samedi 20 juillet 2024
jeudi 18 juillet 2024
Banned Books
Nous connaissons les vieilles lunes
qui veulent interdire
les livres qui contreviendraient à telle ou telle morale. Encore
heureux, il
existe des ripostes, comme cette association qui met à disposition des
habitants de Floride des livres gratuits — seul le port reste payant —
qui ont
subi les foudres des bigots et des réactionnaires dans les
bibliothèques et les
établissements publics. Comme l’on pressent que cela nous tombera bien
sur le
coin de la figure un de ces jours, prenons de la graine de cette
initiative…
Ainsi l’on découvre des auteurs comme Harper Lee, James Baldwin, Chuck
Palhaniuk,
Margaret Atwood et Toni Morrison, entre autres, bannis des
bibliothèques de Floride
et proposés à travers ce site. Le but avoué de Banned Books
est d’étendre sa lutte contre la censure en direction
d’autres États.
Pour visiter le site cliquez donc sur la bannière ci-dessous.
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dimanche 14 juillet 2024
samedi 13 juillet 2024
Du néologisme et de l'archaïsme
On
conçoit pourquoi le néologisme naît au fur et à mesure de
la durée d’une langue. Sans parler des altérations et des corruptions
qui
proviennent de la négligence des hommes et de la méconnaissance des
vraies
formes et des vraies significations, il est impossible, on doit en
convenir,
qu’une langue parvenue à un point quelconque y demeure et s’y fixe. En
effet,
l’état social change : des institutions s’en vont, d’autres
viennent ; les sciences font des
découvertes ; les
peuples, se mêlant, mêlent leurs idiomes : de là l’inévitable
création
d’une foule de termes. D’autre part, tandis que le fond même se
modifie,
arrivant à la désuétude de certains mots par la désuétude de certaines
choses,
et gagnant de nouveaux mots pour satisfaire à des choses nouvelles, le
sens
esthétique, qui ne fait défaut à aucune génération d’âge en âge,
sollicite, de
son côté, l’esprit à des combinaisons qui n’aient pas encore été
essayées. Les
belles expressions, les tournures élégantes, les locutions marquées à
fleur de
coin, tout cela qui fut trouvé par nos devanciers s’use promptement, ou
du
moins ne peut pas être répété sans s’user rapidement et fatiguer celui
qui
redit et celui qui entend. L’aurore aux
doigts de rose fut une image gracieuse que le riant esprit de la
poésie
primitive rencontra et que la Grèce accueillit ;
mais, hors de ces chants antiques, ce n’est plus qu’une banalité. Il
faut donc,
par une juste nécessité, que les poètes et les prosateurs innovent.
Ceux qui,
pour me servir du langage antique, sont aimés des cieux, jettent dans
le monde
de la pensée et de l’art, des combinaisons qui ont leur fleur à leur
tour, et qui
demeurent comme les dignes échantillons d’une époque et de sa manière
de sentir
et de dire.
Le contre-poids de cette tendance est dans l’archaïsme. L’un est aussi nécessaire à une langue que l’autre. D’abord, on remarquera que, dans la réalité, l’archaïsme a une domination aussi étendue que profonde, dont rien ne peut dégager une langue. On a beau se renfermer aussi étroitement qu’on voudra dans le présent, il n’en est pas moins certain que la masse des mots et des formes provient du passé, est perpétuée par la tradition et fait partie du domaine de l’histoire. Ce que chaque siècle produit en fait de néologisme est peu de chose à côté de ce trésor héréditaire. Le fond du langage que nous parlons présentement appartient aux âges les plus reculés de notre existence nationale. Quand une langue, et c’est le cas de la langue française, a été écrite depuis au moins sept cents ans, son passé ne peut pas ne point peser d’un grand poids sur son présent, qui est en comparaison si court. Cette influence réelle et considérable ne doit pas rester purement instinctive et, par conséquent, capricieuse et fortuite. En examinant de près les changements qui se sont opérés depuis le dix-septième siècle et, pour ainsi dire, sous nos yeux, on remarque qu’il s’en faut qu’ils aient toujours été judicieux et heureux. On condamné des formes, rejeté des mots, élagué au hasard, sans aucun souci de l’archaïsme, dont la connaissance et le respect auraient pourtant épargné des erreurs et prévenu des dommages. L’archaïsme, sainement interprété, est une sanction et une garantie. |
Émile Littré, texte pioché dans La littérature française par le Colonel Staff (1877)
vendredi 12 juillet 2024
mercredi 10 juillet 2024
Une citation
Mais le
colonel ne le laissa pas dans l'incertitude : — Je me fais envoyer tous les nouveaux roman policiers de Paris. Je ne lis que des romans policiers. Vous devriez voir ma collection. J'apprécie particulièrement les romans anglais et américains. Les meilleurs sont traduits en français. Je n'aime guère les auteurs français eux-mêmes. La culture française n'est pas de nature à permettre d'écrire un roman policier de premier ordre [...] |
Eric Ambler : Le masque de Dimitrios (1939)
mardi 9 juillet 2024
Paf, dans ma bibliothèque !
Pif, paf, pouf, voici que déboulent
trois bouquins issus de la
boîte à livres devenue soudain féconde après plusieurs semaines de
chiche
provende ! D’autres,
d’un certain intérêt attendaient également dans leur coin, mais n’ont
pas
excité tant que cela votre Tenancier, indifférent aux romans des
Éditions de
Minuit qui, à tout prendre et au travers d’un vernis germanopratin,
valent ceux
de la collection Blanche chez Gallimard.
Commençons par le « retour » d’un volume dans ses rayonnages. En effet, la bibliothèque de SF du Tenancier a été décimée par ses soins, fruit d’un désamour à la quarantaine pour le genre — enfin, disons, une grosse fatigue — et d’autres nécessités que l’on voudra bien m’autoriser à celer ici. La loi du talion de Gérard Klein, recueil de nouvelles dans la collection J’ai Lu et sous la couverture de Tibor Csernus… : tous ces détails révèlent autant de marqueurs pour une génération qui a fait ses gammes dans cette littérature. Votre Tenancier a eu le plaisir et la chance d’avoir édité Gérard Klein et le souvenir reste vif d’une personne généreuse, avisée et d’un commerce très agréable. Pour tout cela, ce bouquin-là devait retourner à sa place, dans la bibliothèque, pas très loin — dans le classement des affinités — d’André Ruellan ou de Philippe Curval. S’il a cédé nombre de livres de SF, votre Tenancier chéri en a gardé un peu, par nostalgie et depuis peu par plaisir renouvelé, même s’il ne cherche pas à lire de nouveauté en la matière. « Pourtant, vous en écrivez, non ? », me dira-t-on. Oh, très peu, et surtout dans les marges. D’ailleurs il lui plaît d’errer dans les bordures. Il ne tient pas trop à « faire partie » d'un milieu.
Deuxième prise : ce volume anecdotique sert uniquement à alimenter la rubrique des 10/18, bien délaissée. On l’a peut-être remarqué, mais votre Tenancier, loin de se présenter comme un adepte de la Dictature du Prolétariat, s’avouerait plutôt du côté du Laisser-faire des Feignasses. Vous retrouverez le livre un de ces quatre dans le blog. À propos, l’on n’a rien contre le fait que vous expédiez les deux plats, le dos ainsi que le descriptif de vos anciens 10/18. On signale d’ailleurs à Monsieuye qu’on ne la pas oublié à ce sujet.
Le Tenancier connaît ce genre de production. Il garde le souvenir du bouquin d’Alain Schifres, Les Parisiens, lu comme une nouveauté lorsqu’il travaillait en librairie et avait découvert à cette occasion la raison de la feuille de salade dans l’assiette de steak-frites des brasseries parisiennes. À quoi doit-on s’attendre avec le présent ouvrage qui semble marcher sur les brisées du susdit ? Peut-être pas grand-chose ou peut-être un renouvellement par le style que l’on s’est permis de picorer et qui nous agrée. Le piéton de Paris se révèle une espèce qui se perpétue de décennie en décennie, consignée dans son enceinte avec quelques échappées bourgeoises du côté de l’avenue Victor Hugo à la Fargue ou qu’elle s’évade comme feu Maspero dans Les passagers du Roissy-express. On s’en doute, l’originalité du propos n’apparaît pas comme un critère d’acquisition… Ce livre-là semble employer l’ironie et saura sans doute plaire à votre Tenancier (re)devenu provincial, mais qui garde cependant quelques souvenirs aigus de Paris, où d’ailleurs il n’a guère envie de refoutre les pieds s’il n'y subsistaient quelques amitiés, en un étrange miracle. Citons les paragraphes : L’addition, Poules, Chiens, Métro, Gares, Halles, Crasse, Pigeons, Métamorphoses, Culture, Salons, Lascaux II, qui appellent à une lecture nonchalante et picorante dans des après-midi de latence, ce qui vaut mieux que de se cogner l’organigramme du parti communiste entre 1925 et 1939 dans le livre de Kriegel…
Gérard Klein : La loi du talion — J’ai lu (1979)
Annie Kriegel : Le pain et les roses — 10/18 (1973)
Anne Le Cam : Paris pour le pire — Arléa (2002)
Commençons par le « retour » d’un volume dans ses rayonnages. En effet, la bibliothèque de SF du Tenancier a été décimée par ses soins, fruit d’un désamour à la quarantaine pour le genre — enfin, disons, une grosse fatigue — et d’autres nécessités que l’on voudra bien m’autoriser à celer ici. La loi du talion de Gérard Klein, recueil de nouvelles dans la collection J’ai Lu et sous la couverture de Tibor Csernus… : tous ces détails révèlent autant de marqueurs pour une génération qui a fait ses gammes dans cette littérature. Votre Tenancier a eu le plaisir et la chance d’avoir édité Gérard Klein et le souvenir reste vif d’une personne généreuse, avisée et d’un commerce très agréable. Pour tout cela, ce bouquin-là devait retourner à sa place, dans la bibliothèque, pas très loin — dans le classement des affinités — d’André Ruellan ou de Philippe Curval. S’il a cédé nombre de livres de SF, votre Tenancier chéri en a gardé un peu, par nostalgie et depuis peu par plaisir renouvelé, même s’il ne cherche pas à lire de nouveauté en la matière. « Pourtant, vous en écrivez, non ? », me dira-t-on. Oh, très peu, et surtout dans les marges. D’ailleurs il lui plaît d’errer dans les bordures. Il ne tient pas trop à « faire partie » d'un milieu.
Deuxième prise : ce volume anecdotique sert uniquement à alimenter la rubrique des 10/18, bien délaissée. On l’a peut-être remarqué, mais votre Tenancier, loin de se présenter comme un adepte de la Dictature du Prolétariat, s’avouerait plutôt du côté du Laisser-faire des Feignasses. Vous retrouverez le livre un de ces quatre dans le blog. À propos, l’on n’a rien contre le fait que vous expédiez les deux plats, le dos ainsi que le descriptif de vos anciens 10/18. On signale d’ailleurs à Monsieuye qu’on ne la pas oublié à ce sujet.
Le Tenancier connaît ce genre de production. Il garde le souvenir du bouquin d’Alain Schifres, Les Parisiens, lu comme une nouveauté lorsqu’il travaillait en librairie et avait découvert à cette occasion la raison de la feuille de salade dans l’assiette de steak-frites des brasseries parisiennes. À quoi doit-on s’attendre avec le présent ouvrage qui semble marcher sur les brisées du susdit ? Peut-être pas grand-chose ou peut-être un renouvellement par le style que l’on s’est permis de picorer et qui nous agrée. Le piéton de Paris se révèle une espèce qui se perpétue de décennie en décennie, consignée dans son enceinte avec quelques échappées bourgeoises du côté de l’avenue Victor Hugo à la Fargue ou qu’elle s’évade comme feu Maspero dans Les passagers du Roissy-express. On s’en doute, l’originalité du propos n’apparaît pas comme un critère d’acquisition… Ce livre-là semble employer l’ironie et saura sans doute plaire à votre Tenancier (re)devenu provincial, mais qui garde cependant quelques souvenirs aigus de Paris, où d’ailleurs il n’a guère envie de refoutre les pieds s’il n'y subsistaient quelques amitiés, en un étrange miracle. Citons les paragraphes : L’addition, Poules, Chiens, Métro, Gares, Halles, Crasse, Pigeons, Métamorphoses, Culture, Salons, Lascaux II, qui appellent à une lecture nonchalante et picorante dans des après-midi de latence, ce qui vaut mieux que de se cogner l’organigramme du parti communiste entre 1925 et 1939 dans le livre de Kriegel…
Gérard Klein : La loi du talion — J’ai lu (1979)
Annie Kriegel : Le pain et les roses — 10/18 (1973)
Anne Le Cam : Paris pour le pire — Arléa (2002)
lundi 8 juillet 2024
Une historiette de Béatrice
samedi 6 juillet 2024
Paf, dans ma bibliothèque !
Le Tenancier vous avait promis du
neuf, mais par ailleurs il
ne résiste jamais à l’attrait de quelques livres d’occasion, d’autant
que celui
d’aujourd’hui détient un intérêt particulier. En effet, le César
de Gérard Walter date de 1947 pour sa première édition et l’on
peut gager que des études sur le personnage ont bénéficié de beaucoup
d’apports
en plus de soixante-quinze ans, mais qu’importe, parce que l’on y
trouve l’événement
suivant : Jules devient l’otage de pirates, paye une rançon élevée
et
promet de les exécuter, presque en plaisantant, ce à quoi il s’emploie
une fois
libéré. L’épisode est très résumé par nos soins, il se révèle plus
animé sous
la plume de Plutarque (Les Vies
parallèles) et fort bien rapporté par Walter. Votre Tenancier, la
première
fois qu’il était tombé sur cette péripétie — sans doute dans
Plutarque, il
y a des années de cela — s’est toujours demandé pourquoi une telle
histoire n’avait jamais été adaptée en péplum par un Cottavafi, un
Freda ou
autre. À la réflexion, un cinéaste étasunien aurait peut-être plus
convenu… Il
est vrai que l’image de César au cinoche demeure très codifiée, à son
apothéose
sanglante ou à ses incartades égyptiennes (Ah, Claudette Colbert ou
Élisabeth
Taylor, surgissant du tapis déroulé…) Mais reconnaissons que les débuts
sont
prometteurs, non ? Bref,
le Romain savait s’amuser.
Il reste toujours passionnant de voir éclore un véritable écrivain et c’est le cas lorsque l’on se confronte au troisième roman de Grégoire Domenach, récit d’un exil en Asie centrale, plus exactement au Kirghizstan où l’on sent et l’on sait que l’auteur y possède des attaches. Cependant, rien ne laisse pressentir que celles-ci procèdent de la malignité dans leur utilisation. Un peu d’honnêteté ne messied pas au milieu d’une pléthore de textes qui prétendent rapporter et qui ne racontent rien sinon le moi encombrant — et encombré — de plagiaires choyés par la presse. On a pensé ici à Kessel et à nombre de livres où l’on traverse un paysage palpable, habité par des personnages véritables, non parce qu’ils existeraient, peu importe, mais en raison de leur cohérence et de l’habileté avec laquelle ils apparaissent au fil de la narration. Même si le récit est une fiction, le cadre, lui, s’ancre dans le réel. Le lecteur attentif découvrira également que l’auteur possède un don pour l’évocation historique. Derrière ce clavier, l’on garde un souvenir très vif du compte-rendu de l’attaque de la poste de Dantzig, comme une annexe dans un premier roman encore maladroit, mais qui laisse pressentir ses potentialités. Dans le présent, l’on assistera, en introduction, au martyre de deux diplomates britanniques face à l’Émir de Boukhara et l’on se demande encore la raison pour laquelle Grégoire Domenach n’y a pas consacré un récit entier. L’histoire, vous ne dites rien de l’histoire, Tenancier ! Elle demeure simple, c’est une pérégrination où l’on voit et où l’on rencontre et où l’aventure se pare d’une mélancolie que tout lecteur du Manuel du parfait aventurier de Mac Orlan doit connaître. « Tenancier, vous citez Kessel et Mac Orlan, l’évocation est lourde ». Oui, mais elle se justifie par bien des aspects.
Il arrive que l’acquisition de livres s’effectue par une sympathie spontanée non envers un auteur, mais à l’égard de celui qui les a collationnés dans sa maison d’édition. À cet égard, la brève entrevue avec Marc Nagels qui dirige les Terres du Couchant et le plaisir d’un échange fugace se prolonge dans la lecture de ses productions. L’on n’a pas tout lu pour le moment, la rencontre est récente et l’on dose son contentement. Mais ce qui a attiré tout d’abord l’œil de votre Tenancier se résume à la sobriété des livres, tous établis sous la même charte graphique et typographique, avec cette petite touche d’élégance qui consiste à glisser un marque page intimement lié au titre. Est-ce de la bibliophilie ? On a déjà souvent ici prétendu que cette vilaine manie relevait du goût personnel et non de canons arbitraires et à cet égard l’élégance visuelle de toute la collection ajoute au plaisir d’un choix très soigné. On a lu pour l’instant La fugue à Noto de Le Guillou (méditation sur la solitude) et Horn d’Alain Emery (un portrait dans un style très soutenu que l'on va relire, car découvert au milieu de la foule et des interruptions). On connaissait le premier, à cause de ses rapports avec Gracq, on a découvert le deuxième à travers son style précis qui ne peut que ravir votre Tenancier chéri, suscitant même une ou deux pointes de jalousie sur le choix de mots ou l’agencement d’une phrase. On dispose d’un autre ouvrage de celui-ci, un de Roland Goeller, qui fréquente comme votre serviteur les colonnes de la revue l’Ampoule et enfin un roman plus épais d’Yves Fravalo, conseillé parMarc Nagels. À vrai dire, ce qui semble lier l’éditeur à ses auteurs réside dans la référence constante à Julien Gracq considéré comme une figure tutélaire. Puisque, par ailleurs, la marchandisation d’un de nos écrivains favoris va bon train à coup de fac-similés pourris, on trouvera le réconfort dans la découverte de ses continuateurs, infirmant en cela que Gracq fut le dernier représentant d’une certaine conception de la littérature. En effet, la rencontre se révèle importante et l’on s’offre le plaisir d’une prolongation avec des lectures enthousiasmantes. Cela rassure.
Bien entendu, votre Tenancier ne professe aucune ambition de critique lorsqu’il expose ses acquisitions dans ce blogue. Cela se résumerait plutôt à un « état » de sa curiosité et tant mieux s’il en parle en détail parfois. Mais, déjà, rentrer un livre chez soi procède d’une certaine estime…
Gérard Walter : César — Marabout (1980)
Grégoire Domenach : Refuge au crépuscule — Bourgois (2024)
Philippe Le Guillou : La fugue à Noto — Terres du couchant (2024)
Alain Emery : Horn — Terres du couchant (2021)
Alain Emery : Quatre rivières — Terres du couchant (2022)
Roland Goeller : Prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai — Terres du couchant (2021)
Yves Fravalo : Et les printemps pourtant — Terres du couchant (2019)
Il reste toujours passionnant de voir éclore un véritable écrivain et c’est le cas lorsque l’on se confronte au troisième roman de Grégoire Domenach, récit d’un exil en Asie centrale, plus exactement au Kirghizstan où l’on sent et l’on sait que l’auteur y possède des attaches. Cependant, rien ne laisse pressentir que celles-ci procèdent de la malignité dans leur utilisation. Un peu d’honnêteté ne messied pas au milieu d’une pléthore de textes qui prétendent rapporter et qui ne racontent rien sinon le moi encombrant — et encombré — de plagiaires choyés par la presse. On a pensé ici à Kessel et à nombre de livres où l’on traverse un paysage palpable, habité par des personnages véritables, non parce qu’ils existeraient, peu importe, mais en raison de leur cohérence et de l’habileté avec laquelle ils apparaissent au fil de la narration. Même si le récit est une fiction, le cadre, lui, s’ancre dans le réel. Le lecteur attentif découvrira également que l’auteur possède un don pour l’évocation historique. Derrière ce clavier, l’on garde un souvenir très vif du compte-rendu de l’attaque de la poste de Dantzig, comme une annexe dans un premier roman encore maladroit, mais qui laisse pressentir ses potentialités. Dans le présent, l’on assistera, en introduction, au martyre de deux diplomates britanniques face à l’Émir de Boukhara et l’on se demande encore la raison pour laquelle Grégoire Domenach n’y a pas consacré un récit entier. L’histoire, vous ne dites rien de l’histoire, Tenancier ! Elle demeure simple, c’est une pérégrination où l’on voit et où l’on rencontre et où l’aventure se pare d’une mélancolie que tout lecteur du Manuel du parfait aventurier de Mac Orlan doit connaître. « Tenancier, vous citez Kessel et Mac Orlan, l’évocation est lourde ». Oui, mais elle se justifie par bien des aspects.
Il arrive que l’acquisition de livres s’effectue par une sympathie spontanée non envers un auteur, mais à l’égard de celui qui les a collationnés dans sa maison d’édition. À cet égard, la brève entrevue avec Marc Nagels qui dirige les Terres du Couchant et le plaisir d’un échange fugace se prolonge dans la lecture de ses productions. L’on n’a pas tout lu pour le moment, la rencontre est récente et l’on dose son contentement. Mais ce qui a attiré tout d’abord l’œil de votre Tenancier se résume à la sobriété des livres, tous établis sous la même charte graphique et typographique, avec cette petite touche d’élégance qui consiste à glisser un marque page intimement lié au titre. Est-ce de la bibliophilie ? On a déjà souvent ici prétendu que cette vilaine manie relevait du goût personnel et non de canons arbitraires et à cet égard l’élégance visuelle de toute la collection ajoute au plaisir d’un choix très soigné. On a lu pour l’instant La fugue à Noto de Le Guillou (méditation sur la solitude) et Horn d’Alain Emery (un portrait dans un style très soutenu que l'on va relire, car découvert au milieu de la foule et des interruptions). On connaissait le premier, à cause de ses rapports avec Gracq, on a découvert le deuxième à travers son style précis qui ne peut que ravir votre Tenancier chéri, suscitant même une ou deux pointes de jalousie sur le choix de mots ou l’agencement d’une phrase. On dispose d’un autre ouvrage de celui-ci, un de Roland Goeller, qui fréquente comme votre serviteur les colonnes de la revue l’Ampoule et enfin un roman plus épais d’Yves Fravalo, conseillé parMarc Nagels. À vrai dire, ce qui semble lier l’éditeur à ses auteurs réside dans la référence constante à Julien Gracq considéré comme une figure tutélaire. Puisque, par ailleurs, la marchandisation d’un de nos écrivains favoris va bon train à coup de fac-similés pourris, on trouvera le réconfort dans la découverte de ses continuateurs, infirmant en cela que Gracq fut le dernier représentant d’une certaine conception de la littérature. En effet, la rencontre se révèle importante et l’on s’offre le plaisir d’une prolongation avec des lectures enthousiasmantes. Cela rassure.
Bien entendu, votre Tenancier ne professe aucune ambition de critique lorsqu’il expose ses acquisitions dans ce blogue. Cela se résumerait plutôt à un « état » de sa curiosité et tant mieux s’il en parle en détail parfois. Mais, déjà, rentrer un livre chez soi procède d’une certaine estime…
Gérard Walter : César — Marabout (1980)
Grégoire Domenach : Refuge au crépuscule — Bourgois (2024)
Philippe Le Guillou : La fugue à Noto — Terres du couchant (2024)
Alain Emery : Horn — Terres du couchant (2021)
Alain Emery : Quatre rivières — Terres du couchant (2022)
Roland Goeller : Prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai — Terres du couchant (2021)
Yves Fravalo : Et les printemps pourtant — Terres du couchant (2019)
vendredi 5 juillet 2024
Une circulation secrète
Une certaine facilité tendrait à
considérer que l’itinéraire
d’un livre, partant de l’imprimeur ou même du fabricant de papier
s’arrêterait
à l’étal du libraire, où le client se révélerait la destination finale.
Certes,
l’on évoque leur seconde vie, confrontés à la soudaine désertion
du
lecteur par décès plus ou moins subit ou par mort sociale :
prison,
chômage, etc. Ce sursis dans l’occasion est rappelé souvent par
incidente et
concerne moins le livre lui-même que les problèmes que posent sa survie,
malgré
tout et parfois aux politiciens et également à ceux qui aimeraient leur
disparition au profit de leur camelote goncourisée et œuvrant en
chœur dans
ce sens. On pourrait causer à longueur de colonnes, de cette vie
visible et
de ses vicissitudes, de sa survie, aussi, dans un monde qui s’enfonce
de plus
en plus dans la sottise prudhommesque — allez voir certaines
historiettes
de Béa dans le présent blogue — lorsqu’il ne se révèle pas fasciste.
Il existe cependant une circulation intime des livres qui, une fois arrivés entre les mains du lecteur, accomplissent un destin varié selon leur contenu. Si quelques-uns gagnent tout de suite le rayonnage d’une bibliothèque pour diverses raisons, d’autres effectuent un trajet qui va de la table, juste après l’achat, vers le bureau du chroniqueur ou au chevet pour le vulgaire lecteur ; vulgarité toute relative qui entretient plus de rapport avec l’humilité qu’à l’omniscience des ignares. Ensuite, si la bibliothèque n’en peut mais, il rejoindra une pile posée à même le sol qui sera écrémée lorsque celle-ci deviendra branlante ou trop haute, si l’on se montre habile et ordonné pour ce deuxième cas. L’excédent se retrouvera chez le bouquiniste, à la recyclerie, etc., et entamera la troisième partie de son existence ou l’enjeu de sa survie dépendra de son contenu, de la mode, ou d’autre chose encore. Reste cette circulation endogène, parfois si lente qu’elle se compte en poussière accumulée sur les tranches ou sur les plats ou bien en infimes incidents ou même la chiure de mouche devient un indice d’ancienneté sans ignorer non plus la décoloration des dos. Certains vivent ainsi dans les marges d’un désintérêt qui se veut momentané et qui dure au-delà de la motivation initiale qui avait présidé à leur choix. L’on redécouvre alors et l’on se demande. Mais la bibliothèque que nous avons négligée ne devient pas pour autant le cimetière que l’on peut imaginer, au large de cette circulation discrète. On y prélève, on s’y livre à des révisions, on y évolue à la mesure de son contenu. Tel lecteur extraira un essai découvert des éternités auparavant, le laissera traîner un moment non loin de lui, caressera en pensée la saveur ancienne, ouvrira quelques pages et se rendra compte de sa déception : ce n’était que cela. Nous avons perdu depuis longtemps derrière nous ce qui formait la substance de la rêverie ou de la pensée qui s’y attachait. Le lecteur est volage, tant mieux pour lui et tant pis pour le volume qui regagnera le rayonnage si son détenteur est reconnaissant ou bien sera « désherbé » avec une pointe de regret.
Nombre de livres se déplacent ainsi simultanément chez le curieux, de façon presque étrange, comme une représentation matérialisée d’un cheminement dialectique qui empilerait des jalons livresques, parfois cornés par des gougnafiers quand ils ne sont pas annotés. On y témoigne aussi de passions renaissantes : relire Conrad, relire London ou Flaubert, ou Balzac, des titres jamais lus ou des promesses dont on s’acquitte à l’égard d’auteurs contemporains qui ont paru un peu emmerdants après achat — et puis « ça y’est », on marche dans la combine du style et de la narration. Les livres réapparaissent aussi, de façon fortuite, au hasard d’une recherche : le bouquin d’à côté attire et interroge. On s’étonne du temps qui passe et des livrées de couvertures si datées, parfois, que l’on se dit que le réflexe de la sobriété de certains maquettistes épargne bien de petites hontes à ses lecteurs. L’esprit s’égare encore, en rencontrant un livre en travers d’un rayonnage, pas à sa place, peut-être posé là à la hâte en cherchant autre chose ; on s’intrigue de ces générations spontanées, mais à peine, puisque nous sommes rompus depuis l’enfance au phénomène. Peut-être faudrait-il une atteinte psychique spéciale qui nous mettrait dans la disposition d’établir des schémas de circulation et d’en déduire une sorte de conspiration de l’intelligence dont nous deviendrions les instruments inconscients.
Tout cela nous échappe, en somme.
Il existe cependant une circulation intime des livres qui, une fois arrivés entre les mains du lecteur, accomplissent un destin varié selon leur contenu. Si quelques-uns gagnent tout de suite le rayonnage d’une bibliothèque pour diverses raisons, d’autres effectuent un trajet qui va de la table, juste après l’achat, vers le bureau du chroniqueur ou au chevet pour le vulgaire lecteur ; vulgarité toute relative qui entretient plus de rapport avec l’humilité qu’à l’omniscience des ignares. Ensuite, si la bibliothèque n’en peut mais, il rejoindra une pile posée à même le sol qui sera écrémée lorsque celle-ci deviendra branlante ou trop haute, si l’on se montre habile et ordonné pour ce deuxième cas. L’excédent se retrouvera chez le bouquiniste, à la recyclerie, etc., et entamera la troisième partie de son existence ou l’enjeu de sa survie dépendra de son contenu, de la mode, ou d’autre chose encore. Reste cette circulation endogène, parfois si lente qu’elle se compte en poussière accumulée sur les tranches ou sur les plats ou bien en infimes incidents ou même la chiure de mouche devient un indice d’ancienneté sans ignorer non plus la décoloration des dos. Certains vivent ainsi dans les marges d’un désintérêt qui se veut momentané et qui dure au-delà de la motivation initiale qui avait présidé à leur choix. L’on redécouvre alors et l’on se demande. Mais la bibliothèque que nous avons négligée ne devient pas pour autant le cimetière que l’on peut imaginer, au large de cette circulation discrète. On y prélève, on s’y livre à des révisions, on y évolue à la mesure de son contenu. Tel lecteur extraira un essai découvert des éternités auparavant, le laissera traîner un moment non loin de lui, caressera en pensée la saveur ancienne, ouvrira quelques pages et se rendra compte de sa déception : ce n’était que cela. Nous avons perdu depuis longtemps derrière nous ce qui formait la substance de la rêverie ou de la pensée qui s’y attachait. Le lecteur est volage, tant mieux pour lui et tant pis pour le volume qui regagnera le rayonnage si son détenteur est reconnaissant ou bien sera « désherbé » avec une pointe de regret.
Nombre de livres se déplacent ainsi simultanément chez le curieux, de façon presque étrange, comme une représentation matérialisée d’un cheminement dialectique qui empilerait des jalons livresques, parfois cornés par des gougnafiers quand ils ne sont pas annotés. On y témoigne aussi de passions renaissantes : relire Conrad, relire London ou Flaubert, ou Balzac, des titres jamais lus ou des promesses dont on s’acquitte à l’égard d’auteurs contemporains qui ont paru un peu emmerdants après achat — et puis « ça y’est », on marche dans la combine du style et de la narration. Les livres réapparaissent aussi, de façon fortuite, au hasard d’une recherche : le bouquin d’à côté attire et interroge. On s’étonne du temps qui passe et des livrées de couvertures si datées, parfois, que l’on se dit que le réflexe de la sobriété de certains maquettistes épargne bien de petites hontes à ses lecteurs. L’esprit s’égare encore, en rencontrant un livre en travers d’un rayonnage, pas à sa place, peut-être posé là à la hâte en cherchant autre chose ; on s’intrigue de ces générations spontanées, mais à peine, puisque nous sommes rompus depuis l’enfance au phénomène. Peut-être faudrait-il une atteinte psychique spéciale qui nous mettrait dans la disposition d’établir des schémas de circulation et d’en déduire une sorte de conspiration de l’intelligence dont nous deviendrions les instruments inconscients.
Tout cela nous échappe, en somme.
mercredi 3 juillet 2024
Note de service
Votre Tenancier, loin d'être frappé de stupeur par la situation présente, a choisi de ne pas trop se mêler des conneries électoralistes, sachant depuis environ l'âge de 16 ans que le véritable combat antifasciste ne consiste pas à faire sa petite cochonceté dans l'urne de temps en temps. Alors, en attendant de savoir quoi faire avec les bonnes personnes — qu'on se rassure, le Tenancier abhorre la violence — il bricole des trucs dans son coin, comme refaire son site d'auteur de fond en comble.
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Pour le reste, on recausera de la longueur de la laisse, peut-être ici, peut-être ailleurs, mais un peu plus tard...
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