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vendredi 14 août 2015

Sagesse universelle

Au prêt-à-porter du convenu, il est de bon ton de nous refiler le proverbe récipiendaire de la sagesse universelle, le genre de citation qu’on te défend de remettre en question sous peine de passer pour un malpropre, genre la braguette ouverte au repas de la mariée. Il y en a un que je biche particulièrement, c’est : « Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Quand tu vois la légion de connards, d’abrutis sentencieux, de « braves gars » aux opinions dégueulasses, d’indigents de la pensée qui peuplent l’univers proche, tu te dis qu’à ce compte-là c’est seulement la collection complète de Oui-oui qui risque l’autodafé.
Et que l’on ne vienne pas m’expliquer que ce proverbe illustre l’oralité de la transmission du savoir. La sottise et l’à-peu-près empruntent les même voies (et les mêmes voix aussi). Pour un Homère du terroir tu as des centaines de salopards qui ont remplacé l’intelligence, la culture par la « dignité » et la « morale » tout en continuant leurs petites cochoncetés.
D’ailleurs que penser de ceux qui approuvent ces pompeuses sentences ?

mercredi 20 mai 2015

Une connerie stalinienne

Il existe pour votre Tenancier un sujet difficile concernant son métier et sur lequel il a toujours fait un détours circonspect : la poésie. Dissipons l’ambiguïté, on parle ici de la difficulté de communiquer l’expérience intime de la poésie à autrui, surtout lorsque l’on est libraire. Il vous importe assez peu de savoir ce que le Tenancier aime en matière de poésie. C’est comme les brocolis cette chose…
Il est tout de même une matière de la poésie que l’on peut transmette sans trop se tromper sur l’unanimité qu’elle suscitera, c’est le kitsch, le stupide ou le crétin.
On vous avait fait subir une ode aux Sauveteurs Bretons (la médaille la plus belle pour les amateurs des Tonton flingueurs…) et comme on vient de vous parler d’Aragon on ne peut résister : voici une belle connerie stalinienne que nous plaçons dans notre panthéon bien près des représentations réalistes socialistes des milicienne pékinoises dans les fifties. L’une et l’autre se valent — quand le kitsch est sinistrement meurtrier et fait rire tout à la fois...
 
« Il s'agit de préparer le procès monstre
d'un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d'ouvriers et soldats
Constituez le tribunal révolutionnaire
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons

Je chante le Guépéou qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre Dieu Chiappe et la Marseillaise
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation des banques
Vive le Guépéou contre les manœuvres de l'Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type
Caballero Boncour Mac Donald Zoergibel
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du prolétariat. »


Aragon : « Prélude au temps des cerises » 
in : Persécuté-Persécuteur, Ed Denoel, 1931)

mardi 10 mars 2015

On les coupe à Jules

Qu’on pardonne au Tenancier sa marotte qui consiste à remettre Verne sur la table à tout bout de champ. Promis, il s’amendera et réduira ses billets à son sujet. En attendant, et même si vous n’êtes pas vernistes pour deux ronds, la nouvelle vous concerne aussi un peu. On vient d’apprendre que la communauté Amiens métropole retirait sa subvention annuelle de 80 000 € allouée au Centre International Jules Verne (Anciennement Centre de Documentation Jules Verne). Certes, nous sommes au courant que la crise touche les budget locaux, que le report de certaines charges naguère assumées par l’état pèse sur ces mêmes budgets. Cette communauté a fait un choix ; on le regrette, mais on reste dubitatif. Pour notre part, nous pensons que se remettre dans les bras d’un organisme étatique ou semi étatique revient à ne plus être maître de sa destinée mais consiste à la soumettre aux décisions de personnes étrangères à cette entreprise culturelle. Cette communauté amiénoise avait repris les rênes du centre en 2011, il a fallu peu de temps pour que cette association vieille de presque 45 ans disparaisse. Il semble que le fonds documentaire sera transféré à l’Université de Picardie, ce dont on se réjouit pour les chercheurs. Reste tout de même le prétexte invoqué par Nathalie Devèze, la vice-président chargée de la culture, qui laisse rêveur. Voici ce qu’elle déclare à la journaliste du Courrier Picard :
«  Nous nous sommes en effet interrogé sur l’activité de cette association. La revue qu’elle publie pas forcément de manière très régulière s’adresse à un public averti. Ses animations à destination des scolaires sont inexistantes. Nous leur avons pourtant demandé de déposer une demande de contrat local d'éducation artistique pour les écoles maternelles et primaires  ».
Ainsi, le maintien du Centre de documentation était soumis à une obligation de résultat, attitude assez typique des édiles dans leur démarches productiviste de la culture. Cette idée de rentabilité à court terme fait comme d’habitude fi de ce qui avait été réalisé par le passé par l’association. Incidemment, le discours de cette personne renvoie de nouveau Verne à son statut d’écrivain pour la jeunesse, confirmant l’ignorance crasse qui règne dans le marigot de l’administration culturelle et notamment vis-à-vis du travail de ce Centre international et de ceux qui le fréquente. Oserait-on demander aux Amis de Pierre Louÿs de souscrire à un contrat avec les écoles ? Personnellement, la chose m’amuserait. On peut sans peine deviner que la raison invoquée était un prétexte pour une raison qui nous échappe puisque nous ne sommes pas familier avec ce genre de manœuvre (nous n’aimons ni les subventions ni les tutelles par chez nous !) Argument hypocrite, inconséquence budgétaire qui fait que l’association ayant récemment déménagé, elle devra sans doute fermer ses portes. Qui a donc avalisé ce déménagement pour couper ensuite les subventions ?
Il est de règle en ce moment de sabrer tout les budgets concernant la culture. Ce n’est qu’une étape de la précarisation de la population. La diminution générale des services publiques, des soutiens à l’activité culturelle ou sociale est une manière comme une autre de conditionner le corps social à l’inacceptable. Cette coupe budgétaire n’est qu’une péripétie dans le vaste repli opéré actuellement. Déjà, nombres d’activités culturelles sont touchées sous le prétexte qu’elles ne sont pas rentables. Nous avions déjà une ministre de la culture qui ne lisait pas. Sans doute faut-il déduire que nous méritons ce qui est en train de se passer.
 
(On vous renvoie au site du Centre de Documentation pour en savoir plus sur son activité passée. En illustration deux des productions de l'association.)

vendredi 30 janvier 2015

Voltaire, mon cul !...

On connaît tous la citation : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. » attribuée à Voltaire et qui se révèle apocryphe. On se reportera si l’on veut à l’article de Wikipédia qui éclaircit un peu l’affaire de ce côté-là...
Il se trouve que votre Tenancier, par l’effet d’un inexplicable masochisme, s’est retrouvé dans ce qui aurait dû être un débat avec la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme — en réalité sept personnes autour d’une table et dont votre serviteur était le seul étranger — consacré à « l’après Charlie » semble-t-il. En fait, ce fut le déroulé d’un quasi-monologue d’un des membres qui avec une voix de stentor couvrait les propos plus intéressants d’un de mes voisins, ou d’autres objections fort raisonnables. Parmi les pires conneries qu’on puisse entendre d’un cuistre infatué de sa suffisance* on releva la citation apocryphe citée plus haut, signalée comme telle par votre Tenancier. Il lui fut répondu « qu’un mensonge était après tout très acceptable si cela pouvait servir la cause ». Le même, quelques temps après, alors que le Tenancier s’opposait sur certains points à ses analyses de bistrot lui fut rétorqué par le même que « dans un débat il y en a toujours un qui a raison et un autre qui a tort » avec un plaisir que nous n’avons pas voulu troubler plus avant. Nous sommes partis presque sur la pointe des pieds en nous demandant toutefois où nous avions bien pu tomber (Il faut dire que, par son passé militant, le Tenancier avait des souvenirs d’échanges d’une autre qualité avec la LDH…) Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps et un con ne résume pas forcément une volonté commune. Il se peut que le Tenancier soit tombé sur un îlot, propice aux impasses évolutives ou bien sous l’effet d’une endogamie alpestre. Mais la soirée fut bien longue…
Moralité : La prochaine fois qu’on lui fera le coup de la démocratie en danger, le Tenancier montrera son cul, ce qui vaut mieux que subir les Beria de sous-préfecture.
Du reste, on le sait, le Tenancier n'est pas « démocrate ».
____________________
 
: Justifiant une éventuelle intervention militaire française en Syrie, par exemple ce qui est assez baroque en soi et qui l’est encore plus quand cette assertion n’est même pas modérée par la présidente de la section locale…

lundi 12 janvier 2015

Rendons service à Fabrice...

« Les confidences de Lucchini », L'Obs n° 2648 du 8 janvier 2015

Oui, rendons-lui service en l'orientant vers un endroit où il aura quelques éléments de compréhension, c'est-à-dire ici, par exemple. Nous comptons sur nos lecteurs pour lui en indiquer d'autres et surtout sur ce qui devrait être compris d'un poème. Enfin bref...
Autrement, je m'interroge sérieusement sur l'intérêt de déclarer que son chauffeur de taxi était Marocain. Était-ce pour souligner l'exceptionnelle attention du chauffeur en qualité de taxi, de Marocain, ou de transporteur de cabot ?
Hasard des hasards, se pointait en couverture du même canard un autre de ceux que nous avions représenté dans nos « vœux », avec la « une » la plus sombrement hilarante de ces derniers jours :


Comme quoi on devrait se méfier : quand on évoque la sottise, on prend le risque d'être très tendance...

jeudi 1 janvier 2015

2015

Pour la nouvelle année, le Tenancier a le plaisir de vous présenter tous ces vieux :


 Allez, bonne année quand même, hein...

samedi 6 décembre 2014

De l’écriture manuscrite, considérée dans sa possible disparition

Faire sa fête à l’écriture manuscrite : l’idée provient sans doute d’un consortium d’hyper cerveaux du côté de quelque Silicon Valley. Il s’agit de substituer à l’apprentissage, par enfants et adolescents, du geste graphique, le glorieux et rapide « traitement de texte » que permet la technologie. Pratique obscurantiste et démodée que l’écriture manuscrite ? Avatar médiéval ? Luxe aristocratique ? Nous y sommes. S’agirait-il de la mettre hors la loi, comme c’est le cas désormais dans une partie des états américains ? et comme c’est en débat dans certains états d’Europe du Nord ? L‘école ne serait plus un lieu où la pensée se construit à la main, dans le sillon des lignes. Adieu plumes et stylos, crayons et feutres. Au revoir la page intimidante, les brouillons griffonnés, les incipit emblasonnés, les calligraphies tâtonnantes où la lettre prend corps. Exit enfin,la musicalité du cahier, cet ensemble relié de variations sur le thème de l’apprentissage personnel.. Autant d’accessoires à ranger au cabinet des antiques , avec étiquette datée, pour tout cet attirail devenu historique, obscur témoin de l’écriture et de la différence. C’est d’ailleurs cette « différance », avec ses ratures et ses marges, qu’il s’agit de traiter comme une approximation, ou une tare. Mais s’est-on suffisamment enquis de ce que pourrait bien signifier une enfance sans trace écrite, et, dans nos sociétés, une entrée dans la vie dénuée de cettealchimie lettriste qui ouvre la porte des signes ?
Alors oui, surveillons nos plumes et nos (belles) lettres ! Quelles que soient par ailleurs nos pratiques sociales et culturelles, applaudissons l’écriture manuscrite, canevas premier d’une toile ultérieur. Retrouvons parfois l’émotion du « vide papier que sa blancheur défend »… Mesurons aussi l’ampleur des risques à l’aune de la « haine de l’écriture », et de ses conséquences historiques.

Jean-François Cassat

mardi 25 novembre 2014

Où le Tenancier se montre martial, mais seulement vers la fin

— «  Alors, Tenancier, ça baigne ?
— Z’êtes bien familier.
— Depuis le temps que je vous interpelle…
— Ça fait trois fois, si je ne me trompe. C’est vrai qu’à ce stade-là, c’est plus de l’intimité. Bientôt, va falloir que je vous cède un bout de mon plumard ou de ma gamelle, non ?
— C’est pas possible, ça, toujours de mauvaise humeur !
— J’aime pas qu’on me dérange. Est-ce que je viens, moi, vous emmerder dans les recoins ? Comme je vais encore avoir droit à des questions, allez-y tout de suite.
— Pas de question cruciale, non… je voulais seulement savoir si vous étiez au courant de ce qui s’est passé à Toulouse.
— Non, et ?
— Je vous résume alors : un dessinateur a entrepris de créer un blog où il avait rassemblé les histoires de harcèlement ordinaire dont les femmes étaient victimes. Tous les harceleurs étaient uniformément représentés sous la forme de crocodiles, d’où le nom, d’ailleurs : Projet Crocodiles. C’est souvent bien observé, et un éditeur a décidé d’ailleurs d’en publier quelques planches en album.
— Je connais, je suis allé sur ce blog.
— Une expo a été prévue à Toulouse, donc. D’après ce que j’ai compris, les dessins devaient être exposées dans la ville. La municipalité a décidé que ça ne se ferait pas étant donné la « violence » de certaines planches.
— Ah ouais ? Sont forts, ces Toulousains…
— N’est-ce pas ?
— On pourrait même se poser une question.
— Laquelle ?
— Tous les Toulousains sont-ils des crocodiles ?
— Certainement pas. Enfin, j'espère que non...
— C’est marrant, tout de même, comme l’ordre moral revient au galop. Moi, je m’attendais à une condamnation quelconque pour obscénité pour un livre ou un spectacle, mais j’avais compté sans le côté faux-derche de nos censeurs : l’alibi d’une violence supposée, alors que pas un édile n’a dû se poser la question de l’obscénité de la représentation de la violence, celle dont les images sont nettement plus explicites et qui courent les rues et les médias. De là à se dire qu’ils se sentent concernés directement par le sujet du harcèlement sexuel…
— Oh, doucement, Tenancier, il y a une femme qui est venue expliquer tout ça devant une caméra. Je crois qu’elle fait partie du Conseil municipal. Il y aurait des enfants choqués potentiellement par les planches exposées au public.
— Et alors ? Je ne vois pas pourquoi les femmes ne seraient pas complices. On voit bien des chiens ne jamais ronger leur laisse… Pour les mômes, je rigole doucement, comme s’ils n’étaient pas confrontés à pire. D’ailleurs, s’ils sont assez grand pour comprendre le sens de ces crobards, ils sont assez mûrs pour en saisir les implications. Ce serait toujours ça de pris. Enfin pas par les gluants toulousains, en tout cas. J’aime bien les censeurs, moi, quand même.
— ?
— Oui, on est jamais déçu dès qu’il s’agit de guetter les contorsions par lesquelles ils passent pour interdire un truc. Enfin, le coup de la violence vis à vis des enfants, c’est pas très frais comme idée. Mais après tout, c’est à la hauteur de l’objet censuré. Sans faire injure au dessinateur, c’est pas du Genet, quoi… Dans le temps, on faisait intervenir les paras.
— On voit la nostalgie dans vos yeux d’azur..
— Négatif, mon p’tit gars, mais faut reconnaître qu’ils savaient crever leur plafond !
— Pas des gonzesses, quoi.
— Allez, rompez ! »

lundi 17 novembre 2014

Dans lequel le Tenancier commence à vitupérer, se fait meneuse de revue et finit par vouloir faire un communiqué

— « Euh… dites, Tenancier…
— Quoi encore ?
— Quelle est votre opinion sur…
— Ah non, ça ne va pas recommencer ? L’autre fois, vous me demandez mon avis sur une connerie ministérielle et paf deux jours après, qu’est-ce qui déboule ? Christine Angot qui cite Duras dans Libération sur le même sujet ! Pour le coup, je me sens mal, moi, j’ai l’air d’adhérer par anticipation. Partant du même principe, comme je vais répondre à vos questions à la noix, on risque de se retrouver à faire de la table tournante en compagnie de Maurice Druon, Michel Droit et Jean Dutourd ! Du gore en direct. Bientôt quand je vais vous voir arriver, faudra que je fasse provision de pattes de lapin ! Merdalors, Christine Angot ! Duras ! Libération ! La scoumoune, quoi.
— Je ne peux pas dire le contraire, Tenancier, mais qu’est-ce que vous êtes ronchon, vous alors !
— Quand on m’importune, toujours.
— Je peux vous poser la question, oui ou non ?
— Vous pouvez toujours essayer, pas sûr que je réponde.
— Alors, c’est Jean-Luc Mélenchon qui…
— Je vois. Laissez tomber.
— Eh bien quoi ?
— Vous alliez me dire que Mélenchon n’aime pas Assassin Creed parce que ça dit du mal de Robespierre, c’est ça ? Alors ne vous fatiguez pas parce qu’encore une fois vous me posez des questions sur les conneries proférées par mes contemporains et que je m’en bats un peu les choses, voyez-vous.
— Tout de même…
— Pfff… Qu’est-ce que vous voulez que je dise ?... En plus ça va me mettre mal avec des gens que j’aime bien, même s’ils aiment un peu trop les Jean-Luc. En gros, le stalinien au petit pied, là, il est dans son rôle : ça bat de l’estrade, ça vitupère à bon compte, et puis quoi ? On va retirer le jeu de la vente ?
— Oui, mais les valeurs de la République…
— Ouais, les anachronismes relevés par les historiens, les portrait caricaturaux… si vous voulez une analyse sérieuse allez donc voir du côté des historiens. Tenez, il y a un blog consacré à la Révolution, jetez un oeil , on en parle et c’est intéressant. Cela dit, c’est aussi à côté de la plaque, selon moi, au sujet de ce jeu. Et puis, votre République, hein, demandez donc à la Ligue des Droits de l’Homme, vous en aurez des nouvelles.
— Pourquoi « à côté de la plaque ».
— Parce que tout le monde feint de penser que ce jeu qui consiste à dessouder ses — presque — contemporains serait une œuvre de l’esprit. Or ce machin est un produit ludique, distribué certes par une boîte française mais dont la zone de chalandise est le monde entier.
— Et alors ?
— Faut tout vous dire, à vous ? Vous avez souvent l’intention de venir me faire votre numéro ? Bon, j’explique : ces jeux empruntent des marqueurs qui n’appartiennent ni à l’histoire ni à la culture réelle. Les archétypes utilisés — guillotines, drapeau tricolore, Bastille — sont utilisés pour baliser le jeu, ce sont simplement quelques briques disposées pour le repère du joueur, pour lui vendre de « l’exotisme ». Ces éléments font partie d’un fonds qui doit plus aux lieux communs que la complexité du réel.  Ce n’est pas une thèse pour faire réfléchir Kevin sur le côté LOL de la période thermidorienne. Tiens, c’est comme Notre Dame de Paris.
— Ah, Hugo…
— Non ! Disney.
— Une de vos comparaison, encore ?
— Oui : vous vous souvenez de la cathédrale, dans le truc honteux qu’ils osent appeler « dessin animé » ?
— Vaguement.
— Le beau parvis, devant, qui a été dégagé sous… Viollet Le Duc, par exemple ?
— Anachronisme, voilà.
— Oui, mais voulu ! Aussi volontaire que les archétypes utilisés pour Assassin Creed ! Kevin se tape comme de sa première cartouche Sega de l’histoire de la Révolution française. Mathiez ? Inconnu au bataillon. Fume c’est du conventionnel. En revanche on y retrouve toute l’imagerie idiote qui traîne dans le monde entier et c’est normal, c’est un produit avec des vrais morceaux d’artefacts virtuels dedans, c’est du reconstitué après lyophilisation mondialisante, sachant que la première clientèle pour ces machins est anglo-saxonne et qu’Assassin Creed doit plus aux histoires du Mouron Rouge de la Baronne Orczy qu’à un livre d’Histoire de l’école primaire. C’est de l’imagerie à touriste, rien d’autre. Bref, de la connerie en barre, mon cher. Même pas de quoi s’insurger, c’est un produit calibré issu de l’économie libérale, fabriqué pour aliéner un chouïa et certainement pas pour conscientiser l’éventuel utilisateur. Ils ne vont tout de même pas se tirer une balle dans le pied… Du reste le peuple y semble considéré comme une bande de salauds. Tiens ! Comme dans Métronome de Lorant Deutsch.
— Sauf que ce dernier fait de l’histoire…
— … comme je suis meneuse de revue à l’Alcazar. Et à mon avis, j’ai plus mes chances. Au fait, à propos de trucs intelligents, vous vous souvenez de la loi sur les publications destinées à la jeunesse ?
— Oui, enfin, je crois. Vous voulez faire allusion au fait que le moindre journal devait contenir quelques pages à vocation pédagogiques, quelque chose comme ça ?
— Vous vous souvenez des rubriques « Le Saviez-vous ? » dans Météor, dans Battler Britton, etc. ? Eh bien, vous savez quoi ?
— Non, mais je ne vais pas tarder…
— Tout juste. Eh bien on dirait qu’il n’y a pas de rubrique pédagogique dans Assassin Creed. Étonnant, non ? Mais il est vrai que c'est un produit classé « 18 ans et plus ». Je me résume : aucun alibi pédagogique, produit industriel calibré, marchandise spectaculaire, une bonne daube contemporaine, quoi.
— Donc, Mélenchon…
— Merci de me remettre sur les rails, mon vieux. En définitive, je lui donne raison de ne pas être content. Étant donné qu’on nage dans le bonheur, que le stade ultime de la lutte des classes a abouti à l’utopie socialiste, les seuls moments d’exaltations militantes se situent bien au niveau de la critique d’un jeu vidéo.
— Vous persiflez.
— Moi ? Jamais ! Je ne me permettrais pas, voyons. N’empêche que je me ferais bien une partie. J’ai vu des mômes jouer sur des versions antérieures, c’était assez bluffant.
— Vous jouez, Tenancier ? J’aurais jamais cru.
— De temps en temps sur des jeux de stratégie, mais attention, hein, y’aurait de quoi redire sur les manœuvres des hastatis dans la légion romaine, c’est pas du tout crédible, je trouve !
— Ah ?
— D’ailleurs, je vais faire un communiqué ! Faut pas déconner avec la légion romaine… »

(Post scriptum quelques heures après :  au même moment, le blog Le Moine Bleu fait un billet sur le Jean-Luc. On adore).

vendredi 14 novembre 2014

Où le Tenancier montre qu'il n'est pas citoyen, pérore sur les salles d'attente et fait un pléonasme

— «  Dites donc, Tenancier, vous avez une opinion, vous, sur Fleur Pellerin ?
— C'est-à-dire ?
— Ben… ses déclarations sur Modiano ou, vous savez, la déclaration où il s’agissait " d’aider le public à se frayer un chemin dans la multitude des offres pour accéder aux contenus qui vont être pertinents pour lui ", par exemple. Entre parenthèses, je suis confiant, elle a pas fini d’en dire encore !
— Oui, bon, ça vous intéresse vraiment ?
— C’est une ministre, tout de même…
— Eh bien ce n’est ni la première ni la dernière personne à dire des conneries à un poste ministériel, je ne vois pas en quoi ça devrait vous agiter plus que ça, mon vieux…
... Allez, je ne vais pas faire ma rosière plus longtemps, je suis d’accord : Fleur Pellerin a dit n’importe quoi et la seule justification qu’on peut lui accorder, c’est la franchise de son ignorance quand on lui retire ses béquilles pour le cas de Modiano et le fait qu’elle agit au mieux de ses compétences pour un boulot qui n’est pas fait pour elle, visiblement, pour ce qui concerne ses discours d’énarque.
— Le Principe de Peter ?
— Ça, ce serait dans le cas où elle atteindrait son niveau d’incompétence. Non, simplement, elle est dans le cas d’un cadre d’une grande boîte qui gazait raisonnablement dans le service logistique et qui, à niveau égal, se retrouve dans le marketing. Il ne sait pas faire, mais il est plein de bonne volonté, quoi. Ce n’est pas tout à fait de l’incompétence si on se met dans l’optique de ces cadors.
— Alors comme ça, vous lui fournissez des excuses ?
— Eh bien là, je rigole et je me tape sur le ventre ! Entre nous, c’est le fait de vouloir être ministre qui devrait être prétexte à nous fournir des excuses. Elle n’a pas refusé le poste, que je sache, hein. Je n’excuse pas, donc, je justifie la sottise ministérielle, qui est somme toute consubstantielle à la pratique du pouvoir. Fleur Pellerin est plutôt un beau reflet de la république bourgeoise (pléonasme, il n’y en a pas eu d’autres) dans le sens où elle est composée de bourgeois également : sensibles à la versatilité des modes, anglicisants jusque dans leur langage vernaculaire, accrocs aux hochets conceptuels ou consuméristes, etc.
— Oui, mais elle est ministre de la culture, tout de même ?
— Et alors ?
— Je ne sais pas moi, elle pourrait coller à la fonction, non ?
— Ah mais je suis persuadé qu’elle fait les efforts pour ça. Je ne me fais pas de soucis, les conseillers vont plancher, et contrairement à ce que vous pensez elle va dire moins de conneries.
— Mais les précédents ministres de la culture étaient un peu plus cultivés.
— Bouais… Z’avez pas bonne mémoire, vous. Enfin, on va coller à l’idée et je vais même venir au secours de votre ébauche de raisonnement. Les ministres de la culture, c’est comme les toubibs.
— Hein ?
— Vous avez été malade et vous avez été chez un toubib, non ? Comme on est de la même génération, vous avez fréquenté les salles d’attente dans votre mômerie pour un grippe ou une autre crève quelconque. Et vous n’avez pas vu la différence avec maintenant ?
— Euh…  Comme ça, à froid, je ne vois pas.
— La bibliothèque, mon vieux, la bibliothèque ! Dans le temps, le morticole nous en mettait plein la vue en casant une bibliothèque vitrée dans la salle d’attente. Dans le pire des cas, on avait du Balzac en club et au mieux des nouveautés littéraires qui donnaient d’ailleurs une idée de l’âge et des opinions du propriétaire des bouquins. Voilà : le toubib, c’était le notable, la moyenne bourgeoisie abonnée au Rotary et qui avait une bibliothèque. On sentait le passage obligé à une représentation de la culture, un obscur surgeon d’humanisme qui était lié par tradition à la médecine. Maintenant, c’est plus franc, je ne vois plus de bibliothèque chez le médecin ; y’a plutôt des télés, d’ailleurs. Cela dit, ça ne le rend pas incompétent, c’est simplement que la respectabilité ne se mesure plus au métrage de bibliothèque.
— On s’éloigne du sujet…
— Pas tellement, c’est plutôt la même chose avec le personnel politique :  Lamartine fut ministre et poète, Louis Barthou, ministre et bibliophile, Malraux j’en parle pas, et pas mal de présidents du conseil ou de la république se piquaient de littérature. Y’avait presque toujours la bibliothèque de l’Élysée en fond pour la photo finish, même si on sait que cela perdait progressivement de la substance. Bref, la culture, c’était plutôt du sérieux. Et puis là, la mouche dans le lait : Fleur Pellerin ! Vous voyez le rapport, maintenant ?
— Ils s’en foutent ?
— Même pas. Je pense que c’est plutôt un job, le genre de truc qu’on accepte parce qu’on a pas la carrure pour un ministère régalien ou des sottises de ce genre. Vous savez, moi, les petites combinaisons du pouvoir, je m’en cogne un peu.
— Vous n’êtes pas citoyen, Tenancier ?
— Je m’en fous un peu de tout ça. Je vous ai répondu parce que vous me demandiez mon avis. Si être « citoyen » consiste seulement à aller faire sa petite cochonceté dans l’urne à date fixe et ensuite avoir l’air conscientisé, vous pouvez toujours vous brosser. Offrez-moi plutôt un coup à boire, au lieu de vous mettre aussi à dire des conneries !
— Qu’est-ce que je vous sers ?
— … »

dimanche 9 novembre 2014

De la friture sur la ligne éditoriale

On se découvre toujours une joie mauvaise quand on s’aperçoit que l’on est débordé en talent pour ce qui est du courroux et du sarcasme, quand cela porte sur la même personne et pour la même cause. A propos de l’affaire de l’article sur l’ouvrage d’Eddie Breuil consacré à l’attribution des Illuminations, on vous avait fait part il y a quelques temps de nos réserves sur l’honnêteté de la critique livrée dans Libération. Le Préfet maritime, animateur de l’Alamblog exécute ce même critique avec une verve et une justesse que votre Tenancier est bien incapable d’égaler. Il vous convie donc à ce moment de plaisir en vous dirigeant vers ce billet.
Rendez-vous .
Par ailleurs, on vous recommande une nouvelle fois de vous rendre sur le blog de Grégory Haleux pour dauber ensemble les excès de l’exégèse rimbaldienne, les psychanalystes semblant détenir un record assez inégalé en la matière.
Cliquez donc ici.

jeudi 12 juin 2014

Jean-Luc fait (encore) des siennes

Cela faisait longtemps que Jean-Luc Godard ne m'avait pas fait rigoler. Lorsqu'il trouve que Marine Le Pen devrait être premier ministre du Gouvernement Hollande, nous retrouvons ce qui a été pressenti il y a presque cinquante ans par un article à la teneur prémonitoire que je prends la liberté de reproduire ci-dessous. Je ne sais pas pour vous, mais entre la commémoration de Duras, et la saillie quelque peu flaccide de Jean-Luc, je crois que nous sommes dans une configuration astrale exceptionnelle...
  
Pierrot le Fou

Au moment où la critique française, littéralement terrorisée par une rhinocérite aiguë, se roule au sol dans un compromis musical entre la crise de nerfs, le caprice, le pâmoison, le mal de Parkinson, le nirvâna et la colite, nous sommes heureux, à Positif, de posséder, contre cet épuisant fléau, un antidote foudroyant qui est en vente dans nos bureaux pour le prix modique d’un article d’Aragon.
N’en déplaise aux quelques belles dames emperlousées qui s’en viennent parfois, yeux révulsés et les orteils en vilebrequin, me confier brutalement que Jean-Luc Godard, Zarathoustra du mégaphone, leur procure, sans suite fâcheuse, les joies identifiables de la conception, je n’ai pas encore trouvé chez cet auteur, au timbre ferme, l’équivalent de l’éclair fugitif d’intelligence qu’on remarque dans certains états comateux au soixantième jour de sérum.
« Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! », ce résumé glorieux du programme intellectuel de Jean-Luc, ânonné dans Pierrot le Fou par une Karina ramenée au perroquet, devient un Évangile de la régression. Le processus de répétition, de morne plaquage, de mise bout à bout, que quelques très ratatinés bas-bleus on le front d’appeler collage, est devenu l’hilare système de pensée de notre actuel régime castrateur, où le fourre-tout, méthode favorite d’André Malraux, engendre chez nos maîtres à penser une catatonie toute voisine de la momification. Godard, en assemblant un puéril scrapbook de calembours, de réflexions stupides empruntées à ses amis, et de bonnes pages cérébrales, passe pour dominer un matériel qui, en fait, le domine, lui, et devient le lauréat gaulliste d’un cinéma-drugstore, ou self-service, qui représente obstinément la France dans les Festivals internationaux (puisqu’il fabrique désormais un film par festival). Il n’y a plus de choix possible, on nous le dit en toute démagogie : ce sera Godard ou le néant (1).
Personnellement, je ne vois là aucune alternative. Il y Godard (autrement dit le Néant) et il y a, d’autre part, un certain cinéma français qui va de Malle à Cavalier, en passant par Enrico, Jessua, Resnais, Marker, Allio, Gatti et que l’on peut facilement définir comme l’anti-Godard, sur le plan intellectuel comme sur, je m’excuse, le plan moral.
En effet, au moment ou Jean-Luc, après des intermèdes moraviens ou pseudo-dreyeriens, s’en retourne à sa bonne période extrémiste du Petit Soldat ou des Carabiniers, il semble difficile de soutenir, comme l’on fait parfois, que ce Suisse indécrottable souffre d’un complexe d’indifférentisme qui le rend imperméable aux nuances de la politique. Je sais que l’élite papillonnante de notre capitale qui trouve dans le confusionnisme l’échappatoire et le vague exquis une sorte d’excitant, voudrait accréditer la notion d’une sphère irresponsable et avec de délicieux gros mots à flatter son mépris du contenu, et sa peur atroce du signifiant. Serait-il bouché à l’émeri (ce que je ne crois pas entièrement), il lui reste encore des réflexes révélateurs : celui, par exemple, de résoudre tout par l’ascendance de la force brutale : Pierrot et sa compagne traversent la France en dévalisant ou assassinant pratiquement tout le monde. La liberté qu’on vante tant chez lui n’est revendiquée que pour les cadavres, et l’anarchie « de droite » consiste à revendiquer le monde en tant qu’objet, terrain de manœuvres activiste, ou carton de cible. La fascination de Godard pour les armes à feu, les « bang ! bang ! » et le geste éliminateur (pouvant servir de conclusion à pratiquement tout situation donnée) ne traduit pas seulement sa puérilité, mais ce goût destructeur indiscriminé des imaginations stériles, chez lesquelles elle remplace toute activité créatrice réelle, toute générosité.
Ce niveau infantile cultivé artificiellement dans l’ombre de Céline, est à la foi un alibi et une facilité. L’emploi inoffensif des jeux de mots du genre « Allons-y, Alonzo » cache des détournements plus hypocrites. Godard déprécie les bandes dessinées dans le même sens que les tableaux militaristes en « comics » du peintre Roy Lichtenstein(2). Dans son recours aux Pieds-Nickelés, il raye à fort bon compte une image souriante des forces libertaires, au profit de Pierrot, personnage veule, bas, dénué de charme et dont l’inconscience est poussée jusqu’à l’aphasie mentale, même si, par pur snobisme on lui fait lire Elie Faure ou déclamer Lorca. De même l’anecdote poujadiste sur les cosmonautes russo-américains, qui renvoie commodément (comme dans Alphaville) le communisme et le capitalisme dos à dos, l’allusion complaisante aux gaietés de la baignoire, le sketch minable de Belmondo et Karina sur la guerre du Vietnam, se parent des attributs de l’imbécillité, milieu ambiant de Jean-Luc et de ses laudateurs, mais révèlent un certain nombre de nostalgies, certes végétatives, mais qui dépassent de beaucoup le stade de l’embryonnaire.
J’ai parlé de Céline. Dans l’admiration que Godard voue à ce cabot surestimé, il y a le vœu secret de pouvoir faire passer, si j’ose dire, dans le mouvement de déballage pêle-mêle de tout ce qui se présente à lui sur le plateau ou dans les quotidiens, une certaine idée de l’automatisme, bref à fabriquer de la spontanéité, dans un recours filmé au happening dont on sait qu’il est le recours ultime des ratés qui sabotent l’art pour n’avoir pas à l’approcher. Or l’automatisme, les surréalistes l’ont bien prouvé, n’est pas à la portée de tous les inconscients. Pour le pratiquer, il faut être poète, on ne devient pas poète en le pratiquant. Le cinéma de Godard, c’est le cinéma de quelqu’un qui cherche sans trouver (Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. »), et qui remplace l’appréciation de la trouvaille par une jubilation de l’inaccompli et du salopé, laquelle n’existe que chez les partisans de l’ordre, de l’académisme et de l’officiel.
Á ce propos, il faudrait tout de même que l’on explique à Aragon que, dans le vrai « collage », l’image poétique ne se forme qu’à partir de deux réalités distantes, lesquelles se situent l’une l’autre, selon une dialectique secrète inaccessible à un simple manieur de ciseaux. Faire un collage, ce n’est pas coller n’importe quoi, n’importe où. Si on peut parler de collage à propos de la séquence finale de Duck Soup ("Á la Rescousse !"), ou à propos de la carte postale des Champs-Élysées dans La Mort en ce Jardin, on verra dans les deux cas une image-choc reproduire, non par la force du montage, c'est-à-dire de la « collure », mais par le choix de deux, ou plusieurs réalités en totale rupture, et qu’éclaire une vraie conscience de l’absurde et de l’irrationnel. Á l’ère du Traité du Style, Aragon eût pu apprécier ce genre d’illumination poétique, mais l’actuel Aragon est à la mesure du Delacroix que Baudelaire velléitaire, il s’est ridiculement choisi dans une page mémorable et burlesque. Les faveurs d’un grand « diminué » de la littérature ne manquent pas de pathétique, il est bien vrai. Le titre de gloire, en 1965, le vrai certificat d’authenticité intellectuelle, ce serait de n’être pas compris par Aragon.
Á ce jour, les films de Godard représentent une inadéquation complète de l’homme au matériel hétéroclite qu’il prétend manipuler au petit bonheur, une prise de parole basée sur la certitude sereine de n’avoir rien à dire (ce n’est pas en parlant que l’on devient causeur), un désir rétrograde de faire passer l’intelligence et la responsabilité au rang des accessoires ornementaux ou superflus. Godard, qu’il veuille faire du chic et du joli avec de l’incompris et du refoulé, incarne un tripotage particulièrement lamentable des formes expressives, une déchéance du goût, de l’analyse et de la conscience qui pouvait faire croire à une crise de l’entendement, si elle affectait autre chose qu’une coterie gesticulante et démultipliée, celle qu’on catalogue dans le « Tout-Paris » parce qu’elle s’étourdit de son propre bruit, et que l’on peut doter, comme dit Ducasse, d’une notable quantité d’importance nulle. Á Venise, Pierrot le Fou faisait ce qu’on appelle, charitablement, un bide. Les moyens d’intimidation qui fonctionnent sous les latitudes exotiques des Champs-Élysées n’y ont encore conditionné que les cerveaux mous et les défectueux du bout de gras. Il est vrai que ces derniers ont le coup de téléphone plus rapide que la fusée Diamant, et le cri plus strident que le Mystère à réaction. Mais Etaix et Chabrol nous enseignent un sain usage des boules Quiès. Installons-nous tranquillement dans la cybernétique à venir : 3 films par an, 3 festivals, 3 grands prix à dormir debout pour les jurés, 33 articles utilisant 3.333 épithètes dithyrambiques que nous livre Littré, 33 titres interchangeables pour les tableaux que cite Louis Aragon, 333 orgasmes pour Cournot. Qui se lassera le premier ? Je me pose la question avec l’angoisse fébrile, l’œil hagard et le sérieux d’Albert Neumann.
 
PIERROT LE FOU , France, 112 mn, 1965. Réalisation et scénario : Jean-Luc Godard, d’après Lionel White. Chef opérateur : Raoul Coutard (Techniscope et Eastmancolor). Musique : Antoine Duhamel. Montage : Françoise Colin. Interprètes : Anna Karina (Marianne), Jean-Paul Belmondo (Ferdinand), Dirk Sanders (Le Frère), Raymond Devos, Roger Dutoit, Samuel Fuller. Production : G. de Beauregard. Distribution : S.N.C.

Robert Benayoun, in : Positif n° 73, Février 1966
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Notes :
 
(1) Le parallèle s’arrête là : il n’y a point de gauche (hors Positif) pour faire face au lauréat d’Etat. On sait que les Lettres Françaises, depuis belle lurette, sont devenues le dernier bastion de la réaction. L’Observateur est devenu l’aile droite des Cahiers du Cinéma et France Nouvelle, pour ne pas chagriner de bon Louis A., censure Casiraghi, son correspondant à Venise, qui éreintait Pierrot le Fou avec une insistance fâcheuse.
 
(2) Ce dernier s’exprime volontiers à la Jean-Luc Godard : « Je ne prends pas très au sérieux les prototypes fascistes, et je les utilise pour des raisons purement formelles. » (Art News, nov. 1963)

mardi 10 juin 2014

Où le Tenancier raconte des choses sur lui-même, sur ce qu'il a vu, sur ce qu'on a entendu et où cela finit par une complainte qui le fait doucement rigoler

Á Yan Lindingre, en toute sympathie.

Le Tenancier dans sa folle jeunesse a milité pour les Amis de la Terre, très brièvement, on vous rassure, le temps de s’apercevoir que le type qui dirigeait le bouzin en faisait un piège à gonzesses, chose en somme peu répréhensible, mais quand on a dix-huit ans on se sent un peu intégriste. La scène à laquelle il assista rue de La Bucherie prit la valeur d’une scène fondamentale quant à sa propre philosophie politique. Le type, lui, a continué vers d’autres râteliers plus conformes à sa situation sociale et aussi sans doute parce que les grandes écharpes à la Bruant, le patchouli et les robes de chez Anastasie commençaient à passer de mode. Votre Tenancier — qui ne l’était pas encore, mais un exalté un peu béjaune — était déjà loin. Il se rapprocha de mouvances où l’on coure très vite car il considérait que la discussion, ça va cinq minutes et que les écolos, en somme, l’emmerdaient bien plus que l’écologie, mais il faut dire qu’il fût salement éduqué politiquement dans le refus de l’autorité, même « amicale ». Ah ! La suggestion amicale, justement, le potlatch, la main dans le dos… Pendant que des organismes à trois lettres (C.R.S., C.G.T., etc.) nous marquaient à la culotte, au début des années 80, dans une improbable course vers des jours pas vraiment radieux, d’autres faisaient le compte mesquin de leur rapacité en investissant — et le mot est choisi — dans une rente de sympathies et de copinages.
Le Tenancier a mauvais caractère, c’est là son moindre défaut. Il ne se fit pas trop de potes et son réseau amical n’avait que faire de la comptabilité des services rendus ou à rendre. Il préférait l'amitié. Le Tenancier est un sentimental. Preuve qu’il était un vieux con avant la lettre, il ne bougea pas trop dans ses convictions. Il fut toutefois forcé de convenir qu’il courait moins vite, moins loin et qu’il commençait à confondre l’odeur des merguez du Premier Mai avec l’odeur des lacrymos insurrectionnels. Il ne se rangea point trop, mais se calma par la force des choses et aussi par les accidents de l’existence. On sait que votre Tenancier fréquentait Radio Libertaire et que cette fréquentation n’était ni par intérêt ni par accident mais parce que c’était des membres de la famille. Il y fit la technique, des émissions, s’engueula, claqua la porte, revint, fit autant de « euh » (on appelle ça des « omelettes ») au micro que tous les autres… Pas de nostalgie, pourtant. C’était bien, mais après presque quinze ou seize ans à faire de la radio, il était temps pour votre Tenancier chéri de faire autre chose, comme faire de la petite édition, et toutes ces sortes de choses. Du reste, passer autant de temps à la radio revenait à devenir une sorte de fonctionnaire. Vous voyez d’ici l’exaltation… d’autant que si la permanence est justifiable au nom du militantisme, elle l’est moins dès lors qu’il s’agit de pérorer sur la culture et le reste. Le retrait est souvent nécessaire pour se renouveler. Je n’avais donc que trop duré.
Pourquoi je vous raconte tout ça, soudainement ? Oh, pas grand-chose, simplement par l’effet d’un amusement passager à propos d’un type qui vient de perdre son boulot. C’est cruel de perdre un travail n’est-ce pas ? C’est que j’eus à côtoyer ce pauvre type — j’aurais pu écrire « pauvre garçon » mais la charité n’est pas une vertu reconnue par la Première Internationale — à la radio pendant un bref moment. 

Le lecteur de ce blog s’en souvient, le Tenancier avait animé une suite d’émissions autour de la SF avec des titres un peu bêtes mais au contenu un peu travaillé. Il fallait savoir également qu’il n’était nullement question de revendiquer une quelconque exclusivité sur l’antenne. Tout le monde avait bien le droit de parler de temps en temps du sujet d’un autre et je ne m’en suis pas privé non plus. Seulement l’arrivée à l’antenne d’une émission animée par ce triste personnage avait suscité quelques inquiétudes dans notre équipe. Le type avait de l’entregent, des manières cauteleuses et un carnet d’adresse fourni dans le milieu de la SF. On me rassura, en premier chef l’intéressé. Ainsi, ce ne serait qu’une émission littéraire, voyons, certes, on parlera de SF, mais également d’autre sujets sans exclusive ! On est cool, tu vois, on est du même monde. Du même monde, vraiment ? Dans mon imaginaire obtus, le fait d’être cool n’était pas vraiment un blanc-seing pour que ce type qui était en train de me passer la main dans le dos devienne un pote, tu vois. On sentait dans le propos pseudo amical poindre la condescendance vis-à-vis des « bricoleurs » que nous semblions à ses yeux. Malgré notre défiance, tout se passa bien les premiers temps. Certes, des auteurs comme Emmanuel Jouanne et d’autres furent invités à cette émission mais le contrat nous semblait observé car d’autres littératures étaient abordées souvent avec talent, ce talent qui allait lui servir pour son propos et, plus tard, ses ambitions… ou presque.
On se doute bien de ce qui arriva ensuite. Des invités qui ne se pointèrent pas au studio à plusieurs reprises, des rumeurs… Je finis par enregistrer au téléphone les propos d’un des invités qui nous avait posé un lapin et le faire entendre au secrétariat de la radio. Le procédé n’était certes pas élégant car je n’en avais pas averti la personne, mais je n’avais guère le choix pour démontrer ce qui s’était passé, à savoir que notre « pote » si cool faisait courir des propos négatifs sur notre émission et sur ses animateurs. Le type a arrêté la sienne après que nous avions fait état de cette duplicité. Je ne remercierai jamais assez le secrétariat de la radio d’avoir réagi comme son éthique le demandait et non d’avoir répondu à la flatterie que ce nom pouvait lui rapporter.
Le type a continué sa carrière de folliculaire ici et là et principalement dans une revue, depuis les années 70. Il vient d’en être viré, sans doute par manque de renouvellement — je sais que ce n’en n’est pas forcément la raison, mais l’idée est irrésistible, voyez-vous. Il pleure. C’est drôle, cet écoulement lacrymal, c’est pittoresque. Le type a l’âge de la retraite, est ancien député (cool, tu vois, mais assez vigilant sur la progression de carrière, c’est ça l’écologie, hein !) et vient me dire qu’il va avoir du mal à payer son loyer ? Comme si c'était le seul, comme si ça ne pouvait tomber sur lui ? Pas réélu, au chômage (Et, soi-disant, à refuser des indemnités pour ne pas couler un revue… reprise par un grand groupe d’édition — quel jobard peut gober ça ? Ne parlons pas du délire sur ces indemnités auxquelles il prétend.), ce garçon va pouvoir écrire ses mémoires. Ou mieux, je lui recommande de changer de bord comme son glorieux prédécesseur à la tête des Amis de la Terre, songeant que son arrivisme peut encore faire des étincelles. Encourageons les initiatives et faisons du neuf avec du vieux, du très vieux, du blet, ça ne nous changera guère, cela dit.
Pourquoi je ne compatis pas à ça, avec un mec qui a voulu me marcher sur la gueule ? Et pourquoi donc je me dis qu’on est vraiment pas du même monde ?
A part ça, je reprendrais bien une coupette, tiens… 
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p.s. : Quelques temps après cet épisode, je croisai ce type dans un un mini-raout. Franc comme un âne qui recule, il vint vers moi et me dit :
« — Ah, salut, comment tu vas ?
Je marquai un temps, et puis :
— Nettement moins bien, tout à coup ».
C'est drôle, mais — était-ce le ton de ma phrase — il n'arrivait plus tellement à me reconnaître, par la suite...

Crédit d'illustrations : Justin Gerard (trouvées sur ce blog