« Parler
de la bêtise, par les temps qui courent, c’est aller au-devant de
toutes sortes
d’écueils ; certains
y verront de la présomption, d’autres même une volonté de s’opposer à
l’évolution
contemporaine. Il y a de cela quelques années, j’avais moi-même
écrit : “Si
la bêtise ne ressemblait pas à s’y méprendre au progrès, au talent, à
l’espoir
ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête.” C’était en
1931 ; et personne n’osera
douter que le monde a connu d’autres progrès et perfectionnements
depuis lors ! Ainsi l’urgence de cette
question se fait-elle de plus en plus pressante : qu’est-ce au
fond la
bêtise ? »
Robert Musil : Conférence prononcée à Vienne en 1937 |
vendredi 15 décembre 2023
Paf, dans ma bibliothèque !
jeudi 14 décembre 2023
Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 22
Armando Alvarez
Bravo
du souvenir
Traduction :
Agnès Boonefaes
Illustrations :
Ramón Alejandro
Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques êtres premiers ou derniers
Le Tenancier : Une nouvelle dans les Minilivres ne compte pas énormément de signes. L’enjeu consiste à rendre une idée intelligible en peu de mots. Ici, il faut rendre compte du terminus d’une existence, de l’accumulation et de la futilité de tout cela. J’ai la vive impression que ce très court récit s’ancre dans quelque chose de vécu, sans savoir vraiment à quoi se rapporte cette dite expérience, partielle, ou totale ? La question prend de l’intérêt avec ce soupçon, et sans doute parce que cela se rapporte à tout processus créatif…
Armando Alvarez Bravo semblait un auteur important de l’émigration cubaine, comment son texte est-il parvenu dans cette collection ? A-t-il apporté les dessins d’Alejandro dans ses bagages ?
Pierre Laurendeau : Que de questions ! qui touchent à la dimension internationale de Deleatur. En 1995, Ramón Alejandro décida de s’installer à Miami, au plus près des amateurs de sa peinture à la fois onirique et descriptive (également truffée de références à la santeria – religion à mystère très présente à Cuba et dans l’émigration floridienne). Avant de partir, il me confia : « Ce que je regrette le plus en quittant la France, c’est notre complicité… Mais je réfléchis à poursuivre notre collaboration. »
Le résultat : un projet transatlantique fou, avec deux collections consacrées à des auteurs cubains, en langue espagnole (Baralanube et Mañunga). Ramón m’adressait les manuscrits et les dessins par Poste (c’était avant Internet). Je faisais relire les textes par une amie, Martine Roux, excellente hispanisante, puis j’envoyais – toujours par Poste – les épreuves à Ramón. Enfin, l’impression était confiée à Ivan Davy, un ami imprimeur près d’Angers. Puis j’expédiais les ouvrages à Miami. Le premier auteur publié dans Baralanube (en 1996) fut Armando, à l’époque journaliste dans un quotidien de Miami en langue espagnole : Trenos, un recueil de poèmes, illustré de magnifiques dessins au trait de Ramón Alejandro.
Je ne sais plus si Les Trahisons du souvenir fut antérieur ou postérieur à Trenos – peut-être Armando me confia-t-il le texte lors de mon séjour à Miami en 1997… Il existe une version en espagnol, Las traiciones del recuerdo, disponible en minilivre également.
Cette aventure angevino-cubaine donna lieu à une dizaine d’ouvrages, dont deux livres d’Antonio José Ponte, qui vivait alors à Cuba. Le premier, Las Comidas profundas, eut un écho international bien au-delà de la confidentialité de notre aventure : le livre de Ponte fut publié en anglais par City Lights Books à San Francisco, et l’auteur invité dans de nombreuses universités américaines, ce qui le contraignit à quitter Cuba (il fut rayé des listes de l’Uneac, le syndicat des écrivains cubains) et à s’installer en Espagne, où il vit toujours. Martine Roux, ma relectrice en espagnol, me signala l’intérêt de l’ouvrage, que je fis traduire par Liliane Hasson ; il parut en 2000 en français, toujours à l’enseigne de Deleatur, sous le titre Les Nourritures lointaines (le livre est toujours disponible). Ramón m’avoua plus tard que son projet éditorial était avant tout de publier Ponte, dont un second ouvrage, Cuentos de todas partes del Imperio, parut dans la collection Baralanube (non traduit).
La plupart des ouvrages des deux collections sont encore disponibles chez Deleatur… Avis aux amateurs !
mercredi 13 décembre 2023
mardi 12 décembre 2023
À paraître le 15 novembre 1998
Pour en savoir plus, cliquez ici
lundi 11 décembre 2023
Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 21
Jacques-Élisée Veuillet
Oncle Ted
Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs
Le Tenancier : De nouveau, Jacques-Élisée Veuillet suscite une féroce jalousie en même temps que de l’admiration avec ce texte, après La lettre close. C’est le genre de récit que tout écrivain rêverait d’écrire, enfin, tout écrivain qui se respecte : pas un mot de trop, pas un qui manque, la ténuité des phrases qui sied, une façon d’avancer feutrée... Je vous le dis les yeux dans les yeux, Monsieur Laurendeau, si vous n’aviez dû éditer qu’un seul auteur, il eût bien fallu que ce fût celui-ci. Une question demeure, qui ne s’est pas résolue à son propos lors de ta précédente évocation : a-t-il produit d’autres écrits, analogues à La lettre close et à Oncle Ted ? Je voudrais aussi que l’on revienne un peu sur les conditions de production et surtout de distribution de ces Minilivres. Comment s’opérait-elle ?
Pierre Laurendeau : O Tenancier, que de questions !
Ton éloge d’Oncle Ted me va droit au cœur. Ciselé, étrange sans donner d’explication à son étrangeté, un très grand texte en un condensé de mots. Malgré mes nombreuses et insistantes demandes – proposant de publier un recueil de ses nouvelles –, Jacques Veuillet ne m’a jamais transmis d’autres textes, si j’excepte un recueil de poèmes publié à titre posthume pour sa famille et ses proches. Il parlait de ses deux nouvelles avec une sorte de modestie distanciée, et ce sourire bienveillant que je lui ai toujours connu. Et me promettait de réfléchir à de nouveaux textes. Une première édition d’Oncle Ted, en grand format, est parue en 1992 dans la collection « Les Indes oniriques » : un cahier 15 x 21 cm, cousu, sous couverture Canson bleue, avec étiquette rapportée – très chic.
La diffusion des minilivres ? Un peu au hasard des librairies… à l’époque où il y avait encore de vrais libraires ; pendant les salons du livre, notamment celui de Paris, où je disposais un présentoir conçu exprès par un designer (je l’ai toujours) ; et des commandes de clients fidèles. En près de trente ans, j’ai tout de même imprimé, plié à la main et agrafé près de 15 000 exemplaires ! Ce qui, pour environ 70 titres, représente une moyenne de 200 exemplaires par titre… Les ventes servaient à compenser – partiellement – les ouvrages dispendieux publiés par ailleurs.
Ce qui est amusant, c’est que l’on trouve sur des sites de libraires anciens des minilivres à 10 € voire 15 €, alors qu’ils sont toujours disponibles chez Deleatur à 1,5 € !
dimanche 10 décembre 2023
samedi 9 décembre 2023
Quel caractère !
Signalons la parution de l'ouvrage d'Huguette Lendel, artiste que votre Tenancier prise particulièrement. Il a eu la chance de pouvoir collaborer avec elle à deux reprises et ne désespère pas de récidiver un jour. En attendant, il s'agit moins ici d'illustrations que d'écrits, une suite de 433 notices, illustrant ainsi un intérêt commun pour la forme courte. On ne fait pas souvent du copinage dans ce blogue. Vous savez bien que le Tenancier n'aime personne. On fait une exception...
Pour en savoir plus, allez faire un petit tour ici
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Une historiette de Béatrice
vendredi 8 décembre 2023
L'œil et Quatre historiettes
Avec cette revue, votre Tenancier dépasse la centaine de nouvelles publiées. La première, L’œil , nouvelle du Fleuve, est illustrée par Céline Brun-Picard.
jeudi 7 décembre 2023
Bibliographie des Minilivres aux éditions Deleatur — 20
Jean-Pierre Brisset
Le Diable
Le Prêtre
EXTRAIT DES ORIGINES HUMAINES
Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques êtres premiers ou derniers
Le Tenancier : Si l’on doit dégager une sorte de ligne éditoriale qui se forme et se dilue à mesure des publications de la collection, la succession de la nouvelle de Patrick Boman et à présent de l’extrait de Brisset nous oriente vers des préoccupations linguistiques. Se trompe-t-on en songeant à l’expression d’une pensée en évolution en même temps qu’elle édite des tiers ? En tout cas, la présence de cet « hétéroclite » de Brisset convient bien et amorce des liens avec d’autres auteurs à venir, comme Ernestine Chassebœuf, qui prend le relais de Jules Romains et bien d’autres littérateurs, dont toi, pour assurer sa pérennité.
Pierre Laurendeau : ô Tenancier, tes interrogations me contraignent à une introspection à laquelle je ne suis pas habitué. Ma pensée est certainement évolutive (je suis un darwinien), mais elle s’ancre à des références stables : surréalisme d’un côté, pataphysique de l’autre – et marxisme sur un troisième, voire montagne sur un quatrième !
Ma passion pour Brisset date de ma découverte, dans l’Anthologie de l’humour noir de Breton (j’ai déjà évoqué à quel point ce livre fut fondateur dans ma vie de lecteur, d’auteur et d’éditeur) d’extraits de l’œuvre brissettienne. C’était au début des années 70. Je m’étais ensuite précipité chez Marcel Béalu (tiens, un auteur que j’aurais aimé avoir dans la collection), qui tenait à l’époque sa librairie à Paris dans le quartier Saint-Michel, dans une ancienne boucherie il me semble – pour acheter l’édition Tchou de La Grammaire logique, suivi de La Science de Dieu, avec une préface de Michel Foucault. Béalu me parla d’enthousiasme de Brisset et je découvris à cette occasion ses nouvelles fantastiques, L’Araignée d’eau entre autres, que j’achetai également (en Poche Club, Belfond).
Retour à Brisset. Au début des années 80, je trouve à Angers chez un bouquiniste quatre éditions originales de Brisset (qui avait passé plusieurs années dans cette ville), que je m’empressai d’acheter. Un livre n’avait jamais été réédité : Les Origines humaines. Je prêtai l’édition originale à un ami éditeur, René Baudoin, qui le réédita ainsi que La Grammaire logique (« éditions », « éditeur », « réédita » : beaucoup de répétitions, M. Laurendeau !) sous une couverture discutable ! C’était avant que Marc Décimo s’attelle à l’édition des œuvres complètes de Brisset aux Presses du réel.
À l’époque, dans le cercle restreint des brissettiens, j’avais acquis une sorte de notoriété : on me consultait, on m’adressait des publications – je reçus la première thèse de médecine sur Brisset, de Philippe Cullard : Un paraphrène au XIXe siècle. Jean Pierre Brisset prince des penseurs, soutenue à Strasbourg en 1980.
Dans la collection des Minilivres, j’ai repris deux extraits : le premier, des Origines humaines, qui est celui-ci ; le deuxième – que l’on découvrira au numéro 30 – de La Grammaire logique ; j’en parlerai en temps voulu.
L’aventure de Brisset chez Deleatur se poursuivit, par Ernestine Chassebœuf interposée, par la publication du texte du spectacle de Bernard Froutin, Mots à Lier (montage de citations brissettiennes, créé en 2002), sous le titre Le Brisset sans peine. La 200e représentation de Mots à Lier a eu lieu à l’été 2022, à Champcella (mon village), dans une salle archicomble – 80 personnes ! J’ai repris Le Brisset sans peine en 2005, dans ma collection chez Ginkgo.
Ernestine Chassebœuf s’est démenée avec une bande de brissettophiles angevins (dont : Bernard Froutin, le psychiatre Jean Pallone…) pour que la Ville d’Angers donne un nom de rue au Prince des Penseurs. Elle avait lancé une pétition, à laquelle Julien Gracq avait répondu qu’il faudrait au moins pour cela débaptiser le boulevard Foch (l’artère centrale d’Angers). Au bout d’une dizaine d’années d’efforts, la municipalité (de droite, cette fois-là !) a accepté de nommer un étroit passage en l’honneur de Brisset.
Je ne dirai pas tout le mal que je pense de cette ville, il faudrait un épais ouvrage de récriminations, et ce n’est pas le lieu pour cela. Mais la frilosité des élus (de tous bords) est consternante : que ce soit pour Brisset, mondialement connu désormais ; pour Maurice Fourré, autre enfant du pays et immense écrivain, à qui un nom de rue fut refusé parce que son cousin, quincailler, en avait une ; ou, plus proche de nous, le groupe de musique à la carrière internationale LoJo ; ou le peintre Stani Nitkowski – sans oublier un certain Pierre Laurendeau.
mercredi 6 décembre 2023
L'histoire littéraire selon George
Peu de gens le savent, tant la chose semble incongrue, mais la grue du Tonkin — Marguerite Duras — se fit l’intime d'Antonin Artaud (« Un gron cul », comme elle aimait à le qualifier de façon assez immonde, forcément immonde).
À son retour du Mexique, lorsque gavé de peyotl il avait flippé à mort dans d’horribles visions, elle lui susurrait doucement :
« Modère, Artaud, quand t’as bilé »
(Ce qui incidemment lui inspira le titre d’un récit, dix ans après le décès de l’art tôt).
mardi 5 décembre 2023
Libre à la plèbe littéraire, adoratrice du banal déjà vu, de nazilloter à loisir son grossier ronron
« En
une mer, tendrement folle, alliciante et berceuse combien ! de menues
exquisités s’irradie
et s’irise la fantaisie du présent Aède. Libre à la plèbe littéraire,
adoratrice du banal déjà vu, de nazilloter à loisir son grossier
ronron.
Ceux-là en effet qui somnolent en l’idéal béat d’autrefois, à tout
jamais
exilés des multicolores nuances du rêve auroral, il les faut déplorer
et
abandonner à leur ânerie séculaire, non sans quelque haussement
d’épaules et
mépris. Mais l’Initié épris de la bonne chanson bleue et grise, d’un
gris si
bleu et d’un bleu si gris, si vaguement obscure et pourtant si claire,
le
melliflu décadent dont l’intime perversité, comme une vierge enfouie
emmi la
boue, confine au miracle, celui-là saura bien, — on
suppose, — où
rafraîchir l’or immaculé de ses Dolences. Qu’il vienne et regarde.
C’est avec,
sur un rien de lait, un peu, oh !
très peu de rose, la verte à peine phosphorescence des nuits opalines,
c’est
les limbes de la conceptualité, l’âme sans gouvernail vaguant, sous
l’éther astral,
en des terres de rêve, et puis, ainsi qu’une barque trouée,
délicieusement
fluant toute, dégoulinant, faisant ploc ploc, vidée goutte par goutte
au
gouffre innommé ;
c’est
la très douce et très chère musique des cœurs à demi décomposés,
l’agonie de la
lune, le divin, l’exquis émiettement des soleils perdus. Oh ! combien
suave et câlin,
ce : bonsoir, m’en vais, l’ultime farewel de tout l’être en
déliquescence,
fondu, subtilisé, vaporisé en la caresse infinie des choses ! Combien
épuisé cet
Angelus de Minuit aux désolées tintinnabulances, combien adorable cette
mort de
tout !
Et maintenant, angoissé lecteur, voici s’ouvrir la maison de miséricorde, le refuge dernier, la basilique parfumée d’ylang-ylang et d’opoponax, le mauvais lieu saturé d’encens. Avance, frère ; fais tes dévotions. » |
Les Déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, 1885
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