lundi 26 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 29


François Fasula

Cendres

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 199è sur les presses de Deleatur pour le compte des amis de la Loire et du Train réunis
Requiem in pace



Le Tenancier : Pourquoi beaucoup de textes publiés dans cette collection s’attachent à une sorte de sentiment géographique, comme ceux de Jacques-Élisée Veuillet déjà abordés ici ? Pourtant, Cendres se révèle si court ! En peu de mot beaucoup de sensations passent. Très beau texte, très touchant… « La terre brune avait une épaisseur de graisse »… diable, on aimerait être l’auteur de ça !
 
Pierre Laurendeau : Texte très très bref, en vérité ! J’ai dû utiliser au moins un corps 16 pour l’étendre sur le nombre de pages fixe de la collection…
J’ai rencontré François Fasula, qui habitait Angers, lors de manifestations littéraires – à la fois confidentielles et sympathiques – organisées par les « Traumfabrik », un couple très investi dans l’édition de poésie (ils furent les organisateurs du salon de Rochefort-sur-Loire). En 1997, François venait de publier son premier roman, La vallée nuageuse ou De l'influence du whiskey sur le comportement des anges, chez Alfil – après un recueil de nouvelles, Le Voleur de temps, paru chez le même éditeur. J’avais été séduit par la tonalité et l’étrangeté de ses textes.
François appréciait les minilivres et me proposa un jour ce très très court texte, dont tu as si bien parlé.
Pour l’anecdote, François Fasula avait adressé à Fayard deux manuscrits (de mémoire, un recueil de nouvelles et un roman), qui furent acceptés par Claude Durand, un des derniers « géants » de l’édition : Claude Durand regardait tout ce qui était adressé à Fayard. Lors de l’entretien que François eut avec lui, Claude Durand fit une remarque qui m’a obligé à changer de chaussettes : « J’ai vu dans votre bibliographie un ouvrage publié par Deleatur… Excellent éditeur ! »
J’ai perdu contact avec François Fasula, et je le regrette… Il semble poursuivre ses publications chez un éditeur angevin, le Petit Pavé.

samedi 24 février 2024

Dystopie

La fiction dystopique, c'est lorsqu'on prend les choses qui arrivent dans la vie réelle à des populations marginalisées et qu'on les applique à des privilégiés.
(Piqué sur le ouèbe)

vendredi 23 février 2024

Une historiette de Béatrice

— Bonjour, vous avez du d'Ormesson?
— Non, désolée
— Ah, et alors qu'est-ce que vous avez d'un peu culturel, en général ?

jeudi 22 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 28


Robert Vigneau

Contribution 63
au Congrès de psychanalystes

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques freudo-ébénistes



Le Tenancier : On s’amuse bien à la lecture de l’intervention d’un ébéniste à ce congrès. Le télescopage reste une technique efficace pour les récits sarcastiques et humoristiques et cela fonctionne très bien ici, y compris dans la petite touche autobiographique. Mais qui est Robert Vigneau ? Il a semblé discret jusqu’à sa disparition en 2022 et pourtant, il possède une bibliographie importante…
Qui a dessiné la vignette de couverture et le cul-de-lampe ?
 
Pierre Laurendeau. Ah zut ! Tu m’apprends le décès de Robert Vigneau, que j’ignorais… Je ne sais plus comment il avait pris contact, peut-être à la suite de l’achat d’un minilivre chez un libraire (au milieu des années 90, il y en avait qui présentaient la prestigieuse collection !). Je l’ai peu connu, mais sa critique subtile de la psychanalyse par le mobilier m’a tout de suite séduit ! J’ai eu l’occasion de parler de lui avec un de ses éditeurs, Xavier Dandoy de Casabianca (les éditions Éoliennes, installées à Bastia), lors d’un marché de la poésie (2021 ?). Il ne semblait pas avoir de nouvelles, lui non plus. Jusqu’au milieu des années 2000, on recevait chaque année une carte de vœux qu’il confectionnait sur le modèle des minilivres – toujours charmantes et souvent impertinentes.
Les vignettes ont été dessinées par Alain Le Corre, un graphiste angevin avec qui nous collaborions pour Le Polygraphe et qui aimait la collection. Je crois que ce sera sa seule contribution à Deleatur.

mercredi 21 février 2024

10/18 — Alexandre Soljénitsyne : Une journée d'Ivan Denissovitch




Alexandre Soljénitsyne
Une journée d'Ivan Denissovitch

Traduit du russe par Léon et André Robel
et Maurice Decaillot
Préface de Pierre Daix

n° 488


Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
191 pages (192 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 5 avril 1974


(Contribution du Tenancier)
Index
a


mardi 20 février 2024

Un refus

L’autre jour, on a proposé à votre serviteur de participer à un mini-festival — l’équivalent d’une fête de quartier ou en tout cas dans une sorte d’entre-soi — où l’on me conviait à travailler en public sur un mot choisi dans une sélection de trois, production qui serait lue ensuite devant tout le monde. L’invitation aurait pu me flatter si j’avais appartenu à ce genre de personne qui aime s’exhiber, me comparant à un Simenon dans sa cage en verre, par exemple. Cependant, un surcroît de prudence — entre autres — m’a poussé à refuser cette proposition, trop conscient que ma production ne concerne pas ce genre d’exercice spectaculaire. Non que je me prenne pour un « Grandécrivain », mais que l’on pense de moi que je sois un débiteur de texte à la demande et que je ferais fi également de la sorte d’intimité régissant toutes mes rédactions lorsque je me retrouve à ma table de travail, m’a quelque peu défrisé, si c’était encore possible de côté-là. Cette requête ne me paraît pas inconvenante, mais pose la question de ce que l’on entend par le labeur d’écriture, la confinant à une sorte d’exercice technique où ne rentrerait en jeu qu’une certaine aisance à manipuler des concepts, compétence qui se recrute d’ailleurs chez les premiers de la classe. Je ne fais pas partie de cet univers.
Je m’imagine à me débattre deux heures durant, puisqu’il semble qu’on m’allouait ce temps, avec un de ces mots, devant tout le monde. La lutte avec l’ange tomberait alors dans la catégorie poids mouche… ou à une piteuse débâcle. Cette proposition n’est pas exceptionnelle. J’ai déjà assisté à ce genre d’exercice, sous une forme ou une autre, où les auteurs sollicités s’en sortaient haut la main et où ils en tiraient même un surcroît de prestige auprès d’un public. Pour ma part, je m’attends toujours à ce que l’on fasse passer le chapeau pour remercier l’artiste. En tout cas, que l’on ne compte pas sur moi pour me prêter à ce genre d’attraction. Je ne me prends pas non plus pour un « créateur solitaire » ; je sais à quel point je demeure redevable à beaucoup de personnes, mais je refuse de devenir une bête à exhibitions. Cela ne signifie pas pour autant que je répugne à rencontrer des lecteurs et à converser, autant que possible. Du moins y a-t-on le choix du sujet sans l’injonction de la contrainte et de l’efficacité.
J’ai donc refusé.

lundi 19 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 27


Rikki Ducornet
Pierre Laurendeau

Mandrake
Les Fruits
de Ruben

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques exégètes



Le Tenancier : Beau livre que cette évocation de la mandragore, écrite et illustrée par Rikki Ducornet et suivie d’une notice rédigée semble-t-il par vos soins, cher éditeur. On y retrouve les illustrations de l’artiste, sensuelles, en même temps qu’un récit en anglais. Le texte non traduit est paraphrasé par la notice dont on se demande (méfiance induite par la collection) si le contenu n’en serait pas enjolivé. Comment s’est produite votre rencontre avec cette poétesse mystérieuse ?
 
Pierre Laurendeau : Cher Tenancier, tu as raison : le doute est toujours de saison lorsqu’il s’agit de Pierre Laurendeau, faussaire avéré, fabricant ou éditeur de supercheries en tous genres.
La rencontre avec Rikki Ducornet (et son compagnon de l’époque, Guy) se fit par l’intermédiaire de Jacques Abeille, bien qu’ils habitassent alors – on était au début des années 80 – tout près de chez moi : d’Angers au Puy-Notre-Dame – où Rikki et Guy avaient posé leurs valises au début des années 70 –, il y a seulement trois quarts d’heure de route. J’avais entendu parler d’eux par un ami libraire (« Il y a un couple franco-américain apparenté au surréalisme qui s’est installé dans le Saumurois, tu devrais les rencontrer »), mais c’est la publication, à l’enseigne de Deleatur, des Little Dirties for Rikki, une mini-enveloppe renfermant des variations dessinées de Jacques Abeille sur le thème de la chaussure et dédiées à Rikki) qui fut l’occasion d’une rencontre lors d’un séjour de Jacques et de sa petite famille à Angers. Nous fûmes tout de suite conquis, Agnès et moi, par cette femme au charme troublant, un peu magicienne, et à l’accent délicieux. Le courant passa également avec Guy, qui était devenu potier après une carrière universitaire en Amérique du Nord. Ils s’étaient installés dans le val de Loire – suivant en cela d’autres surréalistes – à la suite de la publication d’un album pour enfants qui avait été un succès en Amérique. Ils envisageaient de poursuivre cette activité avec des éditeurs français. Ils avaient notamment contacté Bayard, pour des aventures d’un charmant petit ours. Bayard déclina l’offre, puis publia, avec le succès qu’on connaît, la série des « Petit Ours brun »… dont le personnage ressemble étrangement à celui de Guy et Rikki… Curieuse coïncidence ! Ils comprirent assez vite que l’édition jeunesse, en France, fonctionnait sur d’autres critères que ceux des éditeurs outre-Atlantique.
Nous nous vîmes souvent. Même après la naissance de notre fils Olivier, que Rikki adopta.
Peu de temps après notre rencontre, Rikki publia en Angleterre un premier roman, The Stain, toujours inédit en français. Les publications s’enchaînèrent pour elle, avec un succès grandissant outre-Atlantique ; elle fut invitée par plusieurs universités, notamment à Denver, où elle finit par s’installer avec Jonathan Cohen, un psychiatre.
Rikki n’a pas eu de chance avec les lecteurs – et lectrices – français : son univers contrevient aux codes de la littérature nord-américaine telle qu’établis par le Comité de Vigilance des Bonnes Littératures, qui fait la loi sur ce que l’on doit lire. Guy, son premier compagnon, avait entrepris de traduire ses romans, d’abord comme exercice passionné, puis dans l’espoir qu’un éditeur français se déciderait plus facilement au vu du travail de traduction déjà fait. Rikki avait un agent chargé des ventes à l’international, mais les éditeurs restaient muets (il semble que son agent n’ait pas non plus montré un grand enthousiasme à la défendre). J’avais relu, à leur demande à tous les deux, la traduction – magnifique – d’Entering Fire, un roman monde, comme on dit aujourd’hui, se déroulant entre la France de l’Occupation, l’Amazonie et la côte est des États-Unis. J’étais très enthousiaste ! (Et le suis toujours…) Devant le peu d’empressement de la clique germanopratine, je décidai de le publier chez Deleatur, qui venait d’entrer chez l’infernal duo Ulysse-Distique. J’en vendis tout de même 200 exemplaires, ce qui pour Deleatur était presque un best-selleur, mais loin de couvrir les frais ! Un ami américain, vivant à Angers, m’avait conseillé d’envoyer le livre au jury du prix Maurice-Coindreau, qui couronne des traductions de l’américain. Je lui fis part de mon scepticisme sur les prix littéraires et les connivences connues des jurys avec les groupes éditoriaux. « Non, je t’assure, c’est un prix très sérieux. D’ailleurs, il n’est pas remis chaque année. » Je me laissai convaincre et adressai l’ouvrage au jury. Le hasard fit que la remise du prix se faisait cette année-là à Angers. Je ne pus y assister, étant à Paris pour des raisons professionnelles, mais Agnès, ma femme, et Guy y allèrent. Le jury se prononça pour une écrivaine américaine (enfin la traduction de son roman) en précisant : « On a eu du mal à se mettre d’accord… » Grosse déception pour Guy Ducornet, d’autant que le prix était doté. Puis, avant de passer aux petits fours, le porte-parole du jury ajouta : « Ah ! nous avons aussi décidé à l’unanimité d’une mention spéciale pour le roman de Rikki Ducornet, Les Feux de l’Orchidée, magnifiquement traduit par Guy Ducornet. » Et tous d’opiner : ‘Oui oui, superbe traduction ! »
Les mauvais esprits, j’en connais, se diront : « Je vous l’avais dit ! Connivence et compagnie ! » C’était bien cela… Pendant les petits fours, Guy eut l’occasion de converser avec l’universitaire porte-parole du jury (c’était tous des universitaires grand teint) et lui demanda par politesse sur quel sujet il travaillait. L’universitaire parisien (facteur aggravant) lui répondit, avec un rien de condescendance dans la voix : « Ma thèse porte sur un écrivain noir peu connu en France, qui a écrit un roman sur l’invisibilité des Noirs américains, Ralph Ellison… » Guy lui répond : « Ralph ? Je le connais bien, c’est un ami… Nous avons enseigné dans la même université, Amherst College. » Son vis-à-vis faillit s’étrangler avec ses petits-fours : le plouc provincial qu’ils avaient dédaigneusement écarté parce qu’inconnu au sérail se révélait autrement plus capé qu’eux, mais de l’autre côté de l’Atlantique. De plus, il pouvait saboter sa carrière (ce qui n’était évidemment pas dans les intentions de Guy) !
C’est la seule expérience de Deleatur avec l’engeance des prix littéraires. J’étais surtout triste pour Guy, qui vivait chichement.
En avril 1997, je rendis visite à Ramón Alejandro (que j’avais présenté à Rikki à Paris, et dont je repris un tableau pour illustrer la couverture des Feux de l’Orchidée) – voir numéro 22 – et prolongeai mon périple américain par un séjour à Denver chez Rikki et Jonathan, son nouveau compagnon. C’est à cette occasion que je lui proposai cette expérience à deux voix sur les « fruits » de Ruben – traduction volontairement fausse pour « mandragore ». Rikki écrivit un court texte, aussi raffiné qu’érudit sur le sujet – la mandragore l’a toujours fascinée –, que je complétai par une étude tout aussi inventée que vraisemblable.
 
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Last but not least, les éditeurs qui prirent la suite de Deleatur pour la publication des romans de Rikki n’eurent guère plus d’écho que moi, malgré des moyens autrement plus efficaces que moi, que ce soit Le Serpent à Plumes ou Joëlle Losfeld.
Je viens de faire traduire, par Catherine Vasseur – spécialiste des textes impossibles, en castillan du xviie siècle ou en anglais contemporain – Trafik, le dernier roman de Rikki, que j’ai découvert chez elle, lors d’un séjour à Port-Townsend, près de Seattle, où elle réside. Sorte de dystopie cocasse où une humanoïde dialogue avec un robot sur la mystérieuse planète Terre, réduite en cendres… Avis aux éditeurs, la traduction est disponible !