mardi 28 mai 2024
samedi 25 mai 2024
Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 35
René Troin
aventures
de Câline
et de ses amis
Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en mai 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques obsessionnels du rabat
Le Tenancier : Comme dans tout texte érotique qui se respecte, y résident des aspects cachés et il existe quelques manières de déflorer un texte en déflorant un livre. Il faudrait expliquer le style curieux de René Troin dans cette suite de saynètes, en relevant des constantes dans la politique éditoriale deleaturienne : l’énumération, que ce soit sous forme de dictionnaire ou bien dans la formation de chapitres qui deviennent autant de « particules narratives »…
Pierre Laurendeau : O Tenancier, merci d’éclairer ma lanterne ! C’est vrai, l’énumération agit comme un vecteur stimulant dans certaines productions deleaturiennes… De là à y flairer quelque influence de l’Oulipo…
René Troin, dont le lecteur attentif et la lectrice avisée à pu découvrir le goût des contraintes dans Vingt Palindromes (Minilivre n° 33), a prolongé par ces 12 Aventures son vagabondage lettré, que l’on retrouvera dans ses romans (voir notice 33).
Ces 12 Aventures ne sont apparemment que 11 ; pour lire la douzième, il faut la « construire » dans l’esprit de l’Hypnerotomachia Poliphili (le Songe de Poliphile)*… Mais que l’on se rassure, l’éditeur a caché quelque part la douzième aventure.
L’érotisme n’a jamais été un carburant pour René, qui se livre ici au petit jeu du désir distancié. On est loin des cochonneries assumées d’un Pierre Charmoz ou d’un Hurl Barbe !
* On découvre qui est l’auteur de cet étrange ouvrage de la Renaissance en assemblant certaines lettres : Poliam frater Franciscus Columna peramavit (« Frère Francesco Colonna a aimé Polia intensément »).
jeudi 23 mai 2024
Trouvé dans un livre de bibliothèque
Voici une série de pages signalée par
ArD : la bibliothèque publique d'Oakland aux États-Unis a répertorié
tous les petits papiers — mais aussi, par exemple, une chaussette — délaissés par les lecteur en guise de signet.
On aimerait que l'initiative soit reprise en France de la même manière... à moins que cela soit déjà fait.
Ça se passe ici.
mardi 21 mai 2024
Pour saluer une disparition
« […]
Votre cas, j’en conviens, est un peu différent.
Vous avez une réputation d’intégrité que je n’ai pas l’intention
ni
surtout les moyens de mettre en doute. Je dirai toutefois que cette
intégrité
est sans mérite puisque, contrairement aux nantis du milieu, vous
n’êtes pas en
mesure de la monnayer, sauf à accepter carrément des dessous de table.
Si,
comme la plupart, vous aviez périodiquement des textes merdeux à
négocier, vous
seriez probablement moins chatouilleux sur l’éthique, quelques indices
le
laissent à penser. Vous n’avez donc pas à faire de nécessité vertu. En
réalité,
vous êtes le plus malin de tous. Alors que les autres se croient encore
tenus
de justifier leur course au fric et aux honneurs par un ou deux volumes
annuels, vous avez quant à vous bâti votre ascension en tirant
habilement
conséquence de votre nullité d’écrivain. Il faut dire qu’au terme de
deux
livres poussifs vous étiez déjà sur le flanc. À l’agonie, vous nous
avez encore
donné deux préfaces laborieuses, une sur le football, l’autre sur la
vigne. Et
puis terminé. Entretemps vous aviez compris l’essentiel, à savoir que
pour
réussir dans ce petit monde des lettres point n’est besoin d’écrire,
puisque
aussi bien les autres ne le font plus que par alibi. Votre coup de
génie, c’est
de les avoir résolument doublés sur leur propre terrain, en vous
délestant de
leurs prétextes puérils. Ne serait-ce que pour votre audace à afficher
sans
complexe votre néant créatif chaque semaine devant la France entière,
je vous
félicite. À travers vous, la France poujadiste est enfin parvenue à
baiser la France
universitaire. C’est un spectacle bien comique que de voir tous ces
tartufes
titrés et costumés venir régulièrement vous cirer les chaussures et
s’extasier
sur vos talents involontaires de clown médiatique, lorsqu’ils ne
révèrent en vous
que votre réussite matérielle et le bénéfice qu’ils peuvent
accessoirement en
tirer. En d’autres temps, ils n’auraient jamais eu assez de toute leur
morgue
pour vous mépriser. Du reste, qu’on vous savonne un rien la planche et
vous
verrez s’ils sont les derniers à vous tirer par les pieds. Le meilleur
illusionniste ne saurait renouveler son numéro à l’infini. Pour qu’un
mirage
persiste, il faut le remplacer périodiquement. Ce n’est pas un hasard si votre trajectoire personnelle passe par les droites (rassurez-vous, je n’ai pas plus de goût pour l’arrivisme de gauche). Votre itinéraire est à cet égard typique. Sans votre emploi d’alors au Figaro, vous n’auriez jamais obtenu une émission à la télévision. Polac, votre prédécesseur, venait d’être remercié pour n’avoir pas censuré deux phrases excessives sur les pharmaciens. Un remplaçant plus docile s’imposait. Non pas à la botte mais dont le profil correspondrait mieux aux objectifs informulés mais réels du pouvoir en place. Poirot-Delpech, dit-on, était sur les rangs, mais son image de gauche — il s’agit bien d’image, car pour le reste… — épouvantait ces messieurs-dames. Par ailleurs, une personnalité trop marquée à droite ne ferait pas meilleur effet, après tout nous n’étions pas si loin de mai 68. Il convenait de donner autant que possible un visage libéral à cette reprise en main. Un eunuque littéraire d’apparence apolitique ferait parfaitement l’affaire. L’avenir l’a amplement démontré, vous aviez le profil idéal de ce portrait-robot. Vos antécédents, il est vrai, plaidaient en votre faveur puisque, de l’épicerie familiale, et sans rien concéder de l’esprit petit commerçant, vous aviez réussi à vous hisser au rôle de grouillot du Figaro littéraire. Calé dans cet emploi depuis quinze ans, vous y remplissiez à peu près la fonction de Carmen Tessier, feu la commère de France-Soir. Votre mission était toutefois plus culturelle puisque consistant, pour l’essentiel, à conférer de la résonnance aux petits pets de la vie littéraire et mondaine. Sans l’aubaine de votre nomination à la télévision, vous en seriez probablement toujours à vous épanouir dans cet emploi prestigieux. Quoi qu’il en soit, on voit que vos maîtres n’avaient pas à redouter trop de subversion de votre part. Un Pivot à la télévision, c’était la garantie de dormir en paix pour longtemps. Ce n’est pas encore cette fois que la littérature changerait la vie. L’émission précédente s’intitulait Post-Scriptum, la vôtre fut allégrement baptisée Ouvrez les guillemets. Je vous imagine cherchant péniblement un équivalent dans la colonne voisine du dictionnaire analogique. L’année suivante, remontant nettement plus haut, vous inventiez Apostrophes. » |
Raymond Cousse : Apostrophe à Pivot
(1983)
lundi 20 mai 2024
samedi 18 mai 2024
Courrier des lecteurs
Voici que le blogue s’adonne aux
délices du
courrier
des lecteurs ! Dans le dernier billet qui concernait les
Minilivres des
éditions Deleatur, Paul se fendait d’un commentaire :
Nous avons transmis à l’intéressé…
Cher Tenancier,
Merci de m'avoir transmis le message de "Paul"...
Je préfère être confondu avec Pierre Vandrepote qu'avec pierre de taille (bof).
Je ne suis ni l'un ni l'autre... J'ai souvenir d'avoir passé une soirée chez Vandrepote lorsqu'il habitait en Vendée (de mémoire, c'était en 1974). Nous avions discuté de poésie, bien sûr, de surréalisme évidemment... Il m'avait fait découvrir les plaquettes du Dé bleu, qui démarrait tout juste: imprimées au Stencil, une technique qu'ont bien connue les agitateurs post-soixante-huitards, et qui (souvent par les mêmes) servait également à publier de petites plaquettes - nouvelles et poésie. J'ai entretenu ensuite une longue amitié avec Louis Dubost, le big boss du Dé bleu, reconverti en jardinier depuis sa retraite.
J'ai revu ensuite Pierre et son épouse à Paris, je dirais en 1981 ou 1982 - j'ai souvenir leur avoir donné un exemplaire de Cime et Châtiment, mon premier Brigandine.
Autre souvenir: une biographie de Stirner aux éditions du Rocher, qu'il m'avait adressée, je crois - et dont je garde un bon souvenir.
On me confond également avec deux Pierre Laurendeau québécois: l'un chanteur genre Charles Trénet; l'autre spécialisé dans les ouvrages d'éducation - l'un et l'autre plus connus que moi. Une anecdote: en tant qu'adhérent à la Sofia (ouh ouh! vont faire les libraires qui ne vendent jamais mes livres), je perçois de généreuses royalties chaque année. Il y a trois ans, j'ai ainsi reçu 12,85 €, dont 8,43 € dus à mon homonyme pédagogue québécois. D'une honnêteté sans faille, je signalai l'amalgame à la Sofia, qui me remercia et me prévint que le trop-perçu serait régularisé sur les années à venir. Depuis, je n'ai rien touché: j'en déduis que le trop-perçu court toujours. J'avais signalé à mon homonyme québécois cette erreur de destination et lui avait suggéré, comme il arrive fréquemment que nos bibliographies s'emmêlent (il y a même une photo de lui qui illustre ma notice Wikipedia - et je ne sais pas comment l'enlever) que nous écrivions un texte en commun - je n'ai jamais reçu de réponse, ni en remerciement de mon honnêteté (comme quoi, ça ne paie pas!), ni pour ma proposition.
Signalons que Pierre Laurendeau (le seul, le vrai) sévit également sous de nombreux pseudonymes, dont le plus actif semble être Pierre Charmoz, le montagnard.
Voilà
Eh eh
« Suis-je le seul parmi les familiers de ce blog à confondre Pierre Laurendeau et Pierre Vandrepote ? Connaissant mal l’œuvre de l’un et de l’autre bien que possédant depuis longtemps des livres de l’autre et de l’un, je suis systématiquement amené à les confondre quand leur nom apparaît dans mes lectures ou est cité dans une conversation. Suis-je le seul ? Si non, quelles pourraient en être les raisons, à part (trop facile) le prénom en commun ?
Paul »
Nous avons transmis à l’intéressé…
Cher Tenancier,
Merci de m'avoir transmis le message de "Paul"...
Je préfère être confondu avec Pierre Vandrepote qu'avec pierre de taille (bof).
Je ne suis ni l'un ni l'autre... J'ai souvenir d'avoir passé une soirée chez Vandrepote lorsqu'il habitait en Vendée (de mémoire, c'était en 1974). Nous avions discuté de poésie, bien sûr, de surréalisme évidemment... Il m'avait fait découvrir les plaquettes du Dé bleu, qui démarrait tout juste: imprimées au Stencil, une technique qu'ont bien connue les agitateurs post-soixante-huitards, et qui (souvent par les mêmes) servait également à publier de petites plaquettes - nouvelles et poésie. J'ai entretenu ensuite une longue amitié avec Louis Dubost, le big boss du Dé bleu, reconverti en jardinier depuis sa retraite.
J'ai revu ensuite Pierre et son épouse à Paris, je dirais en 1981 ou 1982 - j'ai souvenir leur avoir donné un exemplaire de Cime et Châtiment, mon premier Brigandine.
Autre souvenir: une biographie de Stirner aux éditions du Rocher, qu'il m'avait adressée, je crois - et dont je garde un bon souvenir.
On me confond également avec deux Pierre Laurendeau québécois: l'un chanteur genre Charles Trénet; l'autre spécialisé dans les ouvrages d'éducation - l'un et l'autre plus connus que moi. Une anecdote: en tant qu'adhérent à la Sofia (ouh ouh! vont faire les libraires qui ne vendent jamais mes livres), je perçois de généreuses royalties chaque année. Il y a trois ans, j'ai ainsi reçu 12,85 €, dont 8,43 € dus à mon homonyme pédagogue québécois. D'une honnêteté sans faille, je signalai l'amalgame à la Sofia, qui me remercia et me prévint que le trop-perçu serait régularisé sur les années à venir. Depuis, je n'ai rien touché: j'en déduis que le trop-perçu court toujours. J'avais signalé à mon homonyme québécois cette erreur de destination et lui avait suggéré, comme il arrive fréquemment que nos bibliographies s'emmêlent (il y a même une photo de lui qui illustre ma notice Wikipedia - et je ne sais pas comment l'enlever) que nous écrivions un texte en commun - je n'ai jamais reçu de réponse, ni en remerciement de mon honnêteté (comme quoi, ça ne paie pas!), ni pour ma proposition.
Signalons que Pierre Laurendeau (le seul, le vrai) sévit également sous de nombreux pseudonymes, dont le plus actif semble être Pierre Charmoz, le montagnard.
Voilà
Eh eh
mercredi 15 mai 2024
Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 34
Yann Frioux
Moise
en 26 lettres
Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en mars 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques Damoiselles et Damoiseaux
Le Tenancier : Visitons
donc la Planète Moise… je dois
avouer que l’ancien abondant lecteur de SF reste sur sa faim. Les
définitions
reposent principalement sur des astuces de langage qui confinent à la
poésie juvénile,
mais j’ai la sensation de passer à côté de la saveur de ce
mini-dictionnaire
illustré. On présume que les illustrations sont de Yann Frioux et
s’accordent
bien aux définitions. Mais pourquoi ce sentiment de frustration à la
lecture,
est-ce le manque de place ?
Pierre Laurendeau : J’ai rencontré Yann Frioux par l’intermédiaire de Pascal Proust (voir Minilivre 11). Architecte à la retraite, il s’était lancé dans des tissages monumentaux. Une exposition de ses travaux a eu lieu dans le village d’artistes de Rablay-sur-Layon, à peu près au moment de la parution du minilivre.
Yann Frioux habitait une maison qu’il avait construite lui-même, dans un village du val de Loire. Édifice d’architecte visionnaire, sorte de tipi en dur, avec une ouverture ronde – dont j’imagine que l’habitabilité devait être contraignante !
Je l’ai peu connu, suffisamment pour publier trois « planètes » : Moise, Mousse et Plume.
Tu as raison, ô Tenancier, le minilivre (ainsi que les suivants) doit plus à l’invention langagière qu’au déploiement narratif nécessaire à la description d’un monde imaginaire… Mais le projet et l’auteur m’avaient séduit par leur fraîcheur !
.
Pierre Laurendeau : J’ai rencontré Yann Frioux par l’intermédiaire de Pascal Proust (voir Minilivre 11). Architecte à la retraite, il s’était lancé dans des tissages monumentaux. Une exposition de ses travaux a eu lieu dans le village d’artistes de Rablay-sur-Layon, à peu près au moment de la parution du minilivre.
Yann Frioux habitait une maison qu’il avait construite lui-même, dans un village du val de Loire. Édifice d’architecte visionnaire, sorte de tipi en dur, avec une ouverture ronde – dont j’imagine que l’habitabilité devait être contraignante !
Je l’ai peu connu, suffisamment pour publier trois « planètes » : Moise, Mousse et Plume.
Tu as raison, ô Tenancier, le minilivre (ainsi que les suivants) doit plus à l’invention langagière qu’au déploiement narratif nécessaire à la description d’un monde imaginaire… Mais le projet et l’auteur m’avaient séduit par leur fraîcheur !
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dimanche 12 mai 2024
jeudi 9 mai 2024
Une historiette de Béatrice
lundi 6 mai 2024
Où le Tenancier ne s'assigne pas à résidence
Votre Tenancier rédige
des histoires et se prend pour un écrivain. Cela devient normal au bout
d’une centaine de nouvelles publiées et encore quelques une en magasin.
Le sentiment passe après quelques heures, rassurez-vous. Parfois, votre
Tenancier chéri se dit qu’il expérimenterait bien ce que l’on prête aux
écrivains, comme les séances de signature, événement encombrant, parce
que l’on ne sait trop qu’écrire au-dessus du paraphe. Il s’y est adonné
toutefois et en sort avec des sentiments mitigés. Il préférerait boire
un verre et converser plutôt que de rédiger une formule sur une page
titre ou de garde, c’est selon. Il s’exécute de bonne grâce, malgré
tout, lorsque l’occasion se présente. Il lui prend aussi la tentation
de solliciter une résidence d’écriture et renâcle au dernier moment. Si
la perspective de s’exporter dans l’ex-domicile d’une célébrité
(Yourcenar, Gracq, etc.) pour travailler peut ravir, l’acte comporte
quelques contreparties. Outre le fait d’exhiber une bibliographie en
bonne et due forme pour être avalisé, l’impétrant se voit obliger de
consacrer un tiers de son temps en résidence — la règle se généralise —
à causer sur des sujets imposés, ou choisis, mais qui correspondent aux
mêmes critères qui ont déterminé la sélection de l’auteur, la
géographie, le style, le genre, le lieu de résidence et peut-être un
jour le panégyrique d’un président de région ou autre grosse légume, au
train où vont les choses.
Votre Tenancier se montre volontiers logorrhéique à ses moments et il se débrouille parfois assez bien à l’oral. Pour autant, partant pour s’isoler dans un labeur de création, selon un naïf espoir, doit-il se forcer à prodiguer une « conférence » en médiathèque, dans une école ou ailleurs sur son travail d’écriture ou autre sujet pour lequel votre serviteur ne se déplacerait pas ? Votre Tenancier a écrit une cinquantaine de nouvelles et un roman autour du Fleuve. Croit-on que l’auteur se trouve à même de gloser sur ce qu’il a pondu ?
Comment peut-on penser que le travail d’écriture rend disert sur divers sujets ? Et même, ces sujets, s’il y tient, ne désire-t-il pas les garder au secret avant une restitution au bout de son clavier ? Quel foutu masochiste irait donc se gaufrer un tel pensum, à écouter ou à déclamer en public, dites-moi ? Et qui les animerait, alors ? Le soupçon se confirme, ce donnant-donnant (« En échange je te fournis la baraque et un pécule de smicard »), est destiné au corps professoral se piquant de littérature, en congé sabbatique, et qui arrondit les fins de mois en émargeant aux directions culturelles régionales. Enfin, pourquoi un écrivain serait-il approprié pour mener une causerie et pourquoi, tout à coup, serait-il astreint à des actes qui ne concordent pas forcément à ses mœurs : contraintes horaires, socialisation, etc. ? Certes, il existe une catégorie que ces servitudes picrocholines ne dérangent pas étant donné que cela constitue un prolongement de la pratique professionnelle : faire des cours. Le soussigné a terminé sa scolarité en 3e aménagée, s’est emmerdé jusque là sur les bancs de l’école, et en conséquence réprouve la perspective de se plier à ces services que l’on a l’air de trouver normaux par ailleurs. En effet, il semble bien que le travail de l’écrivain se révèle suspect. La nécessité de sa rentabilité passe donc également par des manifestations en marge qui acquièrent valeur de preuve d’une activité artistique : avoir l’air intéressant, même si l’objet de la preuve ne comporte que de lointains rapports avec les obsessions de l’auteur. Pourquoi donc s’étonner du procédé ? L’on gage que ces libéralités financières accordées aux écrivains en échange d’un « service public » sont agréées par du personnel politique qui, par ailleurs, s’y connaît en gage de compétences, n’est-ce pas ? Cela peu avoir été créé à l’instigation de fonctionnaires culturels revenus d’une certaine vision édénique de la littérature… Au fond, le Tenancier se moque assez de ces raisons, il sait que le régime libéral dans lequel il vit et qui régit ce genre d’institution se refuse à « payer des gens à ne rien foutre » — enfin, une certaine catégorie de gens — et que ceux-là doivent démontrer un bon vouloir (pour l’artiste), ou de l’obéissance (pour ces « salauds de chômeurs »). Le Tenancier sait tout cela. Il a néanmoins été tenté de solliciter une résidence, et puis la paresse, et puis se retrouver loin de la femme qu’il aime, et puis… Alors, il a songé à trouver un moyen chic d’exposer son renoncement en jouant au rebelle.
Quelle fatigue !
En fin de compte, la flemme à l’idée de « faire mine » l’a emporté et il vous en fait part. Il continuera de bosser dans son bureau.
Votre Tenancier se montre volontiers logorrhéique à ses moments et il se débrouille parfois assez bien à l’oral. Pour autant, partant pour s’isoler dans un labeur de création, selon un naïf espoir, doit-il se forcer à prodiguer une « conférence » en médiathèque, dans une école ou ailleurs sur son travail d’écriture ou autre sujet pour lequel votre serviteur ne se déplacerait pas ? Votre Tenancier a écrit une cinquantaine de nouvelles et un roman autour du Fleuve. Croit-on que l’auteur se trouve à même de gloser sur ce qu’il a pondu ?
Comment peut-on penser que le travail d’écriture rend disert sur divers sujets ? Et même, ces sujets, s’il y tient, ne désire-t-il pas les garder au secret avant une restitution au bout de son clavier ? Quel foutu masochiste irait donc se gaufrer un tel pensum, à écouter ou à déclamer en public, dites-moi ? Et qui les animerait, alors ? Le soupçon se confirme, ce donnant-donnant (« En échange je te fournis la baraque et un pécule de smicard »), est destiné au corps professoral se piquant de littérature, en congé sabbatique, et qui arrondit les fins de mois en émargeant aux directions culturelles régionales. Enfin, pourquoi un écrivain serait-il approprié pour mener une causerie et pourquoi, tout à coup, serait-il astreint à des actes qui ne concordent pas forcément à ses mœurs : contraintes horaires, socialisation, etc. ? Certes, il existe une catégorie que ces servitudes picrocholines ne dérangent pas étant donné que cela constitue un prolongement de la pratique professionnelle : faire des cours. Le soussigné a terminé sa scolarité en 3e aménagée, s’est emmerdé jusque là sur les bancs de l’école, et en conséquence réprouve la perspective de se plier à ces services que l’on a l’air de trouver normaux par ailleurs. En effet, il semble bien que le travail de l’écrivain se révèle suspect. La nécessité de sa rentabilité passe donc également par des manifestations en marge qui acquièrent valeur de preuve d’une activité artistique : avoir l’air intéressant, même si l’objet de la preuve ne comporte que de lointains rapports avec les obsessions de l’auteur. Pourquoi donc s’étonner du procédé ? L’on gage que ces libéralités financières accordées aux écrivains en échange d’un « service public » sont agréées par du personnel politique qui, par ailleurs, s’y connaît en gage de compétences, n’est-ce pas ? Cela peu avoir été créé à l’instigation de fonctionnaires culturels revenus d’une certaine vision édénique de la littérature… Au fond, le Tenancier se moque assez de ces raisons, il sait que le régime libéral dans lequel il vit et qui régit ce genre d’institution se refuse à « payer des gens à ne rien foutre » — enfin, une certaine catégorie de gens — et que ceux-là doivent démontrer un bon vouloir (pour l’artiste), ou de l’obéissance (pour ces « salauds de chômeurs »). Le Tenancier sait tout cela. Il a néanmoins été tenté de solliciter une résidence, et puis la paresse, et puis se retrouver loin de la femme qu’il aime, et puis… Alors, il a songé à trouver un moyen chic d’exposer son renoncement en jouant au rebelle.
Quelle fatigue !
En fin de compte, la flemme à l’idée de « faire mine » l’a emporté et il vous en fait part. Il continuera de bosser dans son bureau.
vendredi 3 mai 2024
Tous les peuples...
Tous les peuples originaires des îles du nord et des confins de l’Héspérie : les Goths, appelés également Scythes, ou encore les Gètes, nation tumultueuse et composite qui comprend les Sylores, les Adogits, les Créfennes qui consomment la chair blanche des oiseaux, les Theusthes, les Vagoths qui vivent de l’air du temps, les Hallins durs à la tâche, les Suéthans qui se livrent au commerce des peaux saphirines, les Liothides, les Athelnils, inégalés constructeurs de murailles, les Finnaithes, les Fervirs aux doigts percés de clous de cuivre, les Gautigoths, race farouche, les Evagères qui vivent au milieu des marais, les Sucombres, les Othinges, grands pourfendeurs de rochers, les Raumarices, les Rustholes, qui naviguent sur l’eau des rêves, les Raugnariciens, les Finois aux moeurs très pures, les inoviloths, les Suétides qui eurent pour ancêtres les dieux Frigidern et Widicula, les Cogènes, qui se cousent des parures en queues de rats, les Granniens, les Aganzies, les Unisces qui se font dresser les cheveux sur la tête, les Ethelruges qui vénèrent les mouches vrombissantes, les Arochniranes qui, comme leur nom l’indique, élèvent des araignées, les Ulméruges, les Ovimes qui passent pour avoir peuplé les premiers les terres de la Scythie, les Spanes, les Histériens qui s’agitent et prennent toutes choses de haut, les Sères, les Gépides sur lesquels Ablabius a écrit les pires choses avec talent, la tribu acariâtre et populeuse des Whinides, les Sclavins, les Antes qui vivent dans des caves, les Vidioariens, qui ne boivent que de l’eau des sources, les Itemestes, les Agazzires qui piétinent leurs propres moissons, les Auziagres, les Aviri, les Hunnagares, qui font tout à cheval, les Amales aux dents cariées, les Lazes, les Roscolans que gouverna Dicénus le Boroïste, les Tamazites dont hommes et femmes vivent chacun d’un côté et de l’autre de la rivière, les Sarmates qu’aima et combattit le poète Sextus Publius Galba, les Bastarnes, les Marcomans, les Piduzes, chaussés de sandales en peau humaine, rehaussées de pointes, les Guales, les Garpes, les Peucènes qui s’offusquent d’un rien, les Volusques, qui puent de la bouche, les Thrènes, les Astinges, les Hermundures qui se battirent sous les ordres de l’esclave Sitalcus, les Thuides, les Aunxes, qu’on n’attendait plus, les Vasinabronces, les Agathyrses qui servent le dieu Foncle, les Polivés qui se chamarrent le corps de poudre d’améthyste, les Tamurses, lents à la détente, les Exes, les Ivoines avec leurs frères les Pilures, les Mérens, les Mordeusimmes qui chassent l’homme au harpon, les Cares, les Roces, les Tadzans, doués dans la fabrication de chariots bâchés d’écorce, les Athuals, les Navegos dont personne n’a réussi à parler la langue, les Bubegentes, les Coldes que nul ne connaît, les Aliorumes, les Ramaxis, frères en désespoir avec les Tardes, les Alipzures, les Teusquins, les Alcizures qui se prétendent leurs cousins, les Itamares dont l’existence reste incertaine [...] |
La suite ici
Alain Nadaud : Petit catalogue des nations barbares (1999)
jeudi 2 mai 2024
Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 33
René Troin
Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1998 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs
Le
Tenancier : On reconnaît chez l’éditeur l’amour du
jeu autour des mots. Mais je crois qu’il est important ici de revenir
sur René
Troin, qui semble avoir occupé une place intéressante dans le réseau
des
amitiés autour de Deleatur et d’ailleurs.
Pierre Laurendeau : Tu as visé juste, comme toujours, ô Tenancier. René Troin fut un « deleaturien » de la première heure. Il semble me souvenir qu’il avait découvert un article sur Alice-Crime* dans une revue improbable du genre Rock Star – où un ami journaliste, Patrick Le Fur, arrivait à placer des piges très nettement hors contexte ! À moins que ce ne soit dans Fascination, dont la rubrique livres faisait la part belle aux productions du Fourneau, Deleatur et consorts (merci Jean-Pierre !).
Toujours est-il que René répondait présent à chaque envoi d’un vient-de-paraître de Deleatur. Je connaissais son appétit pour les plaquettes improbables et les auteurs clandestins, mais j’ignorais qu’il écrivît [pour une fois qu’on peut placer un imparfait du subjonctif à bon escient !] lui-même. Aussi fus-je très étonné de recevoir en 1998 ce recueil de palindromes, écrits tout exprès pour les minilivres – collection que René appréciait particulièrement ! Parmi les vingt, j’aime beaucoup « Ni rupin ni purin » ou « Et navet elle te vante », qui définit très bien les collusions entre Saint-Germain-des-Prés et la presse spécialisée dans les renvois d’ascenseur.
Ce sera le début d’une collaboration soutenue : encore quatre minilivres, les 35, 41, 52 et 55, et trois ouvrages : La Crau, Arizona (Deleatur), magnifique récit d’une jeunesse réinventée dans une petite ville du Var ; Georges écrit (Ginkgo), faux polar à tiroirs ; Chantier Schéhérazade (Sous la Cape), de l’art de raconter des histoires à la manière des Mille et Une Nuits (un récit inoubliable du passage rêvé des Beatles à La Crau). Plus, après sa disparition, un recueil hommage d’articles sur la chanson française, dont René était un fin connaisseur : Teppaz, SLC & Co.
Je reviendrai sur son vrai talent de joueur de mots à l’occasion de On se fait à l’idée, et c’est moi qu’on assassine ou de Douze aventures de Câline et ses amis.
Même si j’entretiens des relations amicales avec certains membres ou apparentés de plusieurs OuXpo, j’ai parfois du mal avec les productions à contrainte qui peuvent être laborieuses. De plus, il me semble qu’il y a une sorte d’OPA sur les jeux de langage – peut-être d’ailleurs à leur corps défendant – qui rend difficile de promouvoir, notamment auprès des libraires, des textes construits sur des contraintes narratives non estampillés par l’Ouvroir. Or le champ des possibles est très ouvert et je connais de nombreux écrivains qui s’y livrent avec délices et réussite : si on laisse de côté les précurseurs (Alphonse Allais ou Raymond Roussel), je citerai volontiers Yak Rivais, avec son roman Les Demoiselles d’A. paru chez Belfond en 1979, constitué d’un collage de 750 citations, empruntées à 408 auteurs ! Ou Jean Lahougue, dont Le Domaine d’Ana (Champ Vallon, 1998), construction vertigineuse d’une exploration du langage autant que roman d’aventures à la Jules Verne. Je citerais volontiers Patrick Boman, dont on a évoqué ici A Naïve Romance (numéro 19), ou Jean-Paul Plantive (qu’on découvrira avec Le Mystère de la chaise enfin percé, numéro 48), auteur de brillants distiques holorimes.
René Troin a exploré en profondeur les structures narratives, mais plus pour s’en affranchir avec élégance que pour respecter scolairement des codes. Dans Georges écrit, les strates du récit s’enchevêtrent subtilement, sans que le lecteur ait nécessairement conscience de la rigueur de la construction.
Voici la notice que j’avais rédigée pour sa fiche « Sous la Cape » : « René Troin (1952-2016), tour à tour instituteur, animateur de radio associative, puis journaliste et écrivain, était un passionné de chanson, notamment celles des sixties. Se définissant comme un “expert sans assurance”, il a écrit sur ce sujet, dans une langue très élégante, de nombreux articles extrêmement documentés, aussi drôles qu’érudits. »
* Le premier polar potentiel, paru en 1979 à l’enseigne de Deleatur.
Pierre Laurendeau : Tu as visé juste, comme toujours, ô Tenancier. René Troin fut un « deleaturien » de la première heure. Il semble me souvenir qu’il avait découvert un article sur Alice-Crime* dans une revue improbable du genre Rock Star – où un ami journaliste, Patrick Le Fur, arrivait à placer des piges très nettement hors contexte ! À moins que ce ne soit dans Fascination, dont la rubrique livres faisait la part belle aux productions du Fourneau, Deleatur et consorts (merci Jean-Pierre !).
Toujours est-il que René répondait présent à chaque envoi d’un vient-de-paraître de Deleatur. Je connaissais son appétit pour les plaquettes improbables et les auteurs clandestins, mais j’ignorais qu’il écrivît [pour une fois qu’on peut placer un imparfait du subjonctif à bon escient !] lui-même. Aussi fus-je très étonné de recevoir en 1998 ce recueil de palindromes, écrits tout exprès pour les minilivres – collection que René appréciait particulièrement ! Parmi les vingt, j’aime beaucoup « Ni rupin ni purin » ou « Et navet elle te vante », qui définit très bien les collusions entre Saint-Germain-des-Prés et la presse spécialisée dans les renvois d’ascenseur.
Ce sera le début d’une collaboration soutenue : encore quatre minilivres, les 35, 41, 52 et 55, et trois ouvrages : La Crau, Arizona (Deleatur), magnifique récit d’une jeunesse réinventée dans une petite ville du Var ; Georges écrit (Ginkgo), faux polar à tiroirs ; Chantier Schéhérazade (Sous la Cape), de l’art de raconter des histoires à la manière des Mille et Une Nuits (un récit inoubliable du passage rêvé des Beatles à La Crau). Plus, après sa disparition, un recueil hommage d’articles sur la chanson française, dont René était un fin connaisseur : Teppaz, SLC & Co.
Je reviendrai sur son vrai talent de joueur de mots à l’occasion de On se fait à l’idée, et c’est moi qu’on assassine ou de Douze aventures de Câline et ses amis.
Même si j’entretiens des relations amicales avec certains membres ou apparentés de plusieurs OuXpo, j’ai parfois du mal avec les productions à contrainte qui peuvent être laborieuses. De plus, il me semble qu’il y a une sorte d’OPA sur les jeux de langage – peut-être d’ailleurs à leur corps défendant – qui rend difficile de promouvoir, notamment auprès des libraires, des textes construits sur des contraintes narratives non estampillés par l’Ouvroir. Or le champ des possibles est très ouvert et je connais de nombreux écrivains qui s’y livrent avec délices et réussite : si on laisse de côté les précurseurs (Alphonse Allais ou Raymond Roussel), je citerai volontiers Yak Rivais, avec son roman Les Demoiselles d’A. paru chez Belfond en 1979, constitué d’un collage de 750 citations, empruntées à 408 auteurs ! Ou Jean Lahougue, dont Le Domaine d’Ana (Champ Vallon, 1998), construction vertigineuse d’une exploration du langage autant que roman d’aventures à la Jules Verne. Je citerais volontiers Patrick Boman, dont on a évoqué ici A Naïve Romance (numéro 19), ou Jean-Paul Plantive (qu’on découvrira avec Le Mystère de la chaise enfin percé, numéro 48), auteur de brillants distiques holorimes.
René Troin a exploré en profondeur les structures narratives, mais plus pour s’en affranchir avec élégance que pour respecter scolairement des codes. Dans Georges écrit, les strates du récit s’enchevêtrent subtilement, sans que le lecteur ait nécessairement conscience de la rigueur de la construction.
Voici la notice que j’avais rédigée pour sa fiche « Sous la Cape » : « René Troin (1952-2016), tour à tour instituteur, animateur de radio associative, puis journaliste et écrivain, était un passionné de chanson, notamment celles des sixties. Se définissant comme un “expert sans assurance”, il a écrit sur ce sujet, dans une langue très élégante, de nombreux articles extrêmement documentés, aussi drôles qu’érudits. »
* Le premier polar potentiel, paru en 1979 à l’enseigne de Deleatur.
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