[…] Précisons, avant de commencer,
que nous sommes pleinement autorisés à interroger Restif sur l’enjeu de la
pratique de l’italique : venu en effet à la littérature par la typographie (ce fut un ouvrier
imprimeur qui ne devint écrivain que sur le tard), Restif imprima lui-même
plusieurs de ses œuvres. La typographie ne pouvait donc être pour lui
transparente. Elle entretenait même dans son esprit d’étranges rapports avec l’écriture :
Restif allait jusqu’à ne pas préparer de manuscrit pour se lancer parfois
directement, sans copie, dans d’étonnantes improvisations typographiques. Nous
seulement il pense en termes d’imprimerie
mais il « écrit typographie »
comme on parle anglais *.
* « Les endroits faits à la casse sont toujours les mieux
écrits » dit-il dans la Revue des
ouvrages de l’Auteur. S’il semble presque confondre écriture et impression,
Restif sais aussi se montrer attentif à leur différence : « on sent
que, dans l’impression, les lettres accentuées ne coûtent pas plus à mettre que
les autres ; au lieu que dans l’écriture, tout ce qui retarde la course
rapide est très gênant » (Les Nuits
de Paris). Claire conscience donc des lois corrélatives de rapidité et d’économie
qui régissent la pratique scripturale. Mais ces lois propres à l’écriture, Restif
les reverse sur sa typographie, reconfusion, par un mouvement de retour, du
manuscrit et de l’impression : quand il composait à la casse, il était
tellement « pressé » qu’il économisait des signes en éliminant les
doubles lettres et en utilisant de constantes abréviations. Écriture,
typographie : circularité d’où Restif ne sort pas.
Philippe Dubois : L’italique et la ruse de l’oblique — Le tour
et le détour
in : Cahiers Jussieu / 3 (1977)