samedi 3 août 2024

Annie Le Brun (1942 - 2024)

« De toute façon, je déteste les hommages nécrologiques. C’est un genre aussi faux que les enterrements. La plupart du temps, banalités et mauvais goût y triomphent pour célébrer le moment où la singularité d’un être disparaît dans le lot commun. Prétend-on le déplorer, il se trouve toujours quelqu’un pour sacrifier à ce kitsch. Enfin, pour peu que les spécialistes s’en mêlent, ceux-ci se font un devoir d’ajouter la dose de contrevérités et d’approximations qui vont aussitôt être prises pour données objectives. »

Annie Le Brun, in : Éclipse de la liberté (2010) repris dans le recueil Ailleurs et autrement.

mercredi 24 juillet 2024

Le titre khon du jour

«Je ne pourrai jamais plus commander un œuf mayonnaise sans penser à lui» : l’hommage émouvant de Michel Houellebecq à Benoît Duteurtre

Le Figaro, 19 juillet 2024

lundi 22 juillet 2024

À la recherche d'une bibliographie

Le Tenancier vous l’a signalé à plusieurs reprises : il n’est pas concierge, mais il a l’esprit d’escalier. Ainsi, évoquant le site Banned Book dans un précédent message ici-même, l’on s’est laissé entraîner à évoquer pour soi la censure gaullo-pompidolienne et par association facile (le Tenancier est un garçon facile pour certaines questions) aux mésaventures d’Éric Losfeld, non en qualité d’éditeur sur lequel on a déjà glosé ici et là mais sur son activité d’écrivain. On connaît au moins un des ses romans érotiques publié sous le pseudonyme transparent de Dellfos (Cerise ou le moment bien employé), mais il se plaisait à raconter qu’il écrivait des polars, après-guerre, dont un Vous qui après moi vivrez (titre inspiré de la Ballade des pendus de François Villon) tiré à soi-disant 80 000 exemplaires. Or, une recherche hâtive ne permet de trouver qu’un ouvrage d’Hervé Le Corre sous cette entrée dans les sites de ventes de livres d’occasion. Pourtant, un tel tirage devait laisser quelques « scories »… Cela nous mène à la part mystificatrice de Losfeld ou peut-être à la malédiction qui touche certains livres. Bien entendu, on s’est livré à une recherche très superficielle et sur ce seul titre. Or, il semble en avoir écrit beaucoup et dans tous les genres. Alors, se pose la question : quels sont donc les ouvrages écrits par Éric Losfeld et dans quel genre ? Existe-il une bibliographie ?
Si un érudit passe devant ce message, il nous comblerait d'aise à nous donner quelques informations à ce sujet et contribuerait à une amorce d'une série d'été ravigotante.
Post scriptum ajouté quelques jours plus tard : On a omis de dire que ces ouvrages putatifs auraient été rédigés sous pseudonyme, ce qui rend la recherche plutôt ardue...

samedi 20 juillet 2024

Une historiette de Béatrice

La jeune ado qui demande, en arrivant toute seule, si j'ai du Jules Verne. Plus loin dans la conversation, elle me dit qu'elle a un problème car elle n'aime pas lire. Sauf du Jules Verne. Mais ce n'est pas un problème, choupinette, c'est juste un excellent début.

jeudi 18 juillet 2024

Banned Books

Nous connaissons les vieilles lunes qui veulent interdire les livres qui contreviendraient à telle ou telle morale. Encore heureux, il existe des ripostes, comme cette association qui met à disposition des habitants de Floride des livres gratuits — seul le port reste payant — qui ont subi les foudres des bigots et des réactionnaires dans les bibliothèques et les établissements publics. Comme l’on pressent que cela nous tombera bien sur le coin de la figure un de ces jours, prenons de la graine de cette initiative… Ainsi l’on découvre des auteurs comme Harper Lee, James Baldwin, Chuck Palhaniuk, Margaret Atwood et Toni Morrison, entre autres, bannis des bibliothèques de Floride et proposés à travers ce site. Le but avoué de Banned Books est d’étendre sa lutte contre la censure en direction d’autres États.
Pour visiter le site cliquez donc sur la bannière ci-dessous.


samedi 13 juillet 2024

Du néologisme et de l'archaïsme

On conçoit pourquoi le néologisme naît au fur et à mesure de la durée d’une langue. Sans parler des altérations et des corruptions qui proviennent de la négligence des hommes et de la méconnaissance des vraies formes et des vraies significations, il est impossible, on doit en convenir, qu’une langue parvenue à un point quelconque y demeure et s’y fixe. En effet, l’état social change : des institutions s’en vont, d’autres viennent ; les sciences font des découvertes ; les peuples, se mêlant, mêlent leurs idiomes : de là l’inévitable création d’une foule de termes. D’autre part, tandis que le fond même se modifie, arrivant à la désuétude de certains mots par la désuétude de certaines choses, et gagnant de nouveaux mots pour satisfaire à des choses nouvelles, le sens esthétique, qui ne fait défaut à aucune génération d’âge en âge, sollicite, de son côté, l’esprit à des combinaisons qui n’aient pas encore été essayées. Les belles expressions, les tournures élégantes, les locutions marquées à fleur de coin, tout cela qui fut trouvé par nos devanciers s’use promptement, ou du moins ne peut pas être répété sans s’user rapidement et fatiguer celui qui redit et celui qui entend. L’aurore aux doigts de rose fut une image gracieuse que le riant esprit de la poésie primitive rencontra et que la Grèce accueillit ; mais, hors de ces chants antiques, ce n’est plus qu’une banalité. Il faut donc, par une juste nécessité, que les poètes et les prosateurs innovent. Ceux qui, pour me servir du langage antique, sont aimés des cieux, jettent dans le monde de la pensée et de l’art, des combinaisons qui ont leur fleur à leur tour, et qui demeurent comme les dignes échantillons d’une époque et de sa manière de sentir et de dire.
Le contre-poids de cette tendance est dans l’archaïsme. L’un est aussi nécessaire à une langue que l’autre. D’abord, on remarquera que, dans la réalité, l’archaïsme a une domination aussi étendue que profonde, dont rien ne peut dégager une langue. On a beau se renfermer aussi étroitement qu’on voudra dans le présent, il n’en est pas moins certain que la masse des mots et des formes provient du passé, est perpétuée par la tradition et fait partie du domaine de l’histoire. Ce que chaque siècle produit en fait de néologisme est peu de chose à côté de ce trésor héréditaire. Le fond du langage que nous parlons présentement appartient aux âges les plus reculés de notre existence nationale. Quand une langue, et c’est le cas de la langue française, a été écrite depuis au moins sept cents ans, son passé ne peut pas ne point peser d’un grand poids sur son présent, qui est en comparaison si court. Cette influence réelle et considérable ne doit pas rester purement instinctive et, par conséquent, capricieuse et fortuite. En examinant de près les changements qui se sont opérés depuis le dix-septième siècle et, pour ainsi dire, sous nos yeux, on remarque qu’il s’en faut qu’ils aient toujours été judicieux et heureux. On condamné des formes, rejeté des mots, élagué au hasard, sans aucun souci de l’archaïsme, dont la connaissance et le respect auraient pourtant épargné des erreurs et prévenu des dommages. L’archaïsme, sainement interprété, est une sanction et une garantie.

Émile Littré, texte pioché dans La littérature française par le Colonel Staff (1877)

vendredi 12 juillet 2024

Le piège !


(Tentative de capture d'un bibliothécaire sauvage en l'appâtant avec une étagère mal rangée.)

mercredi 10 juillet 2024

Une citation

Mais le colonel ne le laissa pas dans l'incertitude :
— Je me fais envoyer tous les nouveaux roman policiers de Paris. Je ne lis que des romans policiers. Vous devriez voir ma collection. J'apprécie particulièrement les romans anglais et américains. Les meilleurs sont traduits en français. Je n'aime guère les auteurs français eux-mêmes. La culture française n'est pas de nature à permettre d'écrire un roman policier de premier ordre [...]

Eric Ambler : Le masque de Dimitrios (1939)

mardi 9 juillet 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Pif, paf, pouf, voici que déboulent trois bouquins issus de la boîte à livres devenue soudain féconde après plusieurs semaines de chiche provende ! D’autres, d’un certain intérêt attendaient également dans leur coin, mais n’ont pas excité tant que cela votre Tenancier, indifférent aux romans des Éditions de Minuit qui, à tout prendre et au travers d’un vernis germanopratin, valent ceux de la collection Blanche chez Gallimard.
Commençons par le « retour » d’un volume dans ses rayonnages. En effet, la bibliothèque de SF du Tenancier a été décimée par ses soins, fruit d’un désamour à la quarantaine pour le genre — enfin, disons, une grosse fatigue — et d’autres nécessités que l’on voudra bien m’autoriser à celer ici. La loi du talion de Gérard Klein, recueil de nouvelles dans la collection J’ai Lu et sous la couverture de Tibor Csernus… : tous ces détails révèlent autant de marqueurs pour une génération qui a fait ses gammes dans cette littérature. Votre Tenancier a eu le plaisir et la chance d’avoir édité Gérard Klein et le souvenir reste vif d’une personne généreuse, avisée et d’un commerce très agréable. Pour tout cela, ce bouquin-là devait retourner à sa place, dans la bibliothèque, pas très loin — dans le classement des affinités — d’André Ruellan ou de Philippe Curval. S’il a cédé nombre de livres de SF, votre Tenancier chéri en a gardé un peu, par nostalgie et depuis peu par plaisir renouvelé, même s’il ne cherche pas à lire de nouveauté en la matière. « Pourtant, vous en écrivez, non ? », me dira-t-on. Oh, très peu, et surtout dans les marges. D’ailleurs il lui plaît d’errer dans les bordures. Il ne tient pas trop à « faire partie » d'un milieu.


Deuxième prise : ce volume anecdotique sert uniquement à alimenter la rubrique des 10/18, bien délaissée. On l’a peut-être remarqué, mais votre Tenancier, loin de se présenter comme un adepte de la Dictature du Prolétariat, s’avouerait plutôt du côté du Laisser-faire des Feignasses. Vous retrouverez le livre un de ces quatre dans le blog. À propos, l’on n’a rien contre le fait que vous expédiez les deux plats, le dos ainsi que le descriptif de vos anciens 10/18. On signale d’ailleurs à Monsieuye qu’on ne la pas oublié à ce sujet.

 

Le Tenancier connaît ce genre de production. Il garde le souvenir du bouquin d’Alain Schifres, Les Parisiens, lu comme une nouveauté lorsqu’il travaillait en librairie et avait découvert à cette occasion la raison de la feuille de salade dans l’assiette de steak-frites des brasseries parisiennes. À quoi doit-on s’attendre avec le présent ouvrage qui semble marcher sur les brisées du susdit ? Peut-être pas grand-chose ou peut-être un renouvellement par le style que l’on s’est permis de picorer et qui nous agrée. Le piéton de Paris se révèle une espèce qui se perpétue de décennie en décennie, consignée dans son enceinte avec quelques échappées bourgeoises du côté de l’avenue Victor Hugo à la Fargue ou qu’elle s’évade comme feu Maspero dans Les passagers du Roissy-express. On s’en doute, l’originalité du propos n’apparaît pas comme un critère d’acquisition… Ce livre-là semble employer l’ironie et saura sans doute plaire à votre Tenancier (re)devenu provincial, mais qui garde cependant quelques souvenirs aigus de Paris, où d’ailleurs il n’a guère envie de refoutre les pieds s’il n'y subsistaient quelques amitiés, en un étrange miracle. Citons les paragraphes : L’addition, Poules, Chiens, Métro, Gares, Halles, Crasse, Pigeons, Métamorphoses, Culture, Salons, Lascaux II, qui appellent à une lecture nonchalante et picorante dans des après-midi de latence, ce qui vaut mieux que de se cogner l’organigramme du parti communiste entre 1925 et 1939 dans le livre de Kriegel…

 

Gérard Klein : La loi du talion — J’ai lu (1979)

Annie Kriegel : Le pain et les roses — 10/18 (1973)
Anne Le Cam : Paris pour le pire — Arléa (2002)

lundi 8 juillet 2024

Une historiette de Béatrice

Et le simplet qui a pris l'habitude de passer ici tous les jours. Aujourd'hui il voulait absolument que je lui prenne en dépôt-vente une raquette de tennis cassée datant de 1950. Même si je lui explique que ne vends que des livres : « Mais on fera moitié-moitié pour les gains, c'est une raquette de compète ».

samedi 6 juillet 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Le Tenancier vous avait promis du neuf, mais par ailleurs il ne résiste jamais à l’attrait de quelques livres d’occasion, d’autant que celui d’aujourd’hui détient un intérêt particulier. En effet, le César de Gérard Walter date de 1947 pour sa première édition et l’on peut gager que des études sur le personnage ont bénéficié de beaucoup d’apports en plus de soixante-quinze ans, mais qu’importe, parce que l’on y trouve l’événement suivant : Jules devient l’otage de pirates, paye une rançon élevée et promet de les exécuter, presque en plaisantant, ce à quoi il s’emploie une fois libéré. L’épisode est très résumé par nos soins, il se révèle plus animé sous la plume de Plutarque (Les Vies parallèles) et fort bien rapporté par Walter. Votre Tenancier, la première fois qu’il était tombé sur cette péripétie — sans doute dans Plutarque, il y a des années de cela — s’est toujours demandé pourquoi une telle histoire n’avait jamais été adaptée en péplum par un Cottavafi, un Freda ou autre. À la réflexion, un cinéaste étasunien aurait peut-être plus convenu… Il est vrai que l’image de César au cinoche demeure très codifiée, à son apothéose sanglante ou à ses incartades égyptiennes (Ah, Claudette Colbert ou Élisabeth Taylor, surgissant du tapis déroulé…) Mais reconnaissons que les débuts sont prometteurs, non ? Bref, le Romain savait s’amuser.
 

Il reste toujours passionnant de voir éclore un véritable écrivain et c’est le cas lorsque l’on se confronte au troisième roman de Grégoire Domenach, récit d’un exil en Asie centrale, plus exactement au Kirghizstan où l’on sent et l’on sait que l’auteur y possède des attaches. Cependant, rien ne laisse pressentir que celles-ci procèdent de la malignité dans leur utilisation. Un peu d’honnêteté ne messied pas au milieu d’une pléthore de textes qui prétendent rapporter et qui ne racontent rien sinon le moi encombrant — et encombré — de plagiaires choyés par la presse. On a pensé ici à Kessel et à nombre de livres où l’on traverse un paysage palpable, habité par des personnages véritables, non parce qu’ils existeraient, peu importe, mais en raison de leur cohérence et de l’habileté avec laquelle ils apparaissent au fil de la narration. Même si le récit est une fiction, le cadre, lui, s’ancre dans le réel. Le lecteur attentif découvrira également que l’auteur possède un don pour l’évocation historique. Derrière ce clavier, l’on garde un souvenir très vif du compte-rendu de l’attaque de la poste de Dantzig, comme une annexe dans un premier roman encore maladroit, mais qui laisse pressentir ses potentialités. Dans le présent, l’on assistera, en introduction, au martyre de deux diplomates britanniques face à l’Émir de Boukhara et l’on se demande encore la raison pour laquelle Grégoire Domenach n’y a pas consacré un récit entier. L’histoire, vous ne dites rien de l’histoire, Tenancier ! Elle demeure simple, c’est une pérégrination où l’on voit et où l’on rencontre et où l’aventure se pare d’une mélancolie que tout lecteur du Manuel du parfait aventurier de Mac Orlan doit connaître. « Tenancier, vous citez Kessel et Mac Orlan, l’évocation est lourde ». Oui, mais elle se justifie par bien des aspects.

 
Il arrive que l’acquisition de livres s’effectue par une sympathie spontanée non envers un auteur, mais à l’égard de celui qui les a collationnés dans sa maison d’édition. À cet égard, la brève entrevue avec Marc Nagels qui dirige les Terres du Couchant et le plaisir d’un échange fugace se prolonge dans la lecture de ses productions. L’on n’a pas tout lu pour le moment, la rencontre est récente et l’on dose son contentement. Mais ce qui a attiré tout d’abord l’œil de votre Tenancier se résume à la sobriété des livres, tous établis sous la même charte graphique et typographique, avec cette petite touche d’élégance qui consiste à glisser un marque page intimement lié au titre. Est-ce de la bibliophilie ? On a déjà souvent ici prétendu que cette vilaine manie relevait du goût personnel et non de canons arbitraires et à cet égard l’élégance visuelle de toute la collection ajoute au plaisir d’un choix très soigné. On a lu pour l’instant La fugue à Noto de Le Guillou (méditation sur la solitude) et Horn d’Alain Emery (un portrait dans un style très soutenu que l'on va relire, car découvert au milieu de la foule et des interruptions). On connaissait le premier, à cause de ses rapports avec Gracq, on a découvert le deuxième à travers son style précis qui ne peut que ravir votre Tenancier chéri, suscitant même une ou deux pointes de jalousie sur le choix de mots ou l’agencement d’une phrase. On dispose d’un autre ouvrage de celui-ci, un de Roland Goeller, qui fréquente comme votre serviteur les colonnes de la revue l’Ampoule et enfin un roman plus épais d’Yves Fravalo, conseillé parMarc Nagels. À vrai dire, ce qui semble lier l’éditeur à ses auteurs réside dans la référence constante à Julien Gracq considéré comme une figure tutélaire. Puisque, par ailleurs, la marchandisation d’un de nos écrivains favoris va bon train à coup de fac-similés pourris, on trouvera le réconfort dans la découverte de ses continuateurs, infirmant en cela que Gracq fut le dernier représentant d’une certaine conception de la littérature. En effet, la rencontre se révèle importante et l’on s’offre le plaisir d’une prolongation avec des lectures enthousiasmantes. Cela rassure.



 Bien entendu, votre Tenancier ne professe aucune ambition de critique lorsqu’il expose ses acquisitions dans ce blogue. Cela se résumerait plutôt à un « état » de sa curiosité et tant mieux s’il en parle en détail parfois. Mais, déjà, rentrer un livre chez soi procède d’une certaine estime…
 
Gérard Walter : César — Marabout (1980)
Grégoire Domenach : Refuge au crépuscule — Bourgois (2024)
Philippe Le Guillou : La fugue à Noto — Terres du couchant (2024)
Alain Emery : Horn — Terres du couchant (2021)
Alain Emery : Quatre rivières — Terres du couchant (2022)
Roland Goeller : Prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai — Terres du couchant (2021)
Yves Fravalo : Et les printemps pourtant — Terres du couchant (2019)