Un autre gazetier, Charles Coligny, avait accepté de servir de
cicerone à un riche touriste anglais soucieux de visiter Paris sous la
conduite d'un lettré. Voici la note détaillée qu'il présenta à
l'insulaire en fin de service :
« Doit Mylord :
Francs
Une visite à la Seine
10
Un mot en présence des flots
15
Attendu qu'il est inédit
6
Une dissertation grammaticale
10
Attendu qu'il n'a rien compris
20
Promenade un peu longue
10
Dix-sept cents mots vulgaires
17
Ascension scientifique du Panthéon
20
Bons mots de toutes sortes
15
Explication du mot « Biche »
50,50
Frais de présentation du gentleman au
Cercle littéraire de la Brasserie des Martyrs
30,05
Absinthe pour le cornac
25
Total
228,55
Jean-Paul Lacroix : La Presse indiscrète — « Une époque dite Belle » — Julliard (1967)
Commes les deux Corneille ils étaient deux Dumas,
Mais aucun ne fut Pierre, et tous deux sont Thomas.
Henry Becque.
Si le coup de bec, de Becque t'éveille
Ô Thomas Corneille, en l'obscur tombeau,
Pardonne à l'auteur qui baye aux corneille,
Et songe au public qui baille aux Corbeaux.
[...] « Prendre la place d'un bonhomme
dont on ignore les motifs de son déplacement, requiert infiniment de
prudence, et un don très poussé du point de suspension. Fort
t'heureusement, je suis un suspensionniste spontané. Dès que l'on
m'enseigna, à l'école, les règles mouvantes de la ponctuation, je
reconnus le point suspensif ! Il était déjà en moi ! A travers le
fourmillement des virgules, des points-virgules, et autres points en
tout genre, je fus subjugué par ces trois petites crottes de mouche en
ligne. Cet élan n'avait rien de maçonnique. Il procédait d'un besoin de
me blottir. C'est le refuge de l'inexprimable ! Le point de suspension,
c'est ce qui vous reste à dire quand vous avez tout dit, donc
l'essentiel ! Une manière d'en finir avec sa pensée ! Et aussi de la
préserver. On peut s'y réfugier à tout instant de la conversation. Il
est toujours disponible, d'une efficacité constante. Je crois que s'il
n'avait pas existé, Georges Simenon l'aurait inventé ! Il est
simultanément évasif et précis puisqu'il permet au lecteur d'emboîter sa
pensée à celle de l'auteur. Moi, c'est bien simple : si un
gouvernement totalitaire venait à proscrire le point de suspension, je
n'écrirais plus qu'en braille ! »
San Antonio Ça ne s'invente pas
(1972)
(Cet extrait fut déjà publié en avril 2009 sur le blog Feuilles d'automne)
Les situs susnommés, tout à leurs ablutions,
Se prirent pour des super-héros de fiction :
Pour survivre dans cet univers, faut choisir !
Et Bruce Banner n'est pas forcément le pire.
Amoureuse d'un beau polytechnicien
Qui, d'elle autant épris la besognait fort bien,
L'étoile de mer grimpa au septième ciel
Mais, prise de vertige, craignit la gamelle.
Donc, voici l’hiver de notre déplaisir changé en
glorieux été par ce soleil
d’York ; voici tous les nuages qui pesaient sur notre maison
ensevelis
dans le sein profond de l’Océan ! Donc, voici nos tempes ceintes
de
victorieuses guirlandes, nos armes ébréchées pendues en trophée, nos
alarmes
sinistres changées en gaies réunions, nos marches terribles en
délicieuses
mesures ! La guerre au hideux visage a déridé son front, et
désormais, au
lieu de monter des coursiers caparaçonnés pour effrayer les âmes des
ennemis
tremblants, elle gambade allègrement dans la chambre d’une femme sous
le charme
lascif du luth. Mais moi qui ne suis pas formé pour ces jeux folâtres,
ni pour
faire les yeux doux à un miroir amoureux, moi qui suis rudement taillé
et qui
n’ai pas la majesté de l’amour pour me pavaner devant une nymphe aux
coquettes
allures, moi en qui est tronquée toute noble proportion, moi que la
nature
décevante a frustré de ses attraits, moi qu’elle a envoyé avant le
temps dans
le monde des vivants, difforme, inachevé, tout au plus à moitié fini,
tellement
estropié et contrefait que les chiens aboient quand je m’arrête près d’eux ! eh
bien, moi,
dans cette molle et languissante époque de paix, je n’ai d’autre
plaisir pour
passer les heures que d’épier mon ombre au soleil et de décrire ma
propre
difformité. Aussi, puisque je ne puis être l’amant qui charmera ces
temps beaux
parleurs, je suis déterminé à être un scélérat et à être le
trouble-fête de
ces jours frivoles. J’ai, par des inductions dangereuses, par des
prophéties,
par des calomnies, par des rêves d’homme ivre, fait le complot de créer
entre
mon frère Clarence et le roi une haine mortelle. Et, pour peu que le
roi
Édouard soit aussi honnête et aussi loyal— que je suis subtil, fourbe
et
traître, Clarence sera enfermé étroitement aujourd’hui même, en raison
d’une
prédiction qui dit que G sera le meurtrier des héritiers d’Édouard.
Replongez-vous, pensées, au fond de mon âme ! Voici Clarence qui
vient.
William Shakespeare : Richard III
Acte premier, scène première
Traduction de François-Victor Hugo
Version filmée par Richard Loncraine (1995)
Avec Ian McKellen
« Bonjour
madame, je possède une très belle édition en 3 volumes avec
illustrations
protégées par papier sur la guerre de 14. Ça raconte la guerre de 14,
avec
plein de détails. En état parfait, vu que ça date de 1916. »
Le Tenancier tentait de trouver une rime (voir l'illustration due à notre fidèle Jehan-Georges Vibert) et, soudain, se demande si, puisqu'il a toujours été mauvais à trousser des poèmes, l'aimable lecteur ne pourrait pas suppléer à cette lacune en faisant quelques bouts rimés en commentaire, à partir de « Élixir parégorique ».
Ainsi, le Tenancier, superbe, généreux — cependant modeste —, accommode jeu, allégorie, fainéantise et vertu, en stimulant les talents.
Tiens, c’est l’été et toujours
pas de jeu sur blog du Tenancier…
Réparons l’outrage.
CHARADE
Tu perdras mon second,
si tu n’as mon premier ; En deux sens différens,
mon tout peut se comprendre ; Et si tu t’y prends
bien, tu pourras me surprendre Sur les lèvres d’Iris,
ou bien dans ton grenier. (Par
M. le Ch. de P***)
À vous de trouver le mot derrière
la charade, publiée dans un ancien Mercure
de France. Comme d’habitude, on attend votre réponse en commentaire, en
vous priant de laisser votre nom ou un pseudo.
On commence doucement, elle est
facile.
Signalons avec enthousiasme, dans la maigre patrie des blogues cultivés et intéressants, celui de Grégory Haleux intitulé Des brouettes à la pelle. Diable ! Nous avions manqué quelque chose ! Cette anthologie littéraire et permanente comblera nos lacunes. Merci, monsieur Haleux !
« Et puis, surtout, il y
avait eu une guerre et un mode de vie qui avait disparu quand la guerre fut
perdue. Les hommes qui s’étaient battus étaient maintenant des vétérans. On les
voyait assis sur les bancs, à la gare, se chauffant au soleil, taillant des
bouts de bois en regardant arriver les trains, mais, aux jours de fête, ils
remettaient leurs uniformes, organisaient des défilés ; les plus jeunes
rentraient le ventre et sautillaient pour garder le pas, les plus vieux
clopinaient, appuyés sur leurs cannes. Il était malaisé de voir le rapport
entre ces yeux chassieux, ces visages vides, et le fracas des armes, les
drapeaux déchiquetés par la mitraille, et cependant parfois, quand la voiture
devait s’arrêter au passage à niveau, il les entendait parler, et les noms de
batailles lui parvenaient à travers le bourdonnement de la conversation. —
Manassas, Shiloh, Gaines Mill, Malvern Hill, Sharpsburg, Second Manassas,
Fredericksburg, Murphreesboro, Chancellorsville, Gettysburg, Vicksburg,
Chickanauga, The Wilderness, Spottsylvania, Cold Harbor, Brice’s Crossroads,
Kennesaw Mountain, Big Shanty, Atlanta, Petersburg, Spring Hill, Franklin,
Nasville, Five Forks, Appomattox ; il les entendait tous, les noms
bibliques, indiens, anglais, noms de villes et de hameaux, noms de cours d’eau
et de carrefours dans toute l’étendue du Sud, la plupart sans importance par
eux-mêmes jusqu’au jour où les armées s’étaient réunies, plus ou moins par
hasard, pour donner une permanence à ces noms épars et pour établir un mode de
vie qui serait celui d’Hector Sturgis et de tant d’autres. »
Shelby Foote : L’enfant
de la fièvre (1954)
Traduit par Maurice-Edgar Coindreau
« Nous sommes les ennemis naturel de ces révolutionnaires, futurs dictateurs, réglementateurs et tuteurs de la révolution qui, avant même que les États monarchiques, aristocratiques et bourgeois actuels, soient détruits, rêvent déjà la création d'États révolutionnaires nouveaux, tout aussi centralisateurs et plus despotiques que les États qui existent aujourd'hui, qui ont une si grande habitude de l'ordre créé par une autorité quelconque d'en haut et une si grande horreur de ce qui leur paraît les désordre et qui n'est autre que la franche et naturelle expression de la vie populaire, qu'avant même qu'un bon et salutaire désordre se soit produit par la révolution, on rêve déjà la fin et le musellement par l'action d'une autorité quelconque qui n'aura de révolution que le nom, mais qui en effet ne sera rien qu'une nouvelle réaction puisqu'elle sera en effet une condamnation nouvelle des masses populaires, gouvernées par des décrets, à l'obéissance, à l'immobilité, à la mort, c'est-à-dire à l'esclavage et à l'exploitation par une nouvelle aristocratie quasi révolutionnaire. »
Programme et objet de l'organisation secrète révolutionnaire des Frères internationaux (1868)
(Bakounine, bien entendu)
N'empêche qu'on pressentait bien des choses, dans le temps, celui qu'évoque Michel, plus haut.
Lorsque le Tenancier travaillait encore en librairie de neuf, il lui arrivait de rencontrer quantité d'objets promotionnels. Le plus prestigieux était évidemment l'Album de la Pléiade, ou bien l'agenda... Et puis, la maison 10/18 s'est mise également à produire des objets plus ou moins amusants : faux livres contenant des mouchoirs, par exemple. Le plus sympa était sans doute cette boîte à épices de 1997, que les acheteurs de la collection n'ont pas dû beaucoup rencontrer. On soupçonne les libraires de les avoir détournés à leur usage. Il fut un temps (votre Tenancier n'était pas encore du métier) où les éditeurs pensaient à récompenser les libraires en fin d'année. Ainsi, a-t-on entendu parler de caisses de cognac de la part des éditions du Seuil... Est-ce une légende urbaine ?
Cette amusant « madeleine » a été envoyée par Didier Pemerle, que l'on remercie ici.
Jeu : prendre le premier chapitre de Aventures de 3 Russes et de 3 Anglais dans l'Afrique australe,
de Jules Verne, en extraire plusieurs phrases pour les faire
correspondre à la thématique obsessionnelle de l'alter ego du
Tenancier, à savoir la série sur le Fleuve dont plusieurs textes sont
publiés ici et là. Ne se permettre que de rares mots de liaison,
élaguer quand nécessaire, mais garder la succession des phrases à
partir du texte original. En faire une courte nouvelle du Fleuve dont
Verne sera l'auteur et Yves Letort le soutier...
Deux hommes causaient en
observant avec une extrême attention les eaux du Fleuve. Quelques
voyageurs ont
vanté la limpidité de ses eaux et la beauté de ses rives. Rocs
infranchissables,
masses imposantes de pierres et de troncs d’arbres minéralisés sous
l’action du
temps, cavernes profondes, forêts impénétrables que n’avait pas encore
défloré
la hache. Incomparable
magnificence. Les eaux,
auxquelles le sol
venait à manquer subtilement, se précipitaient d’une hauteur de quatre
cents pieds.
En amont de la
chute,
c’était un simple bouillonnement de nappes liquides, déchirées par
quelques
têtes de roc, enguirlandées de branches vertes. En aval, le
regard
saisissait un sombre tourbillon que couronnait un épais nuage d’humides
vapeurs
zébrées des sept couleurs du prisme. De l’abîme
s’élevait un
fracas étourdissant. De ces deux
hommes, l’un ne
prêtait qu’une vague attention aux beautés naturelles. C’était un beau
type de
cette vaillante race aux yeux vifs. Leur vie se passe
à errer
dans cette région comprise entre le Fleuve et les montagnes de l’est. Même au
repos, son
corps offrait encore l’attitude de l’action et dénotait un individu
énergique. Une sorte de
calotte de
peau de mouton encapuchonnait sa tête. À ses poignets
nus se
contournaient des anneaux. Allons,
calmons-nous. Vous êtes le plus
impatient
des hommes — quand vous ne chassez pas. Nous ne pouvons
rien
changer à ce qui est. Le compagnon
était un jeune
homme qui contrastait avec le chasseur. Vous oubliez que
nous sommes
des nomades, les pieds nous brûlent à demeurer ainsi! Voici les chutes,
nous
sommes à l’endroit désigné, nous attendons. Est-ce bien aux
chutes que
l’on vous a donné rendez-vous? Le jeune savant
recommença
un récit vingt fois fait déjà à son ami le chasseur. Ce récit bien
gravé dans
l’esprit, celui-ci s’avança jusqu’au bord du gouffre, une pointe
avancée permettait
de dominer le cours du Fleuve, en aval de la cataracte. Pendant quelques
minutes,
ils observèrent attentivement la surface des eaux au-dessous d’eux. Aucun objet n’en
troublait
le cours. L’épais feuillage
des
arbres qui se penchaient sur le gouffre le préservait des atteintes
immédiates
des rayons solaires. Pas un oiseau
n’animait
cette solitude. Pas un quadrupède
ne
quittait le frais abri des buissons. On n’aurait
entendu aucun
bruit quand bien même la cataracte n’eût pas rempli l’air de ses
mugissements. Et si vos gens
n’arrivent
pas? Ils viendront. Ce sont des
hommes de
parole, et ils seront exacts. Ces messieurs ont
droit à
quatre jours pour atteindre les chutes. Et s’ils n’ont
pas paru? Eh bien, ce sera
l’occasion
d’exercer notre patience. Voyez-vous
quelque chose? Rien, je ne vois
rien. Il me semble
qu’un
bourdonnement inaccoutumé se produit. Il se coucha
l’oreille
contre terre. Le chasseur se
releva,
secoua la tête. Ce bruit n’est
autre que le
sifflement de la brise à travers la feuillée, ou le murmure des eaux
sur les
pierres de la rive. Si le bruit est
produit par
la machine, vous l’entendrez mieux en vous baissant. L’eau propage les
sons avec
plus de netteté que l’air. Lorsqu’il fut au
niveau du
Fleuve, il y entra jusqu’au genou, et, se baissant, il posa l’oreille à
hauteur
des eaux. Oui! Il se fait
là-bas, à
quelques milles au-dessous, un bruit d’eau battue avec violence. Une fumée!
Il était midi.
Lon Chaney, évidemment, et puis Tod Browning, bien sûr. Mais connaissons-nous le scénariste de The Penalty ou de The Unholy Three, Waldemar Young ?
Filmographie du scénariste Waldemar Young :
1918 : Fast Company
1919 : The Petal on the Current
1921 : The Off-Shore Pirate
1921 : Experience
1921 : Cappy Ricks
1921 : A Prince There Was
1922 : Our Leading Citizen
1922 : If You Believe It, It's So
1922 : Burning Sands
1923 : Salomy Jane
1924 : The Hill Billy
1924 : Dorothy Vernon of Haddon Hall
1925 : The Great Divide
1925 : The Unholy Three
1925 : The Mystic
1926 : The Backbird
1926 : The Flaming Forest
1927 : The Show
1927 : Women Love Diamonds
1927 : London After Midnight
1928 : West of Zanzibar
1928 : The Trail of '98
1929 : Where East is East
1929 : When Caesar Ran a Newspaper
1929 : Sally
1930 : Ladies Love Brutes
1930 : The Girl of the Golden West
1931 : Chances
1931 : Penrod and Sam
1931 : Compromised
1932 : The Miracle Man
1932 : Sinners in the Sun
1932 : Love Me Tonight
1932 : The Sign of the Cross
1933 : Island of Lost Souls
1933 : A Bedtime Story
1934 : Men in White
1934 : Cleopatra
1935 : The Lives of a Bengal Lancer
1935 : The Crusades
1935 : Peter Ibbetson
1936 : Desire
1936 : Poppy
1936 : The Plainsman
1938 : Man-Proof
1938 : Test Pilot
Signalons que parmi ces titres originaux, nous trouvons Les Trois lanciers du Bengale, Cléopâtre (Version De Mille, avec Claudette Colbert), etc.
Notre existence se ponctuent de souvenirs plus ou moins frais. Chacun ses petits grigris pour les raviver, chacun ses moyens pour les faire perdurer.
Comme nous parlions du Père Dupanloup, voici un petit papier découpé dans feu Charlie Hebdo, il y a bien longtemps. Il fut longuement conservé dans un portefeuille en cuir mal tanné
qu'on trouvait à la sauvette à la sortie du métro parisien, un
portefeuille en cuir rouge. C'est une sorte de truffe orpheline, puisqu'elle n'a jamais trouvé le livre qui lui convenait pour l'y glisser. On a souvent pensé que, peut-être, le Manuel secret des confesseurs aurait pu être le réceptacle adéquat... ou bien dans les Romans à lire & Romans à proscrire, de l'abbé Bethléem. Mais nous trouvons cela un peu facile. Le petit papier a presque quarante ans d'âge et nous continuons d'être confronté au paradoxe de devoir trouver un livre pour cette truffe. Nous ne comptons pas sur la diligence de nos lecteurs, sinon une vague piste, histoire d'entretenir l'espoir ténu de fixer ce brin de mémoire dans un livre... On espère alors du subtil.