Il n’aura peut être pas échappé
aux rescapés qui fréquentent encore ce blog la petite série
bibliographique
autour de la
Gazette du Vieux Paris publiée
ici même, chronique bien laconique puisqu’on s’est contenté de
présenter le
premier plat de chacun de ces fascicules. Seul le titre donnait une
indication
du contenu, et seul le « tag » en fin de billet vendait la
mèche en
délivrant le nom de Robida. Il est temps ici d’en dire plus, et d’en
dire
beaucoup…
L’Exposition universelle de 1900 à
Paris est l’occasion pour Albert Robida, célèbre illustrateur et
humoriste, de
réaliser un projet qui semble lui tenir à cœur : reproduire le
vieux Paris
sur l’île de la Cité. Cette idée éclot à l'occasion de l'Exposition universelle... Toute une portion de la Seine lui est consacrée,
très
exactement sur le quai Debilly (actuellement : avenue de New
York), entre
la passerelle Debilly et le pont de l’Alma. Cette reconstitution
pittoresque
mérite qu’on y regarde de plus près :
« Sur le quai Debilly, en
partie sur la berge et en partie sur la Seine, entre le pont de l’Alma
et la
passerelle des Armées de terre et de mer se déroulent sur près de 300
mètres
d’étendue les constructions du Vieux paris. Situé en face des palais
divers du
Champ-de-Mars, il présente au regard une longue file de monuments et
d’édifices, projetant dans le ciel et reflétant dans la Seine des
tours, des
tourelles, des clochers et des clochetons étagés par-dessus les toits.
Le Vieux
Paris est une véritable petite ville, couvrant un espace de 6 000
mètres,
divisée en trois quartiers principaux, sillonnés de rues et coupés de
places,
et présentant une sorte de synthèse pittoresque, vivante et
grouillante, non
d’une époque déterminée, mais de la vie d’autrefois, depuis la fin du XVe siècle jusqu’à
la fin du XVIIIe.
[…]
Le Vieux Paris, qui compte parmi
les attractions de l’Exposition universelle, est dû à l’initiative d’un
écrivain et d’un artiste très connu, M. Robida, qui en a dessiné les
plans. Il
a eu pour collaborateurs dans son œuvre les architectes MM. L.
Benouville,
Beitz, Vilain, Gombert, Klinka, de Vlastimil, l’architecte paysagiste
M. Martinet,
et un grand nombre d’artistes : MM. Leemans, Lecourt, Cardona,
Béra,
Richard, Mme Émilie Robida, etc. M. Robida à publié sur le Vieux Paris
une
suite de planches in-folio, avec une notice (1900) »
( Le Vieux Paris, par H. Castets, in :
« L’Exposition
Universelle de 1900 », (p. 387) ) — Revue encyclopédique 1900.)
Quelques attraction ponctuent la
visite, un compte-rendu d’époque (même source que précédemment) nous
donne
quelques indications :
« En dehors du Vieux Paris, au quai Debilly, les berges
de la Seine sont vierges d’attractions.
Il y a bien les sous-sols des palais des puissances étrangères, rue des
Nations
(quai d’Orsay), mais ce sont surtout prétextes à boire, et, jusqu’à
nouvel
avis, les spectacles qu’on y produit ne sont pas d’un art très relevé.
Reste le Vieux Paris, dont le programme forme, à lui
seul, une des
exhibitions les plus importantes de l’Exposition.
Le Vieux Paris a été conçu par MM. Arthur Heulhard et
Robida. Tous
deux l’ont réalisé, et on peut dire que depuis longtemps les
constructions du
quai Debilly, si malaisées à l’origine et d’extérieur si pittoresque,
n’ont
cessé de piquer la curiosité publique.
Prix d’entrée : 1 fr. dans
la journée ; 2 fr. dans la soirée. Le vendredi : 2 fr. et 4
fr.. le
dimanche 0 fr. 50 et 1 fr.
Mais, pas d’illusions : les
expositions et spectacles divers qu’on peut voir dans l’enceinte du
Vieux
Paris, ne s’ouvrent que moyennant de nouvelles finances. »
( Les Attractions : Berges de Seine, par L. Vernols, in : « L’Exposition
Universelle de 1900 », (p. 387) Revue encyclopédique 1900.)
On le constate, l’entreprise est
colossale, elle rencontre un joli succès. Non content de mener à bien
ce
projet, Robida renchérit par la publication des planches évoquées
ci-dessus.
Elles ne concernent pas directement l'attraction du Vieux Paris et
couvrent une période plus
large puisque nous débutons la série par l’époque gallo-romaine — pour
notre
plus grand regret d’ailleurs, car nous aurions bien voulu voir la verve
de
Robida s’exercer sur la Préhistoire — jusqu’à Bonaparte. Là aussi, les
collaborations abondent et on rencontre nombre d’écrivains
« arrivés »
(beaucoup occupent largement le catalogue Lemerre…) qui se prêtent
parfois avec
humour et malice à l’évocation du Paris de l’ancien temps. La liste des
collaborateurs ci-dessous suffit à nous convaincre :
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1. Numéro gallo-romain
— Jules Verne : L'origine de Paris
— Henri Lavedan : Les arènes de Lutèce
— Edmond Haraucourt : Lutèce
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2. Numéro mérovingien
— Jules Claretie : Facétie mérovingienne
— Jules Verne : Paris capitale
— Henri de Bornier : Le Soufflet
— Adolphe Brisson : La Chanson de Dagobert
— Anonyme : Portrait d'Attilla
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3. Numéro carolingien
— François Coppée : Le fils des armures
— Auguste Dorchain : Paris en 887
— Eginhard : Portrait de Charlemagne
— Grosclaude : La Saint Charlemagne
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4. Numéro « Saint-Louis »
— Émile Bergerat : Le chêne de Saint-Louis
— José Maria de Hérédia : Les Croisés
— Pierre Loti : Au pays des Croisés
— Sergines : La légende de la Sainte-Chapelle
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5. Numéro « XIVe siècle »
— Albert Robida : L'Affaire de la Tour de Nesle
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6. Numéro « Jeanne d'Arc »
— Jules Lemaître : Sans titre
— Jean Aicard : La bergère de Domrémy
— Joseph Fabre : La délivrance d'Orléans
— François Coppée : Le procès et le supplice de Jeanne
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7. Numéro « Rabelais »
— Armand Silvestre : Sans titre
— Anatole France : La maison de Rabelais
— Jean Richepin : Ballade
— Henri Lavedan : La Parisienne sous François 1er
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8. Numéro « Henry IV »
— Sully : Portraict du Roy
— Émile Faguet : Henry IV et d'Aubigné
— Sergines : Le Vert-galant
— Henry IV : Madrigal-chanson
— Georges d'Esparbès : Le siège de Paris
— Jules Claretie : Au tombeau de Gabrielle
— André Theuriet : L'esprit et le cœur du Roy
— Auguste Deslinières : Indulgence d'un confesseur envers
son pénitent
— Anonyme : La vraye recette de la poule au pot
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9. Numéro « Théophraste Renaudot &
Richelieu »
— Adolphe Brisson : Théophraste Renaudot
— Henry Lavedan : La parisienne au tems de Louis XIII
— Gustave Larroumet : Le Cardinal de Richelieu
— Gabriel Hanotaux : Paris en 1614
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10. Numéro « Molière & Louis XIV »
— Ferdinand Brunetière : La jeunesse de Molière
— Émile Bergerat : Molierolaterie
— Émile Faguet : La jeunesse de Louis XIV
— Albert Vandal : Louis IV vengé par Molière
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11. Numéro « Régence & Louis XV »
— Henri Lavedan : Un souper sous la Régence
— Georges d'Esparbès : La Charge fleurie
— Jules Claretie : Les protégés de la Pompadour
— Sergines : Le Vocabulaire de Madame Du Barry
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12. Numéro « Louis XVI »
— Séverine : Le jeton de la Reine
— L. de Fourcaud : Plaisirs de reine
— Gustave Larroumet : À Versailles
— Victor Margueritte : La Ménagerie
— Victor Margueritte : Les Trois Fontaines
— Adolphe Brisson : Roman d'amour
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13. Numéro « révolutionnaire »
— Anatole France : Physionomie de Marat
— Henry Fouquier : Les femmes et la Révolution
— Edmond Haraucourt : La guillotine
— Jules Lemaître : Les hommes de la Révolution
— Victorien Sardou : Les hommes de la Révolution
— Émile Bergerat : Les hommes de la Révolution
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14. Numéro « bonapartiste »
— Paul Deschanel : Bonaparte amoureux
— Gustave Larroumet : Critique de Joséphine
— Émile Faguet : Défense de Joséphine
— Maurice Barrès : Un professeur d'énergie
— Edmond Haraucourt : L'oiseau de France
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(Vous pouvez cliquer sur les images pour avoir plus de détails...)
Le numéro consacré à la Tour de
Nesle est certainement le plus recherché par les amateurs car s’y déploie toute
la verve de Robida, forcé dans les autres fascicules à quelques illustrations
contraintes…
Chaque numéro comporte une
présentation, un papier et une typographie différents, le paroxysme du
raffinement se trouvant, à notre avis, dans le numéro « Jeanne
d’Arc », avec sa calligraphie gothique et son papier simili parchemin. D’autres
papiers, teintés ou non, présentent des
textures et des grains différents. Le format est à peu près de 22 cm sur 30,5
cm (c'est-à-dire 44 x 30,5 cm, plié en deux, ce qui fait quatre pages). Le descriptif de la plupart des libraires annoncent un format in-folio,
chose admissible à condition que les feuilles n’aient pas été rognées.
L’hétérogénéité des papiers, et donc des moulins fournisseurs, laisse à penser
à des formats originels en effet différents, les bords de chaque fascicule
étant rognés de façon nette. Néanmoins on peut supposer des formats similaires,
à quelques centimètres près. Pour ce qui concerne le type d’impression, on se
déclare hors du coup. Et si un amateur éclairé passe par ici, nous lui
réservons toute la place qu’il veut pour nous corriger et nous amender (A-t-on
affaire, par exemple à de la lithographie, de la xylogravure ?). Les
quatorze fascicules se retrouvent ordinairement dans un étui (que nous ne
possédons pas et donc que nous ne pouvons honnêtement décrire) et une notice
(que nous ne possédons pas non plus). Chaque numéro paraissait tous les quinze
jours.
Laissons la parole à Christine Luce qui participe au très intéressant
blog
L’Amicale des amateurs de nids à poussière et qui a évoqué dans un recueil
l’existence de la
Gazette du Vieux Paris :
« Enfin, Au Grand Coq [Donc, au sein de l'attraction du Vieux Paris, (note du Tenancier)], la maison de Renaudot,
Albert Robida a installé l'ultime pièce de son puzzle temporel, la Gazette du
Vieux Paris, publiée par l'éditeur Baschet, ou plus précisément par les Annales
Politiques et Littéraires, et vendue à l'enseigne des Trois Écritoires. C'est
de ce bureau que seront publiés les quatorze bulletins de la gazette spéciale,
une rétrospective autant dans la forme que dans le fond puisque chacun emprunte
une écriture différente depuis le manuscrit jusqu'à l'impression moderne mais
également des types de papier varié, adapté au siècle que les textes
représentent. Non content de produire une aventure du papier et de la
littérature, ces quatorze numéros, que l'acheteur heureux pourra contenir dans
un fourreau « antique », sont rédigés avec les talents de célèbres écrivains.
François Coppée, Edmond Haraucourt, Maurice Barrès, Pierre Loti, etc. mais
aussi Jules Verne, qui y rédigent des imitations et des calembredaines
enluminées, illustrées à la plume ou gravées sur bois par Albert Robida et son
fils Frédéric. Le journal paraît tous les quinze jours et présente aussi le
programme quotidien des théâtres, concerts et attractions. »
(1900 -
Albert Robida à l’Exposition Universelle, par Christine Luce, in : « Paris, une
physionomie », dir. Alexandre Mare — Les Moutons électriques (2013)
Notons là une erreur vénielle :
il n’y a nulle rubrique pour insérer dans ces parutions le programme quotidien des
attractions, etc. À tout le moins, on y trouve une réclame pour les Annales politiques et littéraires
et mentions brèves de quelques attractions (et cela sur deux ou trois
numéros, seulement). C’est que la place manque !
On a peu parlé du contenu. Il est anecdotique, à plusieurs
sens. Si les auteurs présents n’ont livré aucun texte essentiel, cela reste
néanmoins dans le ton de leur production habituelle, un Coppée demeurant
toujours plus rasoir que la bonhomie désormais compassée d’un Anatole France. L’évocation historique et l’anecdote y ont large
part. Encore une fois, on s’arrêtera au cinquième fascicule consacré au XIVe siècle et où Robida évoque l’Affaire de la Tour de Nesle sous l’angle (déjà !) de la presse à scandale.
Rien que pour cela (mais le passionné de Verne qu’est le Tenancier y trouve son
bonheur également) ces quatorze fascicules méritent que l’amateur se les
procure. Suivant l’état on peut les obtenir à un prix oscillant entre 100 et
300 €. Bien sûr, c’est un coup de sonde superficiel sur le net, et
vous pouvez avoir de la chance…
(Merci à Christine Luce de nous avoir communiqué son texte !)