À l’instar du proverbe de Lao-tseu
qui commande de rester
assis à bord de la rivière en attendant le cadavre de l’offenseur, il
nous
suffit, à nous, de prendre la même posture pour contempler l'écoulement
des
filaments putrides d’un certain vieux monde. En son temps, votre
Tenancier, peu
féru de littérature russe, et encore moins de dissidents (question de
goût littéraire, c'est tout...), se laissa aller à bouquiner
La tête de Lénine, de Nicola Bokov,
dans son édition de chez Laffont. La lecture (1982) en est devenue lointaine,
mais il se souvient tout de même du mode ironique du récit, pérégrination d’un
type ayant volé la tête de Lénine dans son mausolée. On le répète, votre
serviteur peu amateur de samizdats des années 70 goûta toutefois le ton et
la concision de l’auteur, sans ressentir pour autant l’envie d’y revenir. Mieux
vaut parfois une saveur imparfaite que des fragrances fanées. Faudra-t-il
retrouver ce bouquet perdu afin de décrire notre monde actuel qui, à l’instar
d’un régime soviétique repu, saccage la nature par son productivisme forcené
tandis qu’il interpelle quelques fabricants d’écrevisse géante en carton, sous
l’inculpation « d’association de malfaiteurs » ? Faudra-t-il désormais jouer avec
la censure politique qui procède à l’inspection de la littérature « séditieuse »
— déjà expérimentée du temps de l’affaire de Tarnac — et fait incarcérer trois
jeunes Allemands de passage qui en sont les détenteurs ? Faudra-t-il bientôt
rendre notre écriture transparente, de crainte de voir débouler les auxiliaires
en uniforme d’une oligarchie (peu importe sa couleur) afin d’inventorier nos
bibliothèques ? Faudra-t-il décrocher des portraits et partir avec sous le
bras, à l’instar de la tête de Lénine, réécrire le roman de Bokov avec ce
qui se passe sous nos yeux ?
Craignons que le sens de l’histoire ne s’inverse et que la
farce tourne au drame. Pour l’humour et la dérision, l’on doit jouer à deux, et
l’adversaire est un irréfragable con.