jeudi 23 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 16


Lorem ipsum
dolor
sit amet...

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques cryptographes



Le Tenancier : De ce côté-ci du clavier, l’on adore la fausse érudition, surtout lorsqu’elle touche des domaines que l’on croit connaître un peu au point de se laisser mystifier, d’où un regard amusé sur cette éditions définitive — on le croit, on le pense ! — du Lorem ipsum. Là encore qu’est ce qui est du domaine du faux ou du vrai : le zzril a-t-il un fond de vérité ? Giulio Romano s’est-il vraiment servi du Lorem ipsum ? Où se procurer le livre du Bibliophile Jacob cité dans le texte, sachant que l’érudition dudit s’est également portée sur la chaussure ? Compliments à l’auteur anonyme (ou presque, suivez notre regard) pour cette joyeuse mystification — à moins que tout soit vrai… ?
 
Pierre Laurendeau : Le Lorem ipsum permettait de créer des maquettes avec du faux texte ; il y eut d’autres versions, mais celle que j’ai « traduite » était fournie avec PageMaker, le logiciel de mise en page que j’utilisais alors (je suis depuis passé à InDesign, la Rolls de la maquette !). Il était tentant de proposer une traduction d’un texte censé n’avoir aucun sens ! J’ai apparemment réussi à titiller les papilles bibliophiliques du Tenancier… Je peux juste préciser que tout est vrai, puis que tout est faux.
Pour rappel, nous vivions alors une époque charnière avec les métiers traditionnels du Livre – je parle de la partie aval, celle de la fabrication – dont les process séparaient clairement les métiers : l’éditeur fournissait au photocompositeur une copie dactylographiée couverte par le préparateur de copie de codes censés l’aider dans sa tâche ; il en recevait des épreuves, qu’il corrigeait (ou faisait corriger par un correcteur – on dit maintenant « relecteur typographe ») en utilisant des signes conventionnels ; puis la photocomposition était montée en pages par des monteurs ; ensuite, un photograveur produisait des films, auxquels on incorporait éventuellement des images traitées par ailleurs ; enfin, à partir des films, on fabriquait des plaques qui étaient fixées sur les machines d’impression, généralement en offset. En cas d’impression en quadrichromie, il fallait autant de films – et de plaques – que de couleurs ; pour contrôle, le photograveur transmettait alors à son client un Cromalin, une épreuve en couleurs qui permettait de corriger la chromie : « Ici moins de jaune, là plus de magenta ! » Je me souviens qu’au milieu des années 90, un Cromalin 21 x 29,7 coûtait 1 500 F, soit 340 € d’aujourd’hui selon le convertisseur de l’Insee. Autant dire qu’on limitait au minimum ce genre d’opérations !
L’irruption des « chaînes graphiques » à la fin des années 80 allait bouleverser des professions qui se remettaient à peine de l’abandon du plomb – la typographie noble. En quelques années allaient disparaître : préparateurs de copie (chez l’éditeur), puisque l’auteur – qui n’écrit jamais de bêtises, c’est sûr ! photocompositeurs ; photograveurs et, dans une certaine mesure, imprimeurs offset – une grande partie des travaux d’impression se font en numérique.
Je me souviens d’une discussion avec un photograveur en 1994 ou 1995. Il était fier de sa dernière acquisition : un scanner rotatif Crossfield, la Rolls de la numérisation d’images. C’était l’époque de l’arrivée des scanners à plat. « Jamais, tu entends ! jamais cela ne pourra faire le même travail qu’un appareil qui coûte plus d’un million de francs. » L’argument, hélas pour lui, ne le sauva pas de la faillite. J’ai connu plusieurs photograveurs qui conservaient un rotatif pour rassurer leurs clients mais qui opéraient l’essentiel de leur photogravure avec un scanner à plat, en arrière-boutique.
Les logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur) furent les premiers à bousculer le monde des arts graphiques. Les premières versions firent ricaner les typographes haut de gamme, qui lorgnaient tout de même vers les prodigieuses capacités de ces monstres : déplacer à la souris un bloc de texte, le faire pivoter, incorporer une image ! Nom de Diou ! que cela était excitant… mais avec un résultat souvent pitoyable. Comme toujours pour les nouvelles technologies, elles s’affinent et les logiciels d’aujourd’hui – comme InDesign – autorisent une gestion fine de la typographie, notamment l’utilisation des polices de caractères unicodes.
Si vous ne savez pas ce qu’est une police unicode, regardez sur votre tableau de bord des polices celles qui sont précédées d’un « O » ovale, pour OpenType : elles vous offrent précisément 65 536 glyphes (caractères, logotypes, etc.) !
Je m’arrête là, car j’ai un livre à finir.
 
Ah si ! petite anecdote qui me revient de l’époque des maquettes « muettes ». Nous avions commandé à un maquettiste, certes compétent mais procrastinateur en diable, la maquette d’un ouvrage sur la retraite ; c’était le premier livre de commande du Polygraphe (en 1991), notre jeune agence d’édition. Le maquettiste, qui habitait Paris, avait fait le voyage en train et avait utilisé la fenêtre du wagon en guise de table lumineuse pour faire sa maquette, avec ce qu’il avait sous la main pour les images : une magnifique collection de photos de bloc opératoire ! Autant dire que lorsque nous avons montré la maquette à notre client, Le Courrier de l’Ouest, vénérable journal angevin, le PDG eut un hurlement d’inquiétude… « C’est ce genre d’images que vous allez mettre ? » Et de lui expliquer que le maquettiste les avait choisies pour leur ambiance colorée. On parvint à sauver la situation…


mercredi 22 novembre 2023

Une historiette de Béatrice

Hier, un monsieur très sérieux m'a fait une demande très particulière. Un ouvrage épuisé traitant d'une partie de la mythologie basque. Comme je ne connaissais ni l'auteur ni le titre, j'ai bien pris note des références et de ses coordonnées car il en avait un besoin urgent.
Verdict après quelques clics : l'unique mention de la chose se trouve dans la désencyclopédie, en bas de page, dans les « sources ». J'avais oublié combien c'était drôle, cette désencyclopédie.

mardi 21 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Votre Tenancier a été longtemps salarié dans une librairie du XVIe arrondissement de Paris. L’un des intérêts annexes de cette activité fut le spectacle d’une faune assez remarquable... La rubrique présente me donne l’occasion d’évoquer une figure discrète et amusante qui fit quelques visites dans nos murs, non pour des livres d’art ni dans le but d’acquérir des ouvrages bibliophiliques, mais afin de faire l’emplette de quelques 10/18, comme — si je crois m’en souvenir près de 25 ans plus tard — la série des « Frère Cadfaël » ou d’autres polars historiques que la collection produisait alors. C’était une marquise authentique, telle qu’on l’imaginerait dans quelque dessin gentiment moqueur dans une revue bien élevée : brushing et minceur à la limite de la maigreur, ce qui me faisait immanquablement penser que la noblesse avait quitté certaines amplitudes dignes de Botero pour acquérir une silhouette à la Giacometti, à l’inverse des gueux actuels qui tendent vers l’obésité. Avec ça, la façon de s’habiller désinvolte d’une délurée bon chic des fifties, mais avec une sobriété remarquable du côté de la joncaille. Bref, Madame la Marquise ne se montrait pas bégueule, signe éloquent d’éducation, qui ne permettait certes pas de lui taper dans le dos, mais qui rendait son commerce agréable. Je ne me rappelle plus de quelle manière je pris connaissance de son titre nobiliaire, peu importe d’ailleurs. Je m’amusais de cette présence qui s’égaya encore plus le jour où elle exhiba un superbe face-à-main pour mieux lire un résumé… J’étais conquis, irrémédiablement fan de Madame la Marquise ! La conversation était brève en sa présence, mais elle se surprit sans doute elle-même à me confier qu’il lui arrivait de regarder le Tour de France à la télévision « en compagnie de Mère, car les paysages de notre pays sont magnifiques ». Je touchais alors peut-être à cette sorte d’esprit qui attachait certaines familles au terroir idéalisé, ou bien peut-être me plais-je à romancer tout cela... Il n’empêche : chaque fois que je tombe sur la course, je pense à Madame la Marquise.
Il n’en fallait pas plus que, retombant sur la couverture des chroniques de Blondin, je me remémore cette réflexion et le plaisir du pastiche « Grand-Siècle » auquel s’était livrée l’auteur (La nouvelle s’est répandue en fin de matinée sur le ton du « madame se meurt !... Madame est morte !... » Et pendant un moment, nous fûmes dans l’expectative atroce d’une femme du monde qui a laissé ses diamants sur la toilette de lavabos. — Étape de Bayonne, 19 juillet 1954). L’immense arpentage enguirlandé de pastiches de Bernanos, de Saint-Simon, de Péguy, etc. eût été apprécié par Madame la Marquise, je crois. L’avait-elle acheté ? Je n’étais plus là pour le savoir… Avec ses façons de mémorialiste goguenard, Blondin nous remet sur les brisées d’une littérature qui n’oublie pas ses classiques, au milieu des odeurs d’embrocation et de graisse de chaîne à vélo. Quel plaisir ! Votre Tenancier en picore un peu avant de dormir, le cœur léger, avec cette saveur des noms engloutis : Koblet, Dotto, Laurédi et plus tard, peut-être, un certain Letort, Désiré — rien à voir avec le Tenancier, qui,  parfois, accorde une pensée à la Marquise.


 
Rien à voir non plus, avec ce petit bouquin de la collection Samizdat qui fait le point sur les mécanismes de diffusion de la culture et amorce quelques réflexions sur, par exemple, les « Créative Commons » et le « Copyleft » (dont on espère une traduction un jour). Ouvrage à recommander à ceux qui se font encore des illusions sur le métier d’éditeur, la vocation d’écrivain, etc. Bien entendu, votre serviteur connaît à peu près tout cela. Ajoutons que le bouquin est clairement destiné à circuler dans les boîtes à livres. Toutefois, vous pouvez faire tintin avec cet exemplaire. Je le garde, tudieu, comme tous ceux de cette collection !
Vous connaissez l'auteur pour le rencontrer en ce moment, deux fois par semaine, dans ces colonnes...


Antoine Blondin : Tours de France, chroniques de "L'Équipe", 1954-1982 — Editions de La Table Ronde, 2001

Pierre Laurendeau : Le droit d'auteur est-il soluble dans la démocratie ? — Club Samizdat, 2023

lundi 20 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 15


Jacques Abeille
Lettre 
de Terrèbre

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques voyageurs



Le Tenancier : Tu as été pendant longtemps l’éditeur de Jacques Abeille, pour Le Cycle des Contrées ainsi que d’autres textes proches de cet univers Cette Lettre de Terrèbre brouille la limite entre le narrateur et l’écrivain, convoquant également son alter ego, Leo Barthe. Cette frontière en question concerne aussi le rêve et son influence dans le réel… La Lettre rentre tout à fait dans le projet apparent de la collection, qui refuse souvent de prendre partie vis-à-vis de la réalité. A-t-il rédigé ce texte pour la collection, ou bien vos intérêts convergeaient-ils naturellement ?
La place manque sans doute pour évoquer ta relation entre Jacques Abeille et Deleatur… ceux qui veulent en savoir plus doivent se procurer ton article : Jacques Abeille, le jardin refermé, dans la revue Le Novelliste n°6, paru en décembre 2022.

Pierre Laurendeau : O Tenancier, quelle belle introduction ! Qui donne envie de lire l’œuvre abeillienne…
Comme tu l’écris, j’ai été l’éditeur (souvent occulte, voire occulté) du Cycle des Contrées, transmettant Les Jardins statuaires à Bernard Noël en 1981. Tu renvoies avec raison à l’hommage paru dans Le Novelliste, qui éclaire, je pense, les relations cahoteuses, voire chaotiques, entre Jacques Abeille et Deleatur (il fut longtemps le président de l’association).
La Lettre fut une commande que je lui passai à l’occasion d’une présentation du Cycle à la bibliothèque municipale d’Angers, à l’automne 1995. L’équipe de la bibliothèque, menée par Agnès Chevalier, était alors ouverte sur la création. Malheureusement, le départ de la conservatrice en chef, en début d’année 1996 si je me souviens bien, entraîna la dislocation de l’équipe qui l’avait suivie : Louis Torchet, un médiéviste amateur d’éditions rares – qui se régalait avec les tirages de tête de Deleatur –, rejoignit la bibliothèque d’Autun, où il put se plonger dans les manuscrits et les incunables ; quant à Jean-Claude Gautier, il repartit vers sa terre d’origine et devint un des référents de la DRAC d’Aix-Marseille pour le livre. C’est le seul avec qui j’ai toujours contact.
Donc, comme une sorte de chant du cygne de nos belles collaborations, que je savais à leur terme, j’avais proposé à l’équipe de bibliothécaires un rendez-vous autour des Contrées – dont seuls étaient disponibles à l’époque Les Jardins statuaires Le Veilleur du Jour (les deux chez Flammarion), La Clef des ombres (Zulma), les Carnets de l’explorateur perdu (Ombres), ainsi que les deux fragments des Voyages du Fils, parus dans la collection Les Indes oniriques : L’Homme nu chez Deleatur ; Les Lupercales forestières aux éditions du Lézard – en effet, cette collection avait vocation à être nomade. Le troisième volet, L’Auberge verte, devait paraître au Fourneau mais cela ne se fit pas ; il fut agrégé lors de l’édition des Voyages, toujours dans la collection Les Indes oniriques, mais chez Ginkgo, en 2007.
J’avais demandé à Jacques une sorte d’abstract, comme disent les universitaires, qui permette aux personnes présentes à la soirée de la bibliothèque d’avoir un aperçu de l’ampleur de ses paysages intérieurs. Notons que la Lettre est écrite par Ludovic Lindien, qui jouera un rôle prépondérant dans les deux derniers romans du Cycle, parus peu avant la mort de l’auteur.
Ce qui est singulier dans le process d’écriture de Jacques Abeille, c’est à la fois un schéma d’ensemble qui l’habitait depuis la fin des années 70 – il me confiait en 1984 qu’il avait le plan de tous les livres du Cycle en tête – et sa capacité à y agréger des épisodes épars qu’il n’avait pas nécessairement conçus pour cela : par exemple Louvanne, qui parut à l’enseigne de Deleatur en 1999.
Je ne sais pas… et qui pourrait le savoir ! – si l’apparition de Ludovic Lindien dans la Lettre de Terrèbre fut l’élément déclencheur de son rôle essentiel dans les romans finaux ou si Jacques Abeille avait déjà prévu pour lui cet avenir lumineux.
 
Détail amusant : sur le rabat de couverture, dans la bibliographie de Jacques Abeille (qui s’est étoffée depuis !), pour les romans de Léo Barthe, il est précisé qu’ils sont traduits du terrébrin par Georges Le Gloupier, l’alias de Jean-Pierre Bouyxou, auquel Jacques était très lié, notamment lors de leur jeunesse bordelaise.

dimanche 19 novembre 2023

George Auriol : Monogrammes et cachets

Salauds d'athées...

Une petite chose m’amuse beaucoup lorsque l’on croise une critique du fanatisme religieux : l’on trouve presque systématiquement un contradicteur vous signifiant que ce n’est pas mieux du côté des athées, et de citer comme exemple Pol Pot et Staline. On a été voir du côté de leur bio sur ouikipédia :
 
En 1934, Saloth Sâr [véritable nom de Pol Pot] est envoyé par son père à Phnom Penhnote pour parfaire son éducation (le village ne possédant ni école ni wat), comme son grand frère Chhay avant lui. Il intègre le Wat Botum Vaddei, un monastère-école à proximité du palais royal et tenu par le Dhammayuttika Nikaya, proche du pouvoir. Véritable village, ce wat accueille chaque année une centaine de novices, âgés de 7 à 12 ans. L'éducation religieuse qui y est apportée est rigoureuse, l'organisation de la vie des apprentis et des moines stricte et l'individualité prohibée. Saloth Sâr y passe un an et semble avoir apprécié cette période.
 
Après avoir brillamment réussi ses examens, Iossif Djougachvili [alias Staline] entre en 1894 au séminaire de Tiflis et y reste jusqu'à l'âge de 20 ans. Il y suit un enseignement secondaire général avec une forte connotation religieuse. Surnommée le « Sac de pierre », l'école a sinistre réputation.
...
En décembre 1941, alors que les Allemands approchaient de Moscou, Staline aurait ordonné que l'icône [Notre-Dame de Vladimir] fût placée dans un avion qui fît le tour de la capitale assiégée. L'armée allemande commença à se retirer quelques jours après.

La formation des élites, y’a rien de tel…

samedi 18 novembre 2023

Une historiette de Béatrice

La fillette s'adresse à eux en disant « Père », « Mère ».
Les parents l'appellent par son prénom : Adélaïde.
Ce beau monde se vouvoie, dans ma boutique, au Petit Bayonne, au xxie siècle.
Adélaïde m'appelle « Madame » pour me remercier d'avoir cherché le titre qu'elle souhaitait.
Sa mère lui explique que je suis payée pour cela.
Au cas où certains en douteraient encore, je leur confirme que nous sommes bien au mois d'août. Les résidences secondaires dynastiques sont remplies.

jeudi 16 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 14


Pierre Laurendeau
Le Piège

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques jolies guêpes.



Le Tenancier : Joli conte cruel que ce Piège ! Dans ton dernier recueil (Le Passage clandestin, dans ta collection Samizdat) tu fais le compte de tes influences : Topor, Bettencourt et Cavazzoni — encore un auteur à ajouter sur ma liste. Faut-il également songer à Jacques Sternberg ?
 
Pierre Laurendeau : Sternberg ? Je n’y avais pas songé ! Merci de me le rappeler… Ce Piège a été écrit une fin d’été particulièrement riche en guêpes et frelons. Nous avions installé sur la terrasse un piège à guêpes très simple : on découpe une bouteille d’eau minérale aux deux tiers et on inverse la partie haute, qui devient entonnoir. Dans la partir basse, un mélange de substances à base de miel (pour les riches) ou de sucre (pour les pauvres). L’an dernier, notre petit-fils, Martin (5 ans), nous a suggéré d’ajouter au mélange du café. Les pièges ont été redoutablement productifs : guêpes et frelons se piétinaient littéralement jusqu’à former une couche compacte de quelques centimètres d’épaisseur, les vivants pataugeant dans une espèce de boue constituée du liquide initial et des morts. Plusieurs scènes de cannibalisme pour ajouter une touche d’horreur à ce spectacle peu ragoûtant… Et je pensais à mon conte, cruel certes, mais bien plus fade que la réalité !

mercredi 15 novembre 2023

Avertissement

Je frissonne à l’idée que des locdus de bas étage, des ambitieux sans scrupules, des amoindris, des refoulés, des invertébrés, des combinards, des zaprogains, des vicieux et des pommes-à-l’eau pourraient avoir la prétention de se reconnaître dans les merveilleuses pages qui suivent.
Cette histoire est fictive ainsi que tout son matériel. D’ailleurs la vie ne serait pas fichue d’inventer des trucs pareils.
Qu’on se le dise !
      S.A.
San Antonio : Le coup du Père François (1963)

mardi 14 novembre 2023

lundi 13 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux édition Deleatur — 13


Charles Perrault
Le Petit
Chaperon rouge

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques croqueurs de galettes



Le Tenancier : On oublie un peu trop souvent la cruauté des contes de Perrault et en général des littératures enfantines des siècles passés. Serait-ce par hasard le terreau d’un certain fantastique qui se développe de façon souterraine en France et dont on découvre des résurgences ici et là, comme dans cette collection ?
 
Pierre Laurendeau : Tu as raison, ô Tenancier ! Les contes pour enfants sont cruels, c’est en cela qu’ils sont formateurs de défenses psychologiques. Un enfant qui ne lirait que des histoires de parents séparés et de classes multiculturelles (je ne dis pas qu’il n’en faut pas) ne connaîtrait pas ce frisson salvateur de la peur du loup. L’hiver dernier, nous avons accueilli à la montagne une nièce de ma femme, qui est venue avec sa fille de 7-8 ans, très dégourdie et d’une curiosité de tous les instants… Je les ai emmenées se promener au-dessus de notre maison et, tout en marchant dans la neige, j’ai parlé du loup, très présent dans notre coin des Hautes-Alpes. Je sentais la jeune Manon à la fois excitée et inquiète. « Tu crois qu’on va en voir un ? » me demande-t-elle. Je lui réponds : « C’est peu probable, mais on verra peut-être ses traces dans la neige… » Juste à ce moment-là, nous débouchons sur un pré (enneigé) avec un reste de massacre de chevreuil – du sang, des poils et une mâchoire inférieure caractéristique. Je me tourne vers Manon, un peu inquiet : « Hum… là, ce n’est pas très cool… » Elle se précipite vers la mâchoire : « Génial ! » Et, se tournant vers sa mère : « Est-ce qu’on peut la rapporter chez nous ? » L’anecdote est révélatrice de l’écart entre l’idée que se font les adultes (notamment les éditrices jeunesse) de ce qu’un enfant peut « encaisser » et l’envie qu’ils ont de se mettre en inquiétude !
Les contes de Perrault, ou ceux des frères Grimm jouent de ce ressort, de même que les récits d’aventures comme L’Ile au trésor, avec l’inquiétant Long John Silver…
D’ailleurs, les éditions pour la jeunesse du Petit Chaperon rouge omettent bien souvent la moralité finale, qui contient un avertissement explicite :
On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,
De tous les loups sont les plus dangereux.