Votre Tenancier a été longtemps
salarié dans une librairie
du XVIe arrondissement de Paris. L’un des intérêts annexes
de cette
activité fut le spectacle d’une faune assez remarquable... La rubrique
présente
me donne l’occasion d’évoquer une figure discrète et amusante qui fit
quelques
visites dans nos murs, non pour des livres d’art ni dans le but
d’acquérir des
ouvrages bibliophiliques, mais afin de faire l’emplette de quelques
10/18,
comme — si je crois m’en souvenir près de 25 ans plus tard —
la série
des « Frère Cadfaël » ou d’autres polars
historiques que la collection produisait alors. C’était une marquise
authentique, telle qu’on l’imaginerait dans quelque dessin gentiment
moqueur
dans une revue bien élevée : brushing et minceur à la limite de la
maigreur, ce qui me faisait immanquablement penser que la noblesse
avait quitté
certaines amplitudes dignes de Botero pour acquérir une silhouette à la
Giacometti, à l’inverse des gueux actuels qui tendent vers l’obésité.
Avec ça,
la façon de s’habiller désinvolte d’une délurée bon chic des fifties,
mais avec
une sobriété remarquable du côté de la joncaille. Bref, Madame la
Marquise ne
se montrait pas bégueule, signe éloquent d’éducation, qui ne permettait
certes
pas de lui taper dans le dos, mais qui rendait son commerce agréable.
Je ne me
rappelle plus de quelle manière je pris connaissance de son titre
nobiliaire,
peu importe d’ailleurs. Je m’amusais de cette présence qui s’égaya
encore plus le
jour où elle exhiba un superbe face-à-main pour mieux lire un résumé…
J’étais
conquis, irrémédiablement fan de Madame la Marquise ! La conversation
était brève en sa présence,
mais elle se surprit sans doute elle-même à me confier qu’il lui
arrivait de
regarder le Tour de France à la télévision « en
compagnie de Mère, car les paysages de notre pays sont magnifiques ».
Je touchais alors
peut-être à cette sorte d’esprit qui attachait certaines familles au
terroir
idéalisé, ou bien peut-être me plais-je à romancer tout cela... Il
n’empêche :
chaque fois que je tombe sur la course, je pense à Madame la Marquise.
Il n’en fallait pas plus que, retombant sur la couverture des chroniques de Blondin, je me remémore cette réflexion et le plaisir du pastiche « Grand-Siècle » auquel s’était livrée l’auteur (La nouvelle s’est répandue en fin de matinée sur le ton du « madame se meurt !... Madame est morte !... » Et pendant un moment, nous fûmes dans l’expectative atroce d’une femme du monde qui a laissé ses diamants sur la toilette de lavabos. — Étape de Bayonne, 19 juillet 1954). L’immense arpentage enguirlandé de pastiches de Bernanos, de Saint-Simon, de Péguy, etc. eût été apprécié par Madame la Marquise, je crois. L’avait-elle acheté ? Je n’étais plus là pour le savoir… Avec ses façons de mémorialiste goguenard, Blondin nous remet sur les brisées d’une littérature qui n’oublie pas ses classiques, au milieu des odeurs d’embrocation et de graisse de chaîne à vélo. Quel plaisir ! Votre Tenancier en picore un peu avant de dormir, le cœur léger, avec cette saveur des noms engloutis : Koblet, Dotto, Laurédi et plus tard, peut-être, un certain Letort, Désiré — rien à voir avec le Tenancier, qui, parfois, accorde une pensée à la Marquise.
Il n’en fallait pas plus que, retombant sur la couverture des chroniques de Blondin, je me remémore cette réflexion et le plaisir du pastiche « Grand-Siècle » auquel s’était livrée l’auteur (La nouvelle s’est répandue en fin de matinée sur le ton du « madame se meurt !... Madame est morte !... » Et pendant un moment, nous fûmes dans l’expectative atroce d’une femme du monde qui a laissé ses diamants sur la toilette de lavabos. — Étape de Bayonne, 19 juillet 1954). L’immense arpentage enguirlandé de pastiches de Bernanos, de Saint-Simon, de Péguy, etc. eût été apprécié par Madame la Marquise, je crois. L’avait-elle acheté ? Je n’étais plus là pour le savoir… Avec ses façons de mémorialiste goguenard, Blondin nous remet sur les brisées d’une littérature qui n’oublie pas ses classiques, au milieu des odeurs d’embrocation et de graisse de chaîne à vélo. Quel plaisir ! Votre Tenancier en picore un peu avant de dormir, le cœur léger, avec cette saveur des noms engloutis : Koblet, Dotto, Laurédi et plus tard, peut-être, un certain Letort, Désiré — rien à voir avec le Tenancier, qui, parfois, accorde une pensée à la Marquise.
Rien à voir non plus, avec ce petit bouquin de la collection Samizdat qui fait le point sur les mécanismes de diffusion de la culture et amorce quelques réflexions sur, par exemple, les « Créative Commons » et le « Copyleft » (dont on espère une traduction un jour). Ouvrage à recommander à ceux qui se font encore des illusions sur le métier d’éditeur, la vocation d’écrivain, etc. Bien entendu, votre serviteur connaît à peu près tout cela. Ajoutons que le bouquin est clairement destiné à circuler dans les boîtes à livres. Toutefois, vous pouvez faire tintin avec cet exemplaire. Je le garde, tudieu, comme tous ceux de cette collection !
Vous connaissez l'auteur pour le rencontrer en ce moment, deux fois par semaine, dans ces colonnes...