Jean-Pierre
Brisset
Le Diable
Le Prêtre
EXTRAIT DES ORIGINES HUMAINES
Angers —
Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages,
dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995
sur
les presses de Deleatur pour le compte de quelques êtres premiers ou
derniers
Le Tenancier : Si l’on
doit dégager une sorte de ligne
éditoriale qui se forme et se dilue à mesure des publications de la
collection,
la succession de la nouvelle de Patrick Boman et à présent de l’extrait
de Brisset
nous oriente vers des préoccupations linguistiques. Se trompe-t-on en
songeant
à l’expression d’une pensée en évolution en même temps qu’elle édite
des tiers ? En tout cas, la
présence de cet « hétéroclite » de Brisset convient
bien et amorce des liens avec d’autres auteurs à venir, comme Ernestine
Chassebœuf, qui prend le relais de Jules Romains et bien d’autres
littérateurs,
dont toi, pour assurer sa pérennité.
Pierre Laurendeau : ô
Tenancier, tes interrogations me
contraignent à une introspection à laquelle je ne suis pas habitué. Ma
pensée
est certainement évolutive (je suis un darwinien), mais elle s’ancre à
des
références stables : surréalisme d’un côté, pataphysique de
l’autre – et marxisme
sur un troisième, voire montagne sur un quatrième !
Ma passion pour Brisset date de ma découverte, dans l’Anthologie
de l’humour noir de Breton (j’ai déjà évoqué à quel point ce livre
fut fondateur
dans ma vie de lecteur, d’auteur et d’éditeur) d’extraits de l’œuvre
brissettienne.
C’était au début des années 70. Je m’étais ensuite précipité chez
Marcel Béalu
(tiens, un auteur que j’aurais aimé avoir dans la collection), qui
tenait à l’époque
sa librairie à Paris dans le quartier Saint-Michel, dans une ancienne
boucherie
il me semble – pour acheter l’édition Tchou de La Grammaire logique,
suivi de La Science de Dieu, avec une préface de Michel
Foucault. Béalu me
parla d’enthousiasme de Brisset et je découvris à cette occasion ses
nouvelles
fantastiques, L’Araignée d’eau entre autres, que j’achetai
également (en
Poche Club, Belfond).
Retour à Brisset. Au début des années 80, je trouve à Angers
chez un bouquiniste quatre éditions originales de Brisset (qui avait
passé
plusieurs années dans cette ville), que je m’empressai d’acheter. Un
livre n’avait
jamais été réédité : Les Origines humaines. Je prêtai
l’édition originale
à un ami éditeur, René Baudoin, qui le réédita ainsi que La
Grammaire
logique (« éditions », « éditeur »,
« réédita » :
beaucoup de répétitions, M. Laurendeau !) sous une couverture
discutable ! C’était avant que Marc Décimo s’attelle à l’édition
des œuvres
complètes de Brisset aux Presses du réel.
À l’époque, dans le cercle restreint des brissettiens, j’avais
acquis une sorte de notoriété : on me consultait, on m’adressait
des
publications – je reçus la première thèse de médecine sur Brisset, de
Philippe
Cullard : Un paraphrène au XIXe siècle. Jean Pierre
Brisset prince
des penseurs, soutenue à Strasbourg en 1980.
Dans la collection des Minilivres, j’ai repris deux extraits :
le premier, des Origines humaines, qui est celui-ci ; le
deuxième –
que l’on découvrira au numéro 30 – de La Grammaire logique ;
j’en
parlerai en temps voulu.
L’aventure de Brisset chez Deleatur se poursuivit, par
Ernestine Chassebœuf interposée, par la publication du texte du
spectacle de
Bernard Froutin, Mots à Lier (montage de citations
brissettiennes, créé en
2002), sous le titre Le Brisset sans peine. La 200e
représentation de Mots à Lier a eu lieu à l’été 2022, à
Champcella (mon
village), dans une salle archicomble – 80 personnes ! J’ai repris Le
Brisset sans peine en 2005, dans ma collection chez Ginkgo.
Ernestine Chassebœuf s’est démenée avec une bande de
brissettophiles angevins (dont : Bernard Froutin, le psychiatre
Jean
Pallone…) pour que la Ville d’Angers donne un nom de rue au Prince des
Penseurs. Elle avait lancé une pétition, à laquelle Julien Gracq avait
répondu
qu’il faudrait au moins pour cela débaptiser le boulevard Foch
(l’artère
centrale d’Angers). Au bout d’une dizaine d’années d’efforts, la
municipalité
(de droite, cette fois-là !) a accepté de nommer un étroit passage
en l’honneur
de Brisset.
Je ne dirai pas tout le mal que je pense de cette ville, il
faudrait un épais ouvrage de récriminations, et ce n’est pas le lieu
pour cela.
Mais la frilosité des élus (de tous bords) est consternante : que
ce soit
pour Brisset, mondialement connu désormais ; pour Maurice Fourré,
autre
enfant du pays et immense écrivain, à qui un nom de rue fut refusé
parce que
son cousin, quincailler, en avait une ; ou, plus proche de nous,
le groupe
de musique à la carrière internationale LoJo ; ou le peintre Stani
Nitkowski
– sans oublier un certain Pierre Laurendeau.