Tiens, ça fait longtemps que le
Tenancier ne vous a pas
causé de ses acquisitions de bouquins. Il a un tel retard qu’il se sent
incapable de le combler, sous peine de vous emmerder. On passera donc
sur les
trouvailles d’occasion de la boîte à livre locale, plutôt du
tout-venant
destiné à rassasier sa curiosité autour d’auteurs comme Daphné Du
Maurier, par
exemple. Mission accomplie :
Les
Oiseaux valent mieux que le récit qu’on aurait pu déduire du
visionnage du
film qui a peu à voir en définitive sinon l'agression volatile et correspond d’ailleurs au type de nouvelle que le soussigné
apprécie,
parce qu’il ne comporte pas forcément de justification. Mais on cause,
on cause
et voici que l’on vous parle de bouquins que l’on ne devait pas évoquer
selon
notre déclaration liminaire. Voilà ce que c’est d’être bavard.
On achète peu par ici de livres neufs, ou alors lorsqu’ils
relèvent d’un intérêt particulier pour le Tenancier. Ainsi, écoutant
une énième
fois le
Voyage d’hiver par Dietrich Fisher
Dieskau, je m’aperçus que, comme je ne pratique pas la langue allemande,
je ne
connaissais pas le texte excepté dans des livrets de CD microscopiques,
fait
fâcheux, tout de même. Surpris par le fait que je ne trouvais pas les
poèmes de
Wilhelm Müller dans les anthos sur le Romantisme dans ma bibliothèque,
je l’ai
donc commandé. Voilà, le Tenancier se cultive.
Puis, parce qu’il se trouvait à prendre sa commande, le
Tenancier s’est laissé piéger par l’achat complémentaire (vous savez,
la boîte
de cirage qu’on tente de vous fourguer avec l’achat d’une paire de
targettes)
en se souvenant qu’il avait passé un peu de son enfance à Bruxelles et
qu’il en
garde un une saveur poétique liée à la ville, retrouvée d’une certaine
manière
lors d’un passage récent. Était-ce une raison pour prendre ce petit
livre de
Grégoire Polet :
Petit éloge de la Belgique ? Ou
alors eût-il mieux
valu me contenter du recueil
Lagune morte
de Dominique Warfa, auteur belge de SF, très inspiré dans ses premiers
textes
par les expériences chronolytiques de Michel Jeury. Est-ce encore en
rapport
avec la belgitude ?
Oui, mille fois oui, la frontière avec la Belgique est une porte entre
les
mondes et je regrette parfois de ne pas y avoir un pied ancré de chaque
côté.
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Tout
ceci est nostalgie : celle de l’enfance à apprendre à compter
avec des nonante
et des septante et celui d’un univers de la SF dont je me suis séparé
depuis
pas mal d’années désormais. Nulle aigreur dans la distance pour l’un et
vive
envie de faire de nouveau un tour dans les périphéries de Bruxelles,
parce qu’une
ville devait selon moi se découvrir aussi par ses limes. Vous vous en
moquez,
naturellement, et je ne vous donne pas tort. D’ailleurs tout n’y fut
pas
merveilleux, parce qu’on me forçait à bouffer des chicons à la cantine
et que
je trouvais ça dégueulasse. Cette répugnance est devenue définitive,
fort
heureusement, elle ne portait que sur cela et elle est peu littéraire.
Mais alors, pourquoi, Tenancier, pourquoi cet achat du
bouquin de Scholem ? Eh bien, voici le livre type d’un achat
prémédité,
mais dont l’intérêt de départ fut purement accidentel. Par un concours
de
circonstances qu’il a oublié, votre Tenancier s’était retrouvé un
dimanche
matin à allumer la téloche sur deux doctes rabbins en train de
converser sur la
signification et la force symbolique des lettres dans la tradition
juive — toutes
choses, excepté pour les lettres, foncièrement étrangères aux habitudes
et aux
intérêts du Tenancier qui n’a rien d’un mystique. La curiosité
l’emporta tant
qu’il garda cet épisode en mémoire. L’épisode ne s’arrête pas là, bien
sûr. Il
continue avec la rencontre avec une œuvre de fiction ou cette relation
à la
lettre se révélait sous-jacente, mais difficile à analyser lorsque l’on
n’en
possède pas une certaine culture. Or, l’épisode des deux rabbins
restait assez
vivace pour que l’on effectuât un rapprochement et que l’on désirât en
savoir
plus et comprendre peut-être une clef cruciale de ce récit. On
travaillera
peut-être sur le sujet un jour, raison pour laquelle on ne vous en dit
pas plus…
En attendant, on méditera sur le
Golem
comme préliminaire. Cela ne mènera peut-être à rien, mais il faut
savoir s’amuser
dans la vie, non ?
Cela nous mène au dernier livre pour ce billet. On le lui a
conseillé. Il ne sait plus qui (et qu’
il
lui pardonne !)
parce qu’il traînait depuis quelque temps dans la liste des futures
acquisitions. Le Tenancier rate toujours son coup. Il aurait voulu être
dans le
Guide de Nulle part et d’ailleurs,
mais il est arrivé trop tard avec son Fleuve. Il espère correspondre au
moins à
l’un de ces types décrits dans ce bouquin-là. Cela le rassurait. Être
conscient
de son inutilité l’exempterait du qualificatif de parasite, par
exemple. Bref,
plus que par une hagiographie, votre Tenancier aimerait exister dans
certains
livres par la bande, comme il aimerait explorer les villes par leurs
périphéries. Il n’aura ni l’un ni l’autre et il vaut mieux. Et puis le fantasme se révèle bien banal...
Que de livres neufs ! Eh bien, croyez-le ou
non, cela va continuer dans un futur billet de cette rubrique.
Daphné
Du Maurier : Les Oiseaux et autres nouvelles, traduit de l’anglais
par
Denise Van Moppès et Florence Glass — Le Livre de poche (1964)
Wilhelm
Müller : Le Voyage d’hiver, traduction de Jean-Pierre
Siméon — Les
Solitaires Intempestifs (2011)
Grégoire
Polet : Petit éloge de la Belgique — Folio (2024)
Dominique
Warfa : Lagune morte et autres nouvelles — Espace Nord (2024)
Gershom
Scholem : Le nom de Dieu et la théorie kabbalistique du langage
— Traduit
de l’allemand par Thomas Piel — Allia (2018)
Ermanno
Cavazzoni : Les écrivains inutiles, traduit de l’italien par
Monique
Baccelli — Éditions Attila (2010)