mercredi 3 juillet 2024

Note de service

Votre Tenancier, loin d'être frappé de stupeur par la situation présente, a choisi de ne pas trop se mêler des conneries électoralistes, sachant depuis environ l'âge de 16 ans que le véritable combat antifasciste ne consiste pas à faire sa petite cochonceté dans l'urne de temps en temps. Alors, en attendant de savoir quoi faire avec les bonnes personnes — qu'on se rassure, le Tenancier abhorre la violence — il bricole des trucs dans son coin, comme refaire son site d'auteur de fond en comble.
Cliquez donc sur l'image...


Pour le reste, on recausera de la longueur de la laisse, peut-être ici, peut-être ailleurs, mais un peu plus tard...

samedi 29 juin 2024

Du bon usage des citations

Parce que « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre »*, j’ai gardé en mémoire qu’à chaque fois que la gauche avait affaire au mouvement libertaire, en Russie, en Ukraine, en Espagne, à Cuba ou ailleurs, leur flicaille ou leurs militaires s’arrangeaient pour les éliminer, histoire de donner un coup de main aux fascistes qui n’en demandaient peut-être pas tant. Avec de tels « amis » ont est assuré de ne jamais se tromper.
Vous pouvez toujours vous brosser pour que je vous donne un coup de main.
Démerdez-vous.

* Churchill



jeudi 27 juin 2024

L'invention du professeur Lambeke

Votre Tenancier propose à travers ce récit une nouvelle acception pour l'expression française « Manger la grenouille » dans les colonnes du huitième numéro de Lard-Frit, revue éclectique, donc ouverte également aux sciences...

Abonnez-vous, réabonnez-vous, qu'ils disaient vous verrez du pays et aussi des articles que l'on peut, à l'instar d'un journal célèbre, feuilleter en croquant du chocolat.
Pour se faire, c'est ici, m'sieurs-dames !
Vous allez goûter un moment de répit après cette frénésie de parutions pour le soussigné, jusqu'au moins à la rentrée ou jusqu'à l'automne. L'on vous tiendra au courant, vous pensez bien...

dimanche 23 juin 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Tiens, ça fait longtemps que le Tenancier ne vous a pas causé de ses acquisitions de bouquins. Il a un tel retard qu’il se sent incapable de le combler, sous peine de vous emmerder. On passera donc sur les trouvailles d’occasion de la boîte à livre locale, plutôt du tout-venant destiné à rassasier sa curiosité autour d’auteurs comme Daphné Du Maurier, par exemple. Mission accomplie : Les Oiseaux valent mieux que le récit qu’on aurait pu déduire du visionnage du film qui a peu à voir en définitive sinon l'agression volatile et correspond d’ailleurs au type de nouvelle que le soussigné apprécie, parce qu’il ne comporte pas forcément de justification. Mais on cause, on cause et voici que l’on vous parle de bouquins que l’on ne devait pas évoquer selon notre déclaration liminaire. Voilà ce que c’est d’être bavard.


On achète peu par ici de livres neufs, ou alors lorsqu’ils relèvent d’un intérêt particulier pour le Tenancier. Ainsi, écoutant une énième fois le Voyage d’hiver par Dietrich Fisher Dieskau, je m’aperçus que, comme je ne pratique pas la langue allemande, je ne connaissais pas le texte excepté dans des livrets de CD microscopiques, fait fâcheux, tout de même. Surpris par le fait que je ne trouvais pas les poèmes de Wilhelm Müller dans les anthos sur le Romantisme dans ma bibliothèque, je l’ai donc commandé. Voilà, le Tenancier se cultive.


Puis, parce qu’il se trouvait à prendre sa commande, le Tenancier s’est laissé piéger par l’achat complémentaire (vous savez, la boîte de cirage qu’on tente de vous fourguer avec l’achat d’une paire de targettes) en se souvenant qu’il avait passé un peu de son enfance à Bruxelles et qu’il en garde un une saveur poétique liée à la ville, retrouvée d’une certaine manière lors d’un passage récent. Était-ce une raison pour prendre ce petit livre de Grégoire Polet : Petit éloge de la Belgique ? Ou alors eût-il mieux valu me contenter du recueil Lagune morte de Dominique Warfa, auteur belge de SF, très inspiré dans ses premiers textes par les expériences chronolytiques de Michel Jeury. Est-ce encore en rapport avec la belgitude ? Oui, mille fois oui, la frontière avec la Belgique est une porte entre les mondes et je regrette parfois de ne pas y avoir un pied ancré de chaque côté.


Tout ceci est nostalgie : celle de l’enfance à apprendre à compter avec des nonante et des septante et celui d’un univers de la SF dont je me suis séparé depuis pas mal d’années désormais. Nulle aigreur dans la distance pour l’un et vive envie de faire de nouveau un tour dans les périphéries de Bruxelles, parce qu’une ville devait selon moi se découvrir aussi par ses limes. Vous vous en moquez, naturellement, et je ne vous donne pas tort. D’ailleurs tout n’y fut pas merveilleux, parce qu’on me forçait à bouffer des chicons à la cantine et que je trouvais ça dégueulasse. Cette répugnance est devenue définitive, fort heureusement, elle ne portait que sur cela et elle est peu littéraire.


Mais alors, pourquoi, Tenancier, pourquoi cet achat du bouquin de Scholem ? Eh bien, voici le livre type d’un achat prémédité, mais dont l’intérêt de départ fut purement accidentel. Par un concours de circonstances qu’il a oublié, votre Tenancier s’était retrouvé un dimanche matin à allumer la téloche sur deux doctes rabbins en train de converser sur la signification et la force symbolique des lettres dans la tradition juive — toutes choses, excepté pour les lettres, foncièrement étrangères aux habitudes et aux intérêts du Tenancier qui n’a rien d’un mystique. La curiosité l’emporta tant qu’il garda cet épisode en mémoire. L’épisode ne s’arrête pas là, bien sûr. Il continue avec la rencontre avec une œuvre de fiction ou cette relation à la lettre se révélait sous-jacente, mais difficile à analyser lorsque l’on n’en possède pas une certaine culture. Or, l’épisode des deux rabbins restait assez vivace pour que l’on effectuât un rapprochement et que l’on désirât en savoir plus et comprendre peut-être une clef cruciale de ce récit. On travaillera peut-être sur le sujet un jour, raison pour laquelle on ne vous en dit pas plus… En attendant, on méditera sur le Golem comme préliminaire. Cela ne mènera peut-être à rien, mais il faut savoir s’amuser dans la vie, non ?


Cela nous mène au dernier livre pour ce billet. On le lui a conseillé. Il ne sait plus qui (et qu’il lui pardonne !) parce qu’il traînait depuis quelque temps dans la liste des futures acquisitions. Le Tenancier rate toujours son coup. Il aurait voulu être dans le Guide de Nulle part et d’ailleurs, mais il est arrivé trop tard avec son Fleuve. Il espère correspondre au moins à l’un de ces types décrits dans ce bouquin-là. Cela le rassurait. Être conscient de son inutilité l’exempterait du qualificatif de parasite, par exemple. Bref, plus que par une hagiographie, votre Tenancier aimerait exister dans certains livres par la bande, comme il aimerait explorer les villes par leurs périphéries. Il n’aura ni l’un ni l’autre et il vaut mieux. Et puis le fantasme se révèle bien banal...
Que de livres neufs ! Eh bien, croyez-le ou non, cela va continuer dans un futur billet de cette rubrique.
 
Daphné Du Maurier : Les Oiseaux et autres nouvelles, traduit de l’anglais par Denise Van Moppès et Florence Glass — Le Livre de poche (1964)
Wilhelm Müller : Le Voyage d’hiver, traduction de Jean-Pierre Siméon — Les Solitaires Intempestifs (2011)
Grégoire Polet : Petit éloge de la Belgique — Folio (2024)
Dominique Warfa : Lagune morte et autres nouvelles — Espace Nord (2024)
Gershom Scholem : Le nom de Dieu et la théorie kabbalistique du langage — Traduit de l’allemand par Thomas Piel — Allia (2018)
Ermanno Cavazzoni : Les écrivains inutiles, traduit de l’italien par Monique Baccelli — Éditions Attila (2010)

mardi 18 juin 2024

Une historiette de Béatrice

— Allô bonjour madame, je voudrais savoir si vous avez Les quatre accords toltèques.
— Non madame, désolée
— Ah bon? Vous ne l'avez pas? C'est pourtant un très bon livre.

lundi 17 juin 2024

Troupeaux mélancoliques bondissant dans les prés


Le Tenancier s’excuserait presque de continuer à vous avertir de la parution d’une nouvelle histoire, cette fois-ci dans la revue l’Ampoule, où il se montre assidu, à l’instar de quelques autres revues. Le Tenancier est un homme heureux, dans une période fertile... Ajoutons quelques heures plus tard que, lorsque votre Tenancier fait état d'une période fertile, elle concerne ses écrits et non le merdier dans lequel nous nous apprêtons à patauger. La précision valait la peine d'être mentionnée.
Pour le sommaire complet, allez donc ici.

vendredi 14 juin 2024

Où Le Tenancier se trompe, ça ne peut être que cela, enfin...

Nous voici donc en « temps de crise » — comme si elle ne perdurait pas depuis des décennies —, où les volontés s’affirment devant l’hydre hideuse du fascisme qui s’expose désormais au grand jour… en signant une pétition. Quelques auteurs des « l’imaginaire », désignation absurde si l’on considère que la littérature procède en général de ce postulat (relisez donc Flaubert), ont donc signé un appel dans les colonnes de l’Huma : Pour le Front populaire… On dauberait facilement le discernement qui consiste à se manifester chez les héritiers du stalinisme et ce ne serait guère charitable, nous disant que la bonne volonté ne se révèle pas un gage de culture politique ; on pourrait souligner l’humour involontaire qui vise à vouloir réveiller les vieilles lunes d’une gôche fantasmée, mais l’excellent blogue Dans l’herbe tendre le fait bien mieux que moi ; on pourrait s’interroger sur la pulsion soudaine qui pousse à cette brusque conscientisation en collant son nom dans une liste, pour signifier quoi, au fond… On se rassure en constatant que cette tribune bien sage appelle au vote. J’espère que cette audace troublera le sommeil de la bête immonde. Après tout, on a bien réussi la dernière fois en élisant Macron et en barrant la route aux fachos, non ? Alors, pourquoi pas pour un nouveau sauveur ?
Je me trompe ?



Merci à Dans l'herbe tendre pour l'illustration musicale...

jeudi 13 juin 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 37


Xavier Forneret
Le Diamant
de l'Herbe

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques passionnés



Le Tenancier : Cher Pierre, tu as en commun avec Éric Losfeld (copiste à la BN) et Guy Levis-Mano d’avoir publié ce Diamant de l’Herbe. Il y a chez Deleatur un attrait véritable pour un certain fantastique de tradition française hérité du Romantisme et un certain goût du télescopage entre anciens et moderne. On retrouve cette dilection dans la collection L’Ange du Bizarre que tu diriges chez Ginkgo…
 
Pierre Laurendeau : J’ai découvert Forneret grâce à l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton (personnage pour lequel j’ai peu d’amitié mais beaucoup d’estime pour son flair incroyable !). Breton avait publié dans son Anthologie un poème « savoureux » de Forneret racontant comment un homme réduit à la famine en venait à manger une de ses mains. Mais c’est grâce au cher Éric, et à la belle collection « Le Terrain vague », que j’ai lu pour la première fois Le Diamant de l’herbe, ce conte ultra-romantique mettant à l’honneur le ver luisant.
Deux anecdotes. L’une concerne Losfeld, à qui, dans les années soixante-dix, je rendais fréquemment visite dans sa librairie de la rue de Verneuil (Paris, France). À au moins deux reprises, je l’ai vu vendre le « dernier exemplaire » de Saroka la Géante, le superbe livre de collages de Carelman (Losfeld m’avait également raconté qu’un hiver, une superbe femme en manteau de fourrure était entrée dans la librairie pour acquérir le premier tome des œuvres complètes de Benjamin Péret ; en guise de paiement, elle avait ouvert son manteau sous lequel elle était nue – Losfeld mettait tant de conviction dans le récit de ses anecdotes qu’on finissait par le croire !).
Deuxième anecdote, concernant Forneret. Un jour, à la librairie Obliques, je tombe sur un échange (verbal) entre un client et Michel Camus, le libraire (qui n’avait pas encore fondé sa maison d’édition, Lettres vives) ; le premier tentait de lui vendre l’édition originale de Sans Titre, par un homme noir blanc de visage* de Forneret pour la coquette somme de 3 000 francs, que je n’avais malheureusement pas à l’époque…
Parmi les éditeurs du Diamant de l’herbe, tu pourrais citer également les éditions des Cendres, en 1983.
 
*
 
Tu as raison de mentionner la dilection particulière du boss de Deleatur (récemment promu animateur de la collection « L’Ange du Bizarre », chez Ginkgo) pour une certaine veine fantastique ou onirique, en tout cas inclassable, de la littérature française, qui plonge ses racines dans les « petits » romantiques (appellation méprisante des « vrais » critiques) – et peut-être même avant – et se déploie pendant les xixe et xxe siècles en marge des divers courants littéraires dominants, s’y frottant parfois mais restant toujours dans l’ombre d’une sorte de clandestinité singulière – jusqu’à ce début pitoyable de xxie siècle, où les rares conteurs (au rang desquels je relève un certain Yves Letort) se réfugient chez des éditeurs qui n’ont guère pignon sur rue, et encore moins accès aux couloirs sentant l’eau bénite de Télérama.
S’il y a encore des amateurs de littérature au xxiie siècle (on n’est même pas certain qu’il restera des humains…), il est possible que de la masse engloutie des bestselleurs d’aujourd’hui émergent pour eux les diamants bruts d’une littérature en clair-obscur.
 
* Du moins il me semble. Je possède la réédition de 1978, aux éditions Toth.

mercredi 12 juin 2024

Tout compte fait...

Je déteste Céline et je n'ai pas ses livres dans ma bibliothèque. Je possède des livres d'autres auteurs qui se sont révélés antisémites ou racistes et je me sens assez adulte et au courant pour savoir que je ne serai pas influencé par les conneries qu'ils professent. Ce n'est pas parce que je suis confronté à une chose, que je lis un livre, que je passe sous une statue, que je regarde un film, que je vais automatiquement adhérer à ses idées. Je décide tantôt de m'y confronter, tantôt de m'en foutre ou de ne pas les accueillir chez moi. Je ne suis pas un enfant et j'ai cessé d'être influençable (si tant est que lire un livre puisse effectuer ce miracle sur mon pauvre intellect) par ce qu'on me met sous les yeux. Tintin m'emmerde puissance 10 et je le trouve raciste. Ce n'est pas pour autant que je vais demander son interdiction, je me contente de ne pas abonder et d'afficher mon indifférence et de signaler que « cela m'emmerde et que je trouve ça raciste ». Généralement je passe au large parce que les tintinophiles m'ennuient tout autant. Il ne me viendrait pas à l'idée de le brûler en place publique. J'ai regardé Naissance d'une Nation et Autant en emporte le vent, je ne me suis pas coiffé d'une cagoule, je n'incendie pas des croix parce que je suis tombé un jour sur ces productions. Je ne les reverrai pas, parce que le propos est en dehors de mon éthique personnelle. Je ne fais pas de réclame pour des choses qui sont en opposition avec ce que je suis, même si je m'y confronte à l'occasion. Croire qu'une œuvre de l'esprit, une quelconque représentation risque d'influencer les individus, c'est adopter un point de vue infantilisant, c'est décider au nom des autres ce qu'ils doivent regarder parce que nous serions incapables d'une conduite ou d'une réflexion morale face à une production en contravention avec nous-mêmes. Qui sont-ils pour décider cela ? Qui peut décider à ma place ce que je peux voir ou lire ? Qui peut se réclamer d'une telle hauteur, au point de régenter mon rapport avec le monde, parfois dans ce qu'il a de pire ? Je ne vois qu'une possibilité valide : nous-mêmes, pour nous-mêmes. Et personne d'autre...
Ce texte, écrit ailleurs il y a quatre ans, semble bien naïf, soudainement, car il présumait de l’intelligence de nos contemporains. À l’heure de la sottise en voie de généralisation, le Tenancier se demande s’il réécrirait cela à l’identique.

mardi 11 juin 2024

Note à benêt

On savait que le libéralisme ouvrait volontiers les portes au fascisme, on ne pensait pas que cela se passerait si vite, « au débotté », en quelque sorte. Le Tenancier a tenu a marquer le coup (encore un mot malheureux) par un écran noir. Il va reprendre ses activités habituelles pour quelques temps. Ensuite, il avisera.

vendredi 7 juin 2024

Une historiette de Béatrice

(Suite de la précédente historiette) :
Elle a décidé d'explorer le rayon histoire, déçue que je n'aie rien sur Alexis de Rosenberg, ce « grand collectionniste ayant écrit des chefs-d’œuvre ». Elle explore. Et me demande, chaque fois qu'elle sort des rayonnages un livre, si je l'ai lu. Au bout du dixième je tente de lui expliquer que je n'ai pas lu tous les ouvrages de la boutique, en y mettant les formes.
« Oh mais que vous êtes désagréable, j'ai vraiment du mal avec les personnes impolies, j'ai longtemps vécu en Angleterre, les gens sont tellement polis là-bas et ici j'ai tellement de mal. »
Et c'est là que l'autre client présent m'a fait un clin d' œil et un grand sourire. Heureusement.

mercredi 5 juin 2024

Vues des rives


Neuf ans après avoir rassemblé les nouvelles du Fleuve dans un recueil homonyme (Le Visage Vert, 2015), cinq années écoulées depuis le roman se rattachant à ce cycle (Le Fort, L’Arbre vengeur, 2019), l’on éprouve une certaine joie à vous présenter le petit dernier de chez Letort, Vues des rives, recueil de vingt-deux nouvelles qui complète cet univers. Certains textes consistent en des reprises de publications en revues — L’ampoule, Le Novelliste et Le Visage Vert —, d’autres sont inédits. On y trouve également, outre la superbe illustration de couverture de Marc Brunier-Mestas, huit dessins de Céline Brun-Picard et un d’Élisabeth Haakman.
Mais, au-delà de l’énumération des nombreuses (on s’en doute) qualités de l’ouvrage, il devient nécessaire d’insister sur la préface de Mikaël Lugan dont on souhaite à tout auteur d’hériter d’un travail similaire ! La première lecture de Mikaël s’est révélée très émouvante, en découvrant sa perspicacité et sa compréhension intime de tout le cycle du Fleuve. Au fond, on se demande si l’on a mérité une telle attention. Quoi qu’il en soit, le livre est publié et il marque un jalon important pour la continuité du cycle, non parce qu’il y recèlerait un texte exceptionnel ou « explicatif », mais parce que l’ensemble étoffe un univers encore à la veille de s’enrichir. Du moins, en souhaitant qu’une espérance de vie clémente le permette.

Yves Letort : Vues des rives – Le Visage Vert, 2024

lundi 3 juin 2024

Sobre et élégant

Avec l’âge, votre Tenancier prend garde aux machins trop gras et ce n’est qu’au hasard d’une promenade sur les réseaux sociaux qu’il a remarqué le logo de cette charcuterie qui semble retenir l’intérêt des amateurs. Très bel effet, sobre et très élégant travail avec une police Elzévir, je crois… Hélas, je n’ai pas trouvé le créateur de ceci. Si vous avez des lueurs de votre côté…

Logo Maison Verot

samedi 1 juin 2024

Bibliographie commentées des Minilivres aux éditions Deleatur — 36


Jacques Abeille

Le peintre défait
par son modèle

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : Je connais peu d’écrivains capables d’une tension dans le style, telle que la pratiquait Jacques Abeille. L’évocation d’un peintre dans son atelier et de l’inévitable intermède érotique s’écarte de toute banalité, en peu de mots. Il faut rappeler que Jacques Abeille n’était pas tout à fait étranger avec l’univers pictural.
 
Pierre Laurendeau : Lorsque j’ai lancé la collection des Minilivres, Jacques Abeille n’était pas plus enthousiaste que cela (contrairement à la Nouvelle Postale, à laquelle il avait adhéré tout de suite, avec Le Voyageur attardé). La parution de La Lettre de Terrèbre (numéro 15), puis la reprise d’Un cas de lucidité (numéro 23) a créé une sorte de rendez-vous régulier, avec des propositions toujours calibrées pour la collection.
La relation du peintre et du modèle (qui horrifierait aujourd’hui les tenantes d’un féminisme antisexuel) est très présente dans l’œuvre de Jacques – surtout chez Léo Barthe, son double pornographe (notamment le dernier ouvrage paru à la Musardine, Princesse Johanna).
Jacques Abeille, qui enseignait les arts plastiques dans un lycée bordelais, a toujours dessiné et peint. Les enveloppes de ses courriers, en papier bulle marron, étaient souvent agrémentées de petits tableaux semi-abstraits. Il serait amusant de les exposer, car je pense ne pas avoir été le seul destinataire de ces œuvres éphémères. Entre les cours, il ramassait les « épaves » de ses élèves et se laissait aller à des rêveries graphiques en utilisant les accidents des ébauches ou des découpes du papier.
 
Pour revenir au Peintre défait par son modèle, citons l’incipit : « Dans le tableau que nous avons inspiré au peintre les personnages ne nous ressemblent pas trait pour trait. Toutefois, dans l’image on retrouve la lumière de notre histoire. En ce temps-là, je voulais être un peintre et vous étiez mon modèle préféré. Vous étiez très jeune et, d’apparence, très sage. Je vous revois dans cette robe ample qui ne laissait soupçonner qu’à peine votre corps. »
Que dire de plus ?

mardi 28 mai 2024

Une historiette de Béatrice

Elle entre, sans répondre à mon « bonjour ! » et se plante devant le bureau en regardant partout. Je me dirige vers elle en lui souriant, et elle me parle :
— Pourquoi vous me regardez comme ça ?
— Pardon ?
— Qu'est-ce que vous avez à me regarder comme ça ?
— Je viens simplement vers vous au cas où vous auriez une demande particulière, madame. (Reste calme, respire)
— Dans ce cas, vous me dites « puis-je vous renseigner ? » et vous ne me regardez pas comme ça !
Et là, je me souviens d'elle et de sa dernière visite. Ca va donner.

samedi 25 mai 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 35

René Troin

12
aventures
de Câline
et de ses amis

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en mai 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques obsessionnels du rabat



Le Tenancier : Comme dans tout texte érotique qui se respecte, y résident des aspects cachés et il existe quelques manières de déflorer un texte en déflorant un livre. Il faudrait expliquer le style curieux de René Troin dans cette suite de saynètes, en relevant des constantes dans la politique éditoriale deleaturienne : l’énumération, que ce soit sous forme de dictionnaire ou bien dans la formation de chapitres qui deviennent autant de « particules narratives »…
 
Pierre Laurendeau : O Tenancier, merci d’éclairer ma lanterne ! C’est vrai, l’énumération agit comme un vecteur stimulant dans certaines productions deleaturiennes… De là à y flairer quelque influence de l’Oulipo…
René Troin, dont le lecteur attentif et la lectrice avisée à pu découvrir le goût des contraintes dans Vingt Palindromes (Minilivre n° 33), a prolongé par ces 12 Aventures son vagabondage lettré, que l’on retrouvera dans ses romans (voir notice 33).
Ces 12 Aventures ne sont apparemment que 11 ; pour lire la douzième, il faut la « construire » dans l’esprit de l’Hypnerotomachia Poliphili (le Songe de Poliphile)*… Mais que l’on se rassure, l’éditeur a caché quelque part la douzième aventure.
L’érotisme n’a jamais été un carburant pour René, qui se livre ici au petit jeu du désir distancié. On est loin des cochonneries assumées d’un Pierre Charmoz ou d’un Hurl Barbe !
 
* On découvre qui est l’auteur de cet étrange ouvrage de la Renaissance en assemblant certaines lettres : Poliam frater Franciscus Columna peramavit (« Frère Francesco Colonna a aimé Polia intensément »).

jeudi 23 mai 2024

Trouvé dans un livre de bibliothèque

Voici une série de pages signalée par ArD : la bibliothèque publique d'Oakland aux États-Unis a répertorié tous les petits papiers — mais aussi, par exemple, une chaussette — délaissés par les lecteur en guise de signet. On aimerait que l'initiative soit reprise en France de la même manière... à moins que cela soit déjà fait.


Ça se passe ici.

mardi 21 mai 2024

Pour saluer une disparition

« […] Votre cas, j’en conviens, est un peu différent. Vous avez une réputation d’intégrité que je n’ai pas l’intention ni surtout les moyens de mettre en doute. Je dirai toutefois que cette intégrité est sans mérite puisque, contrairement aux nantis du milieu, vous n’êtes pas en mesure de la monnayer, sauf à accepter carrément des dessous de table. Si, comme la plupart, vous aviez périodiquement des textes merdeux à négocier, vous seriez probablement moins chatouilleux sur l’éthique, quelques indices le laissent à penser. Vous n’avez donc pas à faire de nécessité vertu. En réalité, vous êtes le plus malin de tous. Alors que les autres se croient encore tenus de justifier leur course au fric et aux honneurs par un ou deux volumes annuels, vous avez quant à vous bâti votre ascension en tirant habilement conséquence de votre nullité d’écrivain. Il faut dire qu’au terme de deux livres poussifs vous étiez déjà sur le flanc. À l’agonie, vous nous avez encore donné deux préfaces laborieuses, une sur le football, l’autre sur la vigne. Et puis terminé. Entretemps vous aviez compris l’essentiel, à savoir que pour réussir dans ce petit monde des lettres point n’est besoin d’écrire, puisque aussi bien les autres ne le font plus que par alibi. Votre coup de génie, c’est de les avoir résolument doublés sur leur propre terrain, en vous délestant de leurs prétextes puérils. Ne serait-ce que pour votre audace à afficher sans complexe votre néant créatif chaque semaine devant la France entière, je vous félicite. À travers vous, la France poujadiste est enfin parvenue à baiser la France universitaire. C’est un spectacle bien comique que de voir tous ces tartufes titrés et costumés venir régulièrement vous cirer les chaussures et s’extasier sur vos talents involontaires de clown médiatique, lorsqu’ils ne révèrent en vous que votre réussite matérielle et le bénéfice qu’ils peuvent accessoirement en tirer. En d’autres temps, ils n’auraient jamais eu assez de toute leur morgue pour vous mépriser. Du reste, qu’on vous savonne un rien la planche et vous verrez s’ils sont les derniers à vous tirer par les pieds. Le meilleur illusionniste ne saurait renouveler son numéro à l’infini. Pour qu’un mirage persiste, il faut le remplacer périodiquement.
Ce n’est pas un hasard si votre trajectoire personnelle passe par les droites (rassurez-vous, je n’ai pas plus de goût pour l’arrivisme de gauche). Votre itinéraire est à cet égard typique. Sans votre emploi d’alors au Figaro, vous n’auriez jamais obtenu une émission à la télévision. Polac, votre prédécesseur, venait d’être remercié pour n’avoir pas censuré deux phrases excessives sur les pharmaciens. Un remplaçant plus docile s’imposait. Non pas à la botte mais dont le profil correspondrait mieux aux objectifs informulés mais réels du pouvoir en place. Poirot-Delpech, dit-on, était sur les rangs, mais son image de gauche — il s’agit bien d’image, car pour le reste… — épouvantait ces messieurs-dames. Par ailleurs, une personnalité trop marquée à droite ne ferait pas meilleur effet, après tout nous n’étions pas si loin de mai 68. Il convenait de donner autant que possible un visage libéral à cette reprise en main. Un eunuque littéraire d’apparence apolitique ferait parfaitement l’affaire. L’avenir l’a amplement démontré, vous aviez le profil idéal de ce portrait-robot. Vos antécédents, il est vrai, plaidaient en votre faveur puisque, de l’épicerie familiale, et sans rien concéder de l’esprit petit commerçant, vous aviez réussi à vous hisser au rôle de grouillot du Figaro littéraire. Calé dans cet emploi depuis quinze ans, vous y remplissiez à peu près la fonction de Carmen Tessier, feu la commère de France-Soir. Votre mission était toutefois plus culturelle puisque consistant, pour l’essentiel, à conférer de la résonnance aux petits pets de la vie littéraire et mondaine. Sans l’aubaine de votre nomination à la télévision, vous en seriez probablement toujours à vous épanouir dans cet emploi prestigieux. Quoi qu’il en soit, on voit que vos maîtres n’avaient pas à redouter trop de subversion de votre part. Un Pivot à la télévision, c’était la garantie de dormir en paix pour longtemps. Ce n’est pas encore cette fois que la littérature changerait la vie.
L’émission précédente s’intitulait Post-Scriptum, la vôtre fut allégrement baptisée Ouvrez les guillemets. Je vous imagine cherchant péniblement un équivalent dans la colonne voisine du dictionnaire analogique. L’année suivante, remontant nettement plus haut, vous inventiez Apostrophes. »

Raymond Cousse : Apostrophe à Pivot (1983)

samedi 18 mai 2024

Courrier des lecteurs

Voici que le blogue s’adonne aux délices du courrier des lecteurs ! Dans le dernier billet qui concernait les Minilivres des éditions Deleatur, Paul se fendait d’un commentaire :
« Suis-je le seul parmi les familiers de ce blog à confondre Pierre Laurendeau et Pierre Vandrepote ? Connaissant mal l’œuvre de l’un et de l’autre bien que possédant depuis longtemps des livres de l’autre et de l’un, je suis systématiquement amené à les confondre quand leur nom apparaît dans mes lectures ou est cité dans une conversation. Suis-je le seul ? Si non, quelles pourraient en être les raisons, à part (trop facile) le prénom en commun ?
Paul »

Nous avons transmis à l’intéressé…

Cher Tenancier,

Merci de m'avoir transmis le message de "Paul"...

Je préfère être confondu avec Pierre Vandrepote qu'avec pierre de taille (bof).
Je ne suis ni l'un ni l'autre... J'ai souvenir d'avoir passé une soirée chez Vandrepote lorsqu'il habitait en Vendée (de mémoire, c'était en 1974). Nous avions discuté de poésie, bien sûr, de surréalisme évidemment... Il m'avait fait découvrir les plaquettes du Dé bleu, qui démarrait tout juste: imprimées au Stencil, une technique qu'ont bien connue les agitateurs post-soixante-huitards, et qui (souvent par les mêmes) servait également à publier de petites plaquettes - nouvelles et poésie. J'ai entretenu ensuite une longue amitié avec Louis Dubost, le big boss du Dé bleu, reconverti en jardinier depuis sa retraite.
J'ai revu ensuite Pierre et son épouse à Paris, je dirais en 1981 ou 1982 - j'ai souvenir leur avoir donné un exemplaire de Cime et Châtiment, mon premier Brigandine.
Autre souvenir: une biographie de Stirner aux éditions du Rocher, qu'il m'avait adressée, je crois - et dont je garde un bon souvenir.

On me confond également avec deux Pierre Laurendeau québécois: l'un chanteur genre Charles Trénet; l'autre spécialisé dans les ouvrages d'éducation - l'un et l'autre plus connus que moi. Une anecdote: en tant qu'adhérent à la Sofia (ouh ouh! vont faire les libraires qui ne vendent jamais mes livres), je perçois de généreuses royalties chaque année. Il y a trois ans, j'ai ainsi reçu 12,85 €, dont 8,43 € dus à mon homonyme pédagogue québécois. D'une honnêteté sans faille, je signalai l'amalgame à la Sofia, qui me remercia et me prévint que le trop-perçu serait régularisé sur les années à venir. Depuis, je n'ai rien touché: j'en déduis que le trop-perçu court toujours. J'avais signalé à mon homonyme québécois cette erreur de destination et lui avait suggéré, comme il arrive fréquemment que nos bibliographies s'emmêlent (il y a même une photo de lui qui illustre ma notice Wikipedia - et je ne sais pas comment l'enlever) que nous écrivions un texte en commun - je n'ai jamais reçu de réponse, ni en remerciement de mon honnêteté (comme quoi, ça ne paie pas!), ni pour ma proposition.
Signalons que Pierre Laurendeau (le seul, le vrai) sévit également sous de nombreux pseudonymes, dont le plus actif semble être Pierre Charmoz, le montagnard.

Voilà
Eh eh

mercredi 15 mai 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 34


Yann Frioux

La planète
Moise
en 26 lettres

Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en mars 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques Damoiselles et Damoiseaux



Le Tenancier : Visitons donc la Planète Moise… je dois avouer que l’ancien abondant lecteur de SF reste sur sa faim. Les définitions reposent principalement sur des astuces de langage qui confinent à la poésie juvénile, mais j’ai la sensation de passer à côté de la saveur de ce mini-dictionnaire illustré. On présume que les illustrations sont de Yann Frioux et s’accordent bien aux définitions. Mais pourquoi ce sentiment de frustration à la lecture, est-ce le manque de place ?
 
Pierre Laurendeau : J’ai rencontré Yann Frioux par l’intermédiaire de Pascal Proust (voir Minilivre 11). Architecte à la retraite, il s’était lancé dans des tissages monumentaux. Une exposition de ses travaux a eu lieu dans le village d’artistes de Rablay-sur-Layon, à peu près au moment de la parution du minilivre.
Yann Frioux habitait une maison qu’il avait construite lui-même, dans un village du val de Loire. Édifice d’architecte visionnaire, sorte de tipi en dur, avec une ouverture ronde – dont j’imagine que l’habitabilité devait être contraignante !
Je l’ai peu connu, suffisamment pour publier trois « planètes » : Moise, Mousse et Plume.
Tu as raison, ô Tenancier, le minilivre (ainsi que les suivants) doit plus à l’invention langagière qu’au déploiement narratif nécessaire à la description d’un monde imaginaire… Mais le projet et l’auteur m’avaient séduit par leur fraîcheur !
.

jeudi 9 mai 2024

Une historiette de Béatrice

Fin de journée, j'étais en train de fermer la porte tout en papotillant avec Corinne lorsque nous avons entendu une voix haut perchée et haut speedée:
— Ah il y a quelqu'un ici ! Tout de même ! Chaque fois que je passe devant cette boutique c'est toujours fermé ! Je passe tous les jours devant et c'est toujours fermé, c'est vrai quoi, ça vous arrive d'être là ?
— Vous voyez, je suis là. Aux heures d' ouverture qui sont affichées ici (en lui montrant, sur la porte) je suis là.
— Et voilà! ça ferme à 18h et vous, vous partez maintenant !
— Il est 18h monsieur.
— 18h passées même, a ajouté mon amie.
Et il est parti. Nous l'avons revu 15 mètres plus loin, nasillant toujours, seul, et seule la fin de sa diatribe était compréhensible :
...  « c'est un métier, artiste »...
Tu l'as dit, mon gars.

lundi 6 mai 2024

Où le Tenancier ne s'assigne pas à résidence

Votre Tenancier rédige des histoires et se prend pour un écrivain. Cela devient normal au bout d’une centaine de nouvelles publiées et encore quelques une en magasin. Le sentiment passe après quelques heures, rassurez-vous. Parfois, votre Tenancier chéri se dit qu’il expérimenterait bien ce que l’on prête aux écrivains, comme les séances de signature, événement encombrant, parce que l’on ne sait trop qu’écrire au-dessus du paraphe. Il s’y est adonné toutefois et en sort avec des sentiments mitigés. Il préférerait boire un verre et converser plutôt que de rédiger une formule sur une page titre ou de garde, c’est selon. Il s’exécute de bonne grâce, malgré tout, lorsque l’occasion se présente. Il lui prend aussi la tentation de solliciter une résidence d’écriture et renâcle au dernier moment. Si la perspective de s’exporter dans l’ex-domicile d’une célébrité (Yourcenar, Gracq, etc.) pour travailler peut ravir, l’acte comporte quelques contreparties. Outre le fait d’exhiber une bibliographie en bonne et due forme pour être avalisé, l’impétrant se voit obliger de consacrer un tiers de son temps en résidence — la règle se généralise — à causer sur des sujets imposés, ou choisis, mais qui correspondent aux mêmes critères qui ont déterminé la sélection de l’auteur, la géographie, le style, le genre, le lieu de résidence et peut-être un jour le panégyrique d’un président de région ou autre grosse légume, au train où vont les choses.
Votre Tenancier se montre volontiers logorrhéique à ses moments et il se débrouille parfois assez bien à l’oral. Pour autant, partant pour s’isoler dans un labeur de création, selon un naïf espoir, doit-il se forcer à prodiguer une « conférence » en médiathèque, dans une école ou ailleurs sur son travail d’écriture ou autre sujet pour lequel votre serviteur ne se déplacerait pas ? Votre Tenancier a écrit une cinquantaine de nouvelles et un roman autour du Fleuve. Croit-on que l’auteur se trouve à même de gloser sur ce qu’il a pondu ?
Comment peut-on penser que le travail d’écriture rend disert sur divers sujets ? Et même, ces sujets, s’il y tient, ne désire-t-il pas les garder au secret avant une restitution au bout de son clavier ? Quel foutu masochiste irait donc se gaufrer un tel pensum, à écouter ou à déclamer en public, dites-moi ? Et qui les animerait, alors ? Le soupçon se confirme, ce donnant-donnant (« En échange je te fournis la baraque et un pécule de smicard »), est destiné au corps professoral se piquant de littérature, en congé sabbatique, et qui arrondit les fins de mois en émargeant aux directions culturelles régionales. Enfin, pourquoi un écrivain serait-il approprié pour mener une causerie et pourquoi, tout à coup, serait-il astreint à des actes qui ne concordent pas forcément à ses mœurs : contraintes horaires, socialisation, etc. ? Certes, il existe une catégorie que ces servitudes picrocholines ne dérangent pas étant donné que cela constitue un prolongement de la pratique professionnelle : faire des cours. Le soussigné a terminé sa scolarité en 3e aménagée, s’est emmerdé jusque là sur les bancs de l’école, et en conséquence réprouve la perspective de se plier à ces services que l’on a l’air de trouver normaux par ailleurs. En effet, il semble bien que le travail de l’écrivain se révèle suspect. La nécessité de sa rentabilité passe donc également par des manifestations en marge qui acquièrent valeur de preuve d’une activité artistique : avoir l’air intéressant, même si l’objet de la preuve ne comporte que de lointains rapports avec les obsessions de l’auteur. Pourquoi donc s’étonner du procédé ? L’on gage que ces libéralités financières accordées aux écrivains en échange d’un « service public » sont agréées par du personnel politique qui, par ailleurs, s’y connaît en gage de compétences, n’est-ce pas ? Cela peu avoir été créé à l’instigation de fonctionnaires culturels revenus d’une certaine vision édénique de la littérature… Au fond, le Tenancier se moque assez de ces raisons, il sait que le régime libéral dans lequel il vit et qui régit ce genre d’institution se refuse à « payer des gens à ne rien foutre » — enfin, une certaine catégorie de gens — et que ceux-là doivent démontrer un bon vouloir (pour l’artiste), ou de l’obéissance (pour ces « salauds de chômeurs »). Le Tenancier sait tout cela. Il a néanmoins été tenté de solliciter une résidence, et puis la paresse, et puis se retrouver loin de la femme qu’il aime, et puis… Alors, il a songé à trouver un moyen chic d’exposer son renoncement en jouant au rebelle.
Quelle fatigue !
En fin de compte, la flemme à l’idée de « faire mine » l’a emporté et il vous en fait part. Il continuera de bosser dans son bureau.

vendredi 3 mai 2024

Tous les peuples...

Tous les peuples originaires des îles du nord et des confins de l’Héspérie : les Goths, appelés également Scythes, ou encore les Gètes, nation tumultueuse et composite qui comprend les Sylores, les Adogits, les Créfennes qui consomment la chair blanche des oiseaux, les Theusthes, les Vagoths qui vivent de l’air du temps, les Hallins durs à la tâche, les Suéthans qui se livrent au commerce des peaux saphirines, les Liothides, les Athelnils, inégalés constructeurs de murailles, les Finnaithes, les Fervirs aux doigts percés de clous de cuivre, les Gautigoths, race farouche, les Evagères qui vivent au milieu des marais, les Sucombres, les Othinges, grands pourfendeurs de rochers, les Raumarices, les Rustholes, qui naviguent sur l’eau des rêves, les Raugnariciens, les Finois aux moeurs très pures, les inoviloths, les Suétides qui eurent pour ancêtres les dieux Frigidern et Widicula, les Cogènes, qui se cousent des parures en queues de rats, les Granniens, les Aganzies, les Unisces qui se font dresser les cheveux sur la tête, les Ethelruges qui vénèrent les mouches vrombissantes, les Arochniranes qui, comme leur nom l’indique, élèvent des araignées, les Ulméruges, les Ovimes qui passent pour avoir peuplé les premiers les terres de la Scythie, les Spanes, les Histériens qui s’agitent et prennent toutes choses de haut, les Sères, les Gépides sur lesquels Ablabius a écrit les pires choses avec talent, la tribu acariâtre et populeuse des Whinides, les Sclavins, les Antes qui vivent dans des caves, les Vidioariens, qui ne boivent que de l’eau des sources, les Itemestes, les Agazzires qui piétinent leurs propres moissons, les Auziagres, les Aviri, les Hunnagares, qui font tout à cheval, les Amales aux dents cariées, les Lazes, les Roscolans que gouverna Dicénus le Boroïste, les Tamazites dont hommes et femmes vivent chacun d’un côté et de l’autre de la rivière, les Sarmates qu’aima et combattit le poète Sextus Publius Galba, les Bastarnes, les Marcomans, les Piduzes, chaussés de sandales en peau humaine, rehaussées de pointes, les Guales, les Garpes, les Peucènes qui s’offusquent d’un rien, les Volusques, qui puent de la bouche, les Thrènes, les Astinges, les Hermundures qui se battirent sous les ordres de l’esclave Sitalcus, les Thuides, les Aunxes, qu’on n’attendait plus, les Vasinabronces, les Agathyrses qui servent le dieu Foncle, les Polivés qui se chamarrent le corps de poudre d’améthyste, les Tamurses, lents à la détente, les Exes, les Ivoines avec leurs frères les Pilures, les Mérens, les Mordeusimmes qui chassent l’homme au harpon, les Cares, les Roces, les Tadzans, doués dans la fabrication de chariots bâchés d’écorce, les Athuals, les Navegos dont personne n’a réussi à parler la langue, les Bubegentes, les Coldes que nul ne connaît, les Aliorumes, les Ramaxis, frères en désespoir avec les Tardes, les Alipzures, les Teusquins, les Alcizures qui se prétendent leurs cousins, les Itamares dont l’existence reste incertaine [...]

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Alain Nadaud : Petit catalogue des nations barbares (1999)