lundi 18 octobre 2021

Une historiette de Béatrice

La toute jeune fille parlant « zyva » venant me proposer des éditions XIXe siècle, non merci. Et les sortant de son sac griffé comme un paquet de kleenex. Euh, non merci.

samedi 16 octobre 2021

Mise au point

On s’en sera douté, on l’espère, le Tenancier a hésité à publier le passage consacré à Sonyas dans le billet précédent, représentation d’un certain « cosmopolitisme » honni sous ce vocable à la sortie de ce livre. Il reste à travers cette diatribe réactionnaire la trace d’un phénomène qui allait prendre une place prépondérante dans la production de la bibliophilie illustrée, celui du livre d’artiste. On passera sur le reste avec d’autant plus d’aisance que notre société s’est désormais affranchie de ces jugements de classes, racistes et témoignant d’une ignardise crasse (excepté au sujet des dentistes, qui achètent vraiment n’importe quoi !)
Nous l'avons échappé belle !

Les bibliophiles

Le pontife

   Sonyas a quitté ses Balkans nataux pour sauver la France. C’est un type dans le genre de Jeanne d’Arc. Il règne sur une partie de la France dont le centre d’attraction est le Café de la Rotonde, boulevard du Montparnasse. Il répand sur des panneaux en toile des torrents de peinture d’un éclat inédit. Les honnêtes gens en ont la vue troublée pour un mois. Quelques dentistes lui achètent très cher des tableaux avec la certitude que d’ici peu d’années leur cours aura centuplé.
  Mais Sonyas ne se contente pas de terroriser le monde de la peinture ; son audace menace aussi la librairie. Il réclame à grands cris la corde pour tous les éditeurs qui ne servent pas une esthétique conforme à la sienne. Il dit : « Ça un livre ! » comme Brummel disait à George IV : « Ces horribles choses que vous portez aux pieds, vous osez appeler cela des souliers. »
  Un général russe en rupture de Soviets et qui, ayant pu sauver assez de pierreries pour monter une maison d’édition sur le Mont-Parnasse, a eu l’imprudence de le prendre pour conseiller artistique, a été amené ainsi à faire des éditions qui sont autant de rébus. Sonyas a pris le mors aux dents : grâce à ses suggestions, le général russe a sorti des volumes dont les dessins sont inexplicables et la typographie déconcertante. Une petite école d’admirateurs glousse d’aise, le reste du public se réserve. La faillite menace le général russe de plus en plus ahuri ? Sonyas s’emballe. Il rêve d’imprimer les livres à l’envers et d’employer, au lieu de l’encre, du jaune d’œuf ou des excréments, de ne plus prendre que du papier d’emballage. Quant à ces papiers dits de Chine, du Japon ou de Hollande, il prédit que d’ici peu on ne s’en servira que comme serviettes hygiéniques. Au général russe qui lui montre son navrant bilan, il affirme :
  — Patience ! Dans vingt ans on nous imitera !
  Mais dans vingt ans la surenchère aura probablement mis Sonyas dans l’obligation de tenir le livre pour un objet bien désuet et il sera l’Apôtre d’une nouvelle religion.

André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)

dimanche 10 octobre 2021

Les bibliophiles

La bibliophile à aigrette
 
   Elle monte à cheval avec crânerie, patine avec virtuosité, joue au golf avec adresse, chante avec charme, et mise au poker avec audace. Toutes ces qualités sont vraiment providentielles pour les revues illustrées, qui, lorsque l’actualité chôme, peuvent toujours noircir une page avec le portrait d’une personnalité aussi flatteuse. Elle fixe la mode avec une décision souveraine et ne peut dîner si elle ne compte pas à sa table deux ministres, un ambassadeur, un maréchal de France, un académicien et quelques barons de la Finance. Son sourire assure le succès d’une pièce et sa première femme de chambre n’est, autant dire, occupée qu’à tenir la comptabilité de ses engagements mondains, de ses essayages, massages, rendez-vous, cérémonies ou elle doit paraître, etc. Depuis le moment où la sonnerie du téléphone l’éveille jusqu’à celui où elle s’abat dans son lit, recrue de fatigue, elle n’a pas une minute disponible. Sa vie est est une mosaïque strictement établie. Elle a heureusement un mari peu exigeant, mais il lui serait impossible d’avoir le moindre amant.
  Par quel miracle réussit-elle à s’occuper de livres ? Son librairie ordinaire a la consigne de souscrire à toute édition annoncée à tirage limité, quel qu’en soit le prix ou la qualité, et cet honnête commerçant n’y manque pas. On voit traîner sur la table de son boudoir les plus belles réalisations de nos éditeurs et aussi les pires choses. Entre deux cigarettes elle feuillette négligemment ces livres où se totalisent tant d’effort plus ou moins heureux ; cela lui permet de meubler sa conversation de noms d’écrivains, d’artistes et d’éditeurs : les militaires, les diplomates et les hommes de sport y puisent des motifs d’admiration ; et lorsqu’elle parle papier japon ou madagascar, les hommes politiques oublient leur rivalité pour proclamer à la majorité absolue que c’est une femme de goût.
  Au cours d’une courte maladie qui la tint deux semaines à la chambre, elle se mit à lire. Sur le guéridon qui avoisinait sa chaise longue, de superbes éditions offraient leur somptuosité aux rares visiteuses admises à son intimité ; mais sous les coussins sa cachaient quelques volumes de Champsaur et de Clément Vautel qui réapparaissaient dès que la malade se trouvait seule, volumes dévorés si vite que les pages étaient déchirées plutôt que coupées.

André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)

jeudi 7 octobre 2021

Errol filme (mais pas que)


« Je ne sais pas pourquoi j’écris, à moins que ce ne soit pour me prouver quelque chose. Avant de devenir acteur, je mourais pratiquement de faim à force d’essayer de vendre mes histoires. Je suppose que j’ai toujours eu ça en moi et que je l’aurai jusqu’à la fin. Parfois je me demande pourquoi je me décarcasse à passer des nuits entières à mon bureau. Je n’ai jamais réussi à trouver une réponse satisfaisante à cette question »
 
Errol Flynn

Biblio piquée à Wikipedia :

Beam Ends, New York, Longmans, Green and co, 1937, (traduction française : Princes de la bourlingue, éditions Ouest France, 2003) — Récit autobiographique

Showdown, New York, Sheridan House, 1946, (traduction française: L'Épreuve de vérité, Le Serpent à plumes, Paris, avril 2009  — Roman

My Wicked, Wicked Ways, New York, Buccaneer, 1959, (traduction française ; Mes 400 coups, Éditions Olivier Orban, 1977 / réed. J'ai lu, 1979 / rééd. Séguier, 2020) — Autobiographie

Moi et Castro, suivi de ce qui m'est réellement arrivé en Espagne, éditions du Sonneur, 2019.

mercredi 6 octobre 2021

Le sens du poil

[...] En effet, le consensus déploie ses tentacules un peu partout, et pas seulement dans les mass media, révélateur de la démagogie ambiante, de la préséance du tout victimaire, et d’une infantilisation généralisée. Il ne faut froisser personne, nous sommes tous des victimes, nous n’avons pas atteint notre majorité. On a peur, c’est la panique. Cette logique infecte le champ culturel et, ce faisant, neutralise la pensée, la littérature, l’art. On demande des « produits » neutres, inoffensifs, voire insipides, si possible divertissants, oubliant au passage qu’en cherchant à ne surtout pas déplaire au plus grand nombre, on court le risque de ne plaire à personne. On cherche à publier des livres pour les gens qui ne lisent pas (pour reprendre le terme employé par certains professionnels). Les commissaires d’exposition en viennent à s’autoproclamer « Présumés innocents » (sans succès), les écrivains sont sommés d’expliquer que le mot chien ne mord pas, les éditeurs passent leur vie à se justifier de publier des livres « difficiles » ou « intellectuels », mot qui semble devenu un juron pour ceux qui voudraient, à les en croire, lire des livres manuels.
  Tous les maillons humains de la chaîne du livre (ne devrait-on pas plutôt parler ici des entraves du livre ?) qui se dérobent devant l’inédit, la surprise, le scandale d’un livre sous prétexte qu’il fait violence à leur pensée, ne font que consacrer cette tarte à la crème qu’ils sont les premiers à dénoncer, le « politiquement correct ». Que penser du fait que certains éditeurs, représentants, libraires, journalistes majeurs, vaccinés, certes pas consentants mais censément éclairés (ou professionnellement tenus de l’être) déclarent ne pas « être prêts pour lire ce livre » (on comprendra que cette citation ainsi que celles qui suivent, retranscrit des propos qui m’ont été adressés directement au sujet des livres que je publie. Qu’ils hésitent à publier, diffuser, parler d’un livre de peur d’agresser l’être sans défense auquel il pourrait sauvagement s‘attaquer. Soit parce qu’eux-mêmes sont « heurtés » et qu’ils projettent leur désarroi sur les lecteurs auxquels le livre s’adresse. Soit pour les plus bienveillants qui s’estiment pour leur part capables d’apprécier le livre, parce qu’ils s’arrogent, en pensant à leur place, le droit de protéger les autres. Ce processus d’infantilisation intellectuelle et morale, ce principe de précaution appliqué à soi-même et aux autres dévoile les travers dorloteurs d’une société en proie à une panique morale. Mais pire que ça, les mécanismes de défense passent à l’attaque : cette forme de neutralisation est une nouvelle expression de la censure.
  Avant c’était le ministère de l’Intérieur qui se chargeait de protéger les faibles d’esprit (les enfants et les femmes) dont les bonnes mœurs risquaient d’être outragées par des lectures impures, ou qui cherchaient à éviter que le lecteur, telle une éponge, reproduise en bon chien de Pavlov ce qu’il venait de lire. Désormais, la censure est autogérée. Il n’y a plus de livres interdits (paraît-il), mais des relais d’interdiction un peu partout. On ne brûle plus les livres que par le silence et la passivité.
  Pourtant, personne dans les « milieux de la culture » ne se dit favorable à la censure, non, à l’ère humaniste de la libéralité, tout le monde défend plutôt la liberté d’expression, car, on le sait, tout le monde est progressiste. Mais là encore, ceux-là même qui soutiennent la liberté d’expression ne sont pas les premiers à la défendre en actes. D’ailleurs lorsque le sujet est abordé, nombreux sont ceux qui s’empressent d’ajouter qu’il y a des limites. La liberté d’expression, par définition, se réalise dans un excès qui lui est propre, c’est dans cette absence de limites que s’exprime la pensée, et c’est elle que l’on veut en permanence rogner, escamoter, en lui fixant des règles (et des exceptions), ou en la garrottant en un idéal abstrait [...]

Laurence Viallet : Le sens du poil -  in : Revue Lignes n° 20, mai 2006
(L. Viallet est éditrice)
Ce passage a été publie à l'origine sur le blogue Feuilles d'automne en Février 2014