Série d'annonces illustrées par André François
(Revue Graphis n°58 — 1955)
[…] Le point d’exclamation attire trop l’attention, comme
tout ce qui est debout. Il courbe pas l’échine comme l’accent circonflexe, il n’est
pas tronçonné comme le point de suspension, il ne se met pas à plat ventre
comme le tiret, il ne remue pas la queue comme le point virgule, il ne fait pas
de la fumée comme le point d’interrogation, il n’est pas chiure de mouche comme
le point t’à la ligne. Lui, c’est le de Gaulle de la ponctuation. La vigie !
Le ténor. Son nom l’indique : il s’exclame ! Il clame ! Il
proclame ! Il déclame ! Il réclame ! Il véhémente ! Il
flambergeauvente ! Il épouvante ! Je t’aime, suivi d’un point d’exclamation
ou d’un point de suspension n’a pas la même sincérité, ni la même signification.
On ne peut pas dire merde ou vive la France sans point d’exclamation. Que
ferait un commandant de bateau au cours d’un naufrage, s’il n’avait pas de
point d’exclamation à mettre au bout de « Les chaloupes à la mer ! ».
Je vais vous dire ; je le veux comme épitaphe. Sur ma tombe, tout seul, mais gros comme ça : un point d’exclamation, je vous en supplie. Pas mon blaze, ni mes dates-parenthèses. À quoi bon ? Pas de croix non plus. Dieu me reconnaîtra sans l’emblème de sa guillotine. Simplement, pour ma satisfaction posthume, ce signe typographique, dressé comme un bâton d’argent au milieu de la foule. D’ailleurs, n’est-il pas employé sur certains panneaux de signalisation du code routier ? |
Pour une bonne Salade César, il faut une formation en tortue |
« [Dans la charrette, en allant vers l'échafaud,] Fabre se lamentait encore sur la perte de sa comédie, ce qu'entendant, le même Danton lui dit en riant : "Des vers, avant huit jours tu en feras plus que tu ne voudras, et nous aussi." »Mémoires des Sanson — Paris 1863
« Parfait !Nous allons jouir de ces trois interventions comme il se doit, bien entendu. Mais la saveur de la dernière nous a fait redescendre un peu, tout en nous faisant rire…
Nous tenons le bon bout, comme disait la péripatéticienne à son client. »
Il n’y avait que quelques pas à faire, je retrouvai le
bouquiniste, un peu avant la rue Cambronne. Celui que Katz mentionnait dans son
carnet. Une boutique modeste, étroite, avec des boîtes sur le trottoir.
Quoi ? Des vieux polars, comme il convient, Série noire cartonnée,
vieilles revues Ellery Queen, Mystère
Mag. Un mystère, La Chouette. Des livres aussi de Calet, de Guérin. Des
Huguenin, beaucoup de Céline, de Drieu. Tout un programme éclectique un peu
trop proclamé. La vitrine était touchante. Son fond était un grand classement
de tranches de livres, sur étagères. Plusieurs de ces tranches étaient
manifestement truquées, des leurres permettant au libraire, de l’intérieur, de
surveiller la devanture, la fauche éventuelle. Ce qui suffisait à classer le client
comme pas bien franc du collier.
Je m’attardai un temps devant cette vitrine. S’y mêlaient agréablement des éditions rares de Cocteau et des accumulations de Paris-Hollywood, Péret et Vaché, Midi-Minuit première série, etc. J’entrai. L’intérieur était un parfait capharnaüm. Sans logique apparente s’offraient des piles de Radar, de Match, des bandes dessinées : Cosmos, Big Boss, Blek, etc. Passons sur Cinémonde, Jeunesse Cinéma, Top. Il y avait ça et là des enseigne émaillées, Banania, Cadum, Kub, des Dinky Toys, des poupées Barbie et d’assez rares figurines Mokalux. En d’autres temps, je me serais refait une mémoire débonnaire, avec quelques achats de base. Ces bricoles amassées, je les connaissais bien, je les avais perdues dans des séparations, des divorces, des oublis purs et simples, des prêts négligents. Le solde avait été cambriolé. L’entrée était libre, on ne se précipitait pas sur le client. Je pus fouiner tout à loisir tout en sentant une présence vigilante dans l’arrière-boutique, dont l’issue était planquée derrière un empilement de romans-photos vaguement érotiques. Le librairie fit enfin son apparition. Un homme petit, sans âge, aux gestes furtifs. Il portait un béret crasseux, une longue blouse grise d’instituteur ou de magasinier, c’était caricatural jusqu’à provoquer le malaise. Blaise — j’eus instantanément la certitude qu’il s’agissait de lui — avait négligé de se raser depuis un jour ou deux. Sa barbe était blanche, tout à la fois drue et clairsemée. L’un de ses yeux était blanc, avec une paupière morte, à demi close. Une profonde cicatrice en étoile marquait le front, se prolongeait vers le haut du crâne. Blaise boitait. Il donnait l’impression d’être cassé de partout, esquinté, mais obstinément solide, avec du défi anxieux dans son regard de borgne rescapé. Il se taisait. Je continuai à fouiner. Manière de faire éprouvée. Histoire de gagner du temps. Je feuilletai assez longuement un numéro de Paris Magazine, revue légère d’avant-guerre, avec des photos de Kertész, Man Ray. Des photos de charme, comme on dit maintenant. L’œil du vieux était insupportable. Je me retournai. L’infirme n’avait pas bougé. — Vous êtes Blaise. Pas un de ses traits ne frémit. À peine la paupière se fit-elle plus lourde. Pure impression de ma part peut-être. — Vous êtes Blaise. J’aimerais que vous me parliez d’Alfred Katz. L’irruption fut immédiate, brutale, jaillie de l’arrière-boutique. Une pile de bouquins s’écroula dans la brusquerie du mouvement, parmi eux des numéros de Signal, le magazine illustré collaborationniste, pendant l’Occupation, d’autres de Je suis partout. L’homme s’interposa entre moi et Blaise. Haut de taille, blazer élégant. Un sportif hâlé, puant l’eau de toilette. Il se fabriqua un sourire, me prit fermement par l’épaule. — Sortons, voulez-vous ? |