burger — celui-ci complètement
inconnu
pour moi. Un titre de nouvelle retient mon attention :
Comment
mater un chômeur, de Barry N.
Malzberg, intention prometteuse, ou pas… Il reste un auteur
intéressant, sans
doute méconnu à l’heure actuelle, comme pas mal de confrères de sa
génération, en
particulier à cause de son éclectisme. Le problème du
« genre »
touche aussi la littérature, si je puis dire. En conclusion de ce
numéro et de
cette chronique on trouve un article de Jean-Pierre Andrevon :
Un Marabout bien planté qui fait le
point sur cette maison qui publia tant de titres fantastiques ou de SF
repris
ici et là à l’heure actuelle. Je lis très rarement des ces
littératures,
désormais et lorsque je m’y retrouve, je picore au-delà de la limite de
péremption. Comme il faut toujours être à la pointe dans la littérature
de
genre, je préfère à l’avant-garde éclairé, demeurer un traînard à
lumignon. On
brille moins, mais l’on dure.
On a essayé de ne pas trop se montrer bavard, et puis vous
savez ce que c’est…
Christian Oster :
Sur la dune — Éditions de Minuit, 2007
George Orwell :
Hommage à la Catalogne, traduction par Yvonne Davet — Éditions Champ
Libre,
1982
Roman Gary : Les
cerfs-volants — Éditions Gallimard, 1981
Robert-Louis Stevenson :
La France que j’aime, ou le voyage sans âne, Textes réunis avec une
préface et
une bibliographie par Francis Lacassin, traduction de Léon Bocquet et
Jacques Parsons
— UGE, coll. 10/18 , série « l’Aventure insensée », 1978
Silène Edgar :
Les moelleuses au chocolat et leurs recettes, Gephyre édition, 2023
Tome Kromer : Les
vagabonds de la faim, traduction de Raoul de Roussy de Sales, préface
de
Philippe Garnier, Christian Bourgois, 2022
Thomas Bronnec :
Collapsus — Folio policier, 2023
Revue Fiction, n°202,
octobre 1970.