1er mars 1954
à Paul Brooks, Houghton Mifflin Co. … Il faudra qu’un jour on
m’explique le principe des
maquettes reproduites sur les couvertures de livres. J’imagine que leur
but est
d’attirer l’œil, sans poser de problèmes trop compliqués à l’esprit,
mais leur
symbolisme en pose trop de profonds pour moi. Pourquoi y a-t-il du sang
sur la
petite idole ? D’ailleurs pourquoi cette petite idole est-elle
là ?
Et que signifient les cheveux ? Et pourquoi l’iris de l’œil est-il
vert ?
Ne me répondez pas, vous n’en savez probablement rien non plus.
Raymond Chandler : Lettres
|
mercredi 1 décembre 2021
Vous n’en savez probablement rien non plus
lundi 29 novembre 2021
jeudi 25 novembre 2021
Et toc
« J’ai
remarqué, en observant ce soir la numérotation des
pages, que j’avais commencé à écrire sur le feuillet numéro treize — et
cela
m’inspire une vague insatisfaction. J’ai lu, au passage, un paragraphe
dans un
journal qui parle d’écrivains moitié fous. Zola, dit l’auteur, était
l’un
d’eux. On le considère comme moitié fou parce qu’il additionnait les
nombres à
l’arrière des fiacres qui passaient devant lui dans la rue.
Personnellement,
c’est une chose que je fais sans cesse — et je sais très bien que je le
fais
pour m’apaiser l’esprit. C’est une pratique narcotique, en quelque
sorte.
Johnson, nous le savons, touchait les poteaux de sa rue dans un certain
ordre : cela était encore une manière d’échapper à de tristes
pensées. Et
nous savons tous comment, étant enfants, nous avons obéi à l’injonction
mystérieuse nous intimant de marcher sur les lignes entre les pavés de
la rue…
Mais les enfants ont un avenir. Il est bon qu’ils rendent propice le
mystérieux
Tout-Puissant. En leur temps, Johnson et Zola avaient eux aussi un
avenir. Il
était bon que Johnson fît ses “touches” contre la malchance, que Zola
mît son
esprit à l’abri de nouveaux problèmes. Chez moi, c’est simplement le
fruit de
l’idiotie. Car je n’ai pas d’avenir. »
Joseph Conrad — Ford Madox Ford : La nature d’un crime (1909) (Trad : Maxime Rovere) |
mercredi 24 novembre 2021
Une historiette de Béatrice
lundi 22 novembre 2021
dimanche 21 novembre 2021
vendredi 19 novembre 2021
jeudi 18 novembre 2021
Une historiette de Béatrice
mercredi 17 novembre 2021
001
Tous les
Politiques sont d’accord, que si les peuples étaient trop à leur aise,
il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. Leur fondement est, qu’ayant moins de connaissance que les autres ordres de l’État beaucoup plus cultivés ou plus instruits, s’ils n’étaient retenus par quelque nécessité, difficilement demeureraient-ils dans les règles qui leur sont prescrites par la raison et par les Lois. La raison ne permet pas de les exempter de toutes charges, parce qu’en perdant en tel cas la marque de leur sujétion, ils perdraient aussi la mémoire de leur condition ; et que s’ils étaient libres de tribut, ils penseraient l’être de l’obéissance. Cardinal de Richelieu : Testament politique |
lundi 15 novembre 2021
dimanche 31 octobre 2021
Interruption
|
vendredi 29 octobre 2021
jeudi 28 octobre 2021
mardi 26 octobre 2021
Abréviations : Lettre H
|
lundi 25 octobre 2021
Une historiette de Béatrice
samedi 23 octobre 2021
Les bibliophiles
L’amateur conscient et
organisé
Les mauvaises langues assurent que le Dr Troudine soigne mieux ses livres que ses malades. Le Dr Troudine peste comme un païen si on le vient réveiller la nuit de la part d’un client vraiment intempestif ; mais dès le matin il saute à bas de son lit et avant le tub quotidien il va faire la cour à sa bibliothèque. Il en passe la revue, méticuleux comme un adjudant de caserne et il se félicite de son choix. Qui, à Paris, a réussi un pareil ensemble, qui brille plus par la qualité que la quantité ? Le docteur Troudine ne peut manquer chaque jour de trouver qu’il est un homme de goût, bien que médecin. Chose curieuse, il connaît maintenant depuis qu’on le sait bibliophile. D’abord, il a trouvé des clients très fidèles dans le monde des amateurs de livres et puis, il semble que sa bibliothèque lui consacre une sorte de réputation qui donne confiance aux malades. Parmi ceux-ci, certains s’imaginent peut-être que cette bibliothèque déjà fameuse ne contient que des ouvrages de médecine qui garantissent la science du docteur. On aurait vraiment mauvaise grâce à détromper les braves gens qui doivent peut-être leur guérison à la foi qu’ils ont eue en cette légendaire bibliothèque. Le Dr Troudine est membre de toutes les sociétés de bibliophiles ; nous en passerons la nomenclature — toutes sauf une : les Architectes bibliophiles. Cela a valu bien des nuits blanches au Dr Troudine ; mais cinq ans d’intrigues n’ont pu faire fléchir la règle inflexible qui exige que les sociétaires soient architectes. S’il n’était trop tard, il se présenterait à l’École des Beaux-Arts, puisque son titre de docteur lui permet d’être de la société des Médecins bibliophiles… On parle d’un projet des Bibliophiles du Palais ; ce bruit lui donne le vertige. Pure obligation de conscience bibliophile, car le Dr Troudine vous démontre, noir sur blanc, que les éditions des Architectes bibliophiles sont des désastres répétés. Pourquoi alors se livre-t-il à des travaux d’approche souterrains pour dénicher un exemplaire de tout ce qui porte la marque de cette condamnable société ? Et un exemplaire complet encore. Le Dr Troudine vous apprendra ce que c’est qu’un exemplaire complet. Vous croyez qu’il suffit à un exemplaire, pour mériter ce titre, d’avoir honnêtement toutes ses pages ? Enfant ! Il faut d’abord le spécimen, et s’il y a eu un premier spécimen raté et détruit, c’est précisément un de ces introuvables éléments qui complète un livre congrument. Il faut les suites, les états ; non pas ce à quoi tout souscripteur a droit, mais encore ce que les autres ne détiennent pas, les épreuves de l’auteur ; que sais-je encore ? enfin tout un bric-à-brac de tâtonnements qui entourent l’édition d’une sorte de brume opaque et défigure un peu la superbe réalisation achevée. Nous ferions rougir lez lecteur si nous retracions les bassesses que le Dr Troudine commit récemment, joyeusement, pour obtenir la pièce rare, unique, qui « complète » son exemplaire. Un des livres de sa bibliothèque contient l’extrait de naissance du prote de l’imprimeur où le livre vit le jour. Qui peut se vanter d’avoir l’extrait de naissance du prote ? Ça, vraiment, c’est un trophée. Un autre volume s’enorgueillit du bulletin de confession de la femme du caissier du brocheur. Vous avez la bouche fermée du coup ? Pouvez-vous prétendre avoir des exemplaires « complets » maintenant ? Vous ne vous risquez pas ? Vous faites aussi bien. Le Dr Troudine n’a pas de livres anciens, un livre ne l’attire que s’il l’a vu naître. C’est un accoucheur de livres, pas d’enfants. Il va traîner, oubliant ses visites professionnelles, dans l’atelier où l’artiste burine sa planche ; et par persuasion il arrive à obtenir un essai infructueux. Il va dans l’imprimerie et ramasse une macule que l’apprenti margeur allait jeter aux ordures, mais qu’il joindra précieusement à « son » exemplaire. Il répand les conseils, les avis, les suggestions à tous ; il embête tout le monde, mais il jouit de voir peu à peu prendre figure le livre dont il rêve et qu’il ne lira jamais. Car le Dr Troudine ne lit jamais. Le Dr Troudine est méfiant, il nourrit contre les éditeurs une haine tenace. Il vous démontrera que les tirages sont truqués ; il jure que dans telle édition il y a eu deux numéros 51. Il a eu la rare bonne fortune de les tenir un jour dans la main. C’est une preuve accablante, dont il déduit que tous les éditeurs sont des faussaires. Quand il souscrit à une édition, il exige un constat d’huissier pour être sûr que le tirage déclaré a été scrupuleusement exact. C’est un tyran, à qui « on, ne la fait pas ». Il louche sur toute annonce parue dans la Bibliographie de la France, et si une nouvelle firme invite à souscrire, il conduit une enquête minutieuse, soupçonneuse, car d’instinct il suppose cette jeune maison mal intentionnée, capable de toutes les malfaçons, de toutes les trahisons. Ne lui parlez pas non plus des relieurs, il entre en démence. Il a, sur la reliure, des idées si personnelles, qu’il n’a pas trouvé un relieur à qui il puisse loyalement donner une livre à relier. Tous ses essais ont été malheureux, et il s’est défait, en cachette, des volumes qu’il s’est aventure à défigurer ainsi. Alors, stoïquement, il se résigne à n’avoir que des livres brochés, même pas brochés, mais simplement en feuilles, dans des étuis, où ils demeurent ainsi « complets », mais dans l’attente d’une forme définitive. Pour les livres, sa bibliothèque est un Purgatoire éternel… avec un improbable Paradis. C’est un mauvais père. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 22 octobre 2021
Trop de concision nuit à l'exactitude
On a sursauté, lors du visionnage de
l’épisode de la websérie
sur la typo consacré au Futura, à l’allégation selon laquelle les nazis
rejettent en bloc la typographie « bâton » au profit du
« triomphe
des lettres gothiques ». En réalité, l’histoire est bien plus
complexe. Si
la typo Fraktur (assimilable au Gothique) est recommandée et
adoptée par
l’administration nazie, elle est retoquée en 1941 sous l’impulsion
d’Hitler
lui-même au profit de typos latines. L’origine de ce rejet proviendrait
du
souci de devoir enseigner l’allemand aux peuples occupés et également
le peu de
lisibilité de cette typographie pour les opérations militaires. La
justification officielle implique une prétendue origine juive à la
Fraktur.
Bien évidemment, tout ceci se révèle plus complexe encore. Le souci de
concision de cette vidéo a dénaturé la référence historique…
On se rendra compte de la différence de typo à cette page. L’évocation du remplacement de la Gothique par la Latine ne manque pas sur le net. On vous laisse chercher de votre côté.
On se rendra compte de la différence de typo à cette page. L’évocation du remplacement de la Gothique par la Latine ne manque pas sur le net. On vous laisse chercher de votre côté.
mercredi 20 octobre 2021
mardi 19 octobre 2021
Losfeld Éric (Le dépôt préalable)
Le 22 janvier 1970, Éric Losfeld dut se présenter devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour ne pas s’être soumis à la loi du Dépôt sans autorisation préalable. En effet, Losfeld avait en 1968 publie trois ouvrages « pornographiques » : Emmanuelle et L’Anti-vierge d’Emmanuelle Arsan, et Émilienne de Claude des Olbes. Ces trois ouvrages, parce qu’ils furent interdits à la vente aux mineurs, à l’exposition et à la publicité, firent tomber Losfeld sous la loi du 16 juillet 1949, qui stipulait qu’aucun éditeur ne pouvait plus, pendant cinq ans, publier aucune publication analogue (de même genre) sans la soumette en triple exemplaire au ministère de la Justice, et attendre trois mois à partir de la date du récépissé du dépôt.
En 1970, Losfeld passa outre à cette obligation en publiant Oh Violette ! de Lise Deharme. […] Il fut ainsi le premier depuis l’affaire Sade (1956) à être poursuivi devant les tribunaux. […]
Jean-Pierre Krémer, Alain
Pozzuoli : Le dictionnaire de la censure (2007)
(Ouvrage piètrement rédigé par ailleurs…)
(Ouvrage piètrement rédigé par ailleurs…)
lundi 18 octobre 2021
Une historiette de Béatrice
samedi 16 octobre 2021
Mise au point
On s’en sera douté, on l’espère, le Tenancier a hésité à
publier le passage consacré à Sonyas dans le billet précédent, représentation d’un certain « cosmopolitisme » honni sous ce
vocable
à la sortie de ce livre. Il reste à travers cette diatribe
réactionnaire la
trace d’un phénomène qui allait prendre une place prépondérante dans la
production de la bibliophilie illustrée, celui du livre d’artiste. On
passera
sur le reste avec d’autant plus d’aisance que notre société s’est
désormais
affranchie de ces jugements de classes, racistes et témoignant d’une
ignardise
crasse (excepté au sujet des dentistes, qui achètent vraiment n’importe
quoi !)
Nous l'avons échappé belle !
Les bibliophiles
Le pontife
Sonyas a quitté ses Balkans nataux pour sauver la France. C’est un type dans le genre de Jeanne d’Arc. Il règne sur une partie de la France dont le centre d’attraction est le Café de la Rotonde, boulevard du Montparnasse. Il répand sur des panneaux en toile des torrents de peinture d’un éclat inédit. Les honnêtes gens en ont la vue troublée pour un mois. Quelques dentistes lui achètent très cher des tableaux avec la certitude que d’ici peu d’années leur cours aura centuplé. Mais Sonyas ne se contente pas de terroriser le monde de la peinture ; son audace menace aussi la librairie. Il réclame à grands cris la corde pour tous les éditeurs qui ne servent pas une esthétique conforme à la sienne. Il dit : « Ça un livre ! » comme Brummel disait à George IV : « Ces horribles choses que vous portez aux pieds, vous osez appeler cela des souliers. » Un général russe en rupture de Soviets et qui, ayant pu sauver assez de pierreries pour monter une maison d’édition sur le Mont-Parnasse, a eu l’imprudence de le prendre pour conseiller artistique, a été amené ainsi à faire des éditions qui sont autant de rébus. Sonyas a pris le mors aux dents : grâce à ses suggestions, le général russe a sorti des volumes dont les dessins sont inexplicables et la typographie déconcertante. Une petite école d’admirateurs glousse d’aise, le reste du public se réserve. La faillite menace le général russe de plus en plus ahuri ? Sonyas s’emballe. Il rêve d’imprimer les livres à l’envers et d’employer, au lieu de l’encre, du jaune d’œuf ou des excréments, de ne plus prendre que du papier d’emballage. Quant à ces papiers dits de Chine, du Japon ou de Hollande, il prédit que d’ici peu on ne s’en servira que comme serviettes hygiéniques. Au général russe qui lui montre son navrant bilan, il affirme : — Patience ! Dans vingt ans on nous imitera ! Mais dans vingt ans la surenchère aura probablement mis Sonyas dans l’obligation de tenir le livre pour un objet bien désuet et il sera l’Apôtre d’une nouvelle religion. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 15 octobre 2021
dimanche 10 octobre 2021
Les bibliophiles
La bibliophile à aigrette
Elle monte à cheval avec crânerie, patine avec virtuosité, joue au golf avec adresse, chante avec charme, et mise au poker avec audace. Toutes ces qualités sont vraiment providentielles pour les revues illustrées, qui, lorsque l’actualité chôme, peuvent toujours noircir une page avec le portrait d’une personnalité aussi flatteuse. Elle fixe la mode avec une décision souveraine et ne peut dîner si elle ne compte pas à sa table deux ministres, un ambassadeur, un maréchal de France, un académicien et quelques barons de la Finance. Son sourire assure le succès d’une pièce et sa première femme de chambre n’est, autant dire, occupée qu’à tenir la comptabilité de ses engagements mondains, de ses essayages, massages, rendez-vous, cérémonies ou elle doit paraître, etc. Depuis le moment où la sonnerie du téléphone l’éveille jusqu’à celui où elle s’abat dans son lit, recrue de fatigue, elle n’a pas une minute disponible. Sa vie est est une mosaïque strictement établie. Elle a heureusement un mari peu exigeant, mais il lui serait impossible d’avoir le moindre amant. Par quel miracle réussit-elle à s’occuper de livres ? Son librairie ordinaire a la consigne de souscrire à toute édition annoncée à tirage limité, quel qu’en soit le prix ou la qualité, et cet honnête commerçant n’y manque pas. On voit traîner sur la table de son boudoir les plus belles réalisations de nos éditeurs et aussi les pires choses. Entre deux cigarettes elle feuillette négligemment ces livres où se totalisent tant d’effort plus ou moins heureux ; cela lui permet de meubler sa conversation de noms d’écrivains, d’artistes et d’éditeurs : les militaires, les diplomates et les hommes de sport y puisent des motifs d’admiration ; et lorsqu’elle parle papier japon ou madagascar, les hommes politiques oublient leur rivalité pour proclamer à la majorité absolue que c’est une femme de goût. Au cours d’une courte maladie qui la tint deux semaines à la chambre, elle se mit à lire. Sur le guéridon qui avoisinait sa chaise longue, de superbes éditions offraient leur somptuosité aux rares visiteuses admises à son intimité ; mais sous les coussins sa cachaient quelques volumes de Champsaur et de Clément Vautel qui réapparaissaient dès que la malade se trouvait seule, volumes dévorés si vite que les pages étaient déchirées plutôt que coupées. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
samedi 9 octobre 2021
vendredi 8 octobre 2021
jeudi 7 octobre 2021
Errol filme (mais pas que)
« Je ne sais pas pourquoi j’écris, à moins que ce ne soit pour me prouver quelque chose. Avant de devenir acteur, je mourais pratiquement de faim à force d’essayer de vendre mes histoires. Je suppose que j’ai toujours eu ça en moi et que je l’aurai jusqu’à la fin. Parfois je me demande pourquoi je me décarcasse à passer des nuits entières à mon bureau. Je n’ai jamais réussi à trouver une réponse satisfaisante à cette question » Errol Flynn |
Biblio piquée à Wikipedia :
Beam Ends, New York, Longmans, Green and co, 1937, (traduction française : Princes de la bourlingue, éditions Ouest France, 2003) — Récit autobiographique
Showdown, New York, Sheridan House, 1946, (traduction française: L'Épreuve de vérité, Le Serpent à plumes, Paris, avril 2009 — Roman
My Wicked, Wicked Ways, New York, Buccaneer, 1959, (traduction française ; Mes 400 coups, Éditions Olivier Orban, 1977 / réed. J'ai lu, 1979 / rééd. Séguier, 2020) — Autobiographie
Moi et Castro, suivi de ce qui m'est réellement arrivé en Espagne, éditions du Sonneur, 2019.
mercredi 6 octobre 2021
Le sens du poil
[...] En
effet, le consensus déploie ses tentacules un peu partout, et pas
seulement dans les mass
media, révélateur de la démagogie ambiante, de la préséance du
tout victimaire, et d’une infantilisation généralisée. Il ne faut
froisser personne, nous sommes tous des victimes, nous n’avons pas
atteint notre majorité. On a peur, c’est la panique. Cette logique
infecte le champ culturel et, ce faisant, neutralise la pensée, la
littérature, l’art. On demande des « produits » neutres,
inoffensifs, voire insipides, si possible divertissants, oubliant au
passage qu’en cherchant à ne surtout pas déplaire au plus grand nombre,
on court le risque de ne plaire à personne. On cherche à publier des
livres pour les gens qui ne lisent pas (pour reprendre le terme employé
par certains professionnels). Les commissaires d’exposition en viennent
à s’autoproclamer « Présumés innocents » (sans succès), les
écrivains sont sommés d’expliquer que le mot chien ne mord pas, les
éditeurs passent leur vie à se justifier de publier des livres
« difficiles » ou « intellectuels », mot qui semble
devenu un juron pour ceux qui voudraient, à les en croire, lire des
livres manuels. Tous les maillons humains de la chaîne du livre (ne devrait-on pas plutôt parler ici des entraves du livre ?) qui se dérobent devant l’inédit, la surprise, le scandale d’un livre sous prétexte qu’il fait violence à leur pensée, ne font que consacrer cette tarte à la crème qu’ils sont les premiers à dénoncer, le « politiquement correct ». Que penser du fait que certains éditeurs, représentants, libraires, journalistes majeurs, vaccinés, certes pas consentants mais censément éclairés (ou professionnellement tenus de l’être) déclarent ne pas « être prêts pour lire ce livre » (on comprendra que cette citation ainsi que celles qui suivent, retranscrit des propos qui m’ont été adressés directement au sujet des livres que je publie. Qu’ils hésitent à publier, diffuser, parler d’un livre de peur d’agresser l’être sans défense auquel il pourrait sauvagement s‘attaquer. Soit parce qu’eux-mêmes sont « heurtés » et qu’ils projettent leur désarroi sur les lecteurs auxquels le livre s’adresse. Soit pour les plus bienveillants qui s’estiment pour leur part capables d’apprécier le livre, parce qu’ils s’arrogent, en pensant à leur place, le droit de protéger les autres. Ce processus d’infantilisation intellectuelle et morale, ce principe de précaution appliqué à soi-même et aux autres dévoile les travers dorloteurs d’une société en proie à une panique morale. Mais pire que ça, les mécanismes de défense passent à l’attaque : cette forme de neutralisation est une nouvelle expression de la censure. Avant c’était le ministère de l’Intérieur qui se chargeait de protéger les faibles d’esprit (les enfants et les femmes) dont les bonnes mœurs risquaient d’être outragées par des lectures impures, ou qui cherchaient à éviter que le lecteur, telle une éponge, reproduise en bon chien de Pavlov ce qu’il venait de lire. Désormais, la censure est autogérée. Il n’y a plus de livres interdits (paraît-il), mais des relais d’interdiction un peu partout. On ne brûle plus les livres que par le silence et la passivité. Pourtant, personne dans les « milieux de la culture » ne se dit favorable à la censure, non, à l’ère humaniste de la libéralité, tout le monde défend plutôt la liberté d’expression, car, on le sait, tout le monde est progressiste. Mais là encore, ceux-là même qui soutiennent la liberté d’expression ne sont pas les premiers à la défendre en actes. D’ailleurs lorsque le sujet est abordé, nombreux sont ceux qui s’empressent d’ajouter qu’il y a des limites. La liberté d’expression, par définition, se réalise dans un excès qui lui est propre, c’est dans cette absence de limites que s’exprime la pensée, et c’est elle que l’on veut en permanence rogner, escamoter, en lui fixant des règles (et des exceptions), ou en la garrottant en un idéal abstrait [...] |
Laurence Viallet : Le sens du poil - in : Revue Lignes n° 20, mai 2006
(L. Viallet est éditrice)
Ce passage a été publie à l'origine sur le blogue Feuilles d'automne en Février 2014
mardi 5 octobre 2021
lundi 4 octobre 2021
10/18 — Louis-Sébastien Mercier : Dictionnaire d'un polygraphe
Louis-Sébastien Mercier
Dictionnaire d'un polygraphe
Textes établis et présentés par Geneviève Bollème
n° 1233
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume sextuple
438 pages (448 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1978
Achevé d'imprimer : 10 mai 1978
ISBN : 2.264-00888-1
(Contribution du Tenancier)
Index
Dictionnaire d'un polygraphe
Textes établis et présentés par Geneviève Bollème
n° 1233
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume sextuple
438 pages (448 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1978
Achevé d'imprimer : 10 mai 1978
ISBN : 2.264-00888-1
(Contribution du Tenancier)
Index
samedi 2 octobre 2021
Les bibliophiles
Le chasseur
Clereuil descend certainement de Nemrod lui-même. Vous avez lu dans Les Paysans de Balzac les péripéties d’une chasse à la loutre ? L’amphibie file entre deux eaux et un léger, léger sillage à la surface décèle seul la nage profonde. Il faut pour surprendre l’animal profiter du bref moment où il émerge avant de plonger dans son trou : alors d’un geste vif et précis on pique la belle fourrure vivante. De même, Clereuil note entre les mains de qui est passé le volume qu’il suit à la piste, qu’il aura un jour ou l’autre ; et il attend le moment propice pour saisir sa proie. Il possède un jeun de fiches où la carrière de tel livre est retracée depuis le moment où il est repéré jusqu’à celui où il tombe dans ses mains — plus la fiche est chargée, plus délectable est la victoire. Il tient registre également des vicissitudes de quiconque détient un volume convoité ; il sait qu’un tel souffre d’un mal qui ne pardonne pas, que tel autre est sujet apoplectique, que tel enfin connaît des embarras d’argent qui le mettront bientôt à sa merci. Il suppute toutes les misères et renifle l’odeur de la maladie, de la mort, de la ruine ; il hait les gens bien portants, ou dont la fortune est à l’abri de toute surprise et qui ne lâcheront pas le livre qu’il possède et qu’il veut. Clereuil pousse parfois jusqu’à la rue Drouot. D’une oreille méprisante, il suit la montée des enchères. La belle affaire d’acheter une bouquin de la sorte. Quelle pitié ! Il pense à ces battues où des mercenaires rabattent le gibier affolé devant des diplomates ou des financiers qui, le derrière sur un pliant, assassinent plume et poil. Ces Barbares ignoreront toutes les joies de la chasse. Clereuil est de ceux qui partent tout seul à travers la forêt et ne tirent pas leur poudre aux moineaux. Il y a des gens qui ne chassent que le lion ou le courlis. Lui ne cherche que les « romantiques », et hors les « romantiques » le livre n’existe pas. Les hasards de sa vie passionnée juxtaposèrent Clereuil et M. de Tubian qui, lui, ne prise que les illustrés du XVIIIe ». Clereuil pendant vingt-quatre heures eu des doutes. Pouvait-il admettre qu’un « illustré du XVIIIe » (siècle) fût un livre ? Vite Clereuil reconquit sa sérénité. M. de Tubian était certainement un malheureux à qui l’indulgence de sa famille et l’imbécillité des Louis laissaient une dangereuse liberté. Clereuil méprisa une fois de plus la République qui tolère de si coupables erreurs. Bon vivant au reste, Clereuil, au dessert d’un fin déjeuner, vous infligera le récit de ses captures avec une abondance de détails qui vous feront regretter les pires histoires de chasse. Il met sa fierté à ne jamais payer cher, non par avarice, car il vit largement. Quant à ceux qui achètent un livre pour le lire… il les tient pour des maniaques. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 1 octobre 2021
Une historiette de Béatrice
jeudi 30 septembre 2021
mercredi 29 septembre 2021
mardi 28 septembre 2021
Répandre de l'encre
Le plus insupportable des écrivains n’est-t-il pas celui qui écrase tout sans jamais s’élever ? Quel métier de répandre de l’encre et de ne pouvoir tirer son nom de l’encrier |
Louis-Sébastien Mercier
lundi 27 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
samedi 25 septembre 2021
Les bibliophiles
Le bibliophile
royal
M. Laroue vend des chaussures et il faut nous en féliciter, puisque les Percepteurs ne nous forcent pas encore à marcher pieds nus. Le père de M. Laroue tenait une boutique de gniaf(1) dans une rue populeuse ; M. Laroue vend des chaussures qui portent son nom aux quatre coins du globe. Mais cela ne suffit pas au bonheur de M. Laroue. Tout comme son collègue le Roi de la Margarine, M. Laroue subventionne une vedette de music-hall et une écurie de course ; il possède également une galerie de tableaux modernes qui, si elle flatte son amour-propre, trouble un peu ses digestions. M. Laroue ne connut de pures joies que du jour où il s’est promu Bibliophile de première classe. Alors vraiment il a senti que le monde était à sa merci. M. Laroue donne des dîners qui en imposent aux plus solides estomacs et lorsque ses inégalables Romanée ou les quenelles de feuilles de vigne de son chef vous ont mis la tête un peu à l’envers il vous pousse dans sa bibliothèque et là il « vous a », comme on dit dans le militaire. De sa grosse main, que la plus experte manucure n’a pu rendre aristocratique, il attrape au hasard un petit coquin de livre du XVIIIe siècle et il le dépose dans votre main tremblante. — J’ai eu ça à la vente du Duc de La Tremblade… une misère…mille louis, je crois. (Il est absolument persuadé de ce détail.) — Quel joli livre, hein ? (L’instinct professionnel ne le quitte jamais.) Puis il atteint une « première de Stendhal — pardonne moi, divin Beyle. — Et ça ??... On m’en a offert une fortune. Quelle reliure !... C’est du veau. (M. Laroue n’a jamais pu s’expliquer pourquoi les relieurs se refusaient à employer le box-calf — il aurait pu leur faire faire des affaires d’or), etc., etc… La bibliothèque de M. Laroue a permis à son fournisseur de s’acheter une quatre-cylindres Schayé. Elle est un peu disparate la bibliothèque de M. Laroue ; un incunable voisine avec une « grand papier » de Georges Ohnet, parce que M. Laroue s’en rapporte à son fournisseur. Quelques fois M. Laroue répète à cet honnête commerçant de sévères commentaires qu’un dîneur résistant s’est permis malgré la générosité du Romanée ; mais l’honnête commerçant a réponse à tout. — Quand on paye comme vous savez le faire, Monsieur Laroue, on n’a pas à craindre les remarques imbéciles des curieux. L’amour-propre de M. Laroue est pansé ; et à ceux qui s’aventureront encore à critiquer la composition de sa bibliothèque il répond, à l’aise du haut de sa fortune bien assise : — Que voulez-vous, je suis éclectique, moi ! Ah ce moi ! il est d’une éloquence ! Et depuis qu’il a connu l’usage du mot éclectique, je crois qu’on ferait porter à M. Laroue de ces bottines à élastiques comme en rapetassait son digne homme de père. Les livres ont vraiment permis à M. Laroue de faire peau neuve. Il ne redoute plus la compagnie de ces gens jadis redoutables qu’on nomme les intellectuels. Sur le turf il ne se risque pas à prononcer les termes du métier qui lui vaudrait les regards ironiques d’un véritable homme de sport ; mais dans sa bibliothèque il vous parle de Baudelaire ou de Rousseau comme s’il les avait personnellement protégés. Il s’est annexé la littérature, comme l’Angleterre s’est approprié le Transvaal. Il impose même à son fournisseur des idées personnelles. C’est ainsi que récemment il a fait relier superbement 300 billets de mille francs, qui constituent un volume d’une valeur que le cours des changes conteste seul parfois. — De ces volumes-là, toutes les pages sont numérotées, souligne-t-il finement, c’est un exemplaire vraiment unique. En effet et ce trait porte si bien que les privilégiés admis à feuilleter ce rarissime objet n’éprouvent aucune envie ni de le lire, ni même de le posséder. M. Laroue guérit des livres : c’est un gâcheur et il justifie les excès bolcheviques. Sa dactylographe assure qu’il compte admirablement mais sait à peine lire. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
(1) Un gniaf désigne un cordonnier en argot. (Note du Tenancier)
vendredi 24 septembre 2021
jeudi 23 septembre 2021
mercredi 22 septembre 2021
mardi 21 septembre 2021
lundi 20 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
samedi 18 septembre 2021
Les bibliophiles
Le spéculateur
On affirme que la Bourse a été cruelle pour Goutte ; il pourrait tapisser son élégant appartement de la rue Marbeuf de toutes les valeurs qu’il a achetés à des cours tels que, prises du mal des montagnes elles ont dégringolé aussi bas que l’on peut dégringoler. Goutte s’est ressaisi ; il a abandonné ce sport dangereux et peu à peu s’est laissé aller à un genre de spéculation de tout repos. Il vous reçoit en pyjama rose et à peine vous a-t-il offert la cigarette de l’arrivée qu’il cueille sur la table un petit in-16 pudiquement enchemisé de papier cristal. — Dans dix ans cela vaudra vingt-cinq louis. Et preste il escamote l’objet. Goutte vend donc des livres ? Certes, mais il n’en fait pas commerce. Chez lui les livres ne font que passer. Il achète une « première » de Maurras. Le temps qu’elle prenne un peu de valeur et il la revend pour acquérir une « première » de Paul Valéry qu’il rétrocédera pour une « première » de Tartempion… etc., etc. Vous direz que c’est un gourmet, qu’il prend plaisir à déflorer une édition, tel Don Juan, vite lassé d’une conquête ? Erreur. Goutte voudrait bien lire, il aimait lire naguère, mais la vue d’un coupe-papier le met dans la critique situation de saint Laurent sur son gril. La mention « n.c. » (non coupé) est le brevet de virginité dont il se grise et qu’il respecte en amoureux fervent, mais discipliné. Une « première » n’est une vraie « première » que n.c. Le livre devient pour lui une sorte d’objet de transaction, complètement dévoyé de son but qui est d’offrir aux honnêtes gens — aux philistins — de saines émotions. Ce n’est qu’une pièce qui a son cours, son tarif. Goutte lit assidûment les catalogues des librairies de seconde main ; il note le renchérissement de tel ou tel titre, mais pour ce qu’il contient de potentiel émotif il est ignorant comme une armoire à glace. Depuis vingt ans il ne cesse d’acheter, de vendre et de troquer. C’est un des premiers bibliophiles en date ; il a su deviner l’essor de la brocante livresque. Il ne possède pas plus d’un millier de volumes, mais ce capital s’accroît sans cesse. Sa bibliothèque qui se renouvelle infiniment représente maintenant une fortune. On le presse de consentir à une vente qui ferait du bruit. Mais sa Bibliothèque, réalisée, que ferait-il ? À quoi emploierait-il son argent ? Acheter des livres anglaises ou des Rio Tintos ? Il se souvient de ses anciens déboires. Et puis ce titre de bibliophile le flatte ; il préfère rester en état de perpétuel devenir et il jouit d’avance de l’éclat de sa vente posthume. Il serait même prêt pour cela à imiter Charles-Quint qui assista à ses propres funérailles. Mais après ? Cette pensée l’empêche seule de commettre une folie… |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 17 septembre 2021
jeudi 16 septembre 2021
Gotham
... et comme le Tenancier n'est pas rancunier, l'on vous
présente ici l'épisode d'une série qui fut diffusée sur France Culture il y a
quelques années.
mercredi 15 septembre 2021
Le Tenancier ronchonne
Outre qu’elle se fait le
porte-voix d’une certaine béatitude
technophile globalisée et où ses animateurs se déclarent des
« lovers »
lors de jamboree radiophonique consacrées aux « industries
culturelles »,
france culture(1) s’adonne au recyclage d’anciennes
émissions ou d’invités
—, pas forcément les mêmes, mais interchangeables — où le conceptuel
people s’adonne
à l’entre-soi des marchands de primeurs. Étrange phénomène qui déprécie
la
bourgeoisie sans qu’il soit besoin de lui donner un coup de main, comme
si,
tout à coup, le vieux réac ou la conscience de gôche se diluaient dans
une
sorte de libéralisme vaguement orienté
« droit-culture/patrimoine ».
Pourquoi pas ? Tout cela se veut efficace. Malheureusement, l’on
se trouve
bien court, quand bien même l’on rabâche, et il faut meubler d’autant
qu’après
avoir viré la création, l’on compresse le personnel depuis des éons. Le
miracle
des redifs reste à cet égard une providence, entre deux émissions de
variété
déguisées et après quelques estimables léchouilles et quelques
prudhommeries. On
recycle et ce qui distingue l’industrie d’une création réside justement
dans
cette réutilisation ad nauseam de
vieux machins sans que la qualité s’améliorât (au moins dans le
cinoche, nous
sommes passés au parlant et au Technicolor, le son FM pour la radio
devenant un
très médiocre progrès pour les logorrhées). Doit-on jeter la pierre à
ceux qui
affectionnent ces rediffusions ? Ah mais non, d’autant que le
soussigné en
fait partie! Mais il fatigue, aussi. Il aimerait bien rêver un peu,
qu’on l’enchante avec de l'imagination.
Et là, on peut estimer que votre Tenancier peut toujours courir.
— Mais pourquoi ronchonnez-vous, Tenancier ?
— Parce que c’est mon plaisir.
(1) Des caps., vous croyez ?
— Mais pourquoi ronchonnez-vous, Tenancier ?
— Parce que c’est mon plaisir.
(1) Des caps., vous croyez ?
mardi 14 septembre 2021
Dispositions ante mortem
Toujours est-il qu’Archibald Rapoport lorsqu’il entre dans
sa trente-sixième année vit seul, occupe ses loisirs à philosopher,
exerce le
métier de malfaiteur, pratique le vol à main armée. Il aime, dans sa
condition
de voyou, qu’elle ne soit pas conforme à sa nature, qu’elle y soit
étrangère.
Je hais la violence, pense-t-il et les humiliations que j’inflige
m’écorchent
et me bouleversent. Je suis fait pour l’étude et le silence, la
science, et
j’ai passé ma vie à violer, à meurtrir en moi les intimes tendances qui
me
poussent aux plaisirs paisibles du savoir et du bonheur, j’en ai
constamment
étranglé les nostalgiques sursauts. Mais il jouit du contraste incongru
qui
oppose ses inquiétudes philosophiques et les préoccupations criminelles
attachées à son existence de bandit professionnel : il est dans
une
absurdité palpable, un déchirement concret qui l’extasie d’une
voluptueuse
amertume. Mais il advint qu’un jour il fut saisi d’une frayeur profonde, métaphysique : il désira qu’on sût ce qu’il avait été. Il désira qu’on le connût, enfin, après sa mort : il fallait qu’il meure pour que cette connaissance publique ne le violât point. Il forma le projet d’écrire, et de périr pour que le récit de sa vie pût être publié. L’écriture regarde la mort, pensait-il, l’idée de la mort, sa vision, la pénètre et transperce de toutes part, et le nom des écrivains sur la couverture des livres, préfigure leur pierre tombale : je donnerai un sens à cette image. Il avait toujours connu le désir endeuillé d’écrire et, parmi les raisons qui avaient empêché qu’il le fit, il y avait surtout la sensation qu’écrire était une lâcheté, une façon d’assouvir désirs, fantasmes et rêves dans une fiction susbtitutive, au lieu de les accomplir. « J’aime trop vivre, disait-il, pour pouvoir écrire. » (« J’écrirai quand je ne banderai plus », disait-il aussi.) Et la publicité de l’écriture, qui abolit l’anonymat, supposait, lui semblait-il, le désir terrifié d’échapper aux signes funèbres de la solitude. Mais il n’écrirait qu’au moment où il serait dans une confrontation inévitable et cristalline avec la mort — qui inclurait une contemplation constante —, il écrirait quand sa vie consisterait exclusivement à mourir, il ferait seulement le récit de sa vie et son livre ne paraîtrait qu’il eût, lui, disparu : il avait décidé qu’en vertu des multiples articles du Code pénal relatifs au châtiment du meurtre, il serait condamné à mort et exécuté. (Ainsi il n’aurait pas sépulcre manifeste et son corps scindé pourrait, dans une fosse commune, au carré des suppliciés de quelque cimetière parisien, pourrir. Et il éviterait ainsi l’insupportable attente de la mort naturelle qui, telle un fondamental cancer, le dévorait.) Je tuerai un policier, chaque jour, six jours durant, avait-il résolu et pensé un matin, les yeux figés sur le suave roulement de hanche d’une capiteuse courtisane qu’il avait séduite. Alors commence vraiment l’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, l’aventure cassée d’un penseur qui tue pour écrire, meurt pour être lu et défini. Il va pourtant de soi qu’Archibald possédait quelques autres raisons diverses, de vouloir mourir et d’œuvrer en faveur de cette mort. |
Pierre Goldman : L’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport (1977)
(Réédition en 2019, éditions Séguier)
lundi 13 septembre 2021
10/18 : Vernon Sullivan : Elles se rendent pas compte
Vernon Sullivan
Elles se rendent pas compte
Traduction de Boris Vian
n° 829
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
194 pages
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 septembre 1978
(Contribution du Tenancier)
Index
Elles se rendent pas compte
Traduction de Boris Vian
n° 829
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
194 pages
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 septembre 1978
(Contribution du Tenancier)
Index
samedi 11 septembre 2021
Les bibliophiles
Philologie et histoire
naturelle
Deux individus s’affrontent et gesticulent : deux tomates explosives. Soudain cette tornade devient bonace : ces deux citoyens, également français, s’aperçoivent qu’ils ne parlent pas la même langue — d’où leur différend — mais qu’ils se trouvent d’accord cependant ! Ils se réconcilient, s’embrassent ; ainsi la plupart de nos querelles viennent de ce que l’on ne s’entend pas exactement sur le sens des mots. Le mot de Bibliophile n’échappe pas à cette règle. Évidemment, l’étymologie nous enseigne que Bibliophile veut dire « qui aime les livres ». Mais il y a tant de façons d’aimer les livres ! Chacun aime les livres à sa façon et affirme de cette manière sa personnalité et son sens de la langue… Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu es. Le livre est une pierre de touche. Et puis il y a aussi les gens qui aiment les livres et qui ne lisent que leur journal et leur livre de comptes… La définition du Bibliophile devient donc difficile. Nous avons renoncé à en énoncer une qui satisfasse tout le monde. Tout au plus peut-on dire que le Bibliophile est un mammifère, bipède et bimane, à langage articulé. On en compte deux espèces : le Bibliophile qui lit et le Bibliophile qui ne lit pas. Chacune de ces espèces comporte plusieurs variétés dont on trouvera plus loin la description. On rencontre aussi des sujets qui échappent à toute classification : ce sont des hybrides nés du croisement de deux variétés différentes. Du point de vue scientifique ils offrent un intérêt de curiosité, leur rareté même est un attrait ; du point de vue social ils sollicitent moins l’attention, car, comme tous les mulets, ils n’ont aucune progéniture. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 10 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
jeudi 9 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
mercredi 8 septembre 2021
Jeu
Allons allons, nous n'avons jamais prétendu de ce côté-ci de l'écran que les jeux que nous proposons devaient se déclarer difficiles ou même s'abstenir de se répéter. Ainsi l'on vous demande de quel film provient cette image de librairie. On peut même se contenter d'une réponse évasive, comme la dernière fois, ce qui avait amusé votre Tenancier.
mardi 7 septembre 2021
lundi 6 septembre 2021
dimanche 5 septembre 2021
Vonnegut x 11 + 1
S’il existe un écrivain singulier qui
mérite quelque
attention dans l’élaboration des couvertures de ses ouvrages, c’est
bien Kurt
Vonnegut. La maison Bantam Doubleday avait confié à Carin Goldberg le soin de
travailler sur le design de la série d’ouvrages (ca : 1990/2000) du
romancier américain, avec une
unité assez intéressante et plutôt sobre, malgré tout.
On peut cliquer sur chaque
image pour l'agrandir
L’idée la plus élégante revient
toutefois au designer Alex
Camlin
qui, travaillant pour un autre éditeur (Da Capo Press) au sujet de
souvenirs autour de Kurt Vonnegut par Loree Rackstraw (2009), opère un
discret rappel de la maison concurrente et des oeuvres de l'auteur
par trois bandes en travers de la couverture.
(Sources : Book Cover Archive)
(Sources : Book Cover Archive)
samedi 4 septembre 2021
Une bibliothèque populaire
M. Torndike, qui tenait une bibliothèque populaire dans
Staple Inn, regardait pour la mille et unième fois les étranges maisons
à
façade de bois qui faisaient face à son officine. Il n’y avait personne, autour des tables de bois noir surchargées de livres, à qui il eût pu, pour la énième fois, répéter qu’il prisait le style Tudor de ces bâtisses et qu’elles étaient les seules ayant survécu aux incendies et aux tourments de la City, depuis le XVe siècle. Personne… Ce n’était pas une vérité absolue, mais l’unique client qui feuilletait d’un doigt nonchalant les tomes gras et luisants ne comptait guère pour le bouquiniste. Le docteur Baxter Brown était un simple médecin de quartier habitant Churchstreet, où il occupait deux chambres dans une des hautes et blêmes maisons bordant Clissold Park, ne disposant ni de bibliothèque ni de laboratoire et recevant sa maigre clientèle dans un misérable salon aux fauteuils de crin noir. Deux fois par semaine, il entreprenait, à travers la métropole, un long et triste voyage qui l’amenait à Holborn, dans l’établissement poussiéreux de M. Torndike où il passait une ou deux heures avant d’emporter un livre de location à six pence. Il bruinait, ce jour-là, et à sa table de lecture se trouvait dans le coin le plus sombre de la bibliothèque populaire. Mais M. Torndike ne songeait pas à allumer les une des lampes à abat-jour vert pour un aussi pauvre client. Baxter-Brown faisait bruisser les épaisses feuilles d’une Histoire d’Angleterre qu’il ne lisait pas mais, d’une main prudente, il glissait sous le volume un mince opuscule, tavelé de rouille et mordu par le taret des livres. À ce moment, Miss Bowes entra et M. Torndike s’inclina fort bas. Non seulement elle prenait en location des livres coûteux et rares, mais encore, elle aimait faire un bout de causette qui permettait toujours au bibliothécaire de faire valoir ses connaissances historiques. — Nous parlions de Wren, la dernière fois que j’eus l’honneur et le plaisir de vous voir dans ma modeste maison, Miss Bowes, et, à propos de Guildhall, qu’il rebâtit après l’incendie de 1666… Baxter-Brown se leva ; il avait fait glisser le mince cahier dans la poche de son pardessus et tenait à la main un quelconque roman de récente édition. — Merci, Monsieur, au revoir, Monsieur, dit sèchement le bouquiniste en prenant du bout des doigts la pièce de monnaie que lui tendait le médecin. La silhouette trapue du docteur se fondait dans la bruine d’Holborn. — On ne mangerait pas du mouton tous les jours avec une pratique du genre, grommela M. Torndike en le voyant disparaître. Puis, retrouvant son sourire, il reprit sa conférence au profit de sa bonne cliente. — Il faut pourtant reconnaître que les tours ajoutées par Wren à l’Abbaye de Westminster ne sont gère en harmonie avec la majesté… […] |
Jean Ray : Le miroir noir (1943)
10/18 — Boris Vian : L'écume des jours
Boris Vian
L'écume des jours
suivi de
Un langage-univers
par
Jacques Bens
n° 115
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume simple
184 pages (192 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1963
Achevé d'imprimer : 25 mars 1971
(Contribution du Tenancier)
Index
L'écume des jours
suivi de
Un langage-univers
par
Jacques Bens
n° 115
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume simple
184 pages (192 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1963
Achevé d'imprimer : 25 mars 1971
(Contribution du Tenancier)
Index
vendredi 3 septembre 2021
jeudi 2 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
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