mercredi 10 février 2021

Une activité peccamineuse du Tenancier

Pour le moment, et c’est le moins qu’on puisse dire, votre Tenancier ne rencontre pas un succès ébouriffant avec ses livres. Certes, ses rares lecteurs semblent les avoir appréciés et les notes les plus défavorables qui sont passées sous ses yeux sont loin de se montrer déshonorantes. Voici donc, par la force des choses, c'est-à-dire de sa bibliographie, votre Tenancier propulsé au titre d’auteur. Par ailleurs, son abandon du métier de libraire le conduit à fréquenter ses ex-confrères afin de se procurer des ouvrages qu’il lira éventuellement dans une dizaine d’années. Il se trouve que le libraire du coin a entrepris de créer un rayon modeste (mais passionnant, pensez donc !) consacré aux écrivains locaux et où nous figurons avec nos trois ouvrages. Outre le fait que nous ayons passé la barrière entre le professionnel et le client, nous voici également institué auteur, confronté à ses bouquins dans un rayonnage. Combien de fois nous sommes nous irrités de ces sales types qui se permettaient d'effectuer la mise en place de leur production lorsqu’ils commettaient une intrusion sur notre lieu de travail ! Comme nous ne possédons pas une mémoire de poisson rouge, on se garde bien de faire de même lorsque l’on croise le fameux rayon. Ce serait impoli et malgracieux. On regarde du coin de l’œil, l’air de ne pas y toucher. Un jeton et hop : on fait son modeste, comme si on n’avait pas remarqué. N’empêche, il reste quelque part, dans un coin de notre cervelle, un gnome grimaçant qui se moque des petits orgueils d’auteur, comme d’une activité peccamineuse au secret d’une quelconque alcôve. Il suffirait que le surmoi ait une baisse de régime. Mais, bien sûr, votre Tenancier se situe bien au-dessus de ce désordre…

jeudi 4 février 2021

Une historiette de Béatrice

Allô bonjour, je suis passée ce matin c'était fermé, je suis passée hier soir c'était fermé, alors vous comprenez je n'ai pas que ça à faire moi alors je vais vous demander par téléphone puisque vous n'êtes jamais là : je cherche La passe dangereuse, de S. Maugham à 2 euros.

mardi 2 février 2021

Le Tenancier au Jugement dernier

Vous connaissez le Tenancier : toujours à se dissiper dans des bouquins à la recherche de petites choses sans rapport avec les infimes bonheurs du quotidien, comme la sieste, par exemple. Le voici donc à fourrer son nez dans le petit bouquin que Le Goff publia jadis : Les intellectuels au Moyen Âge (1960). Il y rencontre au détour d’un paragraphe un personnage qu’il avait perdu de vue, mais qu’il fréquente pourtant presque quotidiennement. Il est vrai que celui-ci opère à notre insu !
Les moines qui les écrivent [les livres] laborieusement dans scriptoria des monastères ne s’intéressent que très secondairement à leur contenu — l’essentiel pour eux est l’application mise, le temps consommé, les fatigues subies à les écrire. C’est l’œuvre de pénitence qui leur vaudra le ciel. D’ailleurs, suivant ce goût pour l’évaluation tarifée des mérites et des peines que l’Église du Haut Moyen Âge a emprunté aux législations barbares, ils mesurent au nombre de pages, des lignes, des lettres, les années de purgatoire rachetées ou, à l’inverse, se lamentent de l’inattention qui leur a fait, en sautant telle lettre, accroître leur séjour en purgatoire. Ils légueront à leurs successeurs le nom de ce diable spécialisé à les taquiner, le démon Tittivillus des copistes, que retrouvera Anatole France.
Ajoutons que ce diablotin, à l’égal des gremlins de la Seconde Guerre mondiale, s’ingénie à troubler la belle ordonnance de nos mécaniques morales. Souvenons-nous qu’il induisit au péché les lecteurs de la Bible imprimée en 1631, surtout les adeptes du 7e article du décalogue en certifiant : « Tu commettras l’adultère » ! Cela valu à cette infortunée publication le surnom de Bible perverse. On peut le concevoir dans l’Angleterre du xviie siècle.
Tittivillus, dit-on, fait un sac de ces lettres et mots omis et les restituera au Jugement dernier. Cela pèsera, paraît-il, dans la balance de nos fautes. Le Tenancier, si on peut lui permettre cette expression a déjà les miches qui lui chauffent. On vous reparlera dans quelque temps de la maline incarnation de la coquille et de l’étourderie. Nous aurons des prétextes.